INTRODUCTION : L’ETHNICITÉ REVISITÉE PAR LA GLOBALISATION
La globalisation est un processus multi-forme de compression de l’espace et du temps, correspondant
à l’intensification des relations sociales planétaires entre des lieux distants ; elle tend ainsi à remettre
en cause les classifications, sociales et scientifiques, ordinaires en obligeant à passer d’un « espace
Euclidien à deux dimensions, avec ses centres, ses périphéries et ses frontières à un espace global
multidimensionnel avec des sous-espaces sans frontière, généralement discontinus et s’interpénétrant »
[Kearney, 1995, p. 549]. La globalisation a fait l’objet de nombreuses analyses : certaines insistent sur
les phénomènes de trans-nationalisation, dans une logique de dépassement des Etats-nations, de
pratiques simultanées situées à plusieurs échelles et d’ancrage ici et là-bas des migrants, des ONG, des
entreprises [Portes, Guarnizo, Landolt, 1999]. D’autres s’intéressent avant tout aux processus de multi-
localisation, qui mettent l’accent sur les logiques de déterritorialisation-reterritorialisation, les formes
d’appartenances territoriales simultanées et, plus largement, interrogent la nature même du « local »
[Appadurai, 2001]. La diaspora a été revisitée [Gilroy, 1993 ; Chivallon, 2004], donnant naissance à
une opposition entre une version classique, autour des notions de territoire et de communauté, et une
approche qualifiée de post-moderne, insistant sur son hybridité et son caractère a-centré. Les
dimensions économiques et culturelles de la globalisation ont particulièrement retenu l’attention des
chercheurs, notamment l’expansion du capitalisme à travers les flux transnationaux de capital et de
main d’œuvre et la reconfiguration du marché global [Harvey, 1989] et la diffusion et consommation
sans frontière de biens et de symboles à travers les médias [Castells, 2000].
Ce numéro proposait, dans son appel à contributions, de s’interroger sur la relation entre globalisation
et ethnicité, en analysant l’apparente contradiction entre les deux termes. En effet, si l’ethnicité est
habituellement perçue dans une logique de localisation, au point que Peter Wade la définisse par son
association à un lieu donnant forme à la différence culturelle [Wade, 1997, p.18], elle semble
désormais se déterritorialiser et s’inscrire dans un espace transnational. Parallèlement, sa description
en termes d’expression communautaire, d’authenticité originaire, de continuité culturelle, laisse place
à une analyse dans laquelle dominent les notions de construction identitaire, de multiplicité des
appartenances, d’indétermination des attributs. Aussi bien, le processus de globalisation, loin de
signifier l’uniformisation, s’accompagne de reformulations des identités locales [Appadurai, 2001 ;
Herzfeld, 2000], ainsi que de la réinterprétation locale de signifiants culturels mondialisées [Warnier,
1999]. L’ethnicité est alors censée incarner une identité locale alors qu’elle est elle-même, bien
souvent, le résultat de différents « branchements » culturels transnationaux [Amselle, 2001]. Les
circulations planétaires mettent en cause les constructions identitaires se produisant dans l’opposition
entre soi et l’Autre, entre l’intérieur et l’extérieur
. Aussi est-il légitime de penser que « les flux qui
caractérisent l’ère de la globalisation, de même que le changement d’échelle, ont comme effet de
démultiplier les possibilités de réappropriation de signes associés à la modernité occidentale dans des
stratégies identitaires où ils vont fonctionner en liaison avec un répertoire mettant en œuvre une tout
autre historicité » [Abélès, 2001, p. 14].
Loin d’être dissoute dans la globalisation, l’ethnicité y puise de nouvelles ressources et de nouvelles
formes d’expression qu’il s’agit d’étudier dans toute leur diversité, spatiale, historique, politique,
économique, culturelle. C’est pourquoi ce numéro d’Autrepart a souhaité mettre en avant la richesse
des travaux ethnographiques dont la diversité des descriptions localisées alimente la réflexion
théorique. Sans doute ces phénomènes que l’on qualifie de globalisation, mondialisation,
transnationalisation ne datent-ils pas d’aujourd’hui. Ils s’ancrent dans une longue histoire de conquêtes
et d’occidentalisation, de métissages et de dominations. Wallerstein [2002] le rappelle : « la
mondialisation n’est pas nouvelle » et le bruit autour de la notion tient autant aux changements de la
réalité observée qu’aux enjeux médiatiques et politiques pour en faire un phénomène irréversible et
omniprésent. De fait, la recherche sur la globalisation nous apprend autant sur ses objets que sur les
principes théoriques et méthodologiques qui l’orientent.
Voir par exemple la pétition des « Indigènes de la République », lancée en janvier 2005, et se réclamant des
catégories de l’exclusion (esclaves, déportés, colonisés, immigrés) pour mieux les retourner contre le
colonialisme et le post-colonialisme, introduisant l’ethnique là où il n’avait jusqu’alors pas sa place
(www.http://indigenes37.org/).