KARI TAPIOLA: IDENTITÉ EUROPÉENNE ET MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN
Globalement, c'est ce qui a contribué à créer le modèle de l'État-providence en Europe occidentale. Il
y avait aussi un modèle d'État-providence en Europe de l'Est. Il n'était pas basé sur le partage des
fruits de la croissance mais sur le partage de la pénurie. Cependant, il assurait aux citoyens une
sécurité suffisante pour qu'ils éprouvent encore à ce jour une certaine nostalgie.
Alors que nous étions en train d'évoluer si solidement vers le modèle social européen, une question
intéressante se pose: pourquoi n'avons-nous pas vécu heureux ensuite? Et pourquoi sommes-nous
actuellement sur la défensive? Ou alors, pourquoi n'avons-nous pas adopté une attitude offensive à
l'époque? Et si, au fond, nous n'avions pas réalisé que nous avions une attitude offensive, que nous
étions alors en train d'avancer?
Le monde a changé. Il n'empruntait pas, après tout, la voie d'une progression régulière vers une
classe moyenne universelle.
L'une des illusions consistait à croire que l'on pouvait appliquer le modèle tel quel aux anciennes
colonies qui sont devenues "le monde en développement". Cela a pu être le cas, dans une certaine
mesure, pour le secteur formel, mais pas pour l'économie dans son ensemble, à défaut d'autres
impulsions notables en faveur de la croissance (elles ont été rares et peu importantes).
Il s'agit d'un aspect qui a, sans doute, affecté davantage l'OIT que l'Europe. Il nous a fallu du temps
pour commencer à nous attaquer à l'économie informelle ou aux grandes zones de pauvreté ainsi
qu'aux inégalités criardes en termes de croissance et de revenus. Or, notre programme de coopération
technique le plus important, le programme international pour l'élimination du travail des enfants,
qui se fonde sur un cadre normatif, reste fermement ancré dans l'économie informelle.
Le modèle social européen ne faisait pas partie intégrante du développement des Communautés
européennes avant la mise en place du marché intérieur et un important processus d'élargissement.
Il semblerait que le destin des modèles sociaux et des réformes soit de toujours être développés sous
la pression politique ou économique plutôt que de faire partie intégrante d'une politique cohérente.
Dans le cas de l'Europe, il était nécessaire de gagner l'acceptation publique du marché intérieur et
l'acceptation de l'élargissement. Peut-être qu'en temps voulu davantage de bien-être social
contribuera également à l'adoption d'une Constitution.
Ce n'est pas du tout une nouveauté que d'utiliser des mesures "sociales" à des fins économiques et
d'efficacité. Après tout, l'une des motivations de l'adoption d'une législation précoce et plus stricte en
matière de travail des enfants en Prusse dans les années 1830 était le souhait de l'armée d'avoir des
recrues en bonne santé.
Les attaques à l'encontre du modèle social européen ne sont pas nouvelles non plus. À la fin des
années 1970 et au début des années 1980, elles ont fait surface lors du débat sur la flexibilité du
marché du travail. "Flexibilité" est une belle expression qui a été récupérée dans le cadre de l'OCDE
par une frange de plus en plus conservatrice ou néo-libérale. Ceux qui ont vécu les batailles autour de
la flexibilité au sein de l'OCDE se souviennent peut-être des deux termes alternatifs proposés en
1980 pour le débat en question: "malléabilité" et "souplesse".