Maurice N. Marchon
Professeur titulaire
HEC Montréal
Lorsque les pays émergents auront émergé, qu’arrivera-t-il
aux pays développés ?
C’est la question que la rédactrice en chef de Commerce se posait dans le
numéro de septembre 2007, en faisant rapport sur le réveil industriel de l’Inde.
C’est une question qui mérite notre attention parce que l’intégration des BRIC
(Brésil, Russie, Inde et Chine) à l’économie mondiale est un phénomène unique
dans l’histoire de l’humanité. C’est la première fois qu’un pourcentage aussi
important de la population mondiale (42 %) participe à l’explosion de la création
de richesse par le truchement de leur intégration à l’économie de marché.
Notre objectif est d’expliquer le plus simplement possible les principales
implications du phénomène, mais la réponse courte à la question posée est que
dans une trentaine d’années, nous serons tous plus riches grâce à la participation
d’une plus grande partie de la population mondiale à la création de richesse. La
condition nécessaire à l’amélioration du niveau de vie à l’ensemble des pays exige
que les règles du jeu du commerce mondial soient respectées et qu’une part de
plus en plus importante de la production mondiale participe aux échanges
internationaux afin de pouvoir capter les bénéfices d’une division internationale
du travail de plus en plus poussée. Nous sommes déjà bien engagés sur cette voie
puisqu’en 2007, 31 % du PIB mondial fait l’objet d’échanges internationaux
(graphique 1).
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Graphique 1
En 2007, les échanges internationaux représentent
plus de 31 % du PIB mondial
Source: World Economic Outlook Database, Avril 2007.
Les étapes du développement économique
En 2006, le PIB par habitant s’élevait à 820 $US en Inde, 2 050 $US en
Chine, 38 000 $US au Canada et 44 000 $US aux États-Unis. Au début, les pays
émergents exportent des biens à faible valeur ajoutée et requérant beaucoup de
main-d’œuvre à bon marché (textiles, etc.). Lorsque leur niveau de
développement s’accroît, la gamme de produits s’élargit et grimpe dans la chaîne
de la valeur ajoutée des produits exportés. À ce titre, la Chine saute les étapes du
développement économique parce que les nouvelles usines construites, souvent
conjointement avec les multinationales de ce monde, sont capables d’intégrer les
dernières technologies grâce aux transferts technologiques. Au 1er semestre de
2007, 42,9 % des exportations de biens étaient classés dans la catégorie de la
machinerie, appareils électriques et électroniques. Par ailleurs, la Chine est
également un client de plus en plus intéressant pour les pays industrialisés
puisqu’elle importe de la machinerie et des appareils nécessaires à l’expansion de
ses usines (39,6 % de ses importations de biens).
N’oublions pas également que la Chine laisse aussi sa marque en
important beaucoup de ressources naturelles. La demande massive de ressources
naturelles pour satisfaire les besoins de ses usines et ses investissements massifs
en infrastructure font que le taux de annuel de variation de l’indice CRB
(Commodity Research Bureau) du prix des matières premières industrielles est
beaucoup mieux corrélé avec celui de la production industrielle chinoise qu’avec
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Pourcentage du PIB mondial
Commerce mondial de biens et de services en % du PIB mondial
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celui de la production industrielle des pays du G7. Le graphique 1 illustrant la
relation de janvier 1996 à septembre 2007 affichait un coefficient de corrélation
de 0,87.
Graphique 2
Le prix des matières premières industrielles est mieux corrélé avec la
production industrielle de la Chine (0,87) qu’avec celle des pays du G7 (0,27)
(moyenne mobile de trois et six mois des taux annuels de variation)
Source : Commodity Research Bureau and China Information Network.
L’intégration des grands pays émergents à l’économie mondiale accélère
aussi les changements en ce qui concerne la division internationale du travail. Par
exemple, le Canada a été l’un des grands bénéficiaires de la réévaluation du prix
des matières premières qui s’est traduit entre autres par une appréciation marquée
du taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain. La
concurrence des produits manufacturiers des pays émergents a entraîné la
fermeture de plusieurs entreprises manufacturières et des pertes d’emplois dans ce
secteur (171 000 de janvier 2002 à août 2007). Par contre, l’augmentation du prix
réel des ressources naturelles a ouvert la voie à de nouvelles entreprises de
ressources naturelles (+ 59 000 emplois) et d’entreprises de services (+ 1 561 000
emplois) à prendre la relève. L’intégration des pays émergents à l’économie
mondiale accére en quelque sorte la restructuration permanente de l’économie
mondiale. C’est grâce aux découvertes technologiques, à l’innovation et à
l’entrepreneurship que les emplois perdus dans certains secteurs d’activité des
pays développés seront remplacés par d’autres. Encore à titre d’exemple, malgré
le choc subi par le secteur manufacturier canadien, globalement 1,8 million de
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Production industrielle
Indice CRB au comptant des matières premières industrielles Production industrielle de la Chine
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Canadiens de plus détenaient un emploi en août 2007 comparativement à janvier
2002 et le taux de chômage n’a jamais été aussi bas depuis 30 ans.
Tout le monde en parle
Les pessimistes mettent en relief le déficit commercial des États-Unis avec
la Chine. En effet, en contrepartie de ses surplus commerciaux, la Chine accumule
des réserves de change internationales qui s’élevaient à 1 330 milliards de dollars
américains en juillet 2007. À court terme, cela ne pose pas de problème parce que
la Chine place une grande partie de ses réserves de change en obligations du
gouvernement américain, prêtant ainsi aux Américains l’argent nécessaire au
financement de son surplus commercial avec eux. En préservant la sous-
évaluation du yuan par rapport au dollar américain, la Chine gagne du temps en
créant suffisamment d’emplois dans les entreprises exportatrices pour absorber
l’excédent de main-d’œuvre et éviter l’agitation sociale.
Il faut toutefois réaliser qu’à long terme, il est dans l’intérêt même de la
Chine de laisser sa monnaie s’apprécier par rapport au dollar américain. En
maintenant une monnaie sous-évaluée, la Chine paie trop cher ses importations et
reçoit moins de pouvoir d’achat de ses exportations. L’appréciation de la monnaie
d’un pays accroît le pouvoir d’achat international des consommateurs. La finalité
de toute activité économique étant d’augmenter le bien-être des consommateurs, il
est bien clair qu’un taux de change fort est dans leur intérêt. L’idéal est un taux de
change assez fort pour maintenir un pouvoir d’achat international élevé mais
idéalement garder un rythme d’appréciation modéré pour permettre aux
entreprises exportatrices de demeurer compétitives sur les marchés
internationaux. L’appréciation du yuan par rapport au dollar américain n’est donc
qu’une question de temps.
La compétition mondiale rendra tout le monde plus riche
La mondialisation des marchés augmente la compétition et force tout le
monde à devenir plus efficace, plus innovateur, c’est ce qu’on observe tout au
long de l’histoire économique des pays industrialisés. Même si certains pays
peuvent devenir plus efficaces dans la production de certains biens et services,
aucun pays ne possède assez de connaissances et de ressources en capital et en
force de travail pour bénéficier d’un avantage comparatif dans tous les domaines à
la fois. Par ailleurs, la population plus jeune des pays émergents et le transfert des
emplois intensifs en main-d’œuvre vers ces pays viendront en quelque sorte
adoucir les pénuries potentielles de main-d’œuvre des pays industrialisés touchés
de plein fouet par le retrait des baby-boomers de la population active. C’est
pourquoi, nous estimons que la poursuite des réformes visant à consolider les
acquis et à faciliter le développement du commerce mondial est crucial pour que
tous les pays tirent le maximum de bienfaits de la mondialisation.
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En se basant sur les hypothèses tout à fait réalistes, une étude de Goldman
Sachs estime qu’en 2035, le PIB de la Chine exprimé en dollars américains serait
supérieur à celui des États-Unis et que celui des BRIC serait supérieur à celui des
pays du G7. Mais attention, à cause des différences de population et du niveau de
développement de chaque pays, le PIB réel par habitant des pays riches sera
encore bien supérieur à celui des BRIC. La même étude estime que le PIB par
habitant de la Chine s’élèverait à 23 000 $US en 2035 comparativement à
2 050 $US en 2006. Celui des États-Unis passerait de 44 300 $US à 69 000 $US,
soit encore trois fois plus élevé que celui de la Chine. Celui du Canada passerait
de 38 000 $US à 57 700 $US. Celui de l’Inde passerait de 820 $US à 6 500 $US.
On peut donc prévoir que les riches seront encore plus riches mais l’écart
diminuera : si aujourd’hui le PIB par habitant des États-Unis est plus de 21 fois
supérieur à celui de la Chine, il ne serait que trois fois supérieur en 2035.
Comparativement à celui de l’Inde, le PIB par habitant des États-Unis passerait de
54 fois supérieur, à un peu plus de 10 fois supérieur. En un mot, tout le monde
sera gagnant mais pour que ces prévisions deviennent réalité, il reste beaucoup de
défis à surmonter, notamment éviter une montée du protectionnisme, développer
le système bancaire des pays émergents et bien sûr laisser fluctuer les taux de
change.
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