RENCONTRE
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RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 96 - MARS 2009
LES VALEURS EN CRISE
Florence GRUAT,
Cadre de santé, Formatrice en IFSI, Espace éthique centre hospitalier René Dubos - Pontoise, Doctorante
en éthique, science, santé et société Département de recherche en éthique, Université Paris-Sud 11,
Réseau de recherche en éthique médicale, INSERM
Article extrait du mémoire pour l’obtention du Master 2 : Ethique, science, santé et société.
Mots clés : valeurs, éthique, infirmières, obstacles
Dans un article paru dans la revue Esprit 1, Louis
Dumont nous rappelle que le mot valeur en latin signi-
fie saine vigueur, force, et désignait au Moyen Age la
bravoure du guerrier. À ce jour, la recherche sur
Internet du mot valeur nous conduit aux cours de la
bourse. Ce mot «valeur» symbolise, aujourd’hui, sou-
vent, dans notre monde moderne, ce qui est cher à
l’individu, le pouvoir de l’argent, la mesure de toute
chose. Il est fréquent d’entendre parler au sein des
hôpitaux de concepts de respect, de dignité, d’auto-
nomie de la personne soignée. Il semble admis que
les acteurs de la vie hospitalière soient réputés avoir
un grand sens moral.
La demande apparente d’éthique reste prégnante chez
les soignants. Il y a comme une rumeur éthique. Serait-
ce que cette demande corresponde à un effondrement
de la morale à l’hôpital ? Restons prudents. Méfions-
nous des rumeurs, des constats, des sondages, de
toutes les approches objectives de la moralité : «toutes
ces approches contribuent à dé-moraliser les mœurs en indui-
sant des comportements conformistes.» 2Ces concepts,
sitôt qu’entendus mais parfois mal compris, sont décli-
nés dans les discours infirmiers. On a plus ou moins
confusément à l’esprit ce qui doit être bien, mais on fait
parce qu’on nous dit de faire et bientôt ce qu’il faut faire
c’est ce qui se fait ! Ce qui peut nous inquiéter au sein
de notre société, comme à l’hôpital, ce n’est pas l’im-
moralité, ni l’amoralité, mais plutôt la disparition du
sentiment de culpabilité engendrée par la transgression
morale. Entre l’hétéronomie qui s’abat sur les soignants
sous forme d’injonctions réglementaires et législatives,
et la recherche de l’autonomie du soignant comme du
soigné, l’infirmière cherche des repères et se dé-mora-
lise. En perte de sens, elle dira qu’elle est dé-motivée.
Interrogées sur cette possible éthicisation de leurs pra-
tiques, des infirmières affirment qu’elles ne font que
défendre des valeurs infirmières ancestrales. Pour les
plus anciennes d’entre elles, il y aurait une crise des
valeurs dans le domaine du soin. Ces valeurs resteraient
le dernier rempart. Comme si c’était mieux avant,
comme si ces valeurs avaient été momentanément
oubliées. La question est de savoir si les infirmières ont
occulté leurs valeurs, comme leurs contemporains, ou
si elles sont plutôt submergées par un trop plein de
valeurs. Les médecins font souvent référence à leur
code de déontologie médicale, ils parlent peu de valeurs.
Faut-il admettre avec Nietzsche 3que les infirmières,
soumises au pouvoir médical se sont inventées des
valeurs morales pour peser sur la conscience de ces
derniers, pour leur donner mauvaise conscience, pour
contrebalancer leur supériorité initiale? Mais, la valeur
de la valeur ne peut plus ne reposer que sur l’évaluation
d’un évaluateur. C’est pourquoi l’affirmation d’une valeur
peut devenir l’expression de puissance de l’évaluateur.
Alors nous refusons tout débat sur les valeurs, nous
refusons que l’on discute nos valeurs. Dans ce cadre, la
demande d’éthique peut apparaître comme un appel à
la reconstruction de repères, un appel à la rationalité.
1Revue «Esprit»n° 7, Paris, 1983. Cité dans Valeurs, identité et pratiques infirmières, Journées de perfectionnement, C. C. P. S, Paris, 1983.
2Dominique Folscheid, DESS d’éthique médicale et hospitalière, cours de première année, Paris, AP-HP, Délégation à la Formation, 2003.
3Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, GF Flammarion, 1996.
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