Page 3 sur 20 - Philippe Caubère 68 selon Ferdinand – Pièce -
68 selon Ferdinand
Octobre
Vous vous souvenez peut-être qu’à la fin du Théâtre selon Ferdinand, notre héros parvenait in
extremis à obtenir d’un examinateur compréhensif et désespéré, son bac. Au début de ce nouvel épisode,
Claudine revient sur la scène, non plus pour l’occuper avec sa propre histoire, mais pour assister, à la
demande de son “p’tit garçon”, à la suite de la prestation. Elle commence à faire, — au public et à madame
Colomer, des commentaires sur ce bac 68 obtenu avec tout juste onze de moyenne, “alors qu’il aurait p’têt’
pu profiter d’ la situation pour obtenir une p’tit’ mention”. Cela donne à Ferdinand l’idée de lui demander de
devenir présentatrice de son spectacle. Elle le fait aussitôt, non sans ironie, ni plaisir évident. Tapant sur un
tambour imaginaire et ridicule elle annonce au public ébahi que son p’tit garçon va leur interpréter son
premier cours de théâtre, “Mon Dieu, quel évènement!”
Octobre 1968, Ferdinand débarque au “Cours Molière” et rencontre dans le hall obscur une
extraordinaire créature pleine de charme et d’érotisme: Marlène. Reine des lieux, elle lui annonce que le
cours ne s’appelle plus dorénavant “cours Molière” mais “Studio 35” en fonction du numéro de la rue, mais
surtout des récents évènements politiques. Et nous voila partis dans une évocation burlesque du théâtre de
ces années-là : Living Theatre, Grotowsky, Barba, etc. Après une audition très chaude où, tel un Artaud de
pacotille, il hurle jusqu’à en perdre la voix et la raison les mots du poète beatnik Bob Kaufmann, il est admis.
Dès le lendemain, après une furieuse séance d’expression corporelle au cours de laquelle Ferdinand se
déchaîne, envoûté par la passion qu’il éprouve pour cette forme de théâtre nouvelle et inattendue et par
l’effet qu’exerce sur lui la mystèrieuse Marlène, voici qu’une autre femme fait son apparition: Micheline.
C’est la prof’ de théâtre classique. Pas si classique que ça, d’ailleurs. Stanislavsky, Apollinaire et même
l’expression corporelle, — vue sous un autre angle, il est vrai, — sont au rendez-vous. Pas de doute: entre les
deux écoles, — et surtout les deux femmes —, c’est la guerre ; incarnée par l’importance que Marlène donne
immédiatement à Ferdinand pour l’opposer à Bruno, champion de Micheline, qu’elle humilie sans pitié. On
assiste aussitôt après sous les yeux éblouis quoique effrayés de Ferdinand à la vengeance de Micheline: le
triomphe du grand Bruno dans le rôle d’Iliouchine…
Avignon
Nous sommes toujours à Aix-en-Provence, au Centre Dramatique, cette fois (je précise que cet
épisode est totalement imaginaire : une fois n’est pas coutume…). Roger, le directeur, a été violemment
remis en cause par son équipe. Tel Jean-Luc Godard à Grenoble, pour ceux qui s’en souviennent, il doit
expier son passé de directeur bourgeois et réactionnaire ayant livré Molière et Shakespeare à la classe
ouvrière. Le plus féroce de ses inquisiteurs est Gérard, dit “Gégé”. Acteur récemment révolutionnaire, il
profite de la situation pour essayer de jouer le premier rôle d’une création collective qui doit évoquer les
évènements ayant agité Avignon l’été précédent. Malheureusement, il ne parvient pas à taper sur sa grosse
caisse en mesure tout en disant son texte. De toute façon, le masque à gaz dont il s’affuble l’empêche de
parler de façon audible. Le voila donc à son tour violemment contesté. Henri, lui, n’a qu’une idée: la haine
féroce qu’il porte à Béjart pour avoir empêché son groupe de jeunes danseurs, le groupe Électron, de
s’exprimer dans un petit coin du Palais des Papes pendant une représentation de La Messe pour un temps
présent. Patrick, le drogué, dort dans son coin sans presque jamais s’éveiller. On le respecte beaucoup car il
a “une forme de rigueur dans sa dope” et surtout parcequ’il est beau, mou et désenchanté. Tout le monde en
est fou : c’est l’égérie. La tête pensante, c’est Michel, le cadre politique ; le commissaire du peuple. Très dur,
casquette vissée sur la tête, lunettes cerclées de fer sur le nez, il ramène tout à la Révolution russe. Lénine,
Trostky, Kommisserskaïa et Lounatcharsky sont ses mots de passe et ses chevaux de bataille.