Le mysticisme exprime ce qui est relatif à une croyance en la foi liée

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UNE PHILOSOPHIE MYSTIQUE ?
Si l’on s’en tient au sens étymologique de « philosophie », amour de la sagesse, tel
qu’inauguré par Pythagore, la philosophie est d’abord une mystique.
Mais, sortie de l’ère présocratique, la philosophie a subi une soumission au
raisonnement, à la recherche du « réel ». Dans ce sens on peut opposer toujours
un argument à un autre, mais non à l’amour… Ainsi depuis des siècles la discussion
porte sur la « res » : la chose, le réel, la quiddité, etc. Cette variété de noms cache
un objet X, insaisissable, mais dont pourtant on est bien conscient. Si bien que le
réel apparaît (c’est le mot juste), ce je- ne-sais- quoi qui n’est pas tout à fait quelque
chose en soi, ni quelque chose qui soit indépendant de nous, autrement comment
pourrions- nous en parler ? .Mais si le réel n’est pas tout à fait une chose, ni tout à
fait moi, ni même un « fait » précis en tant que tel, il faut bien admettre que nous
avons un lien vivant avec lui, dans une forme distincte mais inséparable. Ce lien à
l’œuvre, selon des auteurs mystiques, a une consistance. Ainsi sens et réel se
rejoignent dans l’acte présent Cette attitude philosophique rime avec celle
mystique, celle dont on peut toujours dire « ce n’est pas encore ça », mais avec
lequel nous sommes solidement unis car elle nous interpelle constamment.
« Il y a assurément de l'inexprimable, disait Wittgenstein, et Einstein renchéri : "Le
monde tel que nous le voyons n'est pas toujours le réel que nous croyons.
L'imagination est plus importante que la connaissance car la connaissance est
limitée tandis que l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès et
suscite l'évolution." L’imaginaire, d’ailleurs échappe à l’espace-temps. Mais si l’on
n’arrive pas à dire tout à fait ce monde imaginaire, on peut néanmoins raconter
l’expérience qu’on en fait dans un récit.
Ainsi la mystique réintroduit ces dimensions oubliées dans la philosophie, que sont
l’histoire, sous forme de récit d’expérience, et une initiation volontaire.
Le mysticisme », en effet, vient du mot grec muéô, (initier), qui donne aussi
mystère, mystagogie. Il est relié au sacré qui, lui, est lié au secret. La mystique,
s’accorde autant avec la voix, la parole, le récit qu’avec la réflexion. On a donc une
approche ésotérique (intérieure) de la Mystique dans les récits des grands mystiques
tels que saint Augustin, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Bernard de Clairvaux,
maître Eckart. Et une approche qu’on peut dire exotérique, relié à une lecture
particulière des grands textes de la tradition. Mais le plus souvent les deux
s’interpénètrent. On peut néanmoins retenir :
- rattaché à la Bible
la Kabbale qui (selon la tradition juive) remonte à la loi orale donnée par Dieu
à Moïse sur le Sinaï. Forme de mysticisme, qui a toujours accompagné la lecture de
l’écriture même, non seulement au près de juif mai aussi chez des chrétiens..
-rattaché au Coran
le soufisme, au carrefour de la pensée islamique et de la pensée iranienne. C’est
Henry Corbin qui a fait connaître en Occident cette pensée s’inspirant de l’œuvre
de Ibn-al-Arabi (XII.e siècle)., donnant consistance à ce monde intermédiaire qu’il
appelle mundus imaginalis, l’Imagination créatrice, capable d’apporter un sens face
à l’omniprésence qui va de la pensée technico-scientifique et aux théories des
pulsions primitives décrites par la psychanalyse. Corbin propose plutôt l’expérience
mystique de l’individuation, et dévoile ainsi un espace visionnaire des symboles.
- rattaché aux sources orientales
On a plusieurs variantes, tenant toujours compte de l’impermanence de l’Univers
- l’hindouisme le plus ancien, datant du troisième siècle avant notre ère, qui
propose la dissolution de l’individualité dans le brahaman
- le bouddhisme, se rapporte à la notion d'éveil spirituel ou Bodhi. L’'extinction
n'est pas absolue (elle est dite "sans demeure"), puisque l'éveillé peut, par
compassion, guider les êtres humains qui n'ont pas encore connu l'éveil.
- le taôisme vise l’équilibre entre le Ying et le Yang, si bien que selon François
Cheng, l’homme se trouve au trait d’union des deux : le Vide médian, qui est la
source de toute potentialité.
- non rattaché à un texte, mais universellement pratiqué, le chamanisme tend
surtout par le biais de la transe, à faire ressurgir la vérité cachée. Son origine est
préhistorique.
REFLEXION PHILOSOPHIQUE
Avec la mondialisation et l'engouement pour la spiritualité orientale, le mysticisme a
connu un renouveau, aussi bien comme remise en question que recherche d'un
sens à l'existence. Le terrain était préparé par des philosophes, tels comme Henri
Bergson, William James, des écrivains comme Romain Rolland, Aldous Huxley ainsi
que le comparatiste Henry Corbin dans son admirable synthèse entre Occident et
mysticisme iranien. C’est dans ce sens qu’on retrouve l’œuvre de l’historien de
religions Mircea Eliade, et surtout celle de Carl Gustave Jung.
Ce dernier, se détachant de la psychanalyse de Freud, avec son double inconscient
individuel et collectif, transmis de génération en génération, sur la base d’archétypes
(enfant éternel, la grande mère) et la notion du bipolarisme : tout être humain étant
à la fois animus (masculin) et anima ( féminin) a préparé un terrain à une série de
croisements féconds. Il faut citer aussi Claude Lévi-Strauss sur la participation
mystique aux structures élémentaires de la société. Tout cela a contribué à donner
une rigueur intellectuelle à l'étude du mysticisme, qui, tout en ayant des spécificités,
révèle une aptitude universelle qui se développe plutôt au marge des institutions.
La mystique en effet s’impose à un moment ou l’autre de la vie de chacun, puisque
tout le monde vi avant de penser, doute, souffre et aspire toujours à un quelque
chose, qu’on l’appelle « sens » ou autre. Tous portent ou supportent une blessure,
l’expérience où rien n’arrive à combler le vide initial car nulle adéquation n’a été
trouvée entre le Sujet et le Réel. Ainsi dès qu'on ouvre la bouche, à la base de tout
échange, il y a, un acte volitif qui introduit un ver dans l’intelligence : quelque chose
de l’ordre d’une spiritualité immanente, qui aspire à une union corps et âme.
Antonio Damaso a découvert qu'on ne raisonne pas seulement avec la tête, mais
d’abord avec les émotions. Il a en effet constaté une chose simple: un homme
apparemment normal, intelligent, n'arrive pas à choisir. C'est qu'il est atteint non
pas dans son hémisphère gauche ou droit, mais dans leur prolongement respectif :
le tronc cérébral qui les relie à la moelle épinière, en passant par le thalamus (qui
dit bien son nom: puisqu'il s'agit de dire j'aime, je n'aime pas). Pour Damaso cela
serait la conscience des émotions, qu'on a en commun avec tout animal, celle de la
douleur, du plaisir, etc. nécessaire pour la survie. Il suit au niveau plus élevé, une
conscience environnementale, qui permet à tout animal d'appréhender son
entourage. Seul le troisième niveau : la Conscience dite autobiographique se lie
à la mémoire du passé. A l'évidence il n'y a rien de proprement mystique ou spirituel
chez Damaso, mais il est vrai aussi que si on veut comprendre l'esprit il faut déjà
connaître les rouages du cerveau. Ainsi peut-on dire que c’est seulement à partir
de ce troisième niveau mémoriel qu'il y a vraiment con-science, au sens mystique,
et c’est à partir de cela que la trilogie védique se déploie en conscience cosmique,
divine et de l’unité. Jeremy Rifkin résume cela en conscience empathique, propre
de l’homme. Lacan parle d'imaginaire, symbolique et réel. Mais il y a une barrière
infranchissable qui passe entre le physique et le spirituel, comme entre tout
symbole et la réalité, et donc une dualité, qu'on ne saisit pas seulement avec
l'intellect, mais qui implique la volonté de franchir le gué. La conscience alors est
aussi le lieu de l’écoute de la vérité, de la responsabilité et de la force devant tout
déterminisme et toute dictature. Chacun peut dire :"Je sais bien...mais quand
même", il y a toujours un reste, rendant tout à fait impossible l’enracinement total,
mais non l’espoir, ni la nostalgie.
CONCLUSION nostalgique
Nostalgie, vient du grec noos (intellect) algie (la souffrance, la passion) et traduit un
manque, une absence-présence. L’universalité de ce terme se trouve exprimé en
toute langue: comme le « sehnsucht », allemand, anhélo en espagnol, c’est bien
l’expérience d’un désir infini qui ne trouve pas un correspondant réel.
Selon des auteurs mystiques, la figure appropriée à cette situation serait l'oxymore
"ni ...ni..." qui crée un trou dans le langage, y installant une place à rechercher chez
le sujet qui parle. Un trope qui s’oppose au propre. Ni tout à fait réel ni tout à fait
idéal, idéalisme et matérialisme, réalisme et nominalisme, renvoyés dos à dos, le
mystique se situe dans un entre-deux, une tension où l’arrêt est impossible, le
cheminement constant, ressuscité par une ouverture béante dans la poitrine.
Selon René Char : on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre
dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps.
La mystique met finalement en relief un langage paradoxal sur lequel existe un
certain consensus. D’abord il y a un Inconnu dans l’Univers, qu’on l’appelle de
quelque façon que ce soit : les noms divins, le chiffre de l’Originaire ou le Symbole
tout simplement. Mais cet Inconnu est en quelque sorte lui-même « pathétique » car
il aspire à se faire connaître. La mystique entre ainsi librement dans une sorte de
Passion universelle. D’ailleurs le mot Uni-vers dit qu’on peut aller vers une unité,
alias qu’on peut progressivement con-naître et se connaître (au sens littéral), dans
le cadre d’une reconnaissance réciproque. C’est dans ce croisement sur le mode de
l’altérité, de la nostalgie et de l’invention de la différence qu’on peut retrouver une
certaine unité et que le possible entre dans le présent. apportant aussi le passé et
un futur. Ainsi mystique, nostalgie et créativité se rejoignent quelque part, dans une
communion vivante avec le Tout.
Christian Pagano
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