POINT DE RÉFÉRENCE ET AVERSION AUX PERTES : QUEL

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POINT DE RÉFÉRENCE
ET AVERSION
AUX PERTES :
QUEL INTÉRÊT POUR
LES GESTIONNAIRES ?
Les notions de « point de référence » et d’« aversion aux pertes » sont
deux éléments essentiels de la prospect theory, qui est la théorie la plus
reconnue à ce jour, en ce qui concerne la représentation de la prise
de décision individuelle en situation de risque. Comment ces notions
peuvent-elles être utilisées par les gestionnaires, afin d’améliorer leur
compréhension du comportement des managers et des consommateurs ?
Par Olivier L’HARIDON* et Corina PARASCHIV**
T
rois contextes de décision seront étudiés dans cet
article : les échanges commerciaux, la politique de
fixation des prix et le positionnement de gamme.
Pour chaque contexte, des pistes de réflexion seront
proposées pour des recherches futures.
La prise de décision individuelle constitue un sujet de
recherche d’un intérêt majeur pour les gestionnaires, à
la fois du point de vue des managers et de celui des
consommateurs. Les managers doivent, au quotidien,
faire des choix liés à la stratégie de l’entreprise, à la définition de ses secteurs d’activité, au suivi du marché, aux
investissements, à la gestion des approvisionnements et
des stocks, à la gestion des risques financiers, industriels
ou environnementaux, à l’emploi, au lancement de
nouveaux produits… À leur tour, les consommateurs
prennent des décisions de consommation : acheter une
nouvelle voiture ou renouveler un téléphone portable,
choisir une destination de vacances, acheter une rési* Greg-HEC & Université Paris IV.
** Greg-HEC & Université Paris V.
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dence principale ou une résidence secondaire, souscrire
une assurance ou simplement acquérir des biens de
consommation courante. Dans la plupart des cas, la
prise de décision s’avère complexe car, en plus de la difficulté d’arrêter un choix parmi une multitude d’options possibles, le décideur doit souvent affronter l’incertitude liée à ses actions, dont les résultats ne sont
connus que très imparfaitement au moment du choix.
Alors que les sciences économiques ont favorisé l’aspect
« normatif » de la prise de décision, en développant des
théories telles que l’« utilité espérée », qui s’intéressent
au comportement optimal d’un décideur rationnel, les
gestionnaires ont toujours été à la recherche de théories
« descriptives » des comportements. Une des premières
théories à mettre l’accent sur les aspects psychologiques
et descriptifs de la prise de décision individuelle est la
prospect theory, développée par KAHNEMAN &
TVERSKY (1979). Ce modèle introduit deux notions
importantes pour la modélisation du comportement
individuel : la notion de « point de référence » et celle
« d’aversion aux pertes ». La notion de « point de référence » permet de modéliser le fait qu’un individu évalue les conséquences monétaires d’un choix, non pas en
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termes de leur impact sur son niveau global de richesse, mais en termes de changement par rapport à un état
de référence. L’« aversion aux pertes » signifie que le
décideur est plus sensible à un changement négatif par
rapport à un état de référence qu’à un changement
positif de la même ampleur. Autrement dit, le décideur
est plus sensible à une perte qu’à un gain équivalent.
L’objectif de cet article est de montrer que les notions de
«point de référence» et d’«aversion à la perte», développées initialement à la frontière entre l’économie et la
psychologie, peuvent être d’un grand intérêt pour les
sciences de gestion. Ces deux notions sont en effet susceptibles, non seulement d’améliorer la compréhension
du comportement individuel de prise de décision des
managers et des consommateurs, mais également d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche sur ces comportements.
Dans un premier paragraphe, nous introduirons brièvement la prospect theory et nous présenterons de
manière plus approfondie les notions de point de référence et d’aversion aux pertes. Ces notions ont été utilisées dans la littérature économique et marketing pour
expliquer certains effets systématiques observés au
niveau des comportements individuels. Dans la suite de
cet article, nous présenterons en détail les trois conséquences les plus importantes de cette théorie : une asymétrie observée de l’élasticité de la demande par rapport au prix (paragraphe 2) (PUTLER, 1992 ; HARDIE,
JOHNSON, & FADER, 1993), l’effet de dotation, qui
affecte les transactions commerciales (paragraphe 3)
(STRAHILEVITZ & LOEWENSTEIN, 1998) et l’effet de
compromis (SIMONSON et TVERSKY, 1992) (paragraphe 4). Pour chaque contexte de décision, nous
expliquerons le rôle de l’« aversion aux pertes » et du
« point de référence », en proposant des pistes pour des
recherches futures en gestion et en marketing.
PROSPECT THEORY, POINT DE RÉFÉRENCE ET
AVERSION AUX PERTES
La Prospect Theory et le choix en situation
d’incertitude
La théorie de « l’utilité espérée », basée sur une axiomatisation du choix rationnel, a pendant longtemps été
acceptée par les économistes comme le modèle « normatif » du choix individuel face au risque. Cependant,
un grand nombre de gestionnaires remettent en cause
l’utilisation de la théorie de l’utilité espérée dans un but
descriptif, en montrant que ce modèle n’est pas pertinent pour décrire les comportements observés sur les
marchés. Par exemple, la manière dont la situation est
présentée, le cadrage ou le contexte (framing), influen-
ce souvent l’issue du choix. De telles considérations ne
sont pas prises en compte par la théorie de l’« utilité
espérée », selon laquelle le cadrage ne peut pas altérer le
comportement, mais elles s’avèrent très utiles en matière de gestion. KAHNEMAN & TVERSKY (1979) ont
montré que, bien souvent, le choix dépend autant de la
manière dont le problème est posé que des caractéristiques objectives du problème. D’une manière générale, les individus craignent le risque lorsque l’alternative
est présentée comme un gain, mais l’acceptent, ou
même le recherchent, lorsque l’alternative est présentée
comme une perte. (1) KAHNEMAN & TVERSKY (1979)
ont développé la prospect theory, qui tient compte des
effets de contexte, de framing, et intègre des considérations psychologiques dans l’analyse de la prise de décision individuelle face au risque, offrant ainsi une
meilleure description du choix individuel en situation
d’incertitude. Contrairement à la théorie traditionnelle
de l’utilité, selon laquelle l’utilité, pour les individus,
résulte de leur richesse ou de leur consommation totale,
la prospect theory considère que les individus retirent de
l’utilité des gains ou des pertes par rapport à un point
de référence. Le point de référence dépend des effets de
cadrage : il peut donc être influencé par la manière de
présenter la situation. L’intérêt de cette représentation
est de rendre compte d’un effet psychologique lié à la
quantité, appelé « sensibilité marginale décroissante » :
que l’on soit dans le domaine des gains ou dans le
domaine des pertes, chaque euro additionnel, gagné ou
perdu, a moins d’importance que l’euro gagné ou
perdu précédemment. Par exemple, la différence entre
0 euro et 100 euros (entre 0 et -100 euros pour des
pertes) semble plus grande que la différence entre
10 100 euros et 10 200 euros (entre -10 100 et -10 200
euros pour des pertes). Par ailleurs, KAHNEMAN &
TVERSKY (1979) proposent de prendre en compte le
fait qu’une perte a un impact psychologique plus
important qu’un gain de même montant, phénomène
connu sous le nom d’« aversion aux pertes ».
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(1) Pour illustrer ce point, prenons l’exemple d’une entreprise qui fait
face à une grave crise potentielle portant sur la qualité de ses produits,
crise qui risque de lui faire perdre 600 k€ de chiffre d’affaires. Supposons
que deux scénarios stratégiques s’offrent alors à l’entreprise. Dans le premier, elle retire l’ensemble des produits du marché et conserve 200 k€
de chiffre d’affaires. Dans le second scénario, elle laisse l’ensemble des
produits sur le marché et mène une stratégie de communication. Cela
lui permet de sauver les 600 k€ de chiffre d’affaires avec une chance sur
trois, si la stratégie de communication réussit, mais, si la stratégie de
communication échoue, elle perdra la totalité son chiffre d’affaires.
Dans cette situation de choix, on peut s’attendre à ce que la majorité
des décideurs choisissent le premier scénario. Supposons maintenant que
les choix offerts à l’entreprise soient présentés de la façon suivante : soit
retirer les produits du marché, ce qui entraîne une perte immédiate de
chiffre d’affaires de 400 k€ ; soit mener une stratégie de communication,
qui permet de ne pas encourir de perte de chiffre d’affaires avec une
chance sur trois et de perdre 600 k€ avec deux chances sur trois. Dans
cette situation, on peut s’attendre à ce que la majorité des décideurs
choisissent le second scénario. Pourtant ces deux scenarios sont
exactement identiques en termes de conséquences, ce qui implique un
renversement de préférence incompatible avec l’hypothèse de rationalité.
La présentation, le cadrage, d’un choix en termes de gains ou de pertes
a donc une influence déterminante sur la prise de décision, bien que le
modèle de l’« utilité espérée » ne permette pas de modéliser ce comportement.
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Les notions de « point de référence » et d’« aversion aux
pertes », introduites par la prospect theory dans l’étude
du comportement du décideur individuel, ont des
conséquences extrêmement importantes en matière de
gestion. Ces deux notions et des exemples de leur utilisation sont présentés dans la suite de cet article.
La notion de point de référence
La notion de «point de référence» permet de modéliser
le fait qu’un individu évalue les conséquences d’un
choix, non pas en termes de leur impact sur son niveau
1000 euros. Dans le deuxième cas, le consommateur
s’attend à payer 950 euros pour le produit, mais, quand
il arrive au magasin, il découvre que le prix est de 1000
euros et il est obligé d’acheter le produit à ce prix. Dans
les deux cas, le consommateur paie 1000 euros, donc sa
richesse finale est la même. Cependant, dans le premier
cas, son prix de référence est de 1 050 euros et, dans le
deuxième, de 950. Dans le premier cas, le consommateur a bénéficié d’un gain de 50 euros par rapport à son
prix de référence, dans le deuxième cas, il a subi une
perte de 50 euros par rapport à son prix de référence.
On peut comprendre qu’en dépit d’un résultat final
identique en termes de richesse pour le consommateur,
ce dernier est plus heureux dans la première situation,
© ROGER-VIOLLET
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« En dépit d’un résultat final identique en termes de richesse pour le consommateur, de dernier est plus heureux dans la première situation, où il a l’impression d’avoir bénéficié d’une réduction par rapport à son prix de référence, que dans la deuxième situation où il a payé plus que son prix de référence. » Baisse des prix dans les boucheries. Paris. 8 septembre 1953.
global de richesse, mais en termes de changements par
rapport à un état de référence (KAHNEMAN & TVERSKY,
1979). Pour comprendre l’importance du point de référence dans les situations de choix, considérons un
consommateur qui veut acheter un produit et imaginons les deux situations ci-dessous. Dans le premier cas,
le consommateur s’attend à payer un prix de 1050
euros, mais, en arrivant au magasin, il découvre qu’en
raison d’une offre promotionnelle il ne doit payer que
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où il a l’impression d’avoir bénéficié d’une réduction par
rapport à son prix de référence, que dans la deuxième
situation où il a payé plus que son prix de référence. On
voit à travers cet exemple que le point de référence utilisé par le décideur à un impact important sur son évaluation de la situation, et par conséquent sur ses choix.
L’introduction de la notion de « point de référence »
dans les modèles de choix rend compte d’un aspect psychologique important dans les situations pratiques, où
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la manière de présenter la situation ou le niveau d’aspiration du décideur peuvent influencer l’issue du choix.
Les individus réagissent, en effet, plutôt en termes de
changements perçus par rapport à leur situation actuelle qu’en termes de niveaux absolus. Bien que la littérature économique se soit beaucoup intéressée à la notion
de « point de référence » pour les prix, les consommateurs utilisent des points de référence pour d’autres
aspects de leurs transactions et, en particulier, pour la
qualité. Par exemple, imaginons un consommateur qui
se rend régulièrement dans un restaurant relativement
cher, mais de très bonne qualité. Si, à la suite d’un
changement de gérance, ce consommateur découvre un
nouveau menu avec des plats moins chers que d’habitude, mais avec une certaine perte de qualité, il peut
être extrêmement déçu, car il va utiliser comme point
de référence la qualité passée. Très probablement, un
autre client ayant des goûts similaires, mais n’ayant pas
d’expérience passée avec le restaurant, peut, lui, être
enchanté de trouver un restaurant de très bonne qualité
à un prix raisonnable. En effet, les points de référence
peuvent être différents pour différents consommateurs,
d’où la difficulté pour les entreprises de mettre en place
des stratégies de masse. En plus des expériences passées,
le point de référence peut être influencé par d’autres
facteurs comme le statu quo, les normes sociales ou la
manière de présenter la situation. L’utilisation d’un
point de référence permet donc aux effets de contexte,
de framing, d’affecter le choix. Le cadrage d’un problème implique donc, souvent, l’utilisation d’un certain
point de référence. Cet aspect est important pour les
vendeurs, qui peuvent créer des effets de référence afin
d’influencer les choix des consommateurs.
La notion d’aversion aux pertes
Résumée souvent par la phrase « les pertes pèsent plus
que les gains », l’« aversion aux pertes » fait référence à
une sensibilité plus importante des individus aux pertes
qu’aux gains équivalents (KAHNEMAN & TVERSKY,
1979 ; TVERSKY & KAHNEMAN, 1992, BERNSTEIN,
1996). Dans sa forme initiale, la notion d’ « aversion
aux pertes» a été proposée, dans le cadre de la prospect
theory, pour expliquer l’observation selon laquelle les
gens refusent systématiquement d’accepter un pari qui
donne, avec des chances égales, soit un gain monétaire,
soit une perte de même montant. Par exemple, très peu
de personnes accepteraient de participer à un tirage de
loterie qui leur permettrait, soit de gagner 10 000 euros,
soit de perdre 10 000 euros, avec une chance sur deux.
Bien que la perspective de gagner 10 000 euros soit certainement attirante pour tout le monde, beaucoup de
personnes ne disposent pas de cette somme. Même si
une personne dispose de cette somme, on peut aisément comprendre qu’elle soit plus motivée pour éviter
de perdre cette somme que pour la doubler. Le refus
d’accepter des paris donnant un gain ou une perte de
même montant, avec des chances égales, est observé
également pour des sommes très faibles. L’aversion aux
pertes s’avère nécessaire pour expliquer pourquoi les
individus n’acceptent pas de tels paris, dans la mesure
où l’aversion au risque seule, au sens de la théorie de la
décision traditionnelle, est insuffisante pour expliquer
un tel refus (RABIN, 2000).
Le fait qu’une perte ait un effet plus important, aux
yeux du consommateur, que le gain équivalent en
valeur absolue signifie que la perte d’utilité qu’il subit
en cas de perte est plus importante que l’utilité qu’il
retirerait d’un gain de même montant. Dans l’exemple
précédent, la perte d’utilité liée au fait de perdre
10 000 euros est donc plus importante que l’utilité de
gagner 10 000 euros. Plusieurs chercheurs ont mis en
évidence un coefficient d’aversion aux pertes de l’ordre
de 2, ce qui veut dire qu’une perte a deux fois plus
d’impact psychologique qu’un gain de même montant.
En raison de l’« aversion aux pertes », il devient très
important de déterminer comment une situation est
présentée au décideur : comme un gain ou comme une
perte. En effet, présenter la situation en termes de
pertes, conduit à un comportement différent par rapport à une description de la situation en termes de
gains. La prise de risque est différente dans les deux cas,
car les individus vont préférer prendre un risque plutôt
que d’enregistrer une perte certaine, alors qu’ils vont
préférer un gain sûr, plutôt que prendre un risque pour
un gain éventuellement plus important… De manière
générale, les individus sont averses au risque pour les
gains, mais sont prêts à accepter un risque pour éviter
des pertes. L’aversion au risque, qui caractérise en général l’attitude des individus dans le domaine des gains (le
comportement réciproque des individus dans le domaine des pertes étant la prise de risque), ne doit pas être
confondue avec la notion d’aversion aux pertes.
L’aversion au risque signifie qu’un individu préfère un
montant sûr à une loterie risquée qui a la même espérance de gain (par exemple un gain sûr de 100 euros
sera préféré à une loterie avec une chance sur deux de
gagner 200 euros et une chance sur deux de ne rien
gagner). L’aversion aux pertes fait, elle, référence au
traitement des loteries mixtes, où la présence de pertes
renforce l’aversion au risque. Ainsi, un individu va non
seulement refuser une situation où il a une chance sur
deux de gagner 100 euros et une chance sur deux de
perdre 100 euros, mais il va également refuser une
situation avec, par exemple, une chance sur deux de
gagner 100 euros et une chance sur deux de perdre 50
euros.
L’aversion aux pertes est extrêmement importante pour
les gestionnaires, car la plupart des décisions de gestion
sont des situations mixtes, où des gains et des pertes
interviennent en même temps. Ainsi, une décision
d’investissement, quelle qu’elle soit, implique toujours
un gain potentiel mais également une perte possible, si
l’investissement est défaillant ou offre, en définitive, des
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« Ainsi, un individu va non seulement refuser une situation où il a une chance sur deux de gagner 100 euros et une chance
sur deux de perdre 100 euros, mais il va également refuser une situation avec, par exemple, une chance sur deux de gagner
100 euros et une chance sur deux de perdre 50 euros. » Le Gros Lot, valse par A. Calvini. Estampe, 1895.
performances plus faibles que celles des alternatives
disponibles au moment du choix. De plus, les situations de pertes pures sont également très présentes, que
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l’on pense aux situations d’assurance, à la santé, à des
décisions de portefeuille dans un marché en déclin ou,
dans un cadre plus général, à des négociations sur des
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pertes sûres (faillites, criminalité). Dans l’ensemble de
ces situations, l’analyse descriptive proposée par la prospect theory prend tout son sens.
Dans la suite de cet article, nous allons présenter l’importance des notions d’« aversion aux pertes » et de
« point de référence » pour la tarification, dans les
échanges commerciaux et dans les choix de consommation.
ASYMÉTRIE DE L’ÉLASTICITÉ DE LA DEMANDE
ET DE L’ÉVOLUTION DES PRIX
La littérature de marketing intègre souvent un prix de
référence dans les modèles de choix des marques. Le
prix de référence correspond à un prix interne, que les
consommateurs utilisent comme élément de comparaison, pour juger le prix effectif d’un produit qu’ils envisagent d’acheter. De manière générale, on considère
que le prix de référence dépend, soit du dernier prix
payé par le consommateur pour acheter la marque, soit
d’une moyenne des derniers prix payés. Des effets de
référence pour les prix ont été mis en évidence de
manière expérimentale sur beaucoup de marchés.
Plusieurs études se sont intéressées aux effets que les
augmentations et les baisses de prix par rapport aux
prix de référence pouvaient avoir sur la décision d’achat
des consommateurs (KALWANI, YIM, RINNE & SUGITA
1990 ; MAYHEW & WINER 1992 ; PUTLER 1992). En
particulier, il a été démontré qu’une augmentation du
prix conduit, généralement, à une baisse des ventes sensiblement plus importante que l’augmentation des
ventes due à une baisse équivalente du prix (PUTLER
1992). Par ailleurs, la prise en considération des effets
asymétriques des augmentations et des baisses de prix
dans les modèles de choix des marques par les consommateurs améliore considérablement leur validité
(KALWANI, YIM, RINNE & SUGITA 1990 ; MAYHEW &
WINER 1992). L’observation selon laquelle les consommateurs sont plus sensibles aux baisses de prix qu’aux
augmentations de prix peut être expliquée par l’aversion aux pertes. En comparant le prix du produit à leur
prix de référence interne, les consommateurs perçoivent les variations de prix comme des « gains » ou des
« pertes », leur sensibilité à une perte étant plus élevée
que celle au gain de la même ampleur. Par conséquent,
les consommateurs réagissent plus fortement à une
augmentation de prix, qu’ils comptabilisent comme
une perte sèche, qu’à une baisse de prix de même
ampleur, qui est comptabilisée comme un gain. La
manière de présenter la variation du prix devient, alors,
importante. Par exemple, il a été montré que le fait
d’expliquer aux consommateurs qu’une augmentation
du prix était due à une augmentation des coûts de production, et était donc indépendante de la volonté du
vendeur, permettait de mieux faire accepter cette augmentation aux consommateurs.
La fixation des prix est une décision majeure pour les
entreprises. La prise en compte de l’aversion aux pertes
des consommateurs peut modifier les stratégies de tarification des entreprises. En effet, si le prix d’un produit
acheté régulièrement est trop aléatoire, un consommateur « averse » aux pertes se trouve dans une situation
d’incertitude, où il risque de ressentir une perte s’il paie
un prix plus élevé que les autres prix qu’il aurait pu
payer. À long terme, l’anticipation de la perte probable
due à la forte variabilité des prix par le consommateur
conduit à une baisse de la demande. Par conséquent,
sur un marché où les consommateurs sont averses aux
pertes, l’entreprise a intérêt à éliminer cet effet de comparaison en favorisant une stratégie de « stabilité des
prix » : autrement dit, elle a intérêt à proposer uniquement un nombre fini de prix (HEIDHUES & KÖSZEGI,
2005). De cette manière, l’entreprise réduit le nombre
d’occasions, pour le consommateur, de comparer les
prix, en en réduisant les variations de faible amplitude.
En plus de la variabilité réduite des prix, la stratégie
optimale de l’entreprise implique, d’une part, des ajustements peu fréquents du prix et, d’autre part, en cas de
changements de prix, que les prix reviennent souvent
au même niveau (HEIDHUES & KÖSZEGI, 2005).
L’attente du consommateur à acquérir le bien avec une
forte probabilité augmente sa disponibilité à payer pour
le bien. Toutefois, une entreprise peut offrir des ventes
aléatoires aux consommateurs pour les habituer à l’idée
d’acheter. En effet, un consommateur « averse » aux
pertes est prêt à dépenser plus, pour éviter de perdre la
possibilité de consommer le bien, que ce qu’il était prêt
à payer au départ pour acheter ce bien.
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Point de référence et aversion aux pertes pour des
attributs non monétaires
En marketing, la plupart des recherches se sont concentrées sur le prix et, en particulier, sur l’impact des prix
de référence sur les choix. Toutefois, les effets liés au
point de référence et à l’aversion aux pertes ne se limitent pas au prix, mais ont été mis en évidence pour
d’autres attributs. Par exemple, en utilisant des données
de panels pour le marché des jus d’orange réfrigérés,
HARDIE, JOHNSON & FADER (1993) ont mis en évidence des effets de référence pour la qualité. Dans leur
modèle de choix de la marque, la dernière marque
achetée servait de point de référence multidimensionnel, par rapport auquel les marques alternatives étaient
analysées. Les consommateurs étaient supposés montrer de l’aversion aux pertes par rapport à des dimensions multiples, à savoir le prix et la qualité. Ce modèle
explique les données du marché des jus d’orange réfrigérés significativement mieux que les modèles de choix
standard, notamment lorsque le point de référence est
défini à la fois par le prix et par la qualité. Ces résultats
suggèrent qu’une direction de recherche intéressante
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pour les gestionnaires serait l’étude comparative des
notions de « point de référence » et d’« aversion aux
pertes » pour différents attributs du produit et, en particulier pour des attributs liés au confort, à la sécurité et
à l’efficacité.
un impact sur la formation des points de référence pour
les consommateurs. Ce sujet, particulièrement intéressant, nécessite encore des investigations. La compréhension de la nature et de l’origine de ces dépendances
est essentielle pour expliquer et prédire les choix des
consommateurs.
Spécification du point de référence
La formation des points de référence constitue un problème difficile de point de vue empirique. Par exemple,
dans le domaine des prix, les prix de référence internes
ne peuvent pas être observés : pour cette raison, leur
définition est vague. Les hypothèses couramment formulées, portant sur le dernier prix payé ou un indice
basé sur les derniers prix payés, ont été utilisées avec
succès dans plusieurs modèles de choix de la marque
(MAYHEW & WINER 1992). Mais une recherche plus
approfondie concernant la formation des points de
référence au cours du temps semble nécessaire. La
réflexion sur les prix de référence internes est compliquée par le fait que les données montrent souvent que
les consommateurs n’ont pas une bonne connaissance
des prix et se situent donc dans un cadre d’information
imparfaite, et ceci, bien que les acheteurs soient plus
exacts pour les prix des biens qu’ils achètent régulièrement que pour les autres prix. Utiliser comme point de
référence le prix de la dernière marque achetée peut
éventuellement être une bonne approximation, pour
les consommateurs fidèles, mais risque de ne pas s’appliquer pour les autres. Par ailleurs, la meilleure référence n’est peut-être pas la dernière marque achetée,
mais celle achetée fréquemment. En effet, plusieurs
manières de spécifier le point de référence d’un
consommateur lors d’un achat de produit sont possibles : le statu quo (acheter est toujours perçu comme
une perte), le prix régulier pour le bien (uniquement
une augmentation du prix par rapport au prix régulier
représente une perte) ou le prix habituel pour le bien
(payer plus que les autres fois est perçu comme une
perte). Pour trancher entre ces différentes possibilités
une théorie complète du prix et de l’aversion aux pertes
devrait être construite sur la base d’une spécification
claire du point de référence. Toutefois, il est possible
que le point de référence d’une personne en matière de
prix dépende aussi des conditions sur le marché et de
l’anticipation qu’il fait de son comportement. Le point
de référence peut être proche du statu quo, si le
consommateur s’attend à acheter le bien rarement ou à
pouvoir l’acheter très peu cher. Si l’entreprise pratique
toujours le même prix et si le consommateur s’attend à
acheter à ce prix, c’est ce prix régulier qui va être utilisé
comme référence. Si le consommateur s’attend à payer
un prix aléatoire, il n’a pas un prix de référence unique ;
il va alors comparer le prix avec tous les prix disponibles
et prendre la moyenne des sensations de gain/perte. Par
conséquent, la stratégie de tarification des vendeurs a
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TRANSACTIONS COMMERCIALES
ET EFFET DE DOTATION
Une source importante d’évidence empirique, concernant l’existence de l’aversion aux pertes et du point de
référence, est due aux études expérimentales sur l’effet
de dotation. L’effet de dotation fait référence au fait que
des individus désignés aléatoirement comme propriétaires d’un objet l’évaluent à un prix plus élevé que des
individus désignés aléatoirement comme non-propriétaires. Par exemple, KAHNEMAN, KNETSCH & THALER
(1990) mettent en place une expérimentation où les
participants sont répartis aléatoirement dans trois
groupes : un groupe de vendeurs, un groupe d’acheteurs et un groupe de décideurs. Les vendeurs reçoivent
une tasse, et il leur est demandé le prix minimal pour
lequel ils sont prêts à s’en séparer. Les acheteurs ne
reçoivent pas de tasse ; il leur est simplement demandé
le prix maximal qu’ils sont prêts à dépenser pour acheter une tasse identique à celle reçue par les vendeurs.
Les décideurs ne reçoivent pas de tasse, et il leur est
demandé de choisir entre recevoir la tasse et recevoir
une somme d’argent. En moyenne, les valeurs données
sont de 7,12 dollars pour le groupe des vendeurs, de
2,87 dollars pour le groupe d’acheteurs et de 3,12 dollars pour le groupe de décideurs. La différence d’évaluation entre les décideurs et les acheteurs n’est pas
significative. Les vendeurs évaluent cependant la tasse à
un prix environ deux fois plus élevé que les acheteurs et
les décideurs. La seule différence entre les groupes est
pourtant uniquement liée à leur dotation initiale et à
leur rôle par rapport au bien. Il est intéressant de
constater que les personnes qui ont reçu le bien lui
accordent, en moyenne, plus de valeur que les personnes qui ne l’ont pas encore. Autrement dit, la possession (dotation) d’un objet augmente la valeur qu’on
lui donne. La différence d’évaluation de l’objet par les
différents groupes peut être expliquée par l’aversion aux
pertes : les vendeurs évaluent comme une perte le fait
de se séparer de la tasse, alors que les acheteurs et les
décideurs évaluent le fait de recevoir la tasse comme un
gain. La perte ayant plus d’impact psychologique que le
gain, la somme d’argent servant à évaluer la valeur du
bien est, par conséquent, plus importante. La différence entre le prix des vendeurs pour l’objet, et le prix
des acheteurs et des décideurs, pourrait être due au fait
que les vendeurs apprécient plus le bien en question
que les décideurs et les acheteurs. Cependant,
LOEWENSTEIN & KAHNEMAN (1991) montrent que les
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sujets dans le rôle de vendeurs ne trouvent pas l’objet
en soi plus désirable que les décideurs, mais simplement qu’ils n’aiment pas s’en séparer, suggérant que
l’effet de dotation est lié à la possession de l’objet. La
tendance des consommateurs à conserver l’item qu’ils
possèdent, en raison de l’aversion aux pertes, peut ainsi
réduire significativement le nombre de transactions sur
les marchés réels.
Effets d’expérience et apprentissage
L’acquisition d’expérience et l’apprentissage affectent le
niveau d’aversion aux pertes des décideurs. Ainsi, il a
été montré que l’aversion aux pertes semble être limitée
aux acteurs non-expérimentés sur le marché, ce qui
veut dire que, sur les marchés réels, elle va affecter uniquement les consommateurs. À cet égard, LIST (2003,
2004) s’intéresse à la différence de comportement, en
situation d’achat ou de vente, entre les vendeurs professionnels et des consommateurs non professionnels.
Le comportement sur le marché révèle que les vendeurs
professionnels tendent à suivre une règle d’utilité espérée, les consommateurs tendant à se comporter conformément à la prospect theory. L’effet de dotation initiale
mis en évidence par KAHNEMAN, KNETSCH et THALER
(1990) est ainsi remis en question pour les participants
à la transaction qui sont des professionnels. Dans une
simulation en laboratoire d’un marché répété, LIST
(2003) montre également que l’aversion aux pertes des
consommateurs diminue au cours du temps, car les
consommateurs apprennent par expérience. En définitive, l’apprentissage, lié notamment à l’activité professionnelle, permet de réduire les biais de décision engendrés par l’aversion aux pertes et par le point de
référence. Par ailleurs, les études expérimentales ont
montré que, lorsque les individus font des transactions
à la place des autres, ils ne montrent pas d’aversion aux
pertes. Ceci suggère que l’aversion aux pertes est une
attitude psychologique purement individuelle et qu’elle
ne s’applique pas, par exemple, dans une relation principal-agent. Ces résultats appellent de plus amples
recherches sur le sujet, notamment en ce qui concerne
les différentes tâches réalisées par les acteurs de l’entreprise, en fonction de leur degré d’expérience dans ces
tâches. Les décisions prises par les managers méritent,
en ce sens, une attention toute particulière.
Produits et marchés réels
Certains économistes considèrent que l’aversion aux
pertes et l’effet de dotation sont des phénomènes qui
apparaissent uniquement dans certaines expériences de
laboratoire, et que leur importance sur les marchés réels
est discutable. En effet, la recherche expérimentale sur
l’effet de dotation s’est souvent intéressée à des biens de
faible valeur et de faible importance pour les consommateurs, tels que des tasses, des stylos, des porte-clés ou
du chocolat. Les raisons sont multiples : facilité, coût
faible, possibilités de manipulation physique.
Cependant, pour bien comprendre l’effet de dotation,
il apparaît nécessaire de s’intéresser à des biens, des produits et des situations qui ont une valeur significative
aux yeux du consommateur. Par ailleurs, la plupart des
études ont été réalisées en laboratoire. Or, ce qui est
important pour les gestionnaires, c’est de savoir si ces
comportements peuvent être effectivement observés sur
les marchés réels. Une extension nécessaire des travaux
sur l’effet de dotation concerne donc la prise en compte
des échanges sur des marchés réels. Ainsi, une étude
effectuée sur le marché immobilier à Boston montre
que les vendeurs d’appartements ont tendance à fixer
des prix de vente plus élevés s’ils ont subi une perte par
rapport à leur prix d’achat, ce qui suggère que l’aversion
aux pertes et le prix de référence jouent un rôle important sur ce marché (GENESOVE & MAYER, 2001). La
réticence à vendre dans un contexte de baisse des prix
suggère que le prix de référence des vendeurs reste le
prix d’achat de l’appartement. Toutefois, les évaluations
risquent d’être différentes sur un marché en hausse et
sur un marché en baisse. Sur un marché en hausse, il est
fort possible que le prix de référence ne soit plus le prix
d’achat, mais le prix (ou un des prix) du marché. Par
exemple, un vendeur pessimiste aura tendance à
prendre comme prix de référence le prix minimal du
marché, alors qu’un vendeur optimiste aura tendance à
prendre comme prix de référence le prix maximal du
marché. Au-delà du marché de l’immobilier, de nombreux autres marchés réels méritent attention, du fait
du rôle que peuvent y jouer le point de référence et
l’aversion aux pertes. Par exemple, sur le marché automobile ou sur le marché de l’électroménager, la présence courante d’offres de reprise place le consommateur, à la fois, dans une situation d’acheteur et de
vendeur.
O L I V I E R L’ H A R I D O N E T C O R I NA PA R A S C H I V
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CHOIX DE CONSOMMATION
ET EFFET DE COMPROMIS
L’effet de compromis fait référence au fait que les
préférences exprimées par le décideur dépendent de
l’ensemble des alternatives disponibles (SIMONSON
et TVERSKY, 1992). Appliqué au marketing, cet effet
de compromis a des implications importantes : pour
gagner des parts de marché, les marques ont intérêt
à occuper une position intermédiaire dans l’ensemble des choix du consommateur, plutôt qu’une
position extrême. L’effet de compromis a été mis en
évidence par SIMONSON (1989) à l’aide d’une expérience, où des étudiants devaient choisir un appartement dans une liste d’appartements disponibles.
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EN QUÊTE DE THÉORIES
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Chaque appartement était décrit en fonction de
deux paramètres : sa qualité et sa distance par rapport à l’université. Trois appartements ont été utilisés pour l’expérience : l’appartement A, décrit
comme un bien de très bonne qualité, mais situé à
10 km de l’université ; l’appartement B, décrit
comme un bien de qualité moyenne et situé à 6 km
de l’université ; et l’appartement C, décrit comme
un bien de faible qualité et situé à 1 km de l’université. Un premier groupe d’étudiants a été
confronté au choix entre les appartements A et B,
alors qu’un deuxième groupe d’étudiants a été
confronté au choix entre les appartements A, B et
C. La proportion d’étudiants ayant choisi l’appartement B a été de 50 % dans le premier groupe et de
66 % dans le deuxième groupe. En utilisant la
notion d’« aversion pour les extrêmes » (extremeness
aversion), SIMONSON et TVERSKY (1992) mobilisent
l’aversion aux pertes pour expliquer cet effet de
compromis. Ces auteurs considèrent que les
consommateurs comparent les différentes possibilités de choix en identifiant les avantages et les désavantages de chaque possibilité, par rapport aux
autres possibilités disponibles dans l’ensemble de
choix. Autrement dit, pour évaluer une possibilité,
le décideur considère toutes les autres possibilités
dans l’ensemble des choix comme des points de
référence. En raison de l’aversion aux pertes, les
désavantages d’une possibilité ont plus de poids
psychologique que ses avantages. Si nous reprenons
l’exemple précédent du choix d’un appartement,
l’appartement A l’emporte sur les appartements B et
C en matière de qualité, alors que l’appartement C
l’emporte sur les appartements B et C en matière de
distance. En présence d’aversion aux pertes, l’appartement B présente uniquement de faibles désavantages par rapport aux appartements A et C, alors
que les appartements A et C ont des grands désavantages l’un par rapport à l’autre. En conséquence,
l’appartement B, qui occupe une position moyenne
dans les deux cas, sera préféré. SIMONSON (1989)
estime, de manière plus précise, qu’une alternative
de choix (une marque) peut gagner en moyenne
17,5 % de part de marché, en se positionnant
comme une alternative intermédiaire plutôt que
comme une alternative extrême. Un exemple type
est celui de Xerox, qui a réussi à augmenter, avec
succès, les ventes d’un modèle de photocopieur, en
développant et en mettant sur le marché un autre
modèle encore plus cher (PEARLSTEIN 2002). De tels
effets de compromis ont été mis en évidence pour
des produits aussi divers que des appareils photos,
des ordinateurs, des calculatrices, des portefeuilles
d’investissement et des vêtements. Cela suggère que
les choix de consommation issus de l’aversion aux
pertes sont présents sur beaucoup de marchés
(BENARTZI et THALER 2002 ; DHAR et SIMONSON
2003 ; TVERSKY et SIMONSON 1992).
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Aversion aux pertes pour les couples
L’étude du rôle de l’aversion aux pertes dans les choix
de consommation a été limitée, jusqu’à présent, aux
décisions individuelles. Cependant, beaucoup de décisions d’achat, telles que l’acquisition d’un appartement,
d’une nouvelle voiture ou le choix d’une destination
pour les vacances, sont des décisions collectives, où plusieurs membres de la famille peuvent intervenir. Un
approfondissement de l’étude du rôle joué par l’aversion aux pertes dans les décisions collectives et, en particulier, dans les décisions d’un couple peut être extrêmement intéressant pour les gestionnaires. Une
première tentative de comprendre l’aversion aux pertes
des groupes est une étude expérimentale de SUTTER
(2006). Cet auteur montre que, bien que l’aversion aux
pertes affecte également la prise de décision de groupe,
le niveau d’aversion aux pertes est plus faible pour les
décisions collectives. Par ailleurs, la taille du groupe ne
semble pas avoir un impact très important sur le comportement. Ces premiers résultats concernant l’aversion
aux pertes des groupes se limitent aux décisions financières dans un cadre expérimental, et il serait intéressant
de vérifier que l’aversion aux pertes des couples présente les mêmes propriétés.
Évolution du point de référence au cours du temps
Un autre sujet de recherche intéressant concerne la
manière dont les points de référence des individus évoluent au cours du temps. Cet aspect est particulièrement intéressant à comprendre pour les marchés en
constante évolution, tels que les marchés immobiliers
ou les marchés financiers. Par exemple, un propriétaire,
qui a acheté un appartement 300 000 euros et observe
une baisse du prix à 240 000 euros, peut s’interroger sur
l’intérêt éventuel de retarder la vente de son bien. Bien
évidemment, la décision de vendre dépend de son estimation de l’évolution future du marché immobilier,
mais l’aversion aux pertes et le prix de référence jouent
également un rôle important. Imaginons que le décideur considère qu’il y a des chances égales pour que le
prix de l’appartement augmente ou baisse dans le futur.
Si le prix de référence reste le prix initial d’achat, le propriétaire se trouve dans un domaine de pertes et il
devrait garder l’appartement, car, en moyenne, les individus préfèrent prendre des risques dans le domaine des
pertes. Au contraire, si son point de référence a changé
et se trouve désormais à 240 000 euros, le propriétaire
doit vendre à 240 000 euros, car en présence d’aversion
face aux pertes, une loterie d’espérance nulle n’est pas
intéressante. ARKES et al. (2007) montrent que, sur un
marché en évolution, un investisseur est plus heureux
si, d’une part, il change son point de référence dans le
cas d’une évolution favorable des prix (gain) car un gain
additionnel est perçu comme plus positif et, si d’autre
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part, il ne change pas son point de référence dans le cas
d’une évolution défavorable du prix car la perte additionnelle sera moins dure, du fait notamment de la sensibilité marginale décroissante.
CONCLUSION
Dans cet article, nous avons présenté une synthèse de la
littérature économique et de marketing, qui insiste sur
le rôle important du point de référence et de l’aversion
aux pertes, comme facteurs influençant le comportement de choix des individus. Nous avons présenté trois
contextes de décision où ces notions s’avèrent essentielles pour comprendre le comportement des décideurs : les choix de consommation, les décisions de prix
et les échanges commerciaux. Ces éléments soulignent
l’importance des pistes de recherche que constituent la
spécification et la dynamique du point de référence
pour le consommateur, l’étude des décisions de groupe
en présence de gains et de pertes simultanés, le rôle des
effets d’apprentissage dans la réduction des biais
comportementaux ou l’étude des stratégies optimales
des vendeurs suivant le point de référence utilisé par le
client. I
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