L`approche contractuelle du concept de gouvernance

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« L’approche contractuelle
du concept de gouvernance »
Darine BAKKOUR
ES n°2013-04
L’approche contractuelle du concept de gouvernance
Darine BAKKOUR1
Décembre 2013
Résumé
Le présent papier vise à expliciter les fondements théoriques du concept de gouvernance.
Nous soulignons, tout d’abord, la théorie de l’agence de Jensen et Meckling (1976) qui
concerne toute relation entre mandataire et mandant. Ainsi, au niveau d’un État, il s’agit de la
relation entre le peuple (mandant) et l’élu du peuple (mandataire). Ensuite, nous distinguons
trois cadres conceptuels dans le champ de l’économie des contrats, i.e. la théorie des
incitations (TI), la théorie des contrats incomplets (TCI) et la théorie des coûts de transactions
(TCT), qui fournissent des éclaircissements sur le concept de gouvernance d’un système.
Mots clés : concept de gouvernance, théorie de l’agence, l’économie des contrats.
Introduction
Contrairement aux études associent le concept de gouvernance à l’entreprise ou au niveau de
l’État, nous considérons que la gouvernance s’applique à un système quel qui soit. Par
système nous entendons l’idée d’organisation vue comme caractéristique fondamentale des
phénomènes organisés. Cette notion de système est mise en avant par Füssel (2005 et 2007)
en tant que composante principale du cadre d’évaluation du concept de vulnérabilité. Le cadre
conceptuel général de Füssel (2007) est fondé sur la distinction de quatre groupes
fondamentaux de facteurs comme suit : le système d’analyse, l’attribut(s), les dangers, et la
1
Université Montpellier 1, UMR5474 LAMETA, 34000 Montpellier, France. Av. Raymond Dugrand, CS
79606, Richter, 34960 Montpellier Cedex 2, France. E-mail: [email protected]
1
référence temporelle. Le système pourra, dans la suite de cet exposé, être une entreprise, un
État, une communauté, une région, ou un territoire, etc.
La polysémie du terme « Gouvernance » soulève des débats. Il permet de réintroduire le
pouvoir et la politique dans l’analyse économique. Par ailleurs, il pose en des termes
nouveaux la problématique des liens entre État et Marché, tout en tenant compte de cet acteur
que constitue la Société civile.
La notion de gouvernance s’est imposée, en premier, dans le cadre de la gestion des firmes
(Corporate governance), notamment lorsque la pertinence de l’hypothèse de rationalité
absolue a été remise en question, et celle de rationalité limitée1 de March et Simon (1958)
acceptée. De ce fait, le modèle d’une entreprise où seuls les actionnaires détiendraient le
pouvoir de décider de la structure de gouvernance et des mécanismes à mettre en place, est
une hypothèse d’un intérêt limité dans les applications à la gestion. En outre, le « contrat » est
devenu central pour l’analyse économique des organisations.
Nous allons nous appuyer sur l’approche contractuelle du concept de gouvernance afin de
mieux cerner les fondements théoriques de ce concept. Nous allons aborder respectivement :
(1) les contrats « transactionnels » et les contrats « relationnels », (2) les fondements
théoriques de la gouvernance d’entreprise, et (3) les fondements théoriques de l’économie des
contrats.
1. Les
contrats
« transactionnels »
et
les
contrats
« relationnels »
Les théories des contrats ont mis en avant deux formes polaires de contrat, les contrats
« transactionnels » et les contrats « relationnels ». Dans le cadre de la prolifération des
politiques de décentralisation, les contrats sont souvent utilisés comme un moyen pour
compléter la délégation de pouvoirs prévue par la Loi ou comme un moyen de gestion des
politiques de coopération et de coordination.
1
Selon Simon, le principe de rationalité limitée repose sur : une information imparfaite et incertaine, une
capacité limitée de traitement de l’information par les individus, une situation d’interdépendance des agents qui
ne peuvent évaluer parfaitement les conséquences de leurs choix en raison de l’incertitude relative aux actions
des autres agents.
2
D’une part, les contrats « transactionnels » correspondent à une logique dans laquelle il est
possible de définir à l’avance les obligations respectives des deux parties. Tous les problèmes
de coordination peuvent être définis ex ante (avant la signature de l’accord) et l’unique
difficulté consiste à contraindre ou inciter les parties à respecter leurs engagements. Ainsi, ces
contrats mettent en œuvre des « dispositifs incitatifs » et sont supervisés par des tierces parties
extérieures à la relation (le système judiciaire par exemple). D’autre part, les contrats
« relationnels » correspondent à une logique selon laquelle les parties s’engagent à coopérer
ex post (après la signature du contrat) et élaborent un « mécanisme de gouvernance » à cette
fin. Les parties conviennent de suivre ex post les instructions d’un mécanisme de décision
commun et de mettre en œuvre un mécanisme bilatéral spécifique pour gérer leurs éventuels
conflits. Les problèmes de coordination sont résolus ex post et la supervision de l’exécution
de l’accord est en général bilatérale en reposant sur un esprit coopératif (OCDE, 2007, p. 1011).
Cela nous renvoie à la conception des institutions qui, selon North (1990), sont constituées de
l’ensemble des règles formelles (constitution, Lois et règlements, système politique,
administration, système judiciaire et associations professionnelles...) et informelles (systèmes
de valeurs et croyances, représentations, culture, mœurs, coutumes et normes sociales…)
régissant les comportements des individus et des organisations, ces dernières étant des
groupes d’individus qui poursuivent des buts communs (entreprises, syndicats, ONG…). Les
institutions structurent les incitations qui agissent sur les comportements et offrent un cadre
aux échanges économiques. Dans ce contexte, nous soulignons le fait que la formation des
institutions prend beaucoup de temps (Vatn A., 2005, p. 31). Le changement institutionnel
détermine la manière avec laquelle les sociétés évoluent dans le temps. North (1990) a fait la
distinction entre institutions et changements institutionnels. Les institutions sont les règles du
jeu dans une société, qu’ils soient formels ou informels. Les changements institutionnels,
quant à eux, définissent l’évolution de ces règles du jeu.
Pour la suite, notons que ce sont les institutions qui gouvernent la performance d’une
économie et ce sont eux-mêmes qui ont donné à la « Nouvelle Economie Institutionnelle »
(NEI) son importance pour les économistes (Coase, 1998). Ces institutions qui définissent les
règles du jeu, constituent ce que la Nouvelle Économie Institutionnelle (NEI) appelle «
l’environnement institutionnel ». Ils sont susceptibles de contribuer à la mise en œuvre
(« enforcement ») des contrats (Brousseau et Glachant, 2002).
Dans le cadre de la gestion des risques, les contrats « transactionnels » offrent une grande
sécurité, mais leur élaboration peut être complexe puisque toutes les contingences futures
3
doivent être envisagées à l’avance. Par ailleurs, ils supposent que les deux parties connaissent
ex ante toutes les solutions à apporter au projet qu’elles entreprendront.
Alors que les contrats « relationnels » sont moins sûrs puisque les engagements mutuels sont
incomplets et peuvent être interprétés de manières différentes ex post. Ils sont toutefois plus
souples et, par conséquent, plus adaptés pour formaliser les enjeux de projets complexes et
évolutifs. Par ailleurs, ils permettent d’accumuler des connaissances et d’être inventifs car
leur souplesse permet d’expérimenter et de mettre en œuvre des solutions qui sont le fruit
d’un apprentissage par la pratique (OCDE, 2007, p. 26).
Nous abordons ensuite les théories
économiques de la gouvernance qui ont marqué la
littérature.
2. Les fondements théoriques de la gouvernance d’entreprise
La théorie des droits de propriété (TDP) et la théorie de l’agence (TA) fournissent des
explications satisfaisantes à l’émergence du concept de gouvernance d’entreprise.
2.1. La théorie des droits de propriété (TDP)
Les droits de propriété sont des institutions sociales qui délimitent les privilèges des individus
pour des actifs spécifiques comme le terrain par exemple (Libecap, 1989). La théorie des
droits de propriété est à la base des approches du courant dominant de la gouvernance
d’entreprise. C’est Adam Smith (1776) qui a le premier soulevé la question de propriété en
reconnaissant que dans les sociétés par actions, le management est assuré par les dirigeants et
que les actionnaires se contentent de percevoir le dividende sans s’impliquer dans la gestion
de l’entreprise. Ensuite, l’origine de cette théorie se trouve dans l’analyse de Berle et Means
(1932), suite à la crise financière de 1929 qui s’est produite dans les grandes sociétés
américaines à actionnariat diffus. Pour ces auteurs, le problème de la gouvernance est né du
démembrement de la fonction de propriété en une fonction de contrôle qui fait intervenir les
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systèmes d’incitation et de surveillance, censée être accomplie par les actionnaires, et une
fonction décisionnelle supposée être l’apanage des dirigeants (Charreaux, 2002).
Cette distinction des responsabilités peut amener à des conflits, du moins à des différences
d’opinion, entre les différentes catégories d’intervenants, conflits qui eux-mêmes engendrent
des coûts (Finet et al., 2005, p. 17).
2.2. La théorie positive de l’agence (TPA)
Fondée à l’origine sur la théorie des droits de propriété, notamment dans la version qu’en
proposent Alchian et Demsetz (1972), et sur la notion de relation d’agence empruntée à
l’approche Principal-Agent, la Théorie Posisitive de l’Agence (TPA) se veut une « théorie de
la coordination et du contrôle » appliquée à la gestion des organisations et centrée sur les
dirigeants (Chabaud et al., 2008, p. 228).
S’inspirant de l’approche de la théorie des droits de propriété, la théorie de l’agence constitue
aujourd’hui la conception dominante de la gouvernance d’entreprise (Jensen et Meckling en
1976 ; Fama en 1980 ; Fama et Jensen en 1983). Dans la théorie de l’agence, l’entreprise est
conçue comme un « nœud de contrats » implicites et explicites régissant les relations entre la
firme et ses principaux partenaires (créanciers, dirigeants).
On met en évidence des problèmes d’asymétries informationnelles et d’incomplétude des
contrats et, partant, des situations d’aléa moral et d’anti-sélection qui en découlent. Ces
situations engendrent des « coûts d’agence » du fait que chacune des parties cherche à
maximiser sa propre utilité, même si cela se fait au détriment de l’autre. Selon Jensen et
Meckling (1976), ces coûts d’agence peuvent être classés en trois catégories :
1. des « coûts de contrôle » ou « coûts de surveillance et d’incitation » (engagés par le
Principal pour orienter le comportement de l’agent mandataire) ;
2. des « coûts d’obligation » ou des « coûts de dédouanement » (supportés par l’agent pour ne
pas léser le Principal et pour prouver l’absence de déviance) ;
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3. des « coûts résiduels » ou « coûts d’opportunité » (supportés par le Principal en raison d’un
comportement déviant de l’agent ne maximisant pas le bien-être du Principal malgré les
efforts de contrôle et de dédouanement des deux parties) (Finet et al., 2005, p. 44-136).
L’analyse de la relation d’agence conduit à s’interroger sur le meilleur arrangement
institutionnel compte tenu des contraintes juridiques qu’un État impose sur le mode de calcul
des rémunérations (Chabaud et al., 2008, p. 208).
La TPA se consacre à l’analyse des relations au sein des organisations. Elle partage donc avec
la théorie des coûts de transactions l’idée qu’une coordination efficace résulte de la
combinaison de plusieurs mécanismes contractuels et institutionnels imparfaits. En mettant
l’accent sur l’adéquation entre l’allocation des droits de décision et les mécanismes de
rémunération, la TPA s’inspire également de la théorie des incitations.
3. Les fondements théoriques de l’économie des contrats
Dans le champ de l’économie des contrats, nous distinguons surtout trois cadres conceptuels
dont nous allons présenter les fondements : la théorie des incitations (TI), la théorie des
contrats incomplets (TCI) et la théorie des coûts de transactions (TCT).
3.1. La théorie des incitations (TI)
Dans une économie décentralisée, les deux parties contractantes ne partagent pas la même
information sur certaines variables. Suivant que la variable faisant l’objet d’une asymétrie
d’information est exogène, c’est-à-dire non manipulable par la partie qui la détient pendant
l’échange, ou endogène, c’est-à-dire manipulable par cette partie, on parle de modèles d’antisélection 1 (adverse selection) ou de risque moral 2 (moral hazard). La TI raisonne à partir
d’une situation dans laquelle une partie sous-informée « le Principal » met au point un schéma
d’incitation pour conduire la partie informée « l’Agent », soit à révéler son information
1
2
L’anti-sélection renvoie à l’incertitude d’un employeur sur la compétence de la personne qu’il embauche.
L’aléa moral concerne l’incertitude sur l’effort de l’employé.
6
(modèle d’anti-sélection), soit à adopter un comportement conforme à l’intérêt du Principal
(modèle de risque moral). Le schéma d’incitation repose sur une rémunération conditionnelle
à des « signaux » résultant du comportement de l’Agent (comme le choix d’une option sur
une liste de propositions qualifiée de « menu » de contrats ou comme le résultat apparent de
son effort lorsque cet effort lui-même n’est pas observable) (Brousseau et Glachant, 2002).
L’existence d’un tel schéma d’incitation repose sur deux hypothèses importantes (Idem) :
1. Bien que le Principal soit « sous-informé », puisqu’il ne sait pas quelle est la valeur réelle
de la variable cachée, il connaît à la fois la Loi de probabilité qui affecte cette variable et la
fonction de préférence de l’Agent. Le Principal peut donc se mettre « à la place » de ce
dernier pour anticiper ses réactions aux différents schémas de rémunération concevables, et
sélectionner le schéma qu’il préfère parmi ceux qui sont acceptables par l’Agent.
2. II existe un cadre institutionnel dissimulé, assurant le respect des engagements pris par le
Principal. Ainsi, toute proposition formulée par le Principal est crédible pour l’Agent. Le
schéma de rémunération proposé repose sur une information dite « vérifiable », c’est-à-dire
observable par un tiers.
3.2. La Théorie des Coûts de Transaction (TCT)
L’économie des coûts de transaction analyse l’organisation économique sous l’angle des
relations contractuelles. Cette approche a combiné les apports des recherches juridiques,
économiques et en organisation, pour identifier les modes alternatifs de gouvernance, pour en
définir les attributs pertinents et pour en expliquer les performances relatives. La Nouvelle
Economie Institutionnelle analyse, d’une part, l’environnement institutionnel qui comprend
les règles formelles et informelles et, d’autre part, les institutions de gouvernance (marchés,
hiérarchie, bureaucratie) (Williamson, 2000).
Williamson a ainsi étudié les facteurs qui expliquent la façon dont des individus dotés d’une
rationalité limitée et plongés dans un environnement incertain, organisent leurs relations
contractuelles, voire plus largement organisent leurs transactions (faire ou faire faire). Ce
faisant, Williamson bâtit une analyse pragmatique des transactions et des choix
transactionnels ; ce qui le conduit à mettre au cœur de son analyse le choix de structures
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organisationnelles (qu’il appelle structure de gouvernance) qui encadrent les transactions
(Chabaud et al., 2008, p. 98).
Pour Williamson, les trois attributs de la transaction sont : la fréquence, l’incertitude et la
spécificité des actifs (site, actifs physiques, actifs humains, actifs dédiés à la transaction, actifs
temporels). Il considère ainsi qu’il est impossible de déterminer ex ante un contrat optimal. Il
pose l’hypothèse de rationalité cognitive limitée et s’écarte alors de la vision traditionnelle en
termes d’agence et de la Nouvelle théorie des droits de propriété (Ibid., p. 104). Cette
incomplétude contractuelle dans la TCT peut être dite « forte » vue la persistance des
défaillances institutionnelles. Les institutions chargées en dernier ressort d’assurer l’exécution
des contrats sont victimes de leur information imparfaite et ne peuvent rendre exécutoires des
clauses portant sur des variables non vérifiables. De plus, les juges sont eux aussi prisonniers
de leur rationalité limitée. Ils prennent beaucoup de temps avant d’arrêter des décisions,
refuser de se prononcer, faire des erreurs, etc. L’exécution des contrats n’est donc pas
parfaitement garantie par des mécanismes externes. La rationalité limitée des Agents et celle
des juges se conjuguent donc pour expliquer la signature de contrats demeurant incomplets.
Toutefois, pour assurer leur coordination malgré l’incomplétude de leurs contrats, les Agents
doivent, d’une part, prévoir des procédés pour décider ex post des actions de chacun, d’autre
part, mettre en œuvre des moyens pour assurer ex post l’exécution de leurs engagements.
Dans ce cadre le contrat alloue des droits de décision, soit à l’un des contractants, soit aux
deux (instance de négociation), soit à un tiers (distinct du juge). Il met également en place un
ensemble de mécanismes de supervision et de coercition pour s’assurer que les parties
respectent l’engagement qui les lie. Le contrat crée ainsi un « ordre privé », grâce auquel les
parties vont pouvoir assurer leur coordination ex post (Brousseau et Glachant, 2002).
Cependant, tous ces dispositifs bilatéraux de coordination sont imparfaits, du fait de la
rationalité limitée des Agents qui les conçoivent et les font fonctionner. Ils sont aussi coûteux
à mettre au point et à gérer. Cela pousse les contractants à s’appuyer, autant que possible, sur
un ensemble de dispositifs collectifs qui forment le cadre institutionnel. Ce dernier joue deux
rôles essentiels (Idem). :
1. il fournit aux Agents un ensemble de règles de coordination de base qui permettent de ne
pas avoir à tout créer ou récréer à l’intérieur de leurs relations contractuelles. Par exemple,
une norme technique externe évite d’avoir à spécifier un épais cahier des charges, et les «
connaissances communes » d’une profession dispensent de décrire formellement les
critères d’évaluation d’une caractéristique ou d’une conduite « normale » ;
8
2. le cadre institutionnel crédibilise certaines des sanctions garantissant l’exécution des
engagements contractuels. La réputation sur les marchés, les systèmes de régulation interne
de certaines professions, les pouvoirs de réglementation et de coercition des
administrations publiques constituent autant de points d’appui offerts aux contractants.
D’une part, la nature des arrangements contractuels réalisables (« implémentables ») dépend
étroitement des caractéristiques réelles du cadre institutionnel en particulier de la nature de ses
imperfections. D’autre part, le cadre institutionnel ne se réduit pas à ses composantes
publiques, comme l’environnement légal et l’institution judiciaire. Des institutions collectives
formelles (comme les codes de déontologie ou les règlements d’« autorégulation » mis en
œuvre par les « ordres » et les fédérations professionnelles ou « informelles » (comme les
normes de comportements qui s’imposent dans les réseaux relationnels : professions, groupes
sociaux, ethnies, etc.) définissent les propriétés pertinentes des cadres institutionnels (North
1990).
Ainsi sont nées les trois catégories génériques de gouvernance : « marchés », « hiérarchies »
et « formes hybrides », mais aussi une multitude de sous-catégories de classes de contrats,
comme celle de « bureaucratie » par exemple.
3.3. La Théorie des Contrats Incomplets (TCI)
La Théorie des Contrats Incomplets qui est la plus récente, est devenue une théorie de
l’influence du cadre institutionnel sur le design contractuel, alors qu’au départ, elle
s’intéressait plutôt à l’influence que l’allocation des droits de propriétés peut exercer sur la
répartition du surplus résiduel entre les Agents et sur leurs incitations à investir.
La théorie des contrats incomplets dont Hart (1986) est l’un des pères fondateurs, est devenue
un nouveau paradigme en économie. Ce nouveau paradigme considère que les contrats
contingents complets, les contrats qui impliquent que tous les événements futurs pouvant
affecter la relation contractuelle sont pris en compte dans le contrat initial, ne sont pas le seul
type de contrats auxquels sont confrontés les Agents. En effet, dans la réalité, les Agents ne
peuvent pas toujours anticiper toutes les obligations liées aux états de la nature possibles. Dès
lors, les contrats passés entre les Agents seront incomplets (Chabaud et al., 2008, p. 292).
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L’incomplétude des contrats est le résultat de deux hypothèses caractérisant les Agents et
l’environnement dans lequel ils évoluent. D’une part, les Agents sont supposés avoir une
rationalité limitée. D’autre part, l’incertitude (au sens de Knight, 1921) et la complexité qui
caractérisent l’environnement auquel ils sont confrontés font que les Agents ne peuvent
anticiper toutes les contingences futures. Dans ce contexte, notons que la (nouvelle) théorie
des droits et, de façon plus générale, la théorie des contrats incomplets, est d’abord une
théorie des incitations et des contrats. Elle traite aussi des structures financières de la firme à
travers une extension originale de la notion de droits de propriété. Plus récemment, une autre
voie d’analyse, laquelle tente de répondre aux questions des fondements de cette théorie et des
solutions contractuelles possibles au problème du hold-up, propose une autre explication des
frontières de la firme qui semble constituer les prémisses d’une théorie des arrangements
institutionnels. Ceci s’oppose à la conception de l’incomplétude que développe la théorie des
coûts de transaction (Fares-Saussier, 2002). Pour cette dernière, c’est la rationalité limitée de
l’ensemble des parties qui est à l’origine de l’incomplétude contractuelle. En outre, cette
situation d’une information partagée et connue par les parties, mais non par le juge, est
appelée « invérifiabilité par la tierce partie ». Elle fonde une asymétrie d’information, entre
les parties contractantes et le juge qui est à l’origine de l’incomplétude contractuelle (Chabaud
et al., 2008, p. 293-295).
3.4. Le changement institutionnel au sens d’Aoki
L’analyse Aokienne de la firme est basée sur une théorie économique de l’information.
Masahiko Aoki analyse l’organisation comme un système de traitement de l’information dont
l’efficacité dépend de la cohérence entre les modalités de circulation et de traitement de
l’information et les caractéristiques de l’environnement, qu’il s’agisse de l’environnement de
marché ou du contexte institutionnel, dans lequel s’insère la firme (Ibid., p. 158).
Dans l’approche Aokienne, l’institution se définit comme la combinaison de régularités de
comportements des agents économiques. Ainsi, pour un agent économique, dans une situation
donnée, l’institution est un indicateur sur le comportement des autres agents et par-là encadre
ses choix stratégiques : il les fonde sur des anticipations qu’il porte sur le comportement des
autres agents. Comme l’ensemble des agents est dans la même situation, l’institution va avoir
un caractère auto-renforçant. L’institution peut s’appuyer sur des règles formelles (droits de
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propriété, droit du travail, etc.), telles qu’elles sont mises en œuvre par les agents et sur des
normes de comportement (règles informelles, conventions, coutumes). Cependant, elle
n’acquiert le statut d’institution que lorsqu’elle est « croyance partagée » sur la manière de
jouer un jeu, c’est-à-dire lorsqu’une règle formelle ou informelle est effectivement respectée
par les agents lorsqu’ils font un choix. En ce sens, l’institution constitue une règle du jeu
(Ibid., p. 176).
Pour Aoki, le changement institutionnel ne peut être exclusivement expliqué à partir de la
simple modification des règles formelles puisque, d’une part, son statut de « croyances
partagées » implique qu’une institution ne peut fonctionner que si les agents croient en son
application et que, d’autre part, une institution s’inscrit dans un réseau complexe d’institutions
liées et complémentaires. En conséquence, deux éléments sont nécessaires au changement
institutionnel (Ibid., p. 178) :
1. que les agents individuels perçoivent une modification possible des institutions et ;
2. qu’il y ait des conditions objectives permettant effectivement un changement institutionnel.
En effet, tout changement institutionnel s’inscrit dans un monde où préexistent d’autres
institutions, dès lors, la compatibilité d’une nouvelle institution avec les autres institutions est
nécessaire.
Conclusion
Lorsque le concept de gouvernance a émergé il y a une trentaine d’années, c’était
principalement la littérature financière qui s’intéressait au sujet.
Le concept de gouvernance est issu de problématiques formulées par le secteur privé, mais les
responsables de l’action gouvernementale et les porteurs des projets territoriaux, entre autres,
ont également une mission particulière à remplir dans la mesure où il leur incombe d’instaurer
un cadre conceptuel qui favorise l’adoption de pratiques efficaces en matière de gouvernance.
La théorie de l’agence de Jensen et Meckling (1976) a longtemps été réservée au monde de
l’entreprise. Cependant, la théorie de l’agence, au sens plus général, concerne toute relation
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entre mandataire et mandant. Ainsi, au niveau d’un État, il s’agit de la relation entre le peuple
(mandant) et l’élu du peuple (mandataire).
Toutefois, les relations et les interactions entre les acteurs d’un système ne se limitent pas
seulement à une relation mandataire/mandant. D’autres fondements théoriques dans le champ
de l’économie des contrats peuvent s’ajouter à la précedente. Nous distinguons trois cadres
conceptuels, i.e. la théorie des incitations (TI), la théorie des contrats incomplets (TCI) et la
théorie des coûts de transactions (TCT).
Ces fondements théoriques de l’économie des contrats se distinguent par des hypothèses
contrastées les conduisant à mettre l’accent sur des problèmes différents. La TI met l’accent
sur les schémas de rémunération, la TCI se focalise sur les dispositifs de renégociations
bordées par des clauses de défaut, et la TCT s’intéresse à l’allocation des droits de décision,
de contrôle et de coercition entre les parties.
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ES 2007 - 02 :
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Incertitude et environnement : évaluations économiques
ES 2007 - 03 :
Charles FIGUIERES, Hervé GUYOMARD, Gilles ROTILLON
Le développement durable : Que peut nous apprendre l’analyse
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ES 2008 – 01 :
Selin OZYURT
« Les investissements directs étrangers entraînent-ils des effets
de débordement vers les pays en développement ? »
ES 2008 – 02 :
Pr Graciela CHICHILNISKY
« Le paradoxe des marchés verts »
ES 2009 – 01 :
Philippe JOURDON
« De la crise financière vers la guerre mondiale, ou de la crise
mondiale vers la guerre financière ? Une analyse par les cycles
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ES 2009 – 02 :
Annie HOFSTETTER, Robert LIFRAN
« Couplage simple entre système d'information géographique et
modèle multi-agents pour simuler l’impact des politiques publiques
sur les dynamiques du paysage »
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Selin ÖZYURT
« China’s Economic Outlook after 30 Years of Reform »
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Elodie BRAHIC (CEMAGREF Bordeaux)
« Which instruments to preserve forest biodiversity? »
ES 2010 – 03 :
Ahmed ENNASRI
« Incitations Managériales et Concurrence : Synthèse de la
littérature »
ES 2012 – 01 :
Marianne LEFEBVRE, Sophie THOYER
« Risque sécheresse et gestion de l'eau agricole en Australie »
ES 2012 - 02 :
Marianne LEFEBVRE, Sophie THOYER
« Risque sécheresse et gestion de l’eau agricole en France »
ES 2012 – 03 :
Charles FIGUIERES, Jean-Michel SALLES
«Donner un prix à la nature, c’est rendre visible l’invisible ou penser
l’impensable ? »
ES 2013 – 01 :
Pauline MORNET, Stéphane MUSSARD, Françoise SEYTE, Michel
TERRAZA
«La décomposition de l’indicateur de Gini en sous-groupes de 1967 à
nos jours : Une revue de la littérature revisitée et complétée»
ES 2013 - 02 :
Jean-Michel SALLES
«La modélisation économique peut-elle aider à préserver la
biodiversité ? »
ES 2013 – 03 :
Annie HOFSTETTER, Mathieu DESOLE, Mabel TIDBALL,
« Quelques éléments de calcul des équilibres de Nash. »
ES 2013 – 04 :
Darine BAKKOUR
« L’approche contractuelle du concept de gouvernance »
Contact :
Stéphane MUSSARD :
[email protected]
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