D) Le risque altère plus radicalement encore le comportement des individus lorsqu'il est lié à une
asymétrie d'information.
Les individus ne disposent pas d'une information de qualité identique sur les différents états de la nature. Ces
asymétries d'information amplifient et infléchissent les effets du risque sur leur comportement. Akerlof a initié
ce courant de recherche à partir de l'exemple du marché des voitures d'occasion : l'acheteur est soumis à un
risque de mauvaise qualité du véhicule, dont le vendeur sait s'il est effectif ou non. Akerlof montre que cette
asymétrie peut engendrer l'antisélection et empêcher l'échange.
- Sur le marché des capitaux, le risque ne peut plus simplement être rémunéré par un taux d'intérêt plus élevé,
mais la crainte de l'antisélection entraîne une restriction du crédit (Stiglitz & Weiss)
- Sur le marché du travail, l'éducation peut servir de signal pour réduire le risque lié à la méconnaissance par
l'employeur de la productivité du salarié (Spence).
- Les problèmes d'aléa moral et d'antisélection justifient la prise en charge par les pouvoirs publics de la
protection sociale.
II) Incertitude et risque : des implications divergentes ?
L'information imparfaite sur les événements futurs doit donc bien être prise en compte lorsqu'on cherche à
analyser le comportement de l'homo oeconomicus. Nous avons cependant jusqu'ici passé sous silence la façon
dont l'agent appréhende cette connaissance imparfaite : les différents états de la nature sont-ils soumis à des
calculs de probabilité ? Dans le cas de l'incertitude radicale, c'est le postulat même de rationalité qui est remis en
cause.
A) De l'orthodoxie du risque à l'hétérodoxie de l'incertitude ?
La dichotomie entre risque et incertitude posée par Knight et Keynes est à l'origine d'approches dites hétérodoxes
car elles se démarquent radicalement du postulat de rationalité de l'homo oeconomicus.
- Pour Hayek, la méconnaissance de l'incertitude conduit l'économie à l'erreur scientiste. Ainsi, il réfute la
mathématisation du comportement économique. Par ailleurs, l'efficacité du marché ne se fonde pas selon lui sur
l'ajustement et l'équilibre partiel et général, mais au contraire sur la catallaxie, soit le processus spontané et
chaotique d'adaptation et de sélection qu'il permet.
- Keynes met l'accent dans les chapitres 12 et 15 de la Théorie Générale sur le caractère conventionnel des
prévisions établies par les agents, en particulier sur le marché financier avec la métaphore du concours de beauté.
L'instabilité n'est plus alors un dysfonctionnement épisodique, mais bien une propriété essentielle du marché
financier.
- C'est en partant du constat que l'activité économique est incertaine que Schumpeter prend le contre-pied de
l'hostilité des économistes envers la concurrence imparfaite. La perspective de la rente de monopole, et le goût
pour le risque et l'affrontement propre à l'entrepreneur stimulent l'innovation et la dynamique du capitalisme.
- Prendre en compte l'incertitude conduit Simon à reconstruire la notion de rationalité (imparfaite ≠ limitée /
substantielle ≠ procédurale) et invite les économistes à se pencher sur les rouages internes de la "boîte noire" de
l'entreprise.
B) Des travaux d'économie expérimentale ont remis en cause la théorie de l'utilité espérée, et du même coup
validé la pertinence de la dichotomie entre risque et incertitude :
- Le paradoxe d'Allais montre que les individus sont plutôt risquophobes lorsque la probabilité d'occurrence d'un
événement est faible et risquophile lorsque cette probabilité est élevée. Les individus ont une déformation
subjective des probabilités qui les conduits à accorder plus de poids aux événements les moins probables.
- Le paradoxe d'Ellsberg révèle une altération radicale des choix lorsque l'individu doit estimer des probabilités
subjectives. L'individu préfère une loterie associée à des probabilités connues à une loterie "ambiguë" dont il ne
connaît pas les probabilités.
- Kahneman et Tversky ont montré que la nature de l'enjeu d'une loterie interfère avec l'aversion au risque : les
individus sont plus averses au risque si l'enjeu est un gain que si l'enjeu est une perte.
C) L'incertain est-il soluble dans le paradigme de l'homo oeconomicus ?
Il convient de nuancer l'opposition entre des approches orthodoxes qui négligeraient l'incertain et des
approches hétérodoxes qui seules en tireraient les conséquences. En réalité, les outils d'analyses "découverts" par
les approches dites hétérodoxes ont été incorporées par la recherche orthodoxe.
- L'équilibre général décrit par Arrow & Debreu reste valable lorsque les marchés sont "contingents". Certes, il
est alors nécessaire que les agents puissent attribuer des probabilités subjectives aux différents états de la nature.
Pour autant, l'explosion des marchés à terme corrobore a posteriori l'intuition d'Arrow et Debreu.