Revue Commerce - Juin 2002 Bilan de 20 ans de mutation de l’économie canadienne MAURICE N. MARCHON Professeur à l'Institut d'économie appliquée École des Hautes Études Commerciales 22 avril 2002 Nous profitons du 20e anniversaire du numéro de la Revue Commerce consacré au classement des 500 plus grandes entreprises canadiennes pour jeter un coup d’œil sur l’évolution structurelle et la performance de l’économie canadienne de 1982 à 2001. On dressera un premier portrait global pour ensuite mettre en évidence les bons et les mauvais cotés de notre performance économique. Un premier survol Pour dresser un portrait rapide de la situation, vérifions le taux de croissance annuel moyen des principales variables économiques (tableau 1) exprimées en valeurs réelles au cours des 20 dernières années. Le verdict global nous donne un taux de croissance annuel moyen de 2,7 % du PIB réel. Cette moyenne des vingt dernières années masque toutefois l’accélération du taux de croissance du PIB réel des années 90 qui s’est élevé à 3,1 % comparativement à 2,3 % pour les années 80. La diminution du taux de croissance de la population a même permis une amélioration de 1 % du taux de croissance annuel moyen du PIB réel par habitant de 1992 à 2001. Lorsqu’on compare notre performance globale des vingt dernières années avec celle des États-Unis, on constate que le taux de croissance annuel moyen du PIB réel par habitant a été de 0,6 % supérieur à la nôtre. Avec l’amélioration de notre performance des 10 dernières années, l’écart s’est réduit à 0,3 % par année. Cela ne s’est pas réalisé sans sacrifice puisque, durant cette période, le dollar canadien s’est déprécié par rapport au dollar américain au taux annuel moyen de 3,3 %. Mesure globale de performance Canada PIB réel Population PIB réel par habitant Taux de change du dollar canadien États-Unis PIB réel Population PIB réel par habitant Tableau 1 20 ans Années 80 Années 90 1982-2001 1982-1991 1992-2001 (taux de croissance annuel moyen) 2.7 1.1 1.6 -1.4 2.3 1.2 1.1 0.5 3.1 1.0 2.1 -3.3 3.2 0.9 2.2 3.0 0.9 2.0 3.4 0.9 2.4 Sources : Statistique Canada, Bureau of Economic Analysis et Bureau of Labor Statistics Page - 2 - Les consommateurs canadiens résistent L’objectif final de toute activité économique étant l’amélioration du niveau de vie des consommateurs, vérifions le taux d’augmentation des dépenses réelles de consommation. On constate que les consommateurs canadiens ont essayé par tous les moyens de maintenir leur niveau de vie (tableau 2) puisque le taux de croissance des dépenses de consommation a dépassé celui du revenu personnel disponible de près de 1 %. Ils ont compensé la lenteur du taux de croissance du revenu personnel disponible réel en réduisant constamment leur taux d’épargne. Celui-ci est passé d’un sommet de 20,1 % du revenu personnel disponible à 3,5 % en 2001. Les consommateurs se sont permis de réduire leur taux d’épargne en partie grâce à l’augmentation de la richesse. La richesse des ménages est la valeur réelle nette des actifs financiers et des biens immobiliers (maisons). On parle de valeur nette parce qu’on tient compte des emprunts et de valeur réelle parce que les données sont corrigées pour tenir compte de l’inflation. À très long terme cependant, le taux de croissance des dépenses de consommation doit s’équilibrer avec celui du revenu personnel disponible. Au cours de 40 dernières années, le taux de croissance annuel moyen de ces deux variables exprimées en valeur nominales a précisément été de 8,2 %. Autrement dit, maintenant que le taux d’épargne ne peut plus descendre, il faut espérer que le baisse du fardeau fiscal aidera les consommateurs canadiens à tirer leur épingle du jeu. Tableau 2 20 ans Années 80 Années 90 Quelques variables concernant 1982-2001 1982-1991 1992-2001 les consommateurs canadiens (taux de croissance annuel moyen) Dépenses réelles de consommation 2.7 2.5 2.8 Revenu personnel disponible réel 1.8 1.7 1.8 Taux d’épargne (moyen) 10.9 14.6 7.1 Valeur réelle nette des ménages 3.0 2.7 3.3 Création d’emplois 1.5 1.3 1.6 Source : Statistique Canada Les Canadiens ont réduit leur taux d’épargne pour contrer l’alourdissement du fardeau fiscal global qui est passé de 40,2 % du PIB en 1982 à un sommet de 44,3 % en 2000. Il a toutefois légèrement diminué à 43,8 % du PIB en 2001 (graphique 1). Les consommateurs ont vraiment l’impression d’en recevoir moins pour leur argent puisque l’assainissement des finances publiques a doublement frappé les contribuables canadiens. D’une part, le fardeau fiscal a augmenté et les dépenses totales ont diminué en pourcentage du PIB pour arriver à dégager un surplus budgétaire. Par ailleurs, l’endettement des administrations publiques a augmenté le service de la dette tout en diminuant d’autant les dépenses de programme qui représentent les services fournis à la population. Le service de la dette est un boulet que l’on traîne malheureusement longtemps après Page - 3 - que les bénéfices de l’endettement sont oubliés. Le service de la dette des administrations publiques a commencé à diminuer à partir de 1999 avec l’arrivée des surplus budgétaires et la diminution des taux d’intérêt. Graphique 1 Fardeau fiscal, dépenses totales des administrations publiques et dépenses de programme en pourcentage du PIB 53 50 47 44 41 38 35 32 1982.1 1984.1 1986.1 1988.1 1990.1 1992.1 1994.1 1996.1 1998.1 2000.1 Fardeau fiscal Dépenses totales Dépenses de programme Arbitrage entre le taux de change et le plein emploi Depuis quelque temps, on parle beaucoup des avantages qu’apporterait un taux de change fixe avec les États-Unis qui sont les destinataire de 86 % de nos exportations de marchandises. Les vingt dernières années nous démontrent au contraire que le taux de change flexible a permis au Canada de faire face à une situation économique, qui serait probablement bien moins reluisante si notre dollar canadien était resté fixe à 83 cents américains tel qu’observé au début de 1982. Premièrement, la dépréciation du taux de change a compensé les gains de productivité plus faible du secteur manufacturier canadien comparativement à celui des États-Unis. Le rapport des indices de production par heure travaillée du Canada relativement à celui des États-Unis nous donne l’indice de productivité relative. Ce denier qui a été normalisé à 1,0 en 1982 est tombé à 0,8 en 2000. Cette perte de compétitivité a été entièrement compensée par la dépréciation du dollar canadien (graphique 2). Page - 4 - Indices normalisés à 1,0 en 1982 Graphique 2 Indice de productivité du secteur manufacturier canadien relativement à celui des États-Unis et indice de taux de change du dollar canadien (indices normalisés à 1,0 en 1982) 1.09 1.04 0.99 0.94 0.89 0.84 0.79 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 Productivité relative du secteur manufacturier 1996 1998 2000 Taux de change Deuxièmement, la dépréciation du dollar canadien et l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange en 1989 ont permis une amélioration considérable de nos exportations réelles nettes (graphique 3). Cela signifie que la croissance de nos exportations réelles de biens et de services plus rapide que celle de nos importations a permis aux entreprises canadiennes de conquérir de nouveaux marchés au moment même où l’assainissement des finances publiques exigeait un ralentissement important des dépenses gouvernementales réelles (tableau 3). Tableau 3 20 ans Années 80 Années 90 Autres composantes de la 1982-2001 1982-1991 1992-2001 demande finale (taux de croissance annuel moyen) Dépenses gouvernementales réelles 1.7 2.7 0.7 Invest. réel en machines et matériel 5.0 3.6 6.4 Exportations réelles de biens et de serv. 6.1 5.3 7.0 Importations réelles de biens et de serv. 5.5 6.0 5.0 Source : Statistique Canada Page - 5 - 1.60 55 50 1.55 45 1.50 40 1.45 35 30 1.40 25 1.35 20 1.30 15 10 1.25 5 1.20 0 1.15 -5 1.10 -10 1982:1 1984:3 1987:1 1989:3 1992:1 1994:3 1997:1 1999:3 2002:1 Taux de change (miliards de $CAN) Taux de change Graphique 3 Taux de change du dollar canadien et exportations réelles nettes de biens et de services Exportations réelles nettes La dépréciation du dollar canadien a permis au Canada de rétablir sa santé financière grâce à la contribution du secteur extérieur à la croissance économique. Les entreprises tournées vers les exportations ont ainsi créé des emplois. Depuis 1997, le taux d’emploi a récupéré le terrain perdu tant au Québec qu’au Canada (graphique 4). Le taux d’emploi est le pourcentage de la population de plus de 15 ans détenant un emploi. C’est une meilleure mesure que le taux de chômage qui est le pourcentage des personnes au chômage par rapport à la population active. Le taux de chômage est influencé par l’attitude des personnes face au marché de l’emploi alors que le taux d’emploi ne l’est pas. Une personne qui ne cherche plus ou pas activement un emploi ne fait plus partie de la population active et naturellement ne sera pas considérée comme chômeur. Il est bien certain qu’il serait préférable d’avoir un dollar fort et un taux d’emploi élevé, mais comme il faut choisir, nous estimons qu’un taux de change flexible nous a bien servi. Pour la première fois depuis 1989, l’écart du taux d’emploi entre le Canada et les États-Unis est tombé à 1,4 % en mars 2002. Pour le Québec l’amélioration est encore plus importante puisqu’il faut remonter à août 1981 pour trouver un écart inférieur à 3,7 % en mars 2002. Page - 6 - Graphique 4 Taux d’emploi du Canada, des États-Unis et du Québec 65 63 61 59 57 55 53 51 janv-82 juil-84 janv-87 juil-89 janv-92 Canada juil-94 janv-97 juil-99 janv-02 États-Unis Québec Finalement, il y a ceux qui prétendent que la dépréciation du dollar a été et demeure une excuse pour les entreprises à ne pas tout faire pour accroître leur productivité et maîtriser leurs coûts. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui puisque les gestionnaires savent tous que la concurrence internationale peut en tout temps venir leur couper l’herbe sous les pieds. L’épisode d’appréciation du dollar canadien entre 1986 et 1991 a aussi clairement démontré que beaucoup d’entreprises n’ont pas survécu. L’écart du taux d’emploi avec les États-Unis s’est creusé jusqu’en 1994 (graphique 4) et les exportations réelles nettes sont devenues négatives à partir du 3e trimestre de 1988. Il a fallu attendre jusqu’au dernier trimestre de 1992 pour que ces dernières redeviennent positives (graphique 3). Tout cela sans compter l’explosion des dépenses gouvernementales en pourcentage du PIB, comme vous pouvez le constater sur le graphique 1. Reconnaissons que les entreprises qui ont survécu ont naturellement été les plus efficaces et ont ainsi contribué à l’amélioration des gains de productivité. L’indice de productivité relative (graphique 2) s’est redressé de 1989 à 1993, mais au prix d’une baisse considérable du taux d’emploi. Il y a donc eu un arbitrage qui s’est effectué entre le taux de change et la création d’emplois. Nous estimons que le dollar est présentement un peu sous-évalué par rapport au dollar américain, mais il faut bien comprendre que l'adoption du dollar américain consisterait à choisir un taux de change fixe. Ce choix serait risqué et coûteux tant et aussi longtemps que les gains de productivité seront plus faibles et que le fardeau fiscal sera plus élevé que ceux des Américains. De toute façon, si Page - 7 - notre performance à long terme s’améliorait et que nous atteignions un taux d’emploi aussi élevé que les Américains tout en préservant la stabilité relative des prix, le marché nous récompenserait avec un dollar canadien plus fort. Page - 8 -