Impact du commerce international sur la croissance

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Revue Commerce - Novembre 2003
Impact du commerce international
sur la croissance économique
du Canada et du Québec
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
25 septembre 2003
2003 bien différent de 2002…
La création de 560 000 emplois au Canada au cours de l’année 2002, dont
166 000 au Québec, avait fait croire à la plupart des analystes et aux experts de la
Banque du Canada que la performance de 2002 se renouvellerait en 2003. Ils
avaient oublié de prendre en considération qu’une nouvelle contraction de la
production industrielle américaine avait commencé dès le mois d’août 2002. Il ne
faut donc pas ignorer l’impact de la conjoncture américaine sur la croissance de
nos exportations de marchandises lorsqu’on sait que la corrélation entre le taux de
croissance de la production industrielle américaine et celui des exportations
réelles de marchandises canadiennes s’élevait à 89 % de janvier 1998 à
décembre 2002 (graphique 1). Étant donné que 85 % de nos exportations de
marchandises sont destinées au marché américain et que ces dernières
représentent 36 % du PIB réel canadien, on comprend qu’il est difficile de
maintenir pendant longtemps la prospérité sans la contribution du secteur
extérieur. Par conséquent, près de 31 % du PIB réel est dicté par les Américains.
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13
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9
7
5
3
1
-1
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mars-98 nov-98 juil-99 mars-00 nov-00 juil-01 mars-02 nov-02 juil-03
Exportations réelles de biens
6
4
2
0
-2
Production industrielle
Exportations réelles
Graphique 1
Exportations réelles de marchandises et production
industrielle des États-Unis
(en taux annuels de variation)
-4
-6
Production industrielle américaine
…. et le choc de l’appréciation du dollar canadien en plus
En plus de la faiblesse de l’activité économique aux États-Unis, les
exportateurs canadiens, en dehors du secteur de l’énergie, ont également été
surpris par l’appréciation de 16 % du dollar canadien d’octobre 2002 à juin 2003.
Les deux chocs combinés ont eu des effets cumulatifs très sérieux sur la
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performance du secteur manufacturier canadien et sur nos exportations réelles
nettes de biens et de services. Ces dernières qui représentent l’écart entre nos
exportations et nos importations réelles de biens et de services ont retranché pas
moins de 23 milliards de dollars au PIB réel canadien du 3e trimestre de 2002 au
2e trimestre de 2003. Malgré cela, le PIB réel a tout de même augmenté de
10 milliards de dollars au cours de la même période en raison de la vigueur des
dépenses de consommation et des dépenses gouvernementales. On peut donc se
demander combien de temps, les consommateurs canadiens pourront tenir le fort
s’ils n’y pas de création d’emplois, car contrairement aux Américains, ils ne
peuvent pas compter sur des baisses d’impôts. De décembre 2002 à août 2003,
seulement 52 000 emplois ont été créés au Canada et 33 000 emplois ont été
perdus au Québec. Le secteur manufacturier est particulièrement touché parce que
nos entreprises prospèrent grâce aux exportations. La corrélation entre le taux de
croissance des exportations réelles de marchandises et l’emploi du secteur
manufacturier s’élevait à 73 % de janvier 1998 à juillet 2003 et pas moins de
85 000 emplois ont été perdu dans ce secteur d’août 2002 à août 2003
(graphique 2). Par ailleurs, les nouvelles mesures de notification aux douanes
américaines, qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 2003, entraîneront des
délais additionnels qui risquent fort d’entraîner des coûts et des frictions
supplémentaires aux frontières et réduire ainsi l’efficacité des systèmes de
production.
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janv-01
Exportations réelles de biens
janv-02
Emploi manufacturier
Exportations réelles
Graphique 2
Exportations réelles de marchandises et emploi
du secteur manufacturier – Canada
(en taux annuels de variation)
janv-03
Emploi manufacturier
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Ne pas être déjoué par la balance commerciale
Ceux qui s’attardent uniquement à l’évolution de la balance commerciale
n’ont jamais été inquiété parce qu’elle a été remarquablement stable à près de
58 milliards de dollars canadiens au cours des deux dernières années
(graphique 3). Cette anomalie s’explique par le fait que la balance commerciale
est exprimée en dollars courants. La détérioration du solde de notre commerce
extérieur (exportations moins les importations de marchandises) en volume a été
entièrement compensée par une amélioration de 10 % de nos termes de l’échange
au cours de la dernière année (graphique 3). Les termes de l’échange représentent
les prix à l’exportation par rapport aux prix à l’importation. L’augmentation
importante du prix des matières premières et de l’énergie a donc bonifié nos prix à
l’exportation et masqué la forte détérioration de notre commerce extérieur en
valeurs réelles ou en volume.
Graphique 3
L’amélioration des termes de l’échange a permis de stabiliser le surplus
de la balance commerciale du Canada depuis le début de 2002
95
1.10
1.08
75
1.06
65
1.04
55
45
1.02
35
1.00
25
0.98
15
0.96
5
janv-98
Termes de l'échange
Bal. com. (milliards de $)
85
0.94
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janv-00
janv-01
Balance commerciale
janv-02
janv-03
Termes de l’échange
Misons sur un taux de change inférieur à 75 cents américains et une
accélération de la croissance économique aux États-Unis
Nous prévoyons une accélération de la croissance économique américaine
et mondiale au cours des prochains trimestres grâce notamment à la forte
stimulation monétaire et fiscale des États-Unis. De plus, avec le communiqué de
la réunion de Dubaï en faveur d’une flexibilité accrue des taux de changes,
l’Administration américaine souhaite une dépréciation ordonnée du taux de
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change du dollar américain afin de stimuler ses exportations et ralentir
l’hémorragie des emplois de son secteur manufacturier. Ce dernier a perdu 1,1
million d’emplois au cours de la récession de 2001 et un autre 1,2 million de
novembre 2001 à août 2003. À défaut d’une réévaluation de la monnaie chinoise,
l’euro et le yen devraient s’apprécier les premiers et par ricochet le dollar
canadien pourrait encore s’apprécier quelque peu par rapport au dollar américain.
Une appréciation du dollar canadien au-dessus de 75 cents serait très néfaste pour
nos exportations puisqu’à 73 cents, les entreprises canadiennes ont déjà perdu tout
leur avantage concurrentiel en ce qui concerne le coût unitaire de main-d’œuvre
du secteur des entreprises exprimé en dollars américains (graphique 4) puisque ce
dernier est retourné au même niveau qu’en 1987. L’augmentation récente des
coûts relatifs s’explique naturellement par l’appréciation du dollar canadien, mais
également par des gains de productivité beaucoup plus faibles au Canada qu’aux
États-Unis. Du 4e trimestre de 2001 au 3e trimestre de 2003, soit les six premiers
trimestres de la reprise économique, les gains de productivité du secteur des
entreprises ont atteint 0,6 % au Canada comparativement à 6,8 % aux États-Unis.
Toute appréciation additionnelle du dollar canadien entraînerait une attrition du
pourcentage des emplois dans le secteur manufacturier au Canada et freinerait le
taux de croissance PIB réel.
Graphique 4
Une augmentation du coût unitaire relatif en $US entraîne inévitablement
des pertes d’emplois dans le secteur manufacturier
16.75
16.25
1.2
15.75
1.1
15.25
1.0
14.75
0.9
Pourcent. dee emplois
Coût unitaire relatif en $US
1.3
14.25
0.8
13.75
1987.1 1989.1 1991.1 1993.1 1995.1 1997.1 1999.1 2001.1 2003.1
Coût unitaire relatif en $US
% des emplois manufacturiers
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L’accélération prévue de la croissance économique ravivera nos
exportations mais la perte de notre avantage concurrentiel freinera
considérablement le rebondissement de nos exportations réelles en dehors du
secteur énergétique et de l’emploi manufacturier. Par ailleurs, les dépenses de
consommation et de construction résidentielle représentaient pas moins de
105,5 % du revenu personnel disponible au 1er semestre de 2003 comparativement
à une moyenne de 97,3 % au cours des années 90. Les consommateurs canadiens
s’endettent donc massivement pour soutenir leur niveau de vie. Le taux d’épargne
est même tombé à 2,3 % au 1er semestre de 2003 comparativement à une moyenne
de 6,5 % au cours des années 90. Il est peu probable que les consommateurs
puissent soutenir leur rythme de dépenses sans une meilleure performance du
marché de l’emploi et des taux d’intérêt stables ou à la baisse. Nous ne prévoyons
aucune augmentation des taux d’intérêt à court terme avant 2005 tant aux ÉtatsUnis qu’au Canada. Par ailleurs, même si le dollar canadien ne crevait pas le
plafond de 75 cents, la Banque du Canada ne devrait pas hésiter à réduire l’écart
des taux d’intérêt à court terme par rapport aux États-Unis, qui s’élevait à 1,75 %
en septembre 2003, afin d’affaiblir le dollar canadien et stimuler la demande
intérieure.
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