Une introduction à la logique stoïcienne Les raisonnements et leurs modes
UNE INTRODUCTION
À LA
LOGIQUE STOÏCIENNE
LES RAISONNEMENTS ET LEURS MODES
1. Définitions. Selon Sextus : «     .
          
 ,       
. » [Sextus.2,
 
, II, 135-136, p. 87]. Ou encore «  
,   ,      .  
   , ,      
  .        
.        




 ;
  
 ;  

,     





 
  

,   
 

. » [Sextus.2,
 
,
II, 301-302, p. 354]. Un raisonnement () est un système () de propositions,
dont les unes sont appelées lemmes ( "ce qu'on prend") et l'autre la
conclusion (). La conclusion est établie ( "prouver, établir")
d'après les lemmes, elle est donc liée aux lemmes par une certaine opération logique.
Les lemmes doivent être adoptés par consensus, ils sont donc liés à une situation
dialectique, Sextus précise en outre que cet accord se fait en raison de l'apparente
évidence (  ) des lemmes. Voici, comme exemple de raisonnement
donné par sextus, le système suivant :
S’il fait jour alors il y a de la lumière ; or il fait jour ; donc il y a de la lumière.
     ;     ;   .
[Sextus.2,
 
, II, 302, p. 354]
Il s'agit ici d'un raisonnement à deux lemmes et plus précisément d'un syllogisme non
démontré du premier mode ; le premier lemme est une proposition non simple, qualifié
de tropique () [Sextus.2,
 
, II, 202, p. 104] 1; et le
second est une proposition simple appelé lemme additionnelle ( "ce qu'on
prend en outre") [Diog.2, VII, 76, p. 137]. Pour rendre plus clair la lecture d’un
raisonnement, on y ajoute les mots d'autre part (), or ou mais ( ) et donc (),
permettant de mieux identifier les différents lemmes et la conclusion.
1 Voir également : Galn.1, Institution logique, VII, 1, p. 253.
1
Si il fait jour alors il y a de la lumière (lemme tropique)
Or il fait jour (lemme additionnelle)
Donc il y a de la lumière (conclusion)
établir
accorder
Raisonnement : système de propositions
Figure 1
Une introduction à la logique stoïcienne Les raisonnements et leurs modes
Le mode ou trope () d’un raisonnement est ce que l’on obtient lorsque l’on
remplace les éléments concrets du raisonnement par des variables. Voici le mode du
raisonnement précédent :
Si le premier alors le second ; or le premier ; donc le second.
  ,   ;     ;   .
[Diog.2, VII, 76, p. 137]
Notons au passage que les variables utilisées sont des ordinaux, et ces variables
symbolisent des propositions et non pas des termes comme dans la syllogistique
d’Aristote.
Un logotrope () est une combinaison d’un trope et d’un raisonnement
permettant d’abréger l’écriture d’un raisonnement trop long. Comme par exemple :
Si Platon vit alors Platon respire ; or le premier ; donc le second.
 ,   ;     ;   .
[Diog.2, VII, 77, p. 137]
2. Classification des raisonnements. Tout d’abord un raisonnement est ou
bien déductif ou bien non déductif. Selon Sextus « a » [Sextus.2,


, II, 137, p. 87] ; un raisonnement est déductif () si et seulement
si l'implication qui a pour antécédent la conjonction des lemmes et pour
conséquent la conclusion du raisonnement est une proposition vraie 2. Il en résulte,
d'après le critère de Chrysippe sur la rité de l'implication, qu'un raisonnement est
concluant dès que la négation de sa conclusion est en conflit avec la conjonction des
lemmes. Par exemple s’il fait jour alors il y a de la lumière ; or il fait jour ; donc il y a de la
lumière est un raisonnement déductif, car non, il y a de la lumière est en conflit avec la
conjonction il fait jour et s'il fait jour alors il y a de la lumière : en effet cette conjonction
n'est vraie que si les deux propositions qui la composent sont vraies, donc d'une part
il fait jour est vrai et d'autre part s'il fait jour alors il y a de la lumière est vrai ; une
implication vraie, dont l'antécédent est vrai, a cessairement un conséquent vrai,
donc il y a de la lumière est vrai. concluant () par contre, lorsque ces deux
propositions ne sont pas en conflit, le raisonnement est non concluant.
Les raisonnements non déductifs sont de quatre formes: inconsistants, déficients,
redondants, asyllogistiques. Un raisonnement non concluant est inconsistant lorsque
les lemmes sont sans rapport ni entre eux ni avec la conclusion, par exemple : s'il fait
jour alors il y a de la lumière ; or on met du b en vente sur le marché ; donc Dion se
promène. Un raisonnement non concluant est déficient lorsqu'il manque un élément
pour déduire la conclusion, par exemple: Socrate est plus petit ou bien de même taille que
Platon ; or Socrate n'est pas plus petit que Platon ; donc Socrate est de même taille que
Platon, en effet l'alternative est incomplète puisque Socrate pourrait être plus grand
que Platon. Un raisonnement non concluant est redondant lorsqu'un lemme est en
surplus pour déduire la conclusion, par exemple : s'il fait jour alors il y a de la lumière ;
or il fait jour ; or Dion marche ; donc il y a de la lumière. Un raisonnement non concluant
est asyllogistique lorsque les propriétés de l'implication ne sont pas correctement
utilisées, par exemple : s'il fait jour alors il y a de la lumière ; or il y a de la lumière ; donc
il fait jour, en effet toutes les propositions nécessaires pour former un raisonnement
concluant sont présentes mais elles sont mal disposées.
2 Ce que l'on peut formaliser ainsi : p ; q donc r est concluant ssi p q r est vraie ; on reconnaît
une version du théorème de déduction : X Y ssi X Y.
2
Une introduction à la logique stoïcienne Les raisonnements et leurs modes
Un syllogisme est un raisonnement concluant dont le mode est ou bien l’un des
cinq modes anapodictiques (), i.e. non démontrés, ou bien se
ramène à l’un de ces modes anapodictiques à l’aide d'opérations appelées thèmes (cf.
§ suivant). Un syllogisme est donc un raisonnement formellement concluant, c'est-à-
dire que la validité de la déduction est décidable d'après sa forme même. Dans un
raisonnement déductif non syllogistique, la déduction est valide dans la mesure où la
négation de la conclusion est en conflit avec la conjonction des lemmes, mais cette
validité n'est pas décidable à la seule vue de la forme du raisonnement. Par exemple,
la proposition "il fait à la fois nuit et jour" est fausse ; or il fait jour ; donc il ne fait pas nuit
est un raisonnement concluant car il fait nuit est en conflit avec la conjonction la
proposition "il fait à la fois nuit et jour" est fausse et il fait jour, mais la validité de la
déduction ne se voit pas sur le mode du raisonnement : le premier ; or le second ; donc
le troisième. Par contre le raisonnement s’il fait jour alors il fait clair ; or il fait jour ; donc
il fait clair est syllogistique, la validité de la déduction apparaît dans le mode du
raisonnement : Si le premier alors le second ; or le premier ; donc le second.
Parmi les raisonnements concluant non-syllogistiques nous avons les
raisonnements améthodiques3 un ou plusieurs lemmes nécessaires pour la
déduction sont implicites, comme par exemple a égale b ; b égale c ; donc a égale c, il
manque en effet dans ce raisonnement la proposition non simple si a égale b et b égale
c alors a égale c.
D'autre part, un raisonnement concluant est ou bien vrai ou bien faux, il est vrai
lorsque la conclusion est déduite à partir de propositions vraies, c’est-à-dire que la
conjonction des lemmes est vraie, il est faux si au moins un lemme est faux. Tout
raisonnement non déductif est faux. Mentionnons enfin les raisonnements
démonstratifs et les sophismes. Un raisonnement est démonstratif lorsqu'il conclue
de ce qui est manifeste à ce qui est non manifeste, par exemple si la sueur transpire à
travers la surface de la peau alors il existe des pores intelligibles ; or la sueur transpire à
travers la surface de la peau ; donc il existe des pores intelligibles est raisonnement
démonstratif, tandis que s'il fait jour alors il y a de la lumière ; or il fait jour ; donc il y a de
la lumière ne l'est pas. Les sophismes sont des raisonnements trompeurs (cf. VII).
3 Certains raisonnements mathématiques sont ainsi considérés comme améthodiques par les stoïciens.
3
raisonnement
concluant
non concluant
inconsistant
non syllogistique
syllogistique
démontrable
déficient
redondant
asyllogistique
Figure 6
Une introduction à la logique stoïcienne Les raisonnements et leurs modes
3. La syllogistique de Chrysippe. Il y a cinq modes non démontrés
() dont la formulation est de Chrysippe. Les raisonnements
sont constitués de deux prémisses, dont une proposition composée et une
proposition simple entrant dans la composition de l'autre :
Trope 1. Si le premier alors le second ; or le premier ; donc le second.
  ,   ;     ;   
[Diog.2, VII, 80, p. 139] ; [Sextus.2,
 
, II, 227, p. 336].
Trope 2. Si le premier alors le second ; or pas le second ; donc pas le premier.
  ,   ;      ;    
[Sextus.2,
 
, II, 227, p. 337].
Trope 3. Pas à la fois le premier et le second ; or le premier ; donc pas le second.
     ;     ;    
[Sextus.2,
 
, II, 227, p. 337].
Trope 4. Ou le premier ou le second ; or le premier ; donc pas le second.
      ;     ;    .
[Diog.2, VII, 81, p. 140]
Trope 5. Ou le premier ou le second ; or pas le second ; donc le premier.
      ;      ;   .
Transcrivons ces tropes avec les notations modernes:
Un syllogisme dont le mode n’est pas de l’une de ces cinq formes s’y laisse
ramener selon certaines règles bien définies appelées thèmes (). Chrysippe
utilisait quatre thèmes, mais nous n’en connaissons que deux. Le premier nous est
transmis par Apulée :
Thème 1 (Apulée). Si de deux propositions on infère une troisième, alors l'une
des deux avec la négation de la conclusion infèrera la négation de la proposition
restante.
Si ex duobus tertium quid colligitur, alterum cum eorum contrario illationis colligit contrarium relicti.
[Apul.1, De dogmate Platonis, III, p. 350]
Le second thème nous est transmis par deux auteurs Simplicius et Alexandre
d'Aphrodise :
4
Trope 1
α ⇒ β
α
β
Trope 2
α ⇒ β
¬β
¬α
Trope 3
¬(α ∧ β)
α
¬β
Trope 4
α ∨∨ β
α
¬β
Trope 5
α ∨∨ β
¬β
α
Thème 1
Apulée
α
β
γ
α
¬γ
¬β
Une introduction à la logique stoïcienne Les raisonnements et leurs modes
Thème 3 (Simplicius). Si de deux propositions une troisième est conclue et que
la proposition déduite et une autre prémisse extérieure entraînent une nouvelle
conclusion, alors cette nouvelle conclusion sera déduite des deux premières
prémisses et de la prémisse additionnelle extérieure.
    ,         ,
           .
La prémisse δ est "extérieure" signifie que δ≠α et δ≠β.
Thème 3 (Alexandre). Quand de deux propositions une troisième est déduite, et
que l'on prend des prémisses extérieures à celles-ci qui sont susceptibles de
déduire l'une, alors la même conclusion sera déduite de la proposition restante et
des prémisses extérieures qui sont susceptibles de déduire l'autre.
     ,      ,  
          .
Le prémisse δ,  , ε sont "extérieures" signifie que : δ≠α ; δ≠β ; … ; ε≠α ; ε≠β.
Ces deux versions ne diffèrent que sur deux points. Tout d'abord, dans la
formulation de Simplicius le nombre total de prémisses est trois, tandis que dans
celle d'Alexandre le nombre total de prémisses est indéterminé. D'autre part
Simplicius laisse penser que la prémisse extérieure serait une proposition simple.
Le deuxième et le quatrième thèmes sont aujourd'hui perdus. Selon Alexandre les
deuxième, troisième et quatrième thèmes n'étaient que des formulations spécifiques
de ce qu'il appelle le théorème synthétique.
Théorème synthétique (Alexandre). Quand une certaine proposition est déduite
de certaines autres, et que la proposition déduite, avec une ou plusieurs autres,
déduit une conclusion, alors les propositions qui déduisent celle-là, conjointes à
celle ou celles qui déduisent celle-ci, déduisent elles-mêmes la même proposition.
5
Thème 3
Simplicius
α
β
γ
α
β
δ
ε
γ
δ
ε
Thème 3
Alexandre
α
β
γ
α
δ
ε
γ
δ
ε
β
Théorème
synthétique
α
β
δ
ε
µ
α
β
γ
γ
δ
ε
µ
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