Un débat ethique: Déterminer la bonne prescription pour les

publicité
Février 2013
Du pupitre du président
Un débat ethique: Déterminer la bonne prescription
pour les médecins et l’industrie pharmaceutique
Gordon E. Searles, MD, FRCPC
Bien avant qu’Hippocrate ne soit né, la conduite
professionnelle des médecins faisait déjà l’objet
de débats. Notre compréhension de l’éthique
professionnelle et notre poursuite de ses principes
ont beaucoup progressé depuis, comme en
témoigne l’évolution des normes de pratique au
cours des siècles. Saviez-vous qu’en Mésopotamie
dans les années 1726 à 1686 avant notre ère,
les médecins pouvaient être sévèrement punis
pour ne pas avoir réussi à traiter un patient? On
tranchait la main du praticien qui avait causé la
mort d’un notable ou exigeait du médecin qu’il
achète un autre esclave pour remplacer celui dont
il avait causé la mort[1].
En médecine occidentale, l’American Medical
Association a élaboré un code d’éthique en 1847,
mais la discorde et le désaccord ont commencé
à apparaître vers la fin des années 1800. La
définition de l’éthique médicale est devenue
plus controversée à mesure que les questions
concernant la publicité, les promotions, les
ajustements des tarifs et même la discrimination
raciale ont fait surface[1]. Le débat s’est poursuivi
au cours du siècle dernier et a donné lieu à plus de
changements dans la façon dont la médecine se
gouverne.
Comme notre profession et le contexte dans
lequel nous travaillons continuent d’évoluer, il en
est de même pour les normes qui visent à nous
aider à maintenir le cap dans un climat changeant
et présentant de plus en plus de difficultés.
Aujourd’hui, l’un des volets importants de l’éthique
médicale est la nouvelle dynamique définissant
la relation entre les professionnels de la santé et
l’industrie pharmaceutique.
Définir une relation mutuellement bénéfique
Certes, les relations nécessaires entre les
médecins et l’industrie pharmaceutique doivent
être gérées scrupuleusement afin de respecter les
normes éthiques auxquelles chaque profession
adhère. Au final, c’est notre relation avec les
patients que nous devons veiller à respecter et
à gérer de manière appropriée, parce que les
patients agissent de bonne foi lorsqu’ils placent
leur confiance dans notre compétence, notre
jugement professionnel et notre discrétion.
Mais supposons d’abord que les sociétés
pharmaceutiques ne s’engagent pas
volontairement dans des activités qui pourraient
salir leur réputation. Après tout, personne ne
cherche à avoir de mauvaises relations publiques.
Bon nombre des activités que certains perçoivent
comme étant moralement floues, telles que les
repas gratuits, les échantillons de médicaments et
les séances éducatives, sont en fait courantes et
régies par le code de déontologie des compagnies
de recherche pharmaceutique du Canada (Rx&D),
et au final sont profitables bénéfiques pour le
patient. Certaines voient les interactions entre les
médecins et l’industrie pharmaceutique comme
un type de relation douteuse et clandestine,
mais ne voient peut-être pas le bien-fondé et les
avantages de ces interactions.
L’engagement des médecins à l’égard des
soins aux patients comprend la poursuite
d’une formation continue afin de maintenir la
compétence professionnelle en améliorant leurs
habiletés et leurs connaissances en phase avec les
progrès de la médecine et l’évolution des besoins
des patients. Or, il n’est pas rare que l’industrie soit
prête à financer des activités de formation de ce
genre.
La recherche appuyée par l’industrie, par
exemple, est un phénomène de plus en plus
courant en ces temps de vaches maigres où les
scientifiques ne reçoivent pas suffisamment de
soutien financier de la part des gouvernements.
Et parfois, même dans un système de santé
universel, le seul moyen pour les patients de tirer
parti des nouvelles thérapies est de participer
à des essais cliniques. Pendant ce temps, les
programmes de soutien aux patients, également
financés par les sociétés pharmaceutiques,
aident les patients à comprendre et à gérer leur
maladie et médicaments, ce qui favorise en outre
l’observance médicamenteuse. À mon avis, bien
des gens conviendraient que c’est une situation
gagnante sur toute la ligne, puisque le patient
reçoit des renseignements supplémentaires et
des conseils au-delà de ce que le médecin peut
généralement fournir dans le cadre d’une brève
consultation.
1
Février 2013
Du pupitre du président
Trouver un équilibre entre la confiance et le
doute
Un point qu’on soulève fréquemment est que
les sociétés pharmaceutiques donnent aux
médecins du matériel promotionnel biaisé.
Il est regrettable que cette réflexion jette un
éclairage négatif sur toutes les contributions
positives que l’industrie pharmaceutique fait à
la médecine, et met en doute la capacité des
médecins à faire preuve de discernement. Les
médecins trouvent utiles les renseignements qu’ils
reçoivent de l’industrie pharmaceutique, mais ils
ne se fient pas exclusivement à une seule source
d’information. Selon un sondage mené en 2011
auprès de quelque 500 médecins américains par
KRC Research (et financé par les Pharmaceutical
Research and Manufacturers of America), «
près de huit médecins sur dix considèrent que
les sociétés de recherche pharmaceutique et
leurs représentants commerciaux sont des
sources d’information utiles sur les médicaments
d’ordonnance »[2, 3].
En outre, les médecins interrogés ont déclaré
qu’ils utilisent différentes sources pour se
tenir informés sur les médicaments en plus
de l’information reçue des représentants
biopharmaceutiques et des programmes de
formation par les pairs financés par l’industrie, qui
comprennent les cours de formation médicale
continue, les revues médicales à comité de lecture
et la consultation de collègues. En outre, bien
que l’industrie pharmaceutique puisse influencer
les pratiques médicales, il existe un certain
équilibre des pouvoirs du fait que les médecins
influencent également l’industrie en fournissant
une rétroaction au sujet des médicaments, des
résultats de recherches cliniques et des séances
de formation.
De bons résultats pour les patients sont le test
décisif de notre capacité à tirer profit des avancées
thérapeutiques que l’industrie pharmaceutique
peut offrir. Je suis certain que de nombreux
collègues seraient d’avis qu’il ne sert à rien
de prescrire un médicament qui coûte trop
cher quand un autre convient parfaitement,
un médicament qui nécessite un schéma
posologique complexe, qui sera sans doute
un obstacle à l’observance médicamenteuse,
ou encore un médicament qui occasionne
une multitude d’effets secondaires, entraînant
également la non-observance et possiblement
de graves effets sur la santé. Je pense que nous
savons tous que nous tenons compte de tous ces
facteurs quand nous prenons des décisions en
matière d’ordonnance, décisions qui ne peuvent
être influencées par la promesse de stylos ou de
déjeuners gratuits.
Écrire et réécrire les règles
On peut se préoccuper de la relation entre les
médecins et l’industrie pharmaceutique, mais
la redéfinir ne signifie pas pour autant qu’il faut
couper tous les ponts. On ne fermerait pas
définitivement une route après un accident de
la circulation. On tenterait plutôt de déterminer
comment les risques pourraient être mieux
gérés pour prévenir ce type d’accidents, tels
qu’une signalisation plus visible, l’ajout de feux
de circulation contrôlés ou la réparation des nids
de poule. On peut aussi faire de la maintenance
préventive en ce qui concerne notre relation
avec l’industrie pharmaceutique, notamment
en précisant les règles et en guidant les deux
parties en toute sécurité lorsque leurs chemins se
croisent.
Pour sa part, le Collège royal des médecins
et chirurgiens du Canada (CRMCC) a élaboré
une nouvelle norme de soutien financier
commercial pour l’élaboration et l’approbation
d’activités dans le cadre de son programme de
Maintien du certificat (MDC) afin de répondre
aux préoccupations des membres concernant
l’utilisation de termes tels que le parrainage
et le codéveloppement. Il s’agit d’un effort de
collaboration entre le CRMCC et le Collège des
médecins de famille du Canada, la Fédération
des médecins spécialistes du Québec, le Conseil
québécois de développement professionnel
des médecins et l’Association des facultés de
médecine du Canada. L’objectif est l’établissement
d’une norme nationale claire et exhaustive
régissant les rôles relatifs au parrainage
commercial du développement professionnel
continu (DPC). La nouvelle norme sera applicable
aux sociétés pharmaceutiques, aux entreprises
de fournitures médicales, aux sociétés de
communication et de formation médicale et
à d’autres organismes sans but lucratif. « Ce
n’est pas une refonte des normes d’agrément
du Collège, mais un processus pour clarifier et
rendre plus cohérent la définition des relations
appropriées entre les différents types de bailleurs
de fonds pour les activités ou programmes de
DPC », explique le Dr Craig Campbell, directeur
exécutif des affaires professionnelles, au Collège.
2
Février 2013
Du pupitre du président
Une ébauche de la norme sera disponible pour
examen et commentaires par les fournisseurs
de DPC plus tard cette année. Aux États-Unis,
des mesures plus radicales sont mises en place.
Elles pourraient détériorer davantage la relation
médecin-société pharmaceutique et miner
la confiance du public. En effet, la Physician
Sunshine Act, qui oblige l’industrie à divulguer
publiquement toute compensation financière aux
médecins, entrera en vigueur sous peu. La plus
grande crainte pour l’industrie et les médecins
n’est pas la divulgation comme telle, mais le
pur cauchemar logistique que requièrent le
suivi et la déclaration de chaque activité. Cette
loi ambitieuse a également mis en évidence un
point litigieux pour bien des gens : est-ce que
la divulgation va changer tout comportement
négatif? En cas de conflits d’intérêts potentiels, les
médecins sont déjà tenus professionnellement de
les déclarer publiquement et doivent faire preuve
de discernement dans la façon dont ils composent
avec de telles situations. De même, l’industrie
est tenue de respecter son propre code de
déontologie et d’agir de manière appropriée dans
ses rapports avec les professionnels de la santé.
Tenir notre promesse aux patients
Au final, nous devons reconnaître que nos
objectifs en tant que médecins et représentants de
l’industrie pharmaceutique peuvent être différents,
mais qu’ils ne sont pas opposés. Nous nous
engageons à être loyaux envers les patients, alors
que l’industrie est redevable à ses actionnaires.
Mais nos objectifs se recoupent quand il s’agit de
veiller au meilleur intérêt des patients.
Grâce à l’autoréglementation et à un code de
déontologie, la profession médicale est devenue
depuis le siècle dernier une profession plus
éthique, chassant les vendeurs d’huile de serpent
et autres charlatans pour laisser place à une
médecine légitime. Nous devrions donner le
bénéfice du doute à l’industrie pharmaceutique et
reconnaître que les efforts qu’elle a déployés pour
promouvoir une conduite éthique et agir dans
l’intérêt de la meilleure science et de meilleurs
soins pour les patients ne sont pas si différents de
notre propre lutte pour séparer le bon grain de
l’ivraie.
Comme le mentionnent les compagnies de
recherche pharmaceutique du Canada dans
leurs lignes directrices en matière de relations
avec les intervenants, « Ces relations ont pour
but d’assurer des résultats cliniques favorables
pour les patients canadiens, un système de santé
durable et bien géré, la prospérité économique du
Canada ainsi que la viabilité de la quête en matière
d’excellence dans le domaine de la recherche
»[4]. Et pour s’assurer que tout le monde est sur
la bonne voie (et la même voie) concernant ces
principes, l’organisme de l’industrie a un code de
déontologie qui comporte des principes directeurs
applicables aux partenariats de collaboration, à
savoir l’égalité, le respect mutuel, l’indépendance,
la constance et la transparence[4].
Abondant dans le même sens, la récente charte de
l’Association des facultés de médecine du Canada
stipule que le professionnalisme est au cœur du
contrat de la médecine et de la société, c’est-àdire « placer les intérêts des patients au-delà de
ceux du médecin, établir et maintenir des normes
de compétence et d’intégrité, et fournir des
conseils d’expert à la société en matière de santé
»[5]. On évoque à maintes reprises dans la charte
le principe de la primauté du patient et le fait que
rien ne devrait compromettre ce principe : « Les
forces du marché, les pressions de la société et les
exigences administratives ne doivent en aucun cas
compromettre ce principe »[5].
Dans tous les codes d’éthique, chartes et lignes
directrices, un principe qui semble être cité
souvent est celui de la primauté de la santé et le
bien-être des patients. Tous les autres principes
sont dérivés des efforts déployés pour aider à
fortifier cet engagement à l’égard des soins aux
patients. Si nous sommes tous d’accord pour nous
en tenir au mantra « Faire passer les patients en
premier », et que nous le répétons haut et fort et
souvent, nous pouvons continuer de chercher
à atteindre des objectifs communs pour le plus
grand bien, ce qui était l’esprit originel de la
création d’un code de déontologie médicale.
Références bibliographiques :
1. Collège royal des médecins et chirurgiens du
Canada. MacDougall H, Langley GR. L’éthique
médicale d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Extrait
de http://www.royalcollege.ca/portal/page/portal/
rc/resources/bioethics/primers/medical_ethics
3
Février 2013
Du pupitre du président
2. Pharmaceutical Research and Manufacturers of
America. Communiqué de presse : New Survey
Emphasizes Value of Biopharmaceutical Company
Engagement With Healthcare Providers. Extrait
de : http://www.phrma.org/media/releases/newsurvey-emphasizes-value-biopharmaceuticalcompany-engagement-healthcare-providers
3. Pharmaceutical Research and Manufacturers of
America. Survey of Physicians
About Pharmaceutical and Biotech Research
Company Activities and Information, Mars 2011.
Extrait de : http://www.phrma.org/sites/default/
files/987/krcsurveyofphysicians_1.pdf
4. Rx&D. Lignes directrices relatives à la
transparence du financement des intervenants.
Extrait de : http://www.canadapharma.
org/CMFiles/Commitment_to_Ethics/
WithStakeholders/Transparency%20Guidelines/
Transparency_Guidelines-Interpretation_
Document-French.pdf
5. Association des facultés de médecine du
Canada. La Charte sur le Professionnalisme
Médical. Extrait de : http://www.afmc.ca/pdf/
Charter-FRENCH.pdf
4
Téléchargement