la manière de présenter la situation ou le niveau d’aspi-
ration du décideur peuvent influencer l’issue du choix.
Les individus réagissent, en effet, plutôt en termes de
changements perçus par rapport à leur situation actuel-
le qu’en termes de niveaux absolus. Bien que la littéra-
ture économique se soit beaucoup intéressée à la notion
de «point de référence» pour les prix, les consomma-
teurs utilisent des points de référence pour d’autres
aspects de leurs transactions et, en particulier, pour la
qualité. Par exemple, imaginons un consommateur qui
se rend régulièrement dans un restaurant relativement
cher, mais de très bonne qualité. Si, à la suite d’un
changement de gérance, ce consommateur découvre un
nouveau menu avec des plats moins chers que d’habi-
tude, mais avec une certaine perte de qualité, il peut
être extrêmement déçu, car il va utiliser comme point
de référence la qualité passée. Très probablement, un
autre client ayant des goûts similaires, mais n’ayant pas
d’expérience passée avec le restaurant, peut, lui, être
enchanté de trouver un restaurant de très bonne qualité
à un prix raisonnable. En effet, les points de référence
peuvent être différents pour différents consommateurs,
d’où la difficulté pour les entreprises de mettre en place
des stratégies de masse. En plus des expériences passées,
le point de référence peut être influencé par d’autres
facteurs comme le statu quo, les normes sociales ou la
manière de présenter la situation. L’utilisation d’un
point de référence permet donc aux effets de contexte,
de framing, d’affecter le choix. Le cadrage d’un pro-
blème implique donc, souvent, l’utilisation d’un certain
point de référence. Cet aspect est important pour les
vendeurs, qui peuvent créer des effets de référence afin
d’influencer les choix des consommateurs.
La notion d’aversion aux pertes
Résumée souvent par la phrase «les pertes pèsent plus
que les gains», l’«aversion aux pertes» fait référence à
une sensibilité plus importante des individus aux pertes
qu’aux gains équivalents (KAHNEMAN & TVERSKY,
1979; TVERSKY & KAHNEMAN, 1992, BERNSTEIN,
1996). Dans sa forme initiale, la notion d’«aversion
aux pertes» a été proposée, dans le cadre de la prospect
theory, pour expliquer l’observation selon laquelle les
gens refusent systématiquement d’accepter un pari qui
donne, avec des chances égales, soit un gain monétaire,
soit une perte de même montant. Par exemple, très peu
de personnes accepteraient de participer à un tirage de
loterie qui leur permettrait, soit de gagner 10000 euros,
soit de perdre 10000 euros, avec une chance sur deux.
Bien que la perspective de gagner 10000 euros soit cer-
tainement attirante pour tout le monde, beaucoup de
personnes ne disposent pas de cette somme. Même si
une personne dispose de cette somme, on peut aisé-
ment comprendre qu’elle soit plus motivée pour éviter
de perdre cette somme que pour la doubler. Le refus
d’accepter des paris donnant un gain ou une perte de
même montant, avec des chances égales, est observé
également pour des sommes très faibles. L’aversion aux
pertes s’avère nécessaire pour expliquer pourquoi les
individus n’acceptent pas de tels paris, dans la mesure
où l’aversion au risque seule, au sens de la théorie de la
décision traditionnelle, est insuffisante pour expliquer
un tel refus (RABIN, 2000).
Le fait qu’une perte ait un effet plus important, aux
yeux du consommateur, que le gain équivalent en
valeur absolue signifie que la perte d’utilité qu’il subit
en cas de perte est plus importante que l’utilité qu’il
retirerait d’un gain de même montant. Dans l’exemple
précédent, la perte d’utilité liée au fait de perdre
10 000 euros est donc plus importante que l’utilité de
gagner 10000 euros. Plusieurs chercheurs ont mis en
évidence un coefficient d’aversion aux pertes de l’ordre
de 2, ce qui veut dire qu’une perte a deux fois plus
d’impact psychologique qu’un gain de même montant.
En raison de l’«aversion aux pertes», il devient très
important de déterminer comment une situation est
présentée au décideur: comme un gain ou comme une
perte. En effet, présenter la situation en termes de
pertes, conduit à un comportement différent par rap-
port à une description de la situation en termes de
gains. La prise de risque est différente dans les deux cas,
car les individus vont préférer prendre un risque plutôt
que d’enregistrer une perte certaine, alors qu’ils vont
préférer un gain sûr, plutôt que prendre un risque pour
un gain éventuellement plus important… De manière
générale, les individus sont averses au risque pour les
gains, mais sont prêts à accepter un risque pour éviter
des pertes. L’aversion au risque, qui caractérise en géné-
ral l’attitude des individus dans le domaine des gains (le
comportement réciproque des individus dans le domai-
ne des pertes étant la prise de risque), ne doit pas être
confondue avec la notion d’aversion aux pertes.
L’aversion au risque signifie qu’un individu préfère un
montant sûr à une loterie risquée qui a la même espé-
rance de gain (par exemple un gain sûr de 100 euros
sera préféré à une loterie avec une chance sur deux de
gagner 200 euros et une chance sur deux de ne rien
gagner). L’aversion aux pertes fait, elle, référence au
traitement des loteries mixtes, où la présence de pertes
renforce l’aversion au risque. Ainsi, un individu va non
seulement refuser une situation où il a une chance sur
deux de gagner 100 euros et une chance sur deux de
perdre 100 euros, mais il va également refuser une
situation avec, par exemple, une chance sur deux de
gagner 100 euros et une chance sur deux de perdre 50
euros.
L’aversion aux pertes est extrêmement importante pour
les gestionnaires, car la plupart des décisions de gestion
sont des situations mixtes, où des gains et des pertes
interviennent en même temps. Ainsi, une décision
d’investissement, quelle qu’elle soit, implique toujours
un gain potentiel mais également une perte possible, si
l’investissement est défaillant ou offre, en définitive, des
OLIVIER L’HARIDON ET CORINA PARASCHIV
GÉRER ET COMPRENDRE •SEPTEMBRE 2009 •N°97
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