Par exemple, les très jeunes enfants se saisissent de la forme littéraire du récit parce qu’ils y
sont fortement exposés et parce qu’elle leur permet de mettre de l’ordre dans leur jeune vie en
s’expliquant pourquoi on va à la crèche, on n’y va pas, papa n’est pas rentré.. D’après Bruner
l’ordre d’apprentissage du langage suit exactement les exigences d’un récit de plus en plus
riche.
Un autre exemple fourni par un auteur qui s’intéresse à la question classique : qu’apporte au
sujet humain l’entrée dans l’écrit, la maîtrise de la lecture et de l’écriture ? Dans un ouvrage
passionnant, D. Olson montre que l’entrée dans ce que l’anglais appelle « literacy » provoque
chez le sujet des transformations profondes relatives à sa conception du monde, de lui-même
et des autres : lire, c’est apprendre à restituer au texte muet les intentions de signification d’un
auteur absent, comprendre ce qu’il a voulu dire, c’est donc entrer dans le monde des réalités
mentales, comprendre comment fonctionne l’esprit et les mécanismes de la pensée et de la
volonté. Une certitude en découle : l’appropriation par le sujet humain d’une technologie
culturelle comme la lecture/écriture est la cause d’un développement significatif des
compétences intellectuelles voire morales et sociales. On est bien dans la perspective de
Bruner et de Vygotsky avant lui.
L’approche de la psychologie culturelle remet au centre des préoccupations de l’éducateur le
souci de ménager à l’enfant la rencontre avec les formes culturelles efficaces autant que
signifiantes, dont il est l’héritier et dont il a besoin pour se développer.
Dans le cadre de l'accès à cet instrument culturel qu'est le savoir lire (mais pas seulement là),
l'enfant développe ce que la psychologie a désormais pris l'habitude de nommer des théories
de l'esprit qui n'est autre que la capacité d'attribuer à soi-même et à autrui des états mentaux
qui, pourtant, ne sont pas directement observables. Piaget, Wallon déjà s’étaient interrogés sur
les idées des enfants concernant la pensée, le rêve….
Cette compétence, peut-être spécifique à l'homme, commande l'entrée dans un grand nombre
de savoir-faire intellectuels et sociaux. L'enfant, en quelque sorte, a besoin de devenir
psychologue pour être « intelligent »! Probablement innée, cette capacité semble néanmoins
manquer chez les enfants autistes dont on sait qu’ils ne réussissent pas à s’intéresser à la
communication, à ses enjeux sociaux, à leur propre pensée. Bien que présente dès la
naissance, cette capacité à se donner des théories de l’esprit se construit au cours du
développement et des apprentissages : progressivement les enfants apprennent, par exemple, à
identifier les fausses croyances qui font agir un personnage contre toute attente ou à distinguer
la réalité de l’apparence. Il semble que plus les apprentissages scolaires exigés sont
complexes, plus les élèves ont besoin de comprendre ce que l’on sait et comment on parvient
à le savoir. D’où l’invitation faite aux pédagogues d’expliciter les différents actes intellectuels
mis en œuvre à l’école, leur variété (savoir, penser, croire, se souvenir, supposer, ….) et de
développer chez leurs élèves l’attitude réflexive (penser la pensée) qui augmente la prise de
conscience et le contrôle.
Arrivé au terme de notre parcours, nous retrouvons cette notion de conscience dont Piaget
affirmait (cf l’entretien vidéo) le statut de « conduite comme les autres. Sur ce point , les
psychologies les plus contemporaines sont en décalage avec Piaget et mettent au contraire
l’accent sur l’efficacité de la prise de conscience comme source du contrôle que le sujet
exerce sur ses activités intellectuelles et comme moteur de leur développement. On voit
comment tout en continuant à revendiquer son statut de science à part entière, la psychologie
contemporaine se démarque des approches volontairement réductrices du début du siècle (le
XXème) et accepte de prendre en compte une dimension difficilement observable mais
déterminante de l’action humaine : son caractère intentionnel. Dans cette perspective, l’école