Journée Développement durable - Horizon La Grand

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Rencontre du développement durable
28 mars 2010
Réflexions sur la notion de responsabilité
Introduction
En préparant cette journée, cette première rencontre du développement durable,
nous en sommes venus à nous mettre d’accord sur deux points qui nous on semblé
particulièrement importants :
1) l’idée que le développement durable n’est pas une question simple, que l’on
pourrait réduire par exemple à la seule question du respect de
l’environnement — toutes les dimensions de la vie humaine se trouvent
impliquées et concernées : le rapport à la nature, la technique, la science, la
morale, la politique, l’économie, la société, l’éducation, le droit… C’est une
question transversale, qui invite à multiplier les angles d’attaque ;
2) n’étant pas une question simple, le développement durable n’est donc pas une
question à laquelle on peut répondre simplement : c’est un problème, au sens
précis du terme, problème qu’il s’agit d’abord de formuler, de construire, de
poser. Si l’on veut poser ce problème, il faut non seulement diversifier les
approches et les perspectives, mais aussi se garder, se méfier des opinions
tranchées, des réponses péremptoires, des discours édifiants et moralisateurs.
Notre objectif n’est donc pas de faire la leçon, ou d’apporter des réponses, mais de
poser des questions, ou de proposer des pistes, des outils, des éléments de réflexion
pour provoquer et nourrir le débat.
J’ai donc choisi aujourd’hui un thème de réflexion parmi d’autres, un thème pouvant
servir de piste ou peut-être même de point de départ pour une discussion sur le
développement durable : ce thème, c’est la notion de responsabilité — notion que
l’on associe souvent à celle de développement durable, et notion sur laquelle il peut
être intéressant de s’interroger.
L’hypothèse que je voudrais proposer ici (mais ce n’est, encore une fois, qu’un
élément de réflexion), c’est que poser la question du développemetn durable oblige à
repenser complètement notre conception de la responsabilité.
1) Le devoir et la contrainte
Un point de départ intéressant et tout simple pour définir la responsabilité est de
s’interroger sur la notion de devoir, par exemple en distinguant le devoir et la
contrainte. Distinction traditionnelle en philosophie : la contrainte s’oppose à la
liberté, alors que le devoir suppose la liberté.
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Deux exemples :
-
la contrainte de respirer : je suis soumis à cette contrainte, au sens où je ne
peux pas faire autrement que de respirer — être contraint de faire quelque
chose, c’est être dans l’impossiblité de ne pas pouvoir le faire (il m’est
impossible de ne pas faire ce que je suis contraint de faire) ;
-
le devoir de ne pas mentir : c’est parce que je peux mentir que c’est un devoir
pour moi de ne pas mentir ; s’il m’était impossible de mentir, je ne pourrais
pas dire qu’il est de mon devoir de ne pas mentir.
Le devoir suppose en fait deux choses :
-
la liberté (liberté de faire ou de ne pas faire son devoir) ;
-
la tentation : un saint ou un ange n’a pas de devoir, car il n’est pas tenté de
faire autre chose que son devoir, il fait spontanément ce que l’homme fait par
devoir. Le devoir suppose donc que l’on ait à résister à un désir (c’est parce
que je peux être tenté de mentir que c’est un devoir pour moi de ne pas
mentir).
Mais dire que le devoir suppose la liberté, c’est dire aussi qu’il suppose le pouvoir :
le devoir suppose le pouvoir, et la tentation de faire un mauvais usage de ce
pouvoir. Or, ce devoir qui suppose le pouvoir, c’est précisément ce qu’on appelle
responsabilité. On est responsable lorsqu’on a le pouvoir de faire quelque chose, et
la tentation de faire un mauvais usage de ce pouvoir — et plus on a de pouvoir, plus
on est reponsable.
Un cas intéressant (qu’analyse François Dagognet) : les techniques médicales, qui
nous donnent un pouvoir que nous n’avions pas auparavant. Par ex. l’échographie
et la technique du diagnostic prénatal, qui permet de dépister la trisomie 21, du
moins d’évaluer le risque d’avoir un enfant trisomique. Associée aux lois
réglementant l’IVG, cette technique permet donc de garder ou de ne pas garder un
enfant trisomique. Analyse de Dagognet : la techique nous permet ici de choisir là où
auparavant nous n’avions pas le choix, de prendre une décision là où il n’y avait rien
à décider. Elle accroît donc notre liberté et notre pouvoir.
Mais en accroissant notre liberté et notre pouvoir, la technique augmente notre
responsabilité — c’est pourquoi certains préfèrent ne pas savoir et rejettent cette
technique : ils préfèrent ne pas savoir pour ne pas avoir à décider, donc pour ne pas
être responsable de ce qui leur arrivera. Si je décide de garder un enfant trisomique
en connaissance de cause, je deviens en un sens responsable de mon destin. Ce n’est
plus exactement une fatalité, comme si je n’avais rien su ou rien pu faire avant que
l’enfant naisse.
Si on en revient à notre point de départ, la distinction du devoir et de la contrainte,
on passe bien d’une situation de contrainte (je suis soumis à une fatalité que je ne
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peux que subir) à une situation de devoir (je dois assumer les conséquences de ma
décision).
1) Hans Jonas et l’éthique de responsabilité
Le philosophe à avoir le plus profondément refléchi à ce problème du rapport entre
la technique, le pouvoir et la responsabilité est un philosophe allemand (né en 1903
et mort en 1993) —Le Principe Responsabilité, publié en 1979. Et l’on en vient ici plus
précisément à la question de l’écologie et du développement durable.
a) Une situation inédite
Le point de départ de Hans Jonas est un constat : grâce au progrès technique, les
hommes ont désormais le pouvoir de mettre en danger l’avenir même de l’humanité
— l’avenir même de l’humanité, c’est-à-dire aussi l’avenir même du monde, de la
terre et de la vie sur la terre. Idée que la promesse de la technique s’est « inversée en
menace ». Hans Jonas parle d’une « lueur d’orage ».
En d’autres termes : ce qui est donné et qu’on avait l’habitude de considérer comme
allant de soi, ce à quoi on ne réfléchissait jamais avant d’agir (le fait qu’il y ait des
hommes, qu’il y ait de la vie, qu’il y ait un monde), est brusquement menacé et remis
en cause — ce qui était présupposé par la morale devient l’objet de la morale, ce que
l’on ne prenait jamais en considération devient le cœur de nos préoccupations, et
ainsi l’objet de notre responsabilité.
b) Qu’est-ce qu’être responsable ?
Pour répondre à cette situation inédite, Hans Jonas s’interroge sur la notion de
responsabilité. Pour répondre à la question « qu’est-ce qu’être responsable ? », Jonas
se demande d’abord ce que signifie « être irresponsable ».
Distinction entre irresponsabilité et étourderie ou inconscience : le joueur qui se
ruine en jouant à la roulette, le conducteur qui roule après avoir trop bu, sont
simplement inconscients, au sens où ils se mettent dans une situtation critique. Mais
si le joueur qui se ruine est aussi père de famille, il n’est pas seulement inconscient, il
est irresponsable ; de même le conducteur ivre, s’il a des passagers.
Il n’y a d’irrresponsabilité, donc de responsabilité, que lorsqu’on est avec d’autres,
que lorsqu’on est en rapport avec d’autres — et ce rapport peut être défini comme un
rapport de pouvoir : c’est le pouvoir que j’ai sur d’autres personnes qui me rend
responsable (ex. le conducteur avec ses passagers, le capitaine du navire ou encore le
père de famille qui joue tout son argent).
Mais la responsabilité du conducteur et celle du père de famille sont différentes —
distinction entre responsabilité particulière et responsabilité totale :
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-
la responsabilité particulière est celle du capitaine ou du conducteur,
responsable de ce qui arrive aux passagers pendant le voyage, mais ni de ce
qui leur est arrivé avant, ni de ce qui leur arrivera après ;
-
la responsabilité totale est celle des parents ou de l’homme politique, elle
consiste aussi à être responsable de l’avenir, c’est une « responsabilité pour ce
qui viendra ».
Archétype de la responsabilité totale : la responsabilité parentale. Belles pages de
Jonas consacrées à la respiration du nouveau-né : le bébé ne peut pas survivre seul,
il a besoin qu’on s’occupe, qu’on se charge de lui. La respiration du nouveau-né
nous signifie que nous avons des devoirs envers lui, que nous sommes responsables
de lui. Sorte d’appel muet de la vie : pour que le nouveau-né puisse vivre, il faut
que l’on s’occupe de lui. C’est donc bien ici le pouvoir qui rend responsable : c’est
parce que j’ai le pouvoir de lui permettre de continuer à vivre, c’est parce qu’en un
sens le nouveau-né est à ma merci que je suis responsable de lui, et que je suis
responsable de ce qui va lui arriver.
Formule de Jonas pour traduire le principe de cette responsabilité : « Tu peux, donc
tu dois » (inversion de la formule de Kant).
c) Une nouvelle éthique
Cette analyse du concept de responsabilité, lorsqu’on l’applique à la situation inédite
dans laquelle nous nous trouvons, permet de forger une nouvelle morale, une
nouvelle éthique que Jonas appelle éthique de la responsabilité.
Passage plus précisément d’une éthique de la simultanéité (je suis responsable de ce
qui s’est produit ou de ce qui se produit devant mes contemporains) à une éthique
de l’avenir (je suis responsable de ce qui va se produire devant les générations
futures). Idée d’une responsabilité totale, qui s’étend à l’avenir de l’humanité.
On peut ajouter que cette éthique de la responsabilité est une éthique à la fois de la
peur et de l’espérance — l’espérance sans peur conduit à l’utopie, qui est selon Jonas
foncièrement irresponsable ; la peur sans l’espérance paralyse et empêche d’agir
(panique). Il faut que la peur et l’espérance se combinent et s’articulent l’une avec
l’autre. Notion de souci : être responsable, c’est accepter de se faire du souci (n’est-ce
pas le propre des parents, que de se soucier de l’avenir de leurs enfants).
Pour en terminer et pour en revenir au thème de notre journée, nous sentir
responsable, « éco-responsable » comme on le dit parfois, cela pourrait être avoir le
souci du développement durable, c’est-à-dire le souci de la terre et du monde, de la
nature parce que nous avons le souci de la vie, et le souci de la vie parce que nous
avons le souci de l’humanité et de la vie humaine.
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