Philippe CAPELLE (éd.), Expérience philosophique et expérience mystique, Paris, Cerf, coll. “
Philosophie et Théologie ”, 2005. 21,5 cm. 330 p. ISBN 2-204-07826-3, 35 €.
Les dix-sept contributions de cet ouvrage tentent d'éclairer, à partir de questionnements
spécifiques, le statut épistémologique de la mystique par rapport à la philosophie.
Un premier groupe interroge la nature de l'expérience spirituelle, qu'elle soit philosophique ou
métaphysique. R. Schaeffler souligne l'articulation entre réflexion et expérience dans leur
conceptualisation, toujours à posteriori. J.-L. Vieillard-Baron décrit l'expérience
métaphysique comme prise de conscience de soi. J. Greisch retrace l'histoire du concept
même d'expérience. Face au flou de la définition de la mystique, oscillant entre irrationnel et
accomplissement de l'universel, H. Laux propose un “tiers concept” d'une mystique comprise
comme avènement d'une parole libre et souveraine.
Le deuxième groupe enquête parmi les grandes figures de la mystique. J.-M. Narbonne met en
évidence l'optimisme métaphysique de Plotin. Sa conception d’une âme seulement
partiellement incarnée, restant en lien avec l'Un, la rend naturellement capable de retourner
vers son origine. Pour G. Aubry, le concept central de Plotin est le terme dunamis dont elle
interroge l'équivocité. J.S. O’Leary, à partir d’exemples de Plotin et d’Augustin, cherche à
concilier mystique et philosophie en postulant “une virtualité contemplative de l’esprit
humain”. Y. de Andia distingue une mystique proprement chrétienne, en tant qu'union
relationnelle, d'une démarche païenne visant un devenir-dieu. E. Falque tente une analyse
phénoménologique de l’expérience mystique chez saint Bernard. M.-A. Vannier questionne le
lien entre spéculation et mystique chez maître Eckhart.
Le troisième groupe d'articles s'intéresse aux auteurs modernes comme Simone Weil (E.
Gabellierie) et Levinas (C. Chalier). Les textes de B. Casper et P. Gilbert présentent des
auteurs, respectivement Franz Rosenzweig et Eric Weil, qui récusent expressément la
mystique comme fuite irrationnelle du monde. Ils soutiennent que ce jugement repose sur un
malentendu et que la pensée de ces auteurs peut être qualifiée de mystique authentique.
E. Tourpe relate la polémique du début de XXe s. autour de Jean de la Croix et prend position
pour Blondel. P. Capelle décrit le concept de “retrait” comme marqueur de la modernité
occidentale. Tant la philosophie que la mystique doivent renoncer à toute tentative d'emprise
totalisante.
L'ensemble se termine par la contribution de J.-Y. Lacoste qui peut servir de conclusion.
L'auteur met en évidence le point commun entre mystique et philosophie : les deux vivent de
l’inadéquation fondamentale à leur sujet, respectivement Dieu et le réel.
Dans l'ensemble, les différents auteurs suivent une démarche apologétique dont les limites
mériteraient d'être questionnées. Si la spécificité de leurs approches respectives interdit toute
réponse globale à la question posée de la relation entre philosophie et mystique, elle stimule
au contraire la poursuite de la réflexion.
WALTRAUD VERLAGUET