L`économie nord-américaine coincée entre l`arbre et

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Revue Commerce - Août 2003
L’économie nord-américaine
coincée entre l’arbre
et l’écorce
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
2 juillet 2003
L’accélération de la croissance économique prévue pour le 2e semestre de
2003 repose davantage sur l’espoir que sur des signes concrets de rebondissement
de l’activité économique. Examinons d’abord les facteurs qui font croire aux
optimistes qu’une accélération du taux d’expansion du PIB réel américain à 4 %
au deuxième semestre comparativement à 1,4 % au 1er semestre de 2003 est
possible. Nous justifierons par la suite nos prévisions d’une amélioration
beaucoup moins rapide de l’économie américaine. Selon notre évaluation de la
conjoncture économique mondiale, la reprise américaine sera freinée par
d’importants contre-courants. Malgré les nombreux risques de déception qui la
guette, les États-Unis seront toutefois en tête du peloton de la reprise économique
mondiale parce que les autorités gouvernementales de la zone euro et du Japon
piétinent encore et sont incapables d’entreprendre les réformes nécessaires à une
reprise économique durable.
Les optimistes auront-ils raison ?
Ceux qui prévoient une reprise vigoureuse de la demande finale aux ÉtatsUnis tablent sur la nouvelle stimulation fiscale qui entrera en vigueur au cours des
12 prochains mois pour une somme équivalente à près de 1,2 % du PIB. Ils misent
également sur l’impact de la nouvelle baisse de près de 50 points de base des taux
d’intérêt à court et à long terme survenue au cours des six premiers mois de 2003.
Cette diminution des taux d’intérêt facilitera ainsi le financement des entreprises
et soutiendra une nouvelle vague de refinancement des hypothèques. La hausse du
prix des maisons et la baisse des coûts de financement dégageront ainsi un
pouvoir d’achat que les propriétaires de maisons utiliseront pour soutenir leurs
dépenses de consommation. Les conditions financières se sont également
améliorées grâce à la reprise de la bourse au 2e trimestre de 2003. Celle-ci a connu
son meilleur trimestre depuis le 4e trimestre de 2001. Cependant, bien que les
différents indices de confiance s’améliorent par rapport au creux atteint en mars
2003, la valeur de 83,5 atteinte en juin 2003 par l’indice de confiance des
consommateurs américains selon le Conference Board demeurait inférieure à son
niveau moyen de 89,6 observé depuis janvier 2002. Quant à la reprise de
l’investissement des entreprises, les espoirs dépassent largement la réalité parce
que même si les profits des sociétés avant impôts augmentaient au taux annuel de
14 % au 1er trimestre de 2003, en mai 2003, le taux d’utilisation de la capacité
s’établissait à 74,3 comparativement à un taux moyen de 81 au cours des
20 dernières années. Les entreprises n’ont pas accumulé des stocks involontaires,
ce qui devrait entraîner une augmentation de la production au premier signe
d’accélération de la demande finale. Finalement, la dépréciation du dollar
américain par rapport aux principales devises devrait soutenir les exportations
réelles nettes, mais là encore la reprise relativement plus rapide aux États-Unis et
la stagnation de la zone euro et du Japon ne feront rien à court terme pour
améliorer la contribution du secteur extérieur à la croissance du PIB réel
américain.
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Ne pas conduire en regardant dans le rétroviseur
Même si nous espérons pour le bien-être de tous que l’économie mondiale
connaisse un rebondissement significatif au cours des prochains trimestres, il n’en
demeure pas moins que la baisse des taux d’intérêt observée depuis le début de
l’année ne compense plus la diminution du taux d’inflation excluant les
composantes les plus volatiles que sont la nourriture et l’énergie. Au début de ce
cycle économique postérieur à l’implosion de la bulle spéculative et après trois
ans de croissance du PIB réel des États-Unis inférieure à son potentiel, on assiste
à un phénomène inverse à celui des années 70. Au cours de cette décennie, les
banques centrales augmentaient le taux d’intérêt nominal à court terme, mais elles
étaient toujours en retard par rapport à l’accélération du taux d’inflation.
Autrement dit, le taux d’intérêt réel, qui est le taux d’intérêt nominal corrigé pour
tenir compte du taux d’inflation, diminuait au lieu d’augmenter et les agents
économiques se précipitaient pour acheter avant que les prix futurs ne soient plus
élevés. La demande finale s’accélérait, le taux de croissance du PIB réel excédait
le taux de croissance du PIB potentiel et la spirale inflationniste était lancée. En
2003, le phénomène inverse se produit. Depuis le début de l’année 2003, le taux
d’intérêt réel à court terme a augmenté malgré la diminution de 25 points de base
du taux d’intérêt des fonds fédéraux à 1 % pour la simple et bonne raison que le
taux d’inflation diminue plus rapidement que le taux d’intérêt. De plus, si
l’économie américaine croissait toujours à un taux inférieur à son taux de
croissance potentiel au cours des prochains trimestres, les pressions
déflationnistes ne feraient que s’accumuler. La situation risque ainsi de devenir
particulièrement dangereuse. Comme il ne reste plus que 100 points de base à
Réserve fédérale américaine, on pourrait facilement se trouver dans la situation du
Japon où la Banque centrale ne peut plus diminuer son taux directeur et où le
faible taux d’inflation, qui se transformerait en déflation, entraînerait une
augmentation du taux d’intérêt réel à court terme. C’est donc regrettable que la
Réserve fédérale n’ait pas saisi la décision du 25 juin 2002 pour accélérer le
rythme de diminution du taux d’intérêt des fonds fédéraux.
Il faudra donc surveiller de près la création d’emplois au cours des
prochains mois, puisque la marge de manœuvre des consommateurs américains
s’avère de plus en plus restreinte. Leur dernière bouée de sauvetage réside dans
les baisses d’impôts mais, sans création d’emplois, les sources de croissance de la
demande finale seront rapidement épuisées. N’oublions pas qu’en mai 2003, le
taux d’épargne des Américains s’élevait à 3,5 % comparativement à un taux
moyen de 7,8 % au cours des dix ans qui ont précédé la bulle spéculative (de
janvier 1995 à décembre 1994). Le service de la dette totale des consommateurs
en pourcentage du revenu personnel disponible s’élevait à 14 % comparativement
à une moyenne de 13,2 % de 1980 à nos jours, malgré des taux d’intérêt très bas.
Il faudra donc, que tôt ou tard, l’écart entre le taux de croissance des dépenses de
consommation et la création d’emplois diminue (graphique 1). Il faut donc
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espérer que la création d’emplois vienne à la rescousse des consommateurs sinon
les risques de déflation s’accentueront considérablement.
Graphique 1
Dépenses réelles de consommation et emplois – États-Unis
(en taux annuels de variation)
6
3.5
3.0
5
2.5
2.0
1.5
3
1.0
2
0.5
0.0
1
-0.5
0
-1.0
-1
janv-90
-1.5
janv-92
janv-94
janv-96
janv-98
Dépenses réelles de consommation
janv-00
janv-02
Emploi
Le Canada sera-t-il pris au piège ?
Au printemps 2003, le discours de la Banque du Canada était toujours
ciblé sur la maîtrise du taux d’inflation et une prévision optimiste à propos de
l’accélération de la croissance économique au 2e semestre de 2003 et en 2004.
Cela se produisait en même temps que plusieurs données économiques signalaient
une décélération de l’économie. Le taux de croissance annuel du PIB réel, aux
prix de base, est passé de 4,4 % en septembre 2002 à 2 % en avril 2003. Par
ailleurs, les augmentations du taux d’intérêt directeur décrétées par la Banque du
Canada ajoutée à l’appréciation rapide du dollar canadien ont entraîné un
resserrement assez considérable des conditions monétaires. Nous sommes
d’ailleurs surpris que la Banque du Canada ait renoncé à accorder de l’importance
à cet indice bien qu’il soit un indicateur avancé d’un an du taux annuel
d’expansion du PIB réel (graphique 2). Cet indicateur annonce un ralentissement
prononcé de l’économie canadienne. Et lorsqu’on met en doute la vigueur de la
reprise économique américaine, il ne reste qu’un pas à faire pour prévoir un
revirement de tendance en ce qui concerne le taux d’intérêt directeur. La Banque
du Canada n’aura donc pas d’autre choix que de suivre la Réserve fédérale
américaine.
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Emploi
Consommation
4
Graphique 2
L’indice des conditions monétaires est un indicateur avancé
d’un an du PIB réel aux prix de base
(en taux annuels de variation)
5
6
4
5
3
4
2
1
3
0
2
-1
-2
1
-3
0
-4
-5
janv-94
PIB réel
Variations des cond. monétaires
6
-1
juil-95
janv-97
juil-98
janv-00
juil-01
Variation de l'indice des conditions monétaires
janv-03
PIB réel
L’appréciation rapide du dollar canadien freinera la contribution des
exportations réelles nettes au cours des prochains trimestres comme le démontre
clairement la relation entre ces dernières et le taux de change du dollar canadien
(graphique 3). Lorsque le dollar canadien s’apprécie les entreprises exportatrices
sont moins compétitives sur le marché américain et nos importations sont
stimulées par la baisse du prix relatif des biens et services importés. Ces
observations sont confirmées par le graphique 4 qui démontre à quel point la
compétitivité des entreprises canadiennes dépend d’un taux de change faible.
Nous avons normalisé le taux de change du dollar canadien, le coût unitaire de
main-d’œuvre du secteur des entreprises du Canada et des États-Unis en monnaie
nationale et en dollars américains. La dépréciation du dollar canadien au cours des
années 90 a grandement contribué à l’amélioration de la compétitivité des
entreprises canadiennes mesurée en termes de coût unitaire relatif exprimé en
dollar américain. Sans la dépréciation du dollar canadien, on notera que nos coûts
unitaires de main-d’œuvre ont tendance à augmenter plus rapidement qu’aux
États-Unis au cours des deux dernières années. Si, maintenant, on prend en
considération l’appréciation récente du dollar canadien, on voit très bien que nous
avons perdu notre avantage concurrentiel. C’est pourquoi, nous prévoyons que la
Banque du Canada devra relâcher sa gestion monétaire à moins que le taux de
croissance du PIB réel américain s’accélère à un taux de 4 % au 2e semestre de
2003 comme le prévoit les optimistes.
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Graphique 3
Les exportations réelles nettes du Canada qui ont grandement
bénéficié de la déprécation du dollar canadien seront pénalisées
par son appréciation
1.60
60
1.55
50
1.45
40
1.40
30
1.35
1.30
20
1.25
(miliards de $CA)
Taux de change
1.50
10
1.20
0
1.15
1.10
1982:1 1984:3 1987:1 1989:3 1992:1 1994:3 1997:1 1999:3 2002:1
Taux de change
-10
Exportations réelles nettes de biens et de services
Graphique 4
La compétitivité des entreprises canadiennes sera grandement
éprouvée par l’appréciation du dollar canadien
25
Déviation en pourcentage
20
15
10
5
0
-5
-10
-15
-20
1987.1 1989.1 1991.1 1993.1 1995.1 1997.1 1999.1
Coût unitaire en monnaie nationale
Taux de change du $CA
Coût unitaire en $US
2001.1
2003.1
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