![](//s1.studylibfr.com/store/data-gzf/262e0680304ddbd9ded52dc1a4f1f0b1/1/001736120.htmlex.zip/bg3.jpg)
Page 3 sur 5- Philippe Caubère - Achives - débat au Verger Urbain V- Avignon 1993
La spectatrice : C’est l’insistance qui est, enfin, qui est lourde parce que comme le trait
est très épais, trop épais, à un moment donné on se dit : bon, ou bien il nous prend pour
des andouilles ou bien, euh, il a complètement oublié qui il était. Encore une fois, je
crois que vous êtes un grand acteur mais que, en faisant votre profit de cette forme mal
achevée, enfin très lourde quoi, très apesantie, vous vous dégradez en tant qu’acteur… et
sûrement en tant que personne aussi.
Philippe : D’accord, bon… je vous remercie d’avoir réussi à formuler tout ça. Pour
répondre, c’est difficile… Alors, sur les règles… “ Pipi-caca ” je vous demandais ça
parce que c’est vrai que Le Roman d’un acteur, c’est quand même le roman de la vie.
Quand on fait le roman de la vie, y a tout : y a la sueur, les larmes, le sang, le sperme, la
merde, tout… Sinon, faut pas le faire, c’est pas la peine. Si on raconte une histoire
d’amour, pour moi, il faut qu’il y ait tout : y faut qu’y ait l’amour, y faut qu’y ait le sexe,
la jalousie, le plaisir. Et l’absence de plaisir quand il n’y a plus de plaisir. Il faut qu’y ait
tout, sinon ça m’intéresse pas. Je veux tout voir, moi. Alors, l’insistance, comment vous
dire ? C’est vrai que j’aime quand les bleus sont bleus, les jaunes sont jaunes, les rouges
sont rouges. Dans la peinture comme dans les éclairages. J’aime quand c’est blanc,
rouge, bleu… j’aime… j’aime Picasso, si vous voulez… Je pense que le théâtre
aujourd’hui meurt ; qu’il est exsangue ; que l’esthétique théâtrale, l’art théâtral actuel
sont exsangues : y a plus de sang, y a plus de muscle, plus de sperme, plus rien, c’est…
exsangue. Donc moi je ressens, peut-être à l’excès, mais on réagit toujours par excès, un
besoin de muscle, de sang, de violence, mais pas la violence déguisée, esthétisée, la
vraie violence. C’est pour cela que j’aime la corrida, je trouve que c’est encore un des
seuls théâtres où l’on voit encore la vraie violence et la vraie beauté en même temps.
Pour moi la beauté est violente. Je suis resté un adepte des surréalistes, si vous voulez, et
de la révolution. Rien ne me navre plus aujourd’hui que lorsqu’on raconte aux jeunes
que la révolution c’est juste des goulags affreux avec de méchants communistes le
couteau entre les dents… C’est bien tout ça, ok, mais moi je voudrais qu’on leur raconte
aussi ce que furent les vingt premières années de la révolution russe parce que ça a
changé ma vie quand on m’a raconté ça. Donc, moi, le jour où j’ai décidé que j’allais
raconter le Théâtre du Soleil, j’aurais eu honte si j’étais passé à côté de la violence.
J’aurais eu honte de parler d’Ariane sans parler de sa violence ; comme j’aurais eu honte
de parler d’Ariane si je n’avais parlé que de sa méchanceté, sans parler de sa tendresse.
De ne montrer qu’une femme araignée, de ne pas montrer la femme-enfant, l’adorable
petite fille. Mais j’aurais eu honte de ne pas montrer le monstre. Parce que c’est ça, un
créateur. Pas Ariane elle-même, mais la création en général. Créer c’est monstrueux. Or,
aujourd’hui la mode, héritée de… dévaluée de 68, c’est de dire : “ un artiste c’est
comme tout le monde ”. C’est pas vrai, un artiste, c’est pas comme tout le monde. C’est
monstrueux de créer, parce qu’y faut… comment dire ? C’est comme pour la sculpture,
y faut cogner sur une matière qui résiste, qui est dure, il faut cogner fort pour qu’il y ait
des formes qui sortent, pour que… pour qu’il y ait une structure qui sorte. Y faut taper
pendant douze heures par jour, pendant six mois… et peut-être qu’au bout de six mois,