recherche en soins infirmiers - Banque de données en santé publique

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ECHERCHE EN
SOINS INFIRMIERS
Revue Trimestrielle 4 numéros par an.
Directrice de la publication : Monique FORMARIER
COMITÉ DE RÉDACTION
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Monique FORMARIER
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Commission paritaire : 71232
ISSN : 0297-2964
La revue « Recherche en Soins Infirmiers » (RSI) est répertoriée dans les banques de données :
- PASCAL de l’I.N.I.S.T. (Institut National de l’Information Scientifique et Technique)
- B.D.S.P. (Banque de Données de Santé Publique)
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N° 96
MARS 2009
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
La conférence du Workgroup of European Nurse Reasearchers (WENR) . . . . . . . . . . . . . . . .4
Monique FORMARIER
RENCONTRE
Les valeurs en crise ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
Florence GRUAT
L’apprentissage de la recherche en école de sage–femme : Une quête de sens pour une prise
de conscience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .8
Chantal RAZUREL
MÉTHODOLOGIE
Dans cette rubrique nous publions des articles ayant trait à la méthodologie qui ont été
présentés lors des journées d’étude de l’ARSI en janvier 2008.
Complexité des actions professionnelles,
Recherche qualitative et évaluation, reliances et légitimités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19
Jean CLENET
L’EPP : Pour une politique fondée sur la qualité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .27
Jean-Michel CHABOT
Les résultats probants dans la recherche médicale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .32
Olivier MONTAGNE
Le processus d’intégration de la recherche dans des procédures d’accréditation et d’évaluation
des pratiques professionnelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35
Gislaine BENHAMOU-JANTELET, Danièle THOMINET, Kline VEYER
RECHERCHE
L’expérience de l’incertitude chez les pères et mères dans le processus de l’annonce
de la déficience motrice cérébrale de leur enfant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41
Diane PELCHAT, Valérie BOURGEOIS-GUERIN
Évaluation d’une visite virtuelle pré-opératoire pour parents et enfants. . . . . . . . . . . . . . . . .52
Jocelyne TOURIGNY, Julie CHARTRAND
Pansement de plaies chroniques en milieu hospitalier- Une revue de la littérature. . . . . . . . .58
Lucie CHARBONNEAU, Béatrice PERRENOUD, Serge GALLANT, Isabelle LEHN, Valérie CHAMPIER
VARIATION
Evaluation de nos pratiques professionnelles : la prise en charge de l’enfant porteur d’une fente
labio-maxillo palatine et de sa famille. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
Nicole CANIVEN, Madame LEDUC
Détection de la violence domestique en milieu hospitalier par les soignants :
Responsabilité professionnelle et enrichissement de l’approche du patient. . . . . . . . . . . . . . .73
Marie-Christine POUJOULY, David BOURGOZ
La recherche en soins infirmiers au service de la qualité des soins!
Est-ce souhaité et réalisable? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .77
Marianne WALTI-BOLLIGER
La consultation infirmière auprès des patients VIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .85
Elisabeth COSTA
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ERRATUM
Dans le sommaire de la revue de décembre 2008, numéro 95, une erreur a été commise concernant la présentation des
auteurs dans deux articles.
Il faut lire :
- La contribution de l’approche de caring des infirmières à la sécurité des patients en réadaptation : une étude novatrice.
Daphney ST-GERMAIN
Régis BLAIS
Chantal CARA
- Allier le Soin Infirmier et la réadaptation : un modèle de pratique Caring-Processus de Production du Handicap peutil faire la différence ?
Daphney ST-GERMAIN
Brigitte BOIVIN
Patrick FOUGEYROLLAS
Nous présentons nos excuses à Madame Daphney ST-GERMAIN et à ses co-auteurs pour ces regrettables erreurs.
Monique FORMARIER
Rédactrice
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ÉDITORIAL
Monique Formarier
Rédactrice
La conférence du Workgroup of European Nurse Reasearchers (WENR)
Le Groupe Européen des Infirmières Chercheuses
Vienne Autriche, Septembre 2008.
À juste titre, la profession infirmière en France est en ébullition autour de la création d’un cycle universitaire (L,M,D),
puisque avec le Luxembourg, elle est le seul pays européen à ne pas avoir de cursus infirmier universitaire.
Des associations et syndicats se mobilisent, des groupes de travail sont créés et de nombreux débats sont organisés
ici et là autour des choix (licence classique ou licence professionnelle), du nombre de masters, de la reconnaissance
des diplômes etc…
Mais les infirmières françaises sont-elles réellement prêtes à entrer dans une logique universitaire, centrée sur la
discipline des soins infirmiers où, à partir du master, la recherche tient une place prépondérante ?
On peut se poser la question quand on voit le peu d’intérêt actuel que l’ensemble de la profession porte à la construction de sa discipline, dont la recherche est un de ses fondement.
Nous en avons une bonne illustration avec la dernière conférence du WENR qui s’est tenue à Vienne en septembre 2008
et qui regroupait les chercheurs en science infirmière de toute l’Europe. Il n’y avait que 2 français sur 250 participants,
tous les 2 appartenant à 2 associations (ANFIIDE et ARSI) qui s’intéressent à la recherche.
Si la France doit créer un cursus universitaire en science infirmière, elle ne peut pas ignorer ce que font les infirmières
des autres pays en matière de recherche et en particulier les infirmières européennes avec les accords de Bologne.
Comment Les infirmières répondent-elles aux besoins de santé des populations ? Comment travaillent-elles avec
l’EBN ? Quelles sont les expériences intéressantes qui se font dans le domaine des pratiques avancées ?
Autour de quoi se construit la discipline infirmière en Europe, autour de quels thèmes, de quels concepts, de quelles
théories, quelles sont les méthodologies utilisées ? Quels sont les grands axes de recherches à développer ?
Ces questions axées sur la discipline devraient être au centre des débats pour guider les décisions qui impactent
la profession.
Une partie de la réponse à ces questions se trouvent dans les nombreux échanges et présentations qui ont eu lieu
durant la conférence du WENR. Le thème de la conférence, la prise en charge des maladies chroniques, concerne les infirmières de tous les pays. Plus de cent travaux ont été présentés : 38 recherches quantitatives,
36 recherches qualitatives, 9 recherches à méthodes mixtes, des recherches action, des recherches évaluatives, des
analyses de concept…
Les recherches ciblées autour de l’éducation thérapeutique, la santé publique, le vécu du patient porteur de pathologie chronique, ont témoigné de l’étendue des préoccupations des infirmières et de la contribution unique et importante que seule cette profession qui est au cœur des soins, et au plus prés des patients, peut apporter dans le développement de la qualité des soins. La reconnaissance de la profession passe aussi par cette voie.
Espérons qu’en 2009, à la prochaine conférence du WENR à Athènes, les infirmières françaises y seront mieux
représentées, (individuellement ou par les associations), non pas pour y faire de la figuration, mais pour apporter leur
participation à la construction de la science infirmière.
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RENCONTRE
LES VALEURS EN CRISE
Florence GRUAT,
Cadre de santé, Formatrice en IFSI, Espace éthique centre hospitalier René Dubos - Pontoise, Doctorante
en éthique, science, santé et société Département de recherche en éthique, Université Paris-Sud 11,
Réseau de recherche en éthique médicale, INSERM
Article extrait du mémoire pour l’obtention du Master 2 : Ethique, science, santé et société.
Mots clés : valeurs, éthique, infirmières, obstacles
Dans un article paru dans la revue Esprit 1, Louis
Dumont nous rappelle que le mot valeur en latin signifie saine vigueur, force, et désignait au Moyen Age la
bravoure du guerrier. À ce jour, la recherche sur
Internet du mot valeur nous conduit aux cours de la
bourse. Ce mot «valeur» symbolise, aujourd’hui, souvent, dans notre monde moderne, ce qui est cher à
l’individu, le pouvoir de l’argent, la mesure de toute
chose. Il est fréquent d’entendre parler au sein des
hôpitaux de concepts de respect, de dignité, d’autonomie de la personne soignée. Il semble admis que
les acteurs de la vie hospitalière soient réputés avoir
un grand sens moral.
La demande apparente d’éthique reste prégnante chez
les soignants. Il y a comme une rumeur éthique. Seraitce que cette demande corresponde à un effondrement
de la morale à l’hôpital ? Restons prudents. Méfionsnous des rumeurs, des constats, des sondages, de
toutes les approches objectives de la moralité : «toutes
ces approches contribuent à dé-moraliser les mœurs en induisant des comportements conformistes.» 2 Ces concepts,
sitôt qu’entendus mais parfois mal compris, sont déclinés dans les discours infirmiers. On a plus ou moins
confusément à l’esprit ce qui doit être bien, mais on fait
parce qu’on nous dit de faire et bientôt ce qu’il faut faire
c’est ce qui se fait ! Ce qui peut nous inquiéter au sein
de notre société, comme à l’hôpital, ce n’est pas l’immoralité, ni l’amoralité, mais plutôt la disparition du
sentiment de culpabilité engendrée par la transgression
morale. Entre l’hétéronomie qui s’abat sur les soignants
sous forme d’injonctions réglementaires et législatives,
et la recherche de l’autonomie du soignant comme du
soigné, l’infirmière cherche des repères et se dé-moralise. En perte de sens, elle dira qu’elle est dé-motivée.
Interrogées sur cette possible éthicisation de leurs pratiques, des infirmières affirment qu’elles ne font que
défendre des valeurs infirmières ancestrales. Pour les
plus anciennes d’entre elles, il y aurait une crise des
valeurs dans le domaine du soin. Ces valeurs resteraient
le dernier rempart. Comme si c’était mieux avant,
comme si ces valeurs avaient été momentanément
oubliées. La question est de savoir si les infirmières ont
occulté leurs valeurs, comme leurs contemporains, ou
si elles sont plutôt submergées par un trop plein de
valeurs. Les médecins font souvent référence à leur
code de déontologie médicale, ils parlent peu de valeurs.
Faut-il admettre avec Nietzsche 3 que les infirmières,
soumises au pouvoir médical se sont inventées des
valeurs morales pour peser sur la conscience de ces
derniers, pour leur donner mauvaise conscience, pour
contrebalancer leur supériorité initiale? Mais, la valeur
de la valeur ne peut plus ne reposer que sur l’évaluation
d’un évaluateur. C’est pourquoi l’affirmation d’une valeur
peut devenir l’expression de puissance de l’évaluateur.
Alors nous refusons tout débat sur les valeurs, nous
refusons que l’on discute nos valeurs. Dans ce cadre, la
demande d’éthique peut apparaître comme un appel à
la reconstruction de repères, un appel à la rationalité.
Revue « Esprit » n° 7, Paris, 1983. Cité dans Valeurs, identité et pratiques infirmières, Journées de perfectionnement, C. C. P. S, Paris, 1983.
Dominique Folscheid, DESS d’éthique médicale et hospitalière, cours de première année, Paris, AP-HP, Délégation à la Formation, 2003.
3 Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, GF Flammarion, 1996.
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RENCONTRE
LES VALEURS EN CRISE
Affirmer péremptoirement des valeurs est inutile et parfois dangereux. L’idéologie nous guette, notamment
quand le valoir fait la place au croire et que les valeurs
deviennent croyances.
d’autonomie se transforme alors en dictat hétéronome.
On comprend dès lors les graves questions qui émergent
quant au respect de la liberté des patients, se traduisant
par leur manque d’informations et le non-respect de
leur consentement aux soins. «De toute façon, il ne peut
pas comprendre ! Il faut le prendre en charge.»
VALEURS COMMUNES
Il est habituel d’entendre dire qu’il existe une crise du
lien relationnel. Ce problème est peut-être avant tout
celui du relativisme moral. La tolérance, qui s’exprime
par un refus absolu de la violence et de la contrainte à
l’égard d’autrui, et qui interdit l’arrogance de détenir le
savoir absolu, change de nature dans notre société.
Certains, comme Maurice Blondel, ont proposé un nouveau terme: le tolérantisme. Il ne s’agit plus de respecter la personne. Il s’agit d’admettre toutes les opinions,
tous les actes en s’interdisant tout jugement de valeur.
Au lieu de découler du respect, la tolérance devient indifférence. Dire qu’on respecte toutes les valeurs, veut
bien souvent signifier que toutes les valeurs se valent
puisqu’aucune valeur ne vaut rien. De là à penser que les
valeurs ne valent rien, il n’y a qu’un pas.
Devant ce surplus de valeurs, fait de la multitude des
valeurs de chacun, on cherche à définir, à l’Institut de
formation en soins infirmiers comme à l’hôpital, des
valeurs communes. Il est question de faire adhérer le
plus grand nombre d’étudiants et d’infirmières à des
valeurs dites fondatrices. Le risque est grand alors d’accoucher de valeurs qui ne seraient que les plus petits
dénominateurs communs des valeurs de chacun.
Chaque infirmière ayant par ailleurs ses propres représentations, il n’est pas sûr qu’elle adhère à des valeurs
qui lui seraient comme imposées. Tout cela n’incite ni
à la réflexion, ni à l’éthique. C’est ainsi que «le monopole de la valeur rend l’éthique muette.» 4
Notre propos n’est pas par exemple, de dire que la
dignité humaine soit sans valeur. Mais le fait de caractériser quelque chose comme «valeur» dépouille de sa
dignité ce qui est valorisé. Est-on sûr que les valeurs
défendues par les infirmières ne soient pas uniquement
leurs valeurs ? Est-ce que les valeurs des infirmières
sont les valeurs des personnes soignées ? Que penser
à l’hôpital de l’entrechoquement des valeurs des personnes soignées mais aussi de celles des soignants ?
Si des valeurs sont imposées aux infirmières, n’y a-t-il
pas un risque que ces dernières, faisant leurs ces valeurs,
n’essaient à leur tour de les imposer même inconsciemment aux malades ? L’autonomie peut en être un
bon exemple. L’autonomie, cette loi que chacun se dicte
à lui-même est devenue un principe éthique de l’utilitarisme anglo-saxon. À l’IFSI, on vise à l’autonomisation
des futures infirmières, et voici que bientôt l’autonomie
du malade apparaît comme une valeur promue pour le
patient. C’est théoriquement chercher, dans son intérêt, à rendre moindre la dépendance du patient vis-àvis des personnels soignants. Mais voilà que cette autonomie devient normative, injonction, alors qu’elle n’est
pensée bien souvent qu’en termes technique et médical.
Le patient devient alors une sorte d’exécutant, un partenaire docile mais obéissant appelé acteur du soin.
Alors, il faut soigner la perte d’autonomie. Les malades
atteints d’une pathologie grave et les vieillards ne sont
alors plus considérés comme autonomes. Ils ne peuvent
plus alors dire quelle serait leur propre loi. La visée
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5
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Nous aurions grand peine à citer les innombrables
ouvrages et la multitude de revues destinés le plus souvent aux infirmières où sont présentées à l’étalage, sans
retenue, comme au marché, les valeurs dites infirmières.
En quoi les valeurs infirmières sont-elles ou doivent-elles
être différentes des valeurs des personnes qui composent
notre société ? Et qu’en est-il des valeurs des personnes
malades? Recueille-t-on auprès d’elles, les valeurs auxquelles elles sont tant attachées ? Est-on sûr de respecter leurs valeurs? Quelles valeurs valent le plus ? Les infirmières doivent-elles défendre leurs valeurs ou d’abord
s’inquiéter des valeurs des personnes soignées ? La pluralité des valeurs, des valeurs individuelles, du « je pense
que, c’est bien pour moi, ça vaut pour moi », sans référence
à ce que ma valeur vaut pour autrui, peut être la source
de conflit voire de violence. On peut se battre à vouloir
défendre le respect. L’un défendra la valeur sacrée de la
vie comme sa valeur première. L’autre mettra en avant
le respect de la dignité et de l’autonomie du patient. Et
l’on entendra : «Moi, je suis pour l’euthanasie, moi je suis
contre». Et que pense le malade ?
LA DIABOLISATION DES
VALEURS
«Le plus diabolique de tous les obstacles est l’obstacle qui a
pour origine la valeur elle-même.» 5 En effet, le conflit de
devoir sous-tendu par des valeurs qui se contredisent
Dominique Folscheid, op. cit.
Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, Paris, Editions du Seuil, 1981.
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LES VALEURS EN CRISE
ou se démentent l’une l’autre peut être le prétexte à
toutes les démissions et à toutes les capitulations. Le
pluralisme des valeurs finit par dissoudre les valeurs si
l’on en reste à l’a priori, à la croyance, sans discernement, sans passage au crible de la réflexion éthique. Car
le risque est grand que chaque valeur soit infiniment
valable, valable jusqu’à l’absolu. C’est alors «la pléthore
de valeurs qui est le mal» écrit Jankélévitch. Pour ce dernier, c’est la mort de l’intention aimante qui est la cause
de ce malheur. C’est l’égoïsme qui est l’universel diviseur. C’est pour lui ce qui semble justifier à tort la casuistique, qui s’ingénie à ressouder ou à recoller après coup
nos valeurs disloquées. En réalité, ce n’est pas le pluriel
en lui-même qui est le mal, c’est l’intention perfide d’exploiter cette division pour affaiblir ces valeurs.
Mais, qui pourrait nier ce devoir d’hospitalité, de nonabandon, de dignité, de respect que nous devons à tout
à chacun mais encore plus à ce malade dont le visage seul
nous interpelle pour nous rappeler à notre responsabilité ? Personne assurément. Mais, «ce qu’il nous faut aujourd’hui c’est faire effort pour rendre ces considérations explicites,
les argumenter, pour pouvoir justifier ces choix que l’infirmière
est parfois obligée de faire. Il faut tenter de rationaliser nos
pensées même si cela aboutit à justifier les intuitions de la normativité spontanée, nous ne pouvons économiser ce travail de
mise en forme réflexive». 6 Avec Margaret Somerville, nous
pourrions alors espérer qu’après «un stade de simplicité
réelle et une phase de chaos, la simplicité apparente de nos
décisions soit fondée sur une compréhension profonde des
enjeux éthiques» 7 qui les sous-tendent.
Les valeurs dont nous parlons ont rapport à la vie de
l’homme, à son humanité, à son essence même peutêtre. Et qu’est-ce qui vaut qu’on s’intéresse à l’homme
et encore plus à l’homme qui souffre ? Kant 8 dirait qu’en
ce qui concerne l’homme, il ne faut pas penser en terme
de valeur, car les choses ont un prix mais l’homme a
une dignité. Fixer le prix d’un être, c’est le considérer
comme un moyen et non comme une fin en soi. 9
Devons-nous en rester à ces impératifs kantiens ? Que
penser de la philosophie utilitariste telle qu’initiée par David
Hume 10 peu avant les écrits de Kant. Nous ne pouvons
ignorer cette manière de penser à la base de la philosophie utilitariste anglo-saxonne qui envahit progressivement
le monde occidental moderne et particulièrement l’hôpital. Pour Hume, tout est sensation, réactions et émotions.
Pour ce dernier, l’intérêt le plus indiscutable des êtres sensibles est de ne pas souffrir et de ressentir du bien-être,
ce à quoi suffit le recours à l’émotion et à la sensation dont
l’auteur faisait le fondement réel de la raison.
Nous pourrions conclure avec Alain Cordier 11 qu’il pourrait «être intéressant de développer la recherche universitaire
en axiologie médicale, mot à comprendre comme une réflexion
scientifique sur les valeurs, mettant en jeu les fondements
légaux, politiques et sociaux des options éthiques retenues par
une société dans son ensemble aussi bien que le discernement
de chaque malade, chaque famille, chaque acteur de soins».
BIBLIOGRAPHIE
Alain Cordier, La vocation médicale de l’homme,
Ethique, médecine et société, sous la direction
d’Emmanuel Hirsch, Paris, Vuibert, 2007
Revue « Esprit » n° 7, Paris, 1983. Cité dans
Valeurs, identité et pratiques infirmières,
Journées de perfectionnement, C. C. P. S, Paris,
1983.
Anne Fagot-Largeault, Réflexion sur la notion
de qualité de vie, Paris, Archives de philosophie
du droit, 1991.
Dominique Folscheid, DESS d’éthique médicale
et hospitalière, cours de première année, Paris,
AP-HP, Délégation à la Formation, 2003.
David Hume, La morale, Paris, Le livre de poche,
1996.
Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la
morale, Paris, Editions du Seuil, 1981.
Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale,
Paris, GF Flammarion, 1996.
Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Le livre de poche, 1993.
Margaret Somerville, Le canari éthique,
Québec, Liber, 2000.
6
Anne Fagot-Largeault, Réflexion sur la notion de qualité de vie, Paris, Archives de philosophie du droit, 1991.
Margaret Somerville, Le canari éthique, Québec, Liber, 2000.
8 Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Le livre de poche, 1993.
9 Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.
Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et
jamais simplement comme un moyen.
10 David Hume, La morale, Paris, Le livre de poche, 1996.
11
Alain Cordier, La vocation médicale de l’homme, Ethique, médecine et société, sous la direction d’Emmanuel Hirsch, Vuibert, Paris, 2007.
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