Introduction - Danielle Desbornes

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PLATON
Le Banquet
Danielle DESBORNES
Introduction. (Cours en construction)
21.07.2010
Ordre et nature des discours : En jaune les cours prêts
1. Phèdre, élève du sophiste Hippias. Platon n'aime pas les sophistes. Ce discours tourne en rond
et ne nous dit rien sur l'amour.
2. Pausanias, homme politique, intellectuel élitiste.
3. Eryximaque, médecin, disciple d'Hippocrate.
4. Aristophane, auteur comique, le fantasme des "boules coupées en 2".
5. Agathon, celui qui invite les autres, poète tragique.
6. Socrate, le philosophe.
7. Alcibiade, l'amant, celui qui a l'expérience de l'amour.
L'un des textes les plus célèbres de Platon. Presque tous les grands auteurs l'ont lu et commenté
en particulier Freud.
Premier exemple de pluridisciplinarité sur le thème de l'amour.
Chaque interlocuteur parle d'un point de vue différent.
Il sera intéressant de repérer le niveau de conscience, de chercher dans chaque discours quelle
idéologie, quels fantasmes circulent, quelle représentation du monde, quel système de valeurs
sont exprimés.
Nous étudierons quatre discours.
-1. Celui de Pausanias.
-2.Celui d'Aristophane.
-3. Celui de Socrate.
-4. Celui d'Alcibiade.( En préparation)
Introduction ….
Platon Le banquet.
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Discours de Pausanias.
Pausanias est un intellectuel, qui en se référant à des archétypes, propose une justification
théorique et une louange de la pédérastie en Grèce.
1. La double nature de l'amour : 180 c – 182 a
L"uranien" (=céleste) et le "pandémien" (= vulgaire.
a) Postulat de base : puisque dans la mythologie grecque, il est fait mention de deux Aphrodites
(Vénus chez les Romains), mères d'Eros le dieu de l'amour, il doit donc exister deux sortes
d'amours.
Analyse de ces deux archétypes.
L'Aphrodite uranienne
c'est à dire "céleste" a une naissance très singulière. En effet, elle est née à partir de trois
personnages de nature identique : Chronos tranche le sexe de son père Ouranos, le dieu du ciel.
Le sexe en tombant dans l'océan (Okéanos considéré comme un dieu), le féconde. Aphrodite
émerge des ondes. Masculin, pureté, élite, similitude, qualité, fidélité, solidité, maturité,
intelligence, intériorité, honneur, discipline, vertu, pouvoir …. Toutes ces qualités se trouvent du
côté de l'Aphrodite céleste qui est respectable et symbolisent un amour masculin respectable.
L'Aphrodite pandémienne
c'est à dire populaire, naît d'une manière beaucoup plus "normale". Zeus, trompant sa femme
Héra, séduit une très jeune mortelle, Dioné. Celle-ci met bientôt au monde la deuxième
Aphrodite, la "vulgaire". Féminin, impureté, vulgarité, altérité, quantité, adultère, caprice,
infantilité, sottise et ignorance, superficialité, bassesse, paresse, débauche, faiblesse impuissance
…. Tous ces défauts se trouvent du côté de l'amour populaire qui est méprisable.
b) Le déni de la mère.
Un fils et son père engendrent à travers l'Océan. L'engendrement peut se faire sans la femme.
L'Aphrodite céleste n'a pas de mère. Le père procrée (désir d'enfanter), grâce à son fils, mais par
le biais d'une castration. La présence de la femme est voilée et niée puisque Okéanos est
considéré comme un dieu masculin. Alors que l'océan est une figure déguisée de la mère,
l'amnios cosmique, le symbole du liquide amniotique qui entoure l'enfant dans le ventre de sa
mère. Cet océan avaleur de phallus serait d'après les psychanalystes contemporains l'image de la
mère phallique castratrice, et de ce fait virilisée. On retrouve dans cette situation le schéma
freudien classique de la névrose : refus de la mère castratrice, peur du désir donc castration, et
identification au père. L'idéologie de Pausanias est élitiste, sexiste, gérontocratique et
ethnocentriste.
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Platon Le banquet.
Résumé :
Amour céleste
Trois dieux
Trois être masculins (pas de femme)
Trois "vieux"
"Homo" = pareils
Esprit / sagesse
Noblesse, honneur, gratuité
Eternel, durabilité, fidélité
Discipline, force, pouvoir
Chef, Maître, civilisé;
Amour vulgaire
Un dieu et une mortelle
Un homme et une femme;
Un être mûr et un être jeune.
"Hétéro" = différents
Corps / plaisir.
Bassesse, Vénalité, intérêt.
Ephémère, instable, infidélité
Passivité, faiblesse, obéissance
Esclaves, Barbares
c) Le statut de la femme en Grèce :
Civilisation patriarcale, qui privilégie le masculin. La beauté, l'intelligence, la parole, le
pouvoir sont masculins. La femme n'a aucune valeur, aucun droit. Elle est enfermée dans le
"gynécée" = maison des femmes. Elle est utilisée exclusivement pour la procréation. Elle élève
les enfants. Elle ne reçoit aucune instruction ni aucune éducation. Elle ne sort pas, ce sont les
hommes qui vont au marché. Elle n'a guère de choix d'existence. Il n'existe que quatre statuts
possibles pour les femmes :
- le mariage et l'élevage des enfants (à partir de 7 ans l'éducation des garçons revient aux
hommes)
- la prostitution sacrée dans les temples consacrés à Aphrodite .
- la consécration à Zeus, comme vestales (chasteté) dans ses temples.
- Le statut d'hétaïre : une hétaïre est une femme très belle et très cultivée (exception rarissime)
qui se fait entretenir à grands frais. Aspasie était l'hétaïre de Périclès.
d) Permanence du clivage céleste/ vulgaire dans notre civilisation :
Les archétypes : Eve / Marie symboles de la prostituée qui n'engendre que luxure et désordre, et
de la sainte, vierge et rédemptrice. Ou encore la bête et l'ange.
2. Les différents jugements sur l'amour pédérastique. (182 b – 183 d)
a) A Sparte et en Béotie il est négatif.
b) En Ionie et chez les "Barbares".
Chez les Barbares, le régime dominant est la tyrannie. Cela implique une double dépravation :
- Le tyran est un autocrate cruel, violent, égoïste dominé par sa volonté de puissance sans limite.
Il méprise son peuple et a intérêt à le maintenir dans un état d'ignorance et de soumission
absolues.
- Le peuple de son côté est vil du fait qu'il accepte cette soumission sans oser se révolter. Il réagit
comme un esclave avec lâcheté et paresse.
Platon Le banquet.
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Le jugement d'un peuple sot et dépravé, non seulement n'a aucune valeur, mais comme dans un
raisonnement par l'absurde, il mettrait en valeur ce qu'il condamne.
c) Finalement en condamnant la tyrannie qui condamne la pédérastie, Pausanias réhabilite la
pédérastie.
La pédérastie est une garantie contre la tyrannie. Elle est fondée sur la liberté de choix, la
tendresse, la générosité. Elle favorise la solidarité entre les hommes, la liberté, et en bref l'idéal
démocratique et aristocratique.
3. Justification de l'amour pédérastique. (183 d –185 e)
a) Le culte de la beauté et de la virilité.
Misogynie en Grèce. Le monde masculin est clos, la femme en est exclue. La véritable beauté
est virile. La virilité parfaite est incarnée par la beauté d'un corps athlétique et une éducation
soignée, qui n'a rien à voir avec l'instruction proprement dite. L'apprentissage de la lecture et
de l'écriture se fait par un esclave qui est payé pour cette tâche. La virilité du corps se
travaille au gymnase où les hommes pratiquent le sport dans la nudité. Ce qui favorise les
contacts physiques. La transmission et la pratique de la culture ont lieu dans des clubs et des
banquets où l'on parle et où l'on échange des idées.
L'amour pédérastique se fonde sur une émulation entre hommes, et part d'une inégalité, ou
hiérarchie naturelle : d'une part, l'homme "fait", mûr, aîné, objet d'admiration, l'éraste, et
d'autre part l'adolescent, homme en devenir, ou éromène, qui a besoin d'être guidé vers
l'adultat avec fermeté et tendresse. Cette pédagogie utilise l'admiration d'un modèle et son
imitation.
b) La sexualité en Grèce.
La pédérastie n'est pas l'homosexualité comme nous l'entendons aujourd'hui.
Les relations sont certes sensuelles mais soumises à une sorte de code de l'honneur. L'éraste
(= l'amant) doit respecter le corps de l'éromène(= l'aimé). La finalité de leur relations est
l'acquisition d'une noblesse du cœur et de l'âme. L'éraste ne doit pas rechercher son propre
plaisir égoïste ni profiter du corps de l'éromène. Il devait probablement s'agir d'un flirt poussé
d'un partage initiatique de la virilité pour accompagner la virilisation du jeune homme. Les
Grecs avaient un certain dégoût pour la pénétration. Les relations se terminaient lorsque la
barbe de l'éromène commençait à pousser.
Le texte de Pausanias pose néanmoins problème. Il affirme en effet que "tout est permis" en
certaines occasions. Serait-ce une manière d'affirmer que "la fin justifie les moyens" ?
Pausanias reconnaît qu'il existe deux sortes d'amours : l'amour noble et l'amour vulgaire.
c) L'amour noble
dont la fin est céleste. Le but est généreux et élevé: le bien de l'éromène et il est durable. Il
répond à trois caractères : 1. Il est visible c'est à dire qu'il peut s'afficher sans honte. 2. Il se
situe dans un milieu noble. 3. Il peut se manifester à travers un "grain de folie", mais il est
stable. Il est noble même si l'éraste s'est illusionné sur la qualité de l'éromène (seule
Platon Le banquet.
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l'intention compte)
d) L'amour vulgaire est intéressé, du côté de l'éraste et du côté de l'éromène. Il se
caractérise par la quête exclusive du plaisir physique, de l'argent, de l'ambition. La conquête
est rapide, instable et débauchée. Elle s'apparenterait à ce que l'on appelle aujourd'hui le
"donjuanisme".
Conclusion :
Finalement, ce discours nie le désir et l'existence de l'autre. Conception narcissique et entropique
de l'ordre qui réduit à l'homogène, au pareil.
Idéologie sexiste, phallocrate, gérontocratique, élitiste, hétérophobe et homophile …
Le clivage proposé par Pausanias entre les hommes est à la fois culturel, politique, intellectuel,
moral, sexuel, esthétique, …Il témoigne d'un refus absolu et du mépris du différent sous toutes
ses formes. En cours de route, n'aurait-on pas perdu l'amour et rencontré beaucoup de haine ?
Le culte des deux Aphrodite à Athènes ne correspond pas la théorisation de Pausanias. A
Athènes, les prostituées, et les courtisanes en mal de maris vénèrent l'Aphrodite uranienne.
Le clonage reproductif aujourd'hui permettrait de réaliser en partie les fantasmes de certains
"Pausanias" narcissiques !
Discours d’Aristophane
Aristophane n’a pas pu parler plus tôt, il était ivre et avait le hoquet. Il est encore ivre.
Il est présenté comme un comique, un homme qui rit et qui craint de dire des choses ridicules. Il
invente en effet une histoire qui fait rire. Il fabule. Si, comme le dit Freud, dans l’ivresse la
censure est endormie, fragmentée, alors des pans de l'inconscient se révèlent. Cf. In vino veritas,
la vérité est dans le vin. Il est alors intéressant de décoder dans le discours d’Aristophane les
fantasmes, les archétypes qui nous concernent et qui appartiennent à inconscient collectif.
Il parle "autrement" et cette altérité est riche de symboles. Elle permet d'exprimer un désir
universel, celui du double.
L'initiation à la puissance de l’amour est reliée au caché, au mystère. Elle implique une démarche
particulière, le détour par le langage du mythe.
Platon Le banquet.
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L’ANTHROPOGONIE D’ARISTOPHANE
(anthropogonie = genèse, origine de l’humanité)
"Jadis" renvoie à l'uchronie, c’est-à-dire à un temps qui n'existe nulle part, non localisable dans le
passé. C'est celui des contes de fées : "Il était une fois …".
Avant c’était "mieux" (cf. en Grèce le mythe de l’âge d’or. Les choses ne font qu’empirer en
s'accélérant : après l'âge d'or, il y a eu l'âge d'argent, celui du bronze, et enfin l'âge de fer, celui
dans lequel nous sommes. (voir dans la rubrique "textes" le récit d'Hésiode.)
Cf. chez Platon, le mythe du "pendule de torsion" : lorsqu'on enroule un pendule autour d'un fil,
il commence à se dérouler dans l'autre sens, lentement, puis de plus en plus vite. C'est sur ce
modèle que se déroule le temps.
1. Les "boules" originelles.
Les êtres humains étaient doubles. Ils se présentaient comme de grosses boules avec deux
visages tournés vers l'extérieur, quatre bras et quatre jambes, deux sexes, eux aussi vers
l'extérieur. Ils se suffisaient à eux-mêmes et se sentaient tout-puissants.
"L'œuf", le cercle, la sphère.
L’idée d’un monde clos sur lui-même est un symbole que l’on retrouve dans le monde entier, il y
a une fascination pour ce symbole. Le cercle est symbole de perfection : l'œuf cosmique en Inde,
l'œuf des orphiques, des pythagoriciens (à l’origine de l’univers un point grossit en absorbant le
vide), l'œuf de Pâques, etc.
Même au XX° siècle on retrouve ce symbole avec "l’atome primordial" en astrophysique ou
encore chez Castañeda : "Les hommes apparaissent pour ceux qui “voient” comme des œufs
lumineux composés de quelque chose de semblable à des fibres de lumière […] qui jaillissaient
de la région autour du nombril."
Platon, dans le Timée, décrit une anthropogonie mythique : nous ne sommes d’abord qu’une tête
de forme sphérique. Pour qu'elle ne roule pas sur le sol le démiurge lui a fabriqué le corps afin de
la porter haut.
Dans le texte d'Aristophane la structure rayonnante des bras et des jambes (8 en tout) permet la
comparaison avec les astres.
2. Les trois sexes
Au commencement il existait trois espèces :
1. Le Masculin.
Les deux parties de la boule sont de sexe masculin.
2. L'Androgyne
(= Masculin/féminin), une partie femme, une partie homme.
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Platon Le banquet.
3. Le Féminin.
Les deux parties sont de sexe féminin.
3. Le code astronomique-astrologique.
(Les deux sont inséparables pour Platon).
Postulat : Il existe un parallélisme entre le macrocosme et le microcosme. ("Ce qui est en haut
est comme ce qui est en bas") Puisqu'il y a plusieurs types d’énergie dans le ciel – celles du soleil
de la lune et de la terre - il y a nécessairement l’équivalent sur la terre. Donc il y a trois types
d’êtres humains à l’origine (les choses se dégradent ensuite), que l'on va pouvoir classer selon le
modèle céleste.
Le Soleil :
La Lune :
La Terre :
Emetteur d'énergie
- Réceptrice de l'énergie Réceptrice de l'énergie du
solaire donc féminine
soleil et de celle de la terre.
- Emettrice : elle la reflète
vers la terre, donc masculine.
Symbole du masculin
Symbole de l'androgyne
Symbole du féminin
4. L'androgynat .
Le fantasme de l’androgynat est universel : idée qu’à l’origine chaque être était bisexué, donc
qu’il se suffisait à lui-même.
* On trouve chez les Grecs le mythe selon lequel on naît de l’œuf primordial moitié terre moitié
ciel.
* Dans les religions nordiques, en Chine, en Égypte, en Iran, en Inde, on représente des dieux
moitié homme moitié femme, Hari-Hara, Çiva androgyne, Yin-Yang etc.
* Les alchimistes appellent "Rebis" une pierre philosophale qui est dite mâle et femelle, en forme
d’œuf. C’est l’androgyne qui polarise le ciel et la terre.
* Dans l’Evangile de saint Thomas, on trouve : "Lorsque vous ferez les deux [êtres] un, et que
vous ferez le dedans comme le dehors, et le dehors comme le dedans, et le haut comme le bas. Et
si vous faites le mâle et la femelle en un seul afin que le mâle ne soit plus mâle et que la femelle
ne soit plus femelle, alors vous entrerez dans le royaume."
* C’est enfin un thème essentiel de la psychanalyse : Freud et Jung affirment qu’il y a une
bisexualité psychique en tout être humain (chez Jung c'est l'animus et l'anima).
Les fantasmes d’androgynat apparaissent très nettement dans les névroses.
5. La Faute originelle.
Les hommes, pleins d’« insolence », « attaquent les dieux » et « escaladent le ciel ». Ces grosses
boules se sentent toutes-puissantes, capables d’affronter le divin. Thème de l’orgueil, de l’hybris,
c’est-à-dire de l’excès, de la démesure. D’où naît la rivalité avec les Immortels.
Platon Le banquet.
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Dans la Genèse l’on retrouve ce même désir d'égaler le divin, de "devenir comme des dieux."
Les psychanalystes constatent qu’Androgynat, toute-puissance et immortalité sont liés dans
les fantasmes.
6. La punition de Zeus : la division . (vue par un élève)
Platon Le banquet.
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La division, le clivage, la coupure en deux. Zeus menace même de couper les hommes en quatre,
ce qui les ferait marcher à cloche-pied ! (Dans la Bible, il y a aussi une cassure, un peu
différente : c’est l’expulsion du Paradis, c’est-à-dire une rupture de la relation avec Dieu, qui
entraîne la séparation.)
Cette punition entraîne l’apparition d’un vide, d’une béance, d’un espace impossible à combler
entre moi et moi-même, donc crée :
1) une faiblesse (la moitié de moi est moins puissante que moi) ;
2) une douleur, un désir (idée que le manque est à l’origine du désir). Mais cette souffrance est
apparemment sans remède. La coupure est chirurgicale, irréversible. Cf. chez Winnicott :
« l’espace interstitiel » ; chez Michel-Ange : l’Adam de la Création et l’espace qui sépare sa main
de celle de Dieu ; le mythe de Tantale, dont la main est à jamais séparée du fruit. Impossible
rencontre, impossible satisfaction du désir, implacable solitude : telle est l’essence de la
punition. Il s’agit d’un mouvement centrifuge vécu comme un démembrement, comme une
passion douloureuse et insupportable.
Remarquer la différence entre la Bible et Le Banquet : dans la Bible, le clivage du premier
homme en deux (Adam et la côte), qui entraîne la création d’un semblable, d’un alter ego, est
vécu comme quelque chose de bon : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (le mal, c’est la
séparation d’avec Dieu, la cassure d’une relation). Il faut voir que cette division est positive car
créatrice de multiplicité, elle est processus de création du monde : les premières cellules se
reproduisaient (et se reproduisent encore) par scissiparité.
Pour Aristophane, cette apparition du multiple est vécue sur le mode d’un démembrement de
l’Être, donc d’une dégénérescence : l’Être s’éparpille. L’idée sous-jacente est qu’il faut aller à
contre-courant et réunifier - ce mouvement est-il celui d’Éros ? – par un mouvement centripète.
6. La pitié de Zeus ,
Zeus a recours à la chirurgie esthétique d’Apollon !
Plan de l’opération :
1. Ramasser la peau et la nouer sur le ventre « comme une bourse à courroie », l’orifice
représentant le nombril.
2. Tourner le visage du côté de la coupure afin de contempler le souvenir de la punition (le
nombril), et donc de rester humble (c’est de la menace).
3. Ajouter une décoration, la poitrine, par un souci d’esthétique (N.B. le sexe est resté dans le
dos !).
7. Le nombril
(= omphalos).
Il s’agit d’un lieu privilégié, qui a une grande importance symbolique : c’est la trace de ce qui
reliait à quelqu’un d’autre, mais en même temps le signe qu’on n’est plus relié ; le cordon
ombilical a été coupé, le nombril est ce qu'il en reste. (En Grèce, chez les garçons, le cordon
ombilical était coupé loin, pour que le nombril reste proéminent, en signe de virilité.) Le nombril
était considéré comme le centre de l’être. Chez les Japonais, le hara est un centre d’énergie situé
derrière le nombril, un peu en dessous, cf. le "hara-kiri", suicide japonais. Certains lieux sont
considérés comme le nombril du monde : Delphes, le mont Méru dans la mythologie indienne, le
Platon Le banquet.
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temple de Jérusalem, autant de centres du monde, c’est-à-dire aussi de lieux où l’homme est relié
au surnaturel. Il s’agit d’un symbolisme axial.
8. L’Éros impossible .
Les demi-boules se cherchent, « s’enlacent », mais la coupure est définitive et leur fusion est
impossible : elles parviennent seulement à une juxtaposition. Ici l’amour, qui n’est pas sexué, est
chaste. Les organes sexuels étant derrière, le désir n’est pas satisfait, ce qui entraîne à la fois une
souffrance incessante et l’extinction des individus. L’espèce, qui ne se propage plus, est vouée à
la mort : est-ce que par hasard cette force qui pousse un être à l’immobilité et à la mort ne serait
pas Thanatos, c'est à dire liée à la pulsion de mort ?
9. La ruse de Zeus !
« Il transpose les organes […] devant », et le tour est joué ! Les hommes sont piégés ! D’abord,
c’est une grande révolution, parce qu’on passe d’une reproduction non sexuée, chtonienne (les
hommes naissaient comme les cigales, de la terre) à une reproduction sexuée : « le mâle dans la
femelle ». Enfin la fusion devient possible ! enfin le désir connaît la satiété. Oui mais cette fusion
n’a rien à voir avec la reconstitution de la « boule originelle » ! Elle ne concerne qu’une zone
ponctuelle, celle du sexe, de la génitalité et ne dure qu’un instant après lequel les deux moitiés
sont à nouveau séparées. Bien plus, alors que le désir était de passer de deux à un, la
reproduction fait passer à trois !!! Et voilà qu’on est utilisé par Zeus au service de la propagation
de l’espèce. On désirait une réduction, on obtient un accroissement ! Le plaisir nous est offert.
La reproduction sexuée est donc décrite dans ce texte comme une « ruse » des dieux à l’origine
de l’amour. « C’est de ce moment que date l’amour inné des hommes les uns pour les autres. »
La génitalité apparaît comme une compensation d’une unité fusionnelle à jamais perdue. Elle
permet d’annuler – provisoirement - la coupure, le temps. L’union sexuelle donne l’illusion du
retour à notre « antique nature ». Elle fait croire à une éphémère réversibilité. Comment déjouer
le piège ?
10. L’évolution des trois sexes originels et leur réduction progressive.
Maintenant, chacun continue de chercher sa moitié. Pourquoi les moitiés androgynes sont-elles
adultères ? Parce que ce sont les seules à qui la possibilité d’une fusion ponctuelle avec plaisir
soit donnée. Pas besoin de retrouver sa vraie moitié originelle. Le piège marche bien : le désir
fonctionne de manière autonome avec n’importe quelle moitié complémentaire. Donc n’importe
quel homme peut satisfaire son désir de fusion avec n’importe quelle femme, et inversement, sans
se connaître, puisque le plaisir est à la clé.
Aristophane sépare désir et amour. Il va de soi que seule l’espèce Androgyne se reproduit.
Les deux autres espèces, les homosexuels, n'étant pas féconds, ont tendance à disparaître, en tout
cas, ils sont moins nombreux.
11. Distribution des fonctions par rapport aux sexes (politique et astronomie).
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Platon Le banquet.
1. Les moitiés de mâle, qui sont « les meilleurs », se consacrent au gouvernement des États, dont
ils sont les chefs. Étant d’essence solaire et rayonnante, à eux revient la place d’honneur d’où ils
gouvernent.
2. Les moitiés androgynes sont les féconds. Ils sont donc au service de la propagation de
l’espèce et de tout ce qui touche à la fécondité et à l’agriculture. Il s’agit du peuple, qui est
d’essence lunaire (cf. croyance dans le rôle de la lune pour tout ce qui touche à l’agriculture, aux
naissances, etc.).
3. Les moitiés de femelle (Aristophane n’en dit rien !) : peut-on compléter le tableau logiquement
en disant qu’elles sont d’essence terrienne, et auraient donc à s’occuper des tâches les plus
ingrates ? Aristophane entend-il les reléguer au rang de servantes voire d’esclaves ?
12. Le rêve de l’Héphaïstos soudeur (= Vulcain, dieu des forgerons).
Le vœu de tous les amants est d’être fondu, soudé avec l’autre pour l’éternité. Héphaïstos est
l’anti-Zeus, le réparateur, qui remédie à la terreur de la division. On peut reconnaître en lui ce
que Freud appelle le désir de régression, le retour à l’œuf immobile, ou le désir de Nirvana.
Cette quête de l’indifférencié n’est-elle pas une figure du désir de redevenir fœtus, de ne pas
être né, du refus de vivre, de ce que Freud appelle pulsion de mort ? Il est curieux que
Thanatos puisse être confondu avec Éros : seraient-ils frères jumeaux ?
Conclusion
En repérant les différents fantasmes qui circulent dans ce mythe, on trouve l’œuf, le stade fœtal,
les archétypes : animus et anima, la bisexualité. Si l'on se réfère à la critique jungienne, on y voit
l’archétype du double, la gémellité, l’alter ego identique à soi.
La thèse de l'auteur affirme que
- le "même" est supérieur à "l'autre", et que
- le "masculin" est supérieur au "féminin" (c’est un homme qui parle), elle peut être
considérée comme l’expression d’un narcissisme primaire (Narcisse se noie pour s’être trop aimé
et trop approché de son reflet dans l’eau).
Peut-être s’agit-il de la projection d’un psychisme immature : une solitude et une unicité non
assumées. Un psychisme qui a besoin de se consolider dans un effet de miroir, une projection du
double.
C’est une conception de l’amour fondée sur un manque, une imperfection, une faiblesse, et qui
déclenche une force centripète, un repli sur soi, une immobilité, une fermeture au monde, et
qui conduit à la mort. On a peut-être parlé d’une force, oui, mais n’est-elle pas contraire à
l’amour ?
On ne cerne pas l’essence de l’amour le discours de Socrate va y remédier ...
Discours de Socrate.
Socrate est l'avant-dernier à prendre la parole. Il en profite pour critiquer ironiquement les autres
Platon Le banquet.
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discours. Ces discours sont peut-être beaux, ils font l'éloge de l'amour, ils relèvent de la
rhétorique, de la poésie, de l'imagination, mais pas de la philosophie. Ce que le philosophe
cherche, c'est la vérité sur l'amour c'est à dire son essence à partir d'un raisonnement. Cette
réflexion passe comme d'habitude par un dialogue au cours duquel Socrate conduit son
interlocuteur à "accoucher" de ce qu'il sait (sans le savoir).
La démarche de Socrate comprend deux temps :
I. Ce qu'est l'amour, son essence.
II. A quoi il sert ou la fonction de l'amour.
III. L'amour et l'absolu : Dialectique de l'amour.
I.
Analyse de l'amour (ou EROS)
1. L'amour est toujours amour de quelque chose ou de quelqu'un. Il a un objet. Il met en
relation deux êtres. Cette notion appartient donc à la catégorie du relationnel, ou encore du
médiat, médiation, médiateur. L'amour est un trait d'union.
2. L'amour s'exprime par le désir. Il est tension vers un être ou un objet. Cela suppose un
vide, un non-être ou un non-avoir, en bref, un manque. (Au XIX° Hegel reprend cette
théorie.) On ne peut désirer une qualité, une valeur, le courage, le bonheur ou un objet,
l'or, le bon vin, que si on ne les possède pas.
3. Affirmation d'un axiome : L'amour est nécessairement amour de la beauté. La beauté
n'est pas nécessairement physique. Elle peut se confondre avec la beauté de l'âme ou la
bonté ou même la beauté de la vérité. (L'on peut se demander si un être est désiré parce
qu'il est beau ou s'il est perçu comme beau parce qu'il est désiré : cf. Théorie freudienne de
la cristallisation.)
4. Conséquence logique : si l'amour vient d'un manque et si l'amour désire la beauté, alors
c'est qu'il n'a pas l'objet qu'il désire, donc nécessairement il n'est pas beau.
Résumé des points acquis : Amour = tension vers quelque chose de beau, qu'on n'a pas en soi,
donc implique dépassement, progrès.
Apparition de Diotime dans ce banquet, d'où toutes les femmes ont été exclues, ni les épouses,
ni les concubines ne sont jamais invitées, les danseuses ont été éloignées. Socrate réintroduit
le féminin, à travers cette femme à qui il donne une place d'honneur puisqu'il lui donne la
PAROLE. Il la présente comme son initiatrice c'est à dire son "maître". Comme s'il voulait
dire qu'en ce qui concerne l'amour, les femmes ont aussi et surtout leur mot à dire. Dans cette
assemblée où triomphe une idéologie qui valorise le "même", Socrate introduit le discours de
"l'autre". Diotime est vieille parmi ces hommes relativement jeunes, elle est étrangère, elle
vient de Mantinée. Est-ce un lieu imaginaire, est-elle une fiction, le double féminin de Socrate
?
Diotime est présentée comme ayant été prêtresse de Zeus. Est-elle une dernière figure de ces
traditions antiques où les femmes détenaient des connaissances ésotériques comme la vieille
fileuse du conte de La Belle au bois dormant ?
Humilité de Socrate, ce qu'il sait, il l'a appris de quelqu'un d'autre. Même si les vérités
essentielles sont au fond de nous, il nous faut un initiateur pour nous apprendre à y accéder.
Socrate ne nous expose pas le résultat de sa connaissance, il nous fait parcourir le
cheminement dialectique…
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Platon Le banquet.
L'analyse de l'amour se poursuit, par le relais de Diotime :
5. L'amour appartient à la catégorie du mixte = mélange, milieu, intermédiaire. Cela implique
une conception ternaire, un monde à trois étages. Cf. la Caverne : caverne, mur, monde
intelligible. Ce qui se trouve entre la caverne et le monde intelligible à la fois les sépare et les
relie. Il en est de même pour l'amour. Il appartient à ce monde intermédiaire qui est celui des
"démons".
Attention, en Grèce un démon n'a rien à voir avec le "démon" de la tradition judéo-chrétienne,
ange rebelle, qui s'est révolté contre Dieu, cause du mal dans le monde. Le daimôn grec est
d'abord un être divin ou ressemblant aux dieux par un certain pouvoir. Par la suite, le "démon"
ou "daimôn" est devenu synonyme de volonté ou de génie. Le daimôn de Socrate était une
sorte de faculté supérieure ou d'intuition ou d'illumination, qui le reliait directement à un
monde supérieur.
6. Invention d'un mythe.
Pour illustrer l'essence mixte de l'amour, Diotime invente une genèse de l'éros. Il naît d'un
homme et d'une femme. Son père, Poros est un homme riche. Il est ivre, il dort. Le sommeil,
en Grèce est un moment où l'âme est reliée au monde surnaturel. Sa mère, Pénia (cf. pénurie
qui signifie pauvreté) est donc pauvre, affamée, mendiante, en quête, en manque. Elle s'unit à
Poros pendant son sommeil et enfante peu après Eros.
L'amour est donc un produit de cette union, un mélange, une synthèse des contraires. Il est
donc à la fois riche et pauvre. Il a toujours le ventre creux, "sec et dur", mais il est plein de
ressources et d'inventivité. Il n'est jamais à court d'idées, mais il lui manque en même temps
toujours quelque chose, il chasse. Plus tard on le chante "enfant de Bohème…"
Si l'on interprète sur un plan métaphysique l'amour peut être vu comme ce qui relie le monde
de la caverne, sombre, vide, au monde intelligible, lumineux, plein. Il y a bien une notion
d'amour dans le terme même de philosophie.
7. D'ailleurs c'est à cette conclusion que nous amène la théorie de Diotime. "L'amour est
philosophe" La philosophie est tension vers la vérité, amour de la vérité. Il ne la connaît pas,
il la cherche, il la traque, il se pose des questions. Platon établit un lien entre l'érotique et la
philosophie. La philosophie est "érotique" dans la mesure où elle est sous-tendue par un désir,
moteur de la recherche. Ce désir est de la même essence que celui de l'amour, il suffit de
l'orienter (de le "sublimer" dira Freud plus tard) en le détournant de son objet sensible.
8. L'amour met donc en jeu trois notions :
1. L'amant (celui qui aime).
II
2. L'acte d'aimer.
3. L'aimé .
FONCTIONS de L'AMOUR. (= ce qu'il fait ou quels services il rend.)
1. Il assure une fonction de liaison. Lier c'est supprimer l'espace qui sépare des êtres,
cela implique une idée de contact, de fusion, de communion. Relier c'est établir un
Platon Le banquet.
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pont, un moyen de communication, sans supprimer l'intervalle ou la distance qui
sépare les êtres. L'amour lie.
2. Il assure le bonheur, le bien. Sa finalité est extrinsèque, en dehors du sujet, être
comblé. Différentes sortes d'objets peuvent être visées par l'amour donc jugées bonnes
: l'argent (l'avoir), le sport (le mouvement), la beauté esthétique (musique, poésie), la
philosophie. Critique du discours d'Aristophane : "chercher sa propre moitié". Soimême ou une partie de soi-même n'est pas nécessairement bonne, à la limite on peut
juger mauvaise la partie de soi qui serait gangrenée et désirer s'en séparer. Le véritable
amour fait sortir de soi. L'amour selon Aristophane est un mouvement centripète qui
est retour à l'œuf hermétiquement clos sur lui-même, fermé à tout, séparé de tout, isolé,
immobile. C'est la tension vers le non-moi, vers le plus qui aboutit au bonheur.
3. L'amour est lié au désir d'éternité.
Le désir de posséder toujours le bien", c'est à dire de résister au temps qui use et
désagrège, affirme sa parenté avec un désir d'éternité. Cette volonté d'immortalité est
une réminiscence. En réalité, nous savons sans le savoir vraiment que nous sommes
immortels, et l'amour réveille ce savoir. De même que la vision de la beauté, qui n'est
qu'un reflet de la vraie beauté dans laquelle s'origine ou de laquelle participe la beauté
visible, déclenche une aspiration verticale.
4. L'amour est toujours fécond.
Il est le contraire du temps qui tue. Son désir de résistance au temps s'exprime donc par
la création : pouvoir de faire exister quelque chose. Cette fécondité est de nature variée.
Elle touche le corps aussi bien que l'âme.
"Quand l'être pressé d'enfanter […] joyeux[…] allégresse, il se dilate et produit. Quand
au contraire […] renfrogné et chagrin, il se resserre, […] se replie […] garde son
germe et souffre. La beauté […] le délivre de la grande souffrance du désir".
Résumé : Amour = désir + beauté  Dilatation de l'être  Enfantement.
L'être = le corps ou l'âme. Le germe, au sens physique c'est le patrimoine génétique, mais au
sens spirituel c'est la réminiscence = les souvenirs des vérités, beautés, contemplées par l'âme
avant son incarnation. Nous sommes tous riches, tous féconds à différents niveaux. L'amour
libère en nous ces richesses, il nous permet de les exprimer, de les faire sortir à l'extérieur de
nous. Ne pas pouvoir ex-primer, faire sortir, faire jaillir ces « germes » d’existence, ces
trésors que nous portons en nous est une souffrance. Le désir est douleur. Mais sans lui, il n’y
a pas cette rencontre avec l’autre, la Beauté qui produit l’explosion, le rayonnement, le
ravissement. Analogie avec un astre ou une étoile, à l’image du soleil joyeux, dilaté, qui
produit la lumière.
Seule la beauté déclenche l’Amour. C’est logique puisque l’amour a une parenté avec
l’éternité (mixte). Seul un reflet de ce monde immortel peut le mettre en mouvement (on
retrouve quelque part l’idée que le semblable attire le semblable). Donc la laideur le repousse,
elle est le contraire du beau. Le Désir est donc toujours orienté dans le « bon sens » : vers le
beau, vers le positif, vers un degré supérieur d’être (par rapport au degré où l’on se trouve.
Platon Le banquet.
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Qu’on se rappelle les différents degrés dans la Caverne, où on progresse des ombres vers les
reflets, puis vers les objets sur le mur, puis vers les essences, puis vers le Divin, que représente
le soleil). Alors, le désir est comme pris dans un courant d’être, dans un champ dynamique
ascensionnel, celui qui remonte du monde sensible au monde intelligible, de l’ombre à la
lumière, du négatif d’être au positif d’être. Si nous revenons à l’allégorie de la Caverne,
désirer le Beau, ce serait comme se laisser « aimanter », « magnétiser », aspirer, remonter par
l’un des rayons lumineux, qui entrent, mais qui en même temps « sortent » de la Caverne. Pris
dans ce courant, l’être se « dilate » (Spinoza beaucoup plus tard dit que « la joie est une
augmentation d’être ».) Cette dilatation de l’être, vécue comme une jubilation, comme un
plaisir, est en même temps créatrice. Elle permet à l’être de produire, de manifester sa
richesse : celle du corps : procréation ; celle de l’âme : création. Créer, c’est aller à contrecourant de la mort, donc vers l’immortalité.
5. Les différents types de fécondité.
1. Propagation de l'espèce.
Chez les animaux. Cf. le beau passage sur le besoin.
2. La procréation chez les hommes.
Elle s'explique par le désir de "laisser un individu plus jeune à la place d'un vieux", moyen de
réaliser une sorte de perpétuité, donc d'immortalité.
3. La réflexion.
Par une production incessante d'idées, on remplace un souvenir qui s'en va (oubli) par un
autre. Le flux des idées est vu comme une résistance à l'entropie, au silence, au vide.
4. L'héroïsme.
La production d'une action vertueuse, glorieuse, courageuse, "braver les dangers […] sacrifier
sa vie" nous imprime dans la mémoire collective. Nous sommes alors immortalisés dans le
souvenir des hommes.
5. La création esthétique.
Les œuvres des poètes Homère, Hésiode, et de tous les artistes sont "des rejetons immortels"
au sens où ils sont transmis à travers les siècles.
6. L'action politique.
"Le gouvernement des Etats et des familles" : ceux qui créent des lois justes, les grands
législateurs, restent eux aussi immortels à travers leurs œuvres. Importance de l’ordre en
Grèce. Importance de la politique pour Platon. La cité idéale doit s’occuper aussi et surtout du
salut des hommes, d’où l’importance de la morale. Vertu = bien, justice.
7. La philosophie
c'est à dire l'accès à la vérité et à la sagesse offre la véritable immortalité, celle de l'esprit. Voir
l'allégorie de la caverne.
Cette liste respecte une hiérarchie de valeurs : au plus bas degré, 1. le besoin animal, 2. puis
le désir humain, 3. l'imagination, 4. le courage et la vertu, 5.la création de la beauté sensible
Platon Le banquet.
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à travers l'art, 6. la justice, 7. la vérité.
III L'amour est la voie royale pour accéder à l'absolu :
La dialectique de l'amour.
Dans l'allégorie de la caverne, nous avions déjà vu qu'il existait un chemin pour accéder à la
vérité. Cette voie était difficile, douloureuse, il fallait "arracher" le prisonnier, le contraindre à
avancer sur un chemin escarpé. Diotime propose une voie beaucoup plus souple et agréable,
sans violence : se laisser porter vers l'absolu sur les ailes du désir.
En dynamisant verticalement le désir on arrive à l'absolu, au divin. Diotime propose une
méthode de "sublimation" du désir, dont voici les différents étapes :
1. Amour d'un beau corps. Le point de départ est la sensualité pure et simple. L'amour
du divin n'implique pas comme dans la religion chrétienne par exemple le refus de la
sexualité dans le choix de la chasteté. Non seulement l'amour physique nous fait sortir
de nous-même dans la fusion avec l'autre, mais il "produit de beaux discours", tout
amoureux sent le désir de faire sa cour !
2. Amour des beaux corps en général. Extension du désir. Se libérer de la possession
d'un seul. Seul le regard peut s'émerveiller de la beauté de plusieurs corps. Il s'agit là
de s'ouvrir à la beauté des formes en général. Le désir se traduit dans le regard de
l'esthète.
3. Amour d'une belle âme. Savoir distinguer même dans un corps peu attrayant le
caractère adamantin (= faite de diamant) d'une âme. Socrate se targuait d'être ce
personnage qui derrière une apparence laide cachait une âme splendide. Détacher un
amant de l'amour du corps de l'aimé pour le guider vers l'amour des qualités de son
l'âme, telle était précisément la conception de l'amour "platonique".
4. Amour de la science, des valeurs (du savoir, de la beauté, des qualités morales)
auxquelles se nourrit cette belle âme.
5. Amour de "l'océan de la beauté". Dernier stade de la dialectique de l'amour,
l'équivalent du stade de l'illumination de l'allégorie de la caverne, la fusion avec le vrai,
le beau, le bon, le divin.
L'initiation amoureuse consiste à ne pas se contenter de la consommation sensuelle des
beautés physiques fugaces et trompeuses, mais à les utiliser comme une rampe de lancement
pour verticaliser le désir. Le salut par l'amour se pose en termes de dépassement et non en
termes de renoncement. Par l'amour, l'homme se divinise.
Conclusion : l'initiation à l'amour suprême.
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Platon Le banquet.
Tout le texte « Celui qu’on aura guidé… devient immortel… aussi » est à mettre en parallèle
avec l’allégorie de la Caverne. Voir les analogies de structure : « on » l’initiateur-initié, les
différents degrés, « gradation régulière », l’illumination « soudain », la description du Beau
absolu, identique au Bien absolu = l’Un, le Divin. Il est éternel, immobile, absolu (= pas
relatif à). Il s’agit d’une fusion mystique, décrite sur le modèle d’une fusion physique ; l’esprit
est décrit comme un « organe approprié », il est question de « commerce », d’« enfantement »,
de jaillissement de pensées, et surtout de plaisir : ce qui donne à la vie son prix, son sens : « si
la vie vaut… la peine d’être vécue ». « Ce plaisir » dépasse tous les autres, au-delà du plaisir ;
la joie au-delà de la joie : l’extase est une expérience mystique.
On y gagne tout, puisqu’on atteint d’abord le plaisir des plaisirs, l’extase, et en plus
l’immortalité. Cette fusion avec l’absolu nous rend absolus, nous absorbe, nous sort du
monde de la mort, nous confère l'invulnérabilité. (Cf. Socrate qui n’a plus peur de la mort.)
Quelle a été la nature de son initiation ?
Tandis que l'allégorie de la Caverne décrit une initiation "masculine", elle demande un effort
de l'intellect, une ascèse, celle du Banquet est de nature "féminine" on se laisse porter.
Mais, et c’est encore une différence avec la Caverne, ici le Maître n’apparaît pas comme
nécessaire : "Voie de l’amour, qu’on s’y engage de soi-même, ou qu’on s’y laisse conduire"
indique que l'on peut se libérer seul :
l’amour en effet est à lui seul un puissant messager, un initiateur.
© D.Desbornes. 2010 Tous droits réservés.
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