Confédération Paysanne De l’Ariège GUIDE DE L’ASSOCIATION EN AGRICULTURE Réalisé par Suzy Guillouet Etudiante en DESS « Aménagement et Développement Transfrontaliers de la Montagne » SOMMAIRE 1. Les différentes formes sociétaires.....................................................................................p.4 1.1 Les sociétés foncières...........................................................................................p.4 1.2 Les sociétés d’exploitation...................................................................................p.5 1.3 Les sociétés commerciales...................................................................................p.7 2- Vivre l’association : un recueil d’expérience..................................................................p.9 2.1 La rencontre.........................................................................................................p.9 2.2 Les motivations.....................................................................................................p.9 2.3 Un projet commun.............................................................................................p.10 2.4 L’organisation de la société...............................................................................p.10 2.5 Les relations entre associés................................................................................p.12 2.6 Vie privée, vie professionnelle...........................................................................p.13 2.7 Avantages et inconvénients de l’association....................................................p.14 3 Bien préparer un projet d’association.........................................................................p.15 3.1 Description de la méthode.................................................................................p.15 3.2 La communication : un enjeu majeur de l’association...................................p.16 3.2.1 Le bureau..........................................................................................p.17 3.2.2 Les réunions périodiques.................................................................p.17 3.2.3 Les comptes-rendus de réunions.....................................................p.18 2 Cette tentative de guide de l’association agricole est le fruit de nombreuses rencontres d’experts et de personnes ayant vécu l’expérience du travail en société agricole. J’ai eu aussi recours à de nombreuses références bibliographiques telles que des articles parus dans les revus Agriculture de Groupe ou Travaux et Innovations. Je mets à la disposition du lecteur une liste des contacts et des références bibliographiques qui m’ont été utiles à la fin de ce guide. La première partie de ce guide aborde rapidement les différentes formes sociétaires qui existent en agriculture afin de donner quelques repères juridiques au lecteur. En effet, de nombreuses formes juridiques sociétaires existent en agriculture tant au niveau de la gestion en commun du foncier, que de la production ou de la commercialisation. Je passerai en revue cet éventail sociétaire existant qui permet de monter un projet collectif, tout en mettant l’accent sur le GAEC et l’EARL qui favorisent un véritable travail en commun. En effet, après plusieurs rencontres avec des agriculteurs associés, il m’a semblé que les sociétés instituées de type GAEC ou EARL étaient les plus répandues et les plus appréciées par ces derniers. Paradoxalement, elles sont aussi les plus complexes à mettre en place car elles touchent au fonctionnement quotidien d’une exploitation dans ses moindres détails. Cette complexité rend difficile la mise en place et la bonne marche de ce genre d’associations. Il m’a donc semblé intéressant d’orienter mon travail vers la confection d’un « guide » de l’association de type GAEC. Dans un deuxième temps, je suis donc partie à la recherche d’enseignements et de conseils que pouvaient me procurer des personnes vivant ou ayant vécu l’association en GAEC. Ce recueil d’expérience permettra à de futurs associés de se rendre compte des avantages, mais aussi des inconvénients de la vie sociétaire. Dans une troisième partie, pour palier au manque de méthode ressenti par les candidats à l’association, j’ai souhaité élaborer une méthode d’aide à la décision qui permet de clarifier les projets d’association. En effet, il apparaît primordial de bien définir les attentes et les motivations de chacun des futurs associés avant d’engager quelconque processus. Ensuite, pour compléter cette méthode, je m’attarde sur un des éléments centraux de la vie sociétaire qui est la communication. Je donne au lecteur quelques indications sur les règles à respecter pour faciliter les échanges entre associés. 3 1. Les différentes formes sociétaires Tout d’abord, il est important de différencier, juridiquement, les termes association et société. Une association poursuit un but non lucratif. On lui apporte sa cotisation, sa conviction, de l’aide bénévole mais son objectif premier n’est pas pécuniaire. Au contraire, une société est une réunion de personnes qui souhaitent réaliser des bénéfices, un profit, un avantage économique. Elle est définie comme telle, une réunion entre des personnes qui vont devenir des alliés, des compagnons en vue de réaliser un but commun1. Chaque personne apporte des biens, des instruments de travail, de l’argent ainsi que ses compétences intellectuelles et physiques. En terme juridique, il existe deux formes de sociétés, celles qui sont à responsabilité limitée et les autres. Pour les premières, seuls les apports constitutifs de la société répondent des dettes. En effet, une société constitue ce que l’on appelle juridiquement une personne morale qui détient un patrimoine propre composé de ce que ses membres lui ont apporté et de ce qu’elle acquiert ensuite. Dans le cas des sociétés à responsabilité limitée, le capital de la société est bien distinct de celui de ses membres sociétaires. En cas de faillite, les biens personnels des associés tels que la maison, la voiture, le compte personnel ne pourraient être utilisés pour rembourser les dettes. Au contraire, dans le cas de sociétés qui ne sont pas à responsabilité limitée, les sociétaires peuvent être poursuivis sur leurs biens propres. Depuis la loi d’orientation du 5 août 1960, les sociétés peuvent avoir une vocation agricole, c’est-à-dire que « des propriétaires et exploitants peuvent librement faire apports de leurs droits soit en pleine propriété, soit en jouissance seulement, à des sociétés civiles d’exploitations agricoles ou à des groupements de propriétaires ou d’exploitants. »2 Il existe deux types de sociétés agricoles, celles qui gèrent du foncier en commun et celles qui gèrent l’exploitation. Viennent s’ajouter des sociétés à vocation commerciale qui ne sont donc pas agricoles mais qui peuvent être utilisées pour faciliter la commercialisation de produits agricoles. Je développerai ces trois types de sociétés en insistant sur les sociétés d’exploitation qui sont au cœur de cette étude. Les sociétés foncières Le Groupement Agricole Foncier (GAF, 8 août 1962) Son objectif est de « rassembler des immeubles agricoles situés dans une même commune ou dans des communes voisines afin de sortir de l’indivision ou de créer ou de conserver une ou plusieurs exploitations agricoles ou d’en assurer ou d’en faciliter la gestion »3. En effet, sa principale vocation est d’éviter le morcellement d’une exploitation dans le cas d’un héritage. Elle permet aussi des remembrements volontaires dans le cadre d’une commune ou de communes voisines. La durée du contrat est de 9 ans. Les apports de chaque sociétaire se font en immeubles agricoles, en droits immobiliers agricoles ou en numéraire. 1 LACHAUD Jacques, MARTEAU Lionel, Les Sociétés en agriculture, p. 7 ibid., p. 18 3 ibid. p.21 2 4 Le Groupement Foncier Agricole (GFA, 31 décembre 1970) Son but principal est de mettre en commun du foncier au sein d’une société civile afin d’exploiter ce foncier ou de le mettre en bail. Les GFA familiaux sont les plus courants car cette forme juridique permet de transmettre le patrimoine plus facilement en transformant l’indivision successorale en société familiale. En effet, le GAF n’avait pas atteint cet objectif car rien n’obligeait le bénéficiaire de l’attribution à conserver la propriété et d’en maintenir la destination agricole. Il existe aussi des GFA créés pour rassembler de petites exploitations afin de mettre en commun des terres avec d’autres propriétaires. Les associés peuvent être toutes personnes physiques sans limitation d’âge. Le Groupement Forestier (GF) Son objet est la constitution, l’amélioration, l’équipement, la conservation ou la gestion d’un ou plusieurs massifs forestiers. La transformation de produits forestiers ne peut pas constituer un objectif de ce type de société. Le Groupement Foncier Rural (GFR, 1er février 1995) Comme nous l’avons vu précédemment, le GFA vise à mettre en commun des biens à destination agricole et le GF à mettre en commun des biens à destination forestière. Or, il existe des exploitations agricoles réunissant à la fois des biens agricoles et forestiers. Le Groupement Foncier Rural permet cette mixité sans devoir créer deux entités distinctes pour chaque type de biens. Son objectif est donc de rassembler et gérer des immeubles à usage agricole et forestier. Les sociétés d’exploitation Les Sociétés Civiles d’Exploitation Agricole (SCEA, 22 décembre 1979) Ces sociétés sont aussi appelées des SCV (Société Civile Viticole), SCA (Société Civile Agricole), SCAF ( Société Civile Agricole Familiale)… Elles constituent la forme sociétaire agricole la plus souple car aucune réglementation juridique particulière ne lui est propre. C’est la réglementation des sociétés civiles qui s’applique. Généralement, la SCEA est choisie par les associés lorsque les conditions nécessaires pour la formation d’autres types de sociétés, ne sont pas réunies. Ainsi, peuvent faire l’objet d’une SCEA, toutes exploitations agricoles ainsi que toutes activités se situant dans le prolongement de l’acte de production (transformation et commercialisation), mais aussi les activités de tourisme ayant pour support l’exploitation. Les associés doivent être deux au minimum. Ils peuvent être des personnes physiques ou morales, mineures ou majeures, exploitants agricoles ou non et l’association entre deux époux est possible. On peut ainsi constater que les conditions nécessaires à la création de cette forme sociétaire sont très peu restrictives. 5 Les Exploitations Agricoles à Responsabilité Limitée (EARL, 11 juillet 1985) Le principal objet de ce type de société est d’assurer la séparation des patrimoines privés et professionnels en apportant une protection financière pour les biens privés. Cette forme juridique permet aussi aux conjoints exploitants d’acquérir un statut social. Comme pour la SCEA, toutes activités agricoles ainsi que les activités de tourisme liées à l’exploitation peuvent faire l’objet d’une EARL. Par contre, les activités commerciales sont exclues. En effet, l’EARL vise le développement de l’activité agricole dans des conditions comparables à celles existant au sein des exploitations de caractère familial. Juridiquement, le caractère familial d’une exploitation est défini par le respect du nombre maximum d’associés et de la surface maximale pouvant être exploitée (10 fois la Surface Minimum d’Installation). Les associés peuvent être de une à dix personnes physiques majeures, exploitantes ou non. Le principal avantage est qu’un agriculteur seul peut constituer une EARL. Il peut ainsi protéger son capital privé. Le capital social minimum pour la constitution d’une EARL est de 7 600€. Le Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC, 8 août 1962) Cette forme sociétaire est la plus répandue. Elle a été crée en 1962. Depuis cette date, le nombre de GAEC n’a cessé d’augmenter. Cependant, on peut remarquer que le démarrage des GAEC a été assez lent4, passant de 1000 structures en 1968 à 6000 en 1976. Par contre, en 2002, leur nombre a atteint 41500 sociétés regroupant 95000 exploitants. Si l’on élargit ce nombre à l’ensemble des sociétés civiles agricoles, il regroupe 210000 exploitants. La composition des GAEC a aussi quelque peu évolué depuis ses débuts. Principalement familiaux, ils se constituent aujourd’hui, de plus en plus entre tiers (hors cadre familial). En 1992, les GAEC entre tiers représentaient 9,9% des GAEC constitués, passant en 2001 à 16,4%. Il semble aussi que la structure GAEC soit un outil privilégié pour favoriser l’installation. Ainsi, les installations en GAEC constituent 37% des installations totales en 2000. Il est incontestable que cette forme sociétaire revêt de nombreux avantages pour des personnes souhaitant s’installer même si elle n’est pas la plus aisée à mettre en place. L’objectif d’un GAEC est « la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations à caractère familial »5 (respect du nombre d’associés et des surfaces utilisées). La notion de travail partagé est ici primordiale. Ainsi, il y a obligation des associés de participer aux travaux de l’exploitation. Les activités pouvant faire l’objet d’un GAEC sont les mêmes que celles pouvant constituer une EARL. Il existe deux types de GAEC : les GAEC dits total ou partiel. Le GAEC total regroupe la totalité des exploitations des associés et leurs productions alors que le GAEC partiel ne regroupe qu’une partie des exploitations et certaines productions. Il est important de noter que, contrairement aux autres formes sociétaires, la qualité de GAEC est accordée par un Comité Départemental d’Agrément en fonction de divers critères comme le caractère d’exploitation familiale, la qualité du travail en commun et de la gestion collégiale. Pour former un GAEC, le capital social doit être supérieur à 1 500€. Il correspond à la contrepartie des apports des associés. 4 5 Chiffres tirés de la revue Agriculture de Groupe LACHAUD Jacques, MARTEAU Lionel, Les Sociétés en agriculture, p. 186 6 L’originalité du GAEC est que chaque associé est considéré comme chef d’exploitation et en détient les avantages liés à ce statut social. Il n’existe donc aucun lien de subordination entre les associés, c’est l’égalité entre les membres qui prévaut. Les décisions sont prises de manière collégiale, c’est-à-dire que chaque associé participe et donne son avis pour toutes décisions liées à la vie du GAEC. Le nombre de voix par associé peut être réparti selon le travail effectué ou encore le capital apporté mais, généralement, un associé égal une voix. Les associés peuvent être de 2 à 10 personnes physiques majeures ayant la qualité d’exploitant. Il n’est pas possible d’incorporer une personne morale au sein d’un GAEC. Par ailleurs, deux époux seuls (ou personnes vivant maritalement) ne peuvent constituer un GAEC, quel que soit leur régime matrimonial. On peut souligner le cas particulier de l’apporteur en industrie. Un associé est appelé apporteur en industrie lorsqu’il apporte sa compétence, ses activités intellectuelles ou toute autre caractéristique liée à sa personnalité. Par contre, il n’apporte aucun capital, il n’a donc pas le statut de chef d’exploitation, et ne peut prétendre à l’attribution de parts sociales. Par contre, il a le droit de participer au fonctionnement du GAEC et aux bénéfices (les statuts doivent en prévoir les règles) et il a obligation de participer aux pertes. Son statut est assimilé à celui d’un salarié agricole. En ce qui concerne la rémunération des associés, elle ne peut être inférieure au SMIC et supérieure à 6 fois le SMIC. Précisons qu’il est impossible d’exclure un associé de la répartition des résultats tant au niveau des bénéfices que des déficits. Cette répartition des bénéfices ou des déficits est prévue dans les statuts du GAEC. Il est important de souligner qu’en cas de départ d’un associé, que ce soit par exclusion ou par commun accord, les autres associés lui doivent le remboursement de ses droits sociaux sous la forme d’une acquisition de ses parts sociales ou d’une reprise de ses apports par annulation de ses titres. En résumé, le GAEC permet un véritable partage du travail et des responsabilités. Il permet l’élaboration d’un véritable projet commun. Par ailleurs, cette forme sociétaire comprend des avantages législatifs et réglementaires non négligeables comme le régime fiscal particulier au GAEC. Mais, surtout, il est évident que la répartition des tâches sur l’exploitation permet d’améliorer les conditions de travail de chacun. Le GAEC possède, aussi, l’énorme avantage de laisser, à chaque associé, la possibilité de reprendre ses apports en cas de retrait et de garder son statut d’exploitant agricole. Le GAEC semble alors très attractif pour des personnes souhaitant s’associer pour créer un projet commun. Cependant, il ne faut pas oublier que la constitution d’un GAEC suppose la mise au point de règles de fonctionnement précises relatives aux aspects les plus intimes de la vie quotidienne. Ce cadrage de départ peut paraître compliqué et lourd à mettre en place pour certains exploitants. Les sociétés commerciales Ce ne sont pas des sociétés agricoles à part entière, mais elles peuvent être utilisées pour la commercialisation des produits agricoles. J’expliciterai les deux sociétés commerciales les plus courantes en agriculture : le GIE et la SARL. 7 Le Groupement d’Intérêt Economique (GIE, 23 septembre 1967) Ce groupement vise à « faciliter ou développer l’activité de ses membres en vue d’améliorer ou d’accroître les résultats de cette activité. »6 L’activité du GIE doit se situer dans le prolongement de l’activité économique de ses membres. La commercialisation de produits agricoles rentre donc, dans les activités légitimes d’un GIE. Elle constitue, en effet, la suite logique d’une production agricole. Il en résulte aussi, que tous ses membres doivent être des producteurs agricoles. Il existe deux types de GIE : le GIE mandataire et le GIE non-mandataire. En ce qui concerne le GIE mandataire, il agit pour le compte de ses membres. Il ne se substitue pas à eux, mais agit grâce à un mandat délivré par chaque exploitant pour que le GIE vende, à sa place, sa production. Quant au GIE non-mandataire, il agit pour son propre compte. Il achète aux producteurs leurs produits pour les revendre en son nom. On peut noter que le GIE, mandataire ou non, est plus une société de mise en commun de moyens ou de collaboration, qu’une véritable société avec un objet économique à part entière. Un GIE peut être constitué avec ou sans capital social. S’il existe, il est composé par des cotisations, des droits d’entrée, la facturation de services (ou de commissions sur vente) ou d’apports en capital direct. Les membres d’un GIE doivent être minimums deux. Les personnes assurant la gestion du GIE sont les administrateurs. Pour faciliter le fonctionnement interne du GIE, il est préférable d’indiquer dans le règlement intérieur quelle sera la participation de chaque membre à l’activité de vente et de livraison des produits agricoles. Par ailleurs, il est nécessaire de préciser que la responsabilité financière des membres est très importante car, en cas de difficulté financière du GIE, la protection des membres est quasi inexistante. En effet, les membres sont tenus des dettes sur leurs patrimoines propres. Il est donc, préférable de limiter les investissements le plus possible. En résumé, le GIE permet une certaine souplesse de fonctionnement. Il est bien adapté à la commercialisation de productions d’un petit nombre d’agriculteurs ne nécessitant pas d’investissements importants. Toutefois, il faut être vigilant vis à vis de la responsabilité financière très lourde de ses membres. La Société à Responsabilité Limitée (SARL, 24 juillet 1966) Il s’agit d’une forme sociétaire où les associés ne supportent les pertes qu’à hauteur de leurs apports. Elle est la forme sociétaire la plus répandue pour la commercialisation de produits agricoles. Elle est, généralement, utilisée afin de dissocier l’activité de production de l’activité de commercialisation sur une même exploitation. Notons qu’il est possible pour un agriculteur seul, de monter une entreprise commerciale, elle sera alors nommée une EURL (Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée). Dans une SARL, les associés doivent être au minimum deux et ne peuvent excéder cinquante. Ce sont des personnes physiques ou morales, majeures ou mineures. Le capital social est d’au moins 7 600€ divisé en parts sociales d’au moins 15€. Les apports de capitaux peuvent être faits en nature ou en numéraire. Un ou des gérant(s) choisi(s) parmi les associés ou non, assure la gestion courante de la société. Il est important de noter qu’il engage sa responsabilité à tous les niveaux, aussi bien civile que pénale. 6 ibid., p. 221 8 La SARL paraît la mieux adaptée à l’entreprise familiale. Elle permet de séparer une activité commerciale qui, devenant de plus en plus importante, pourrait empiéter sur l’activité de production. Le capital minimum de départ est peu élevé. La responsabilité financière des associés est limitée à leurs apports et il leur est possible de se retirer facilement de la SARL en cédant leurs parts sociales. Cet inventaire rapide des outils juridiques permettant de travailler à plusieurs, donne un aperçu des formes que peut prendre une association agricole. Ces différentes sociétés ont des caractéristiques répondant aux besoins de chacun : gestion foncière, d’exploitation ou commerciale. 2- Vivre l’association : un recueil d’expérience Afin de mieux cerner tous les aspects de la vie et du travail en société agricole, je suis partie à la rencontre d’associés de GAEC et de personnes ayant tentées l’association à un moment de leur vie. J’ai pu ainsi constater que la plupart des personnes interrogées ont des parcours personnels divers et variés. En ce qui concerne leur origine géographique, les personnes accueillantes ou accueillies sur l’exploitation sont originaires de l’Ariège ou de toute autre région. Elles ont des parents agriculteurs ou pas du tout. Il semble que ces deux facteurs, l’origine géographique et l’appartenance au milieu agricole, n’aient pas d’incidences sur le phénomène de l’association. Tous ont suivi une formation agricole plus ou moins poussée. Certains sont passés par des expériences de travail de groupe avant leur association et d’autres pas du tout. Dans les personnes qui sont accueillies, beaucoup ont vécu d’autres expériences professionnelles avant l’agriculture (animation, voyages…) Ce que l’on peut remarquer, c’est que généralement, ce sont des personnes d’expérience qui accueillent des jeunes inexpérimentés sur leurs exploitations. 2.1 La rencontre Pour les personnes interrogées la rencontre entre associés s’est fait progressivement. Au départ, l’association n’était même pas envisagée. La plupart du temps, les deux parties ont appris à se connaître à travers des petits boulots ou des périodes de stages (BTA, CEFI…) chez la personne possédant l’exploitation. Ce n’est qu’après cette période de connaissance mutuelle que le projet d’association a pris corps. Les personnes interrogées s’accordent toutes pour dire que tout ceci prend du temps et nécessite de la patience. Généralement, il a fallu entre 6 mois et un an pour décider de s’associer. Elles font souvent la comparaison entre l’association et le mariage ou le couple. Cette période d’interconnaissance pourrait presque s’apparenter à des fiançailles pendant lesquelles, les futurs associés ont appris à connaître l’autre, à cerner les qualités et les défauts de chacun en travaillant ensemble, mais sans s’engager réellement. C’est aussi une période pendant laquelle on prend conscience des attentes et motivations de chacun. 2.2 Les motivations Les motivations sont différentes selon la situation d’accueillant ou d’accueilli de l’associé. Ainsi, pour les personnes qui accueillent, l’idée de l’association est venue à un moment de leur vie ou ils ressentaient une certaine lassitude, une fatigue physique et morale. Se faisant plus âgés, ils se voyaient mal continuer au même rythme pendant leurs dernières 9 années d’activité. Par ailleurs, cette période correspondait aussi à une augmentation de leur activité qui devenait de moins en moins gérable seuls. L’association semblait une solution possible pour répartir le travail et donc, alléger les tâches de chacun. Outre la fatigue physique, beaucoup d’entre eux parlent aussi d’un besoin de redynamiser l’exploitation, de trouver un nouveau souffle qui puisse les remotiver dans le travail. Comme le souligne une des personnes interrogées « on arrivait au bout des idées, du boulot, de la fatigue, on avait besoin de quelque chose qui nous relance, une autre activité. » S’associer signifiait l’arrivée de sang neuf, d’un regard différent qui puisse les bousculer dans leurs habitudes et leurs convictions. Pour les personnes qui rentrent sur une exploitation déjà existante, l’association a, d’abord, été envisagée comme l’ultime chance de s’installer après des mois et quelque fois des années de recherche de fonciers. Rarement, le projet d’association était un vœu premier pour ces personnes. Elles ont d’abord tenté de s’installer seules mais l’investissement de départ étant trop élevé, elles ont préféré abandonner l’idée. Au contraire, l’association leur a permis de s’installer à moindre frais, comparée à une installation individuelle. Pour certains, l’association les a aidées à prendre leur décision d’installation car ils savaient qu’ils n’allaient pas être seuls à travailler sur l’exploitation et qu’ils profiteraient de l’expérience de leurs associés « je sais que je ne serais pas allé jusqu’au bout seul ». Cette peur de la solitude est souvent abordée dans les entretiens. Etre agriculteur, c’est aussi être seul face à son outil de travail, ses angoisses et ses doutes. Avoir un associé permet de ne plus être seul à gérer, à décider, à porter l’exploitation. Il semble que le projet d’association corresponde à une certaine complémentarité des motivations de départ de chacun. Ainsi, les uns ayant besoin du dynamisme de la jeunesse se sont alliés avec les autres qui cherchaient le soutien et l’expérience des années. Ils ont pu construire une association composée d’attentes différentes, mais complémentaires, tout en se basant sur un projet commun. 2.3 Un projet commun En effet, les associations interrogées se sont formées autour d’un objectif commun pour l’exploitation, mais aussi autour d’une vision commune de l’agriculture. Pour les personnes interrogées, il s’agissait, par exemple, d’une agriculture respectueuse de l’environnement nécessitant peu d’intrant. A partir de cette vision commune, les associés peuvent élaborer un projet pour leur exploitation et des objectifs à moyen et long terme. Ces objectifs sont plus ou moins explicités lors de la phase de connaissance mutuelle et de formalisation des règles de travail. Ainsi, pour certains, ces objectifs portent sur la possibilité de se libérer du temps libre afin de pouvoir se consacrer à des activités externes (syndicat, élu…). Pour d’autres, il s’agit d’améliorer les conditions de travail et d’alléger les tâches de chacun. Certains ont aussi des objectifs liés davantage à des résultats économiques. Dans tous les cas, les associés doivent avoir déterminé clairement leurs objectifs communs. 2.4 L’organisation de la société L’organisation du travail sur l’exploitation est plus ou moins cadrée à l’occasion de l’élaboration du règlement intérieur et des statuts du GAEC. Ainsi, la répartition des tâches et du temps de travail est généralement explicitée. Pourtant, cette répartition n’est pas si évidente. Il semble que celle-ci pose souvent problème. En effet, les tâches se répartissent, au départ, selon les affinités et les besoins de chacun. Or, les attentes des uns et des autres en 10 terme de temps libre et de travail sont évolutives. Les besoins changent selon les périodes de la vie privée (enfants ou non, seul ou en couple…) Ainsi, il arrive toujours un moment donné où l’un ou l’autre des associés n’est plus satisfait avec la répartition des tâches et du temps de travail telle qu’elle existe. Il est donc, primordial de discuter régulièrement de l’organisation de la société. Les règles doivent être claires mais garder une certaine souplesse d’application pour répondre aux aléas inhérents à l’activité agricole qui reste dépendante de son environnement, mais aussi pour répondre aux nouvelles attentes des associés qui évoluent selon les stades de la vie de chacun. La répartition des tâches se fait selon les affinités et les goûts de chacun mais chacun doit pouvoir aussi assurer le travail de l’autre afin de pouvoir le remplacer. Il semble que l’organisation du travail oscille toujours entre sécurité des règles et liberté d’action. Cette répartition des tâches est aussi étroitement liée à la rémunération du travail sur l’exploitation. Pour les personnes interrogées, les revenus se constituent souvent d’un fixe versé sur les comptes associés. Quelquefois les excédents de trésorerie sont redistribués en fin d’année. Les revenus sont souvent égaux entre associés et ne sont pas calculés en fonction d’un comptage stricte des heures effectives de travail de chacun. Pourtant, ce mode de calcul horaire est souvent évoqué pendant les entretiens, mais il semble très contraignant et compliqué à mettre en place. Il est difficile d’évaluer le temps consacré à tels ou tels travaux ou le degré de pénibilité de l’un par rapport à l’autre. Puisque le calcul effectif du temps de travail passé sur l’exploitation semble impossible, il est important de s’assurer régulièrement que la répartition des revenus, telle qu’elle existe, satisfait tout le monde. Comme l’exprime une des personnes interrogées : « il faut trouver des moments de discussion pour parler de ce qu’on trouve juste ou injuste ». La formalisation des règles de départ aborde tous les aspects de la vie sociétaire à des degrés plus ou moins élevés selon la volonté des associés. Ainsi, certains associés ressentent un fort besoin de structuration alors que d’autres parlent d’une entente naturelle, d’une répartition des tâches évidente. Cependant, tous s’accordent pour dire que la formalisation écrite des règles de travail et de fonctionnement est primordiale, même si, au départ, elle ne paraît pas nécessaire. En effet, les associés ont la crainte de voir leurs libertés individuelles diminuées et leur marge de manœuvre anéantie. Or, les règles de fonctionnement sont aussi là pour prévenir les relations de pouvoir qui peuvent s’établir entre les associés. En effet, ce travail de clarification trouve toute son importance lors de conflits entre associés. Il est ainsi beaucoup plus difficile de remettre en cause des règles de fonctionnement qui ont été préalablement déterminées et écrites. Lorsque l’on parle de l’évolution de la structure, les associés ont la même vision de l’avenir de leur exploitation. Dans la plupart des cas, maintenant que les règles de fonctionnement sont rodées, les objectifs de l’exploitation sont souvent relatifs aux temps libres et aux conditions de travail. Les associés souhaitent mettre à profit l’expérience acquise pour acquérir un confort de vie dans le travail ou dans l’aménagement de temps libre. Au niveau économique, pour toutes les structures enquêtées, il n’a pas été nécessaire de créer un atelier supplémentaire pour accueillir le nouvel associé. Pour les élevages, il n’y a eu qu’une légère augmentation de cheptel. Les structures se sont surtout orientées vers la transformation et la valorisation des produits en vente directe. Ce choix leur a permis de 11 dégager une forte valeur ajoutée nécessaire pour créer un revenu supplémentaire pour l’associé. Il semble aussi que ces exploitations aient souhaité ne pas contracter de gros investissements et ainsi limiter leur endettement. En ce qui concerne le montage financier du projet, le foncier a été soit acquis en partie par le nouvel associé ou loué soit, il a été mis à disposition pour la structure. L’acquisition de foncier permet aussi au nouvel associé de garder une porte de secours s’il souhaite se retirer de l’association à un moment donné. Le nouvel associé doit normalement apporter sa SMI (Surface Minimum d’Installation) pour acquérir le statut d’agriculteur. Le reste du matériel, du cheptel constitue des parts sociales qui sont reparties généralement de manière égale entre les parties. Le nouvel associé contracte souvent un emprunt pour racheter ses parts. 2.5 Les relations entre associés Les personnalités de chaque associé sont souvent très différentes mais toujours complémentaires. Ainsi, le calme tempère le nerveux, le sociable bouscule le solitaire. Dans les associations à trois, il y a souvent un des associés qui fait tampon ou courroie de communication entre les deux autres. Paradoxalement, il semble que des caractères semblables ne soient pas un gage de réussite. Bien au contraire, il apparaît judicieux de s’associer avec une personne au caractère distinct et ayant des besoins différents mais complémentaires. Les personnes interrogées se réfèrent souvent à des exemples d’associations entre amis qui n’ont pas fonctionné à cause d’une trop grande promiscuité ou d’une confusion des rôles. Se pose alors le problème des limites des relations entre associés. Doit-on garder une distance ou non, développer une relation amicale ou non ? C’est peut-être une distance préservée entre associés qui a permis la réussite des associations rencontrées. Comme le souligne une personne interviewée « on s’entend bien mais nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde non plus. » Même si les associés semblent très différents, ils partagent les bases d’une entente commune qui se forge sur leur idée de l’agriculture et leur perception de leur exploitation à moyen et long terme. Tous ont beaucoup de mal à expliquer pourquoi ils s’entendent et peuvent travailler ensemble. C’est une alchimie subtile qui a bien du mal à être définie. Au niveau de la communication entre associés, elle se fait très peu à travers des réunions formelles. Les personnes interrogées soulignent, que les mises au point étaient beaucoup plus fréquentes au début de l’association pour élaborer le règlement intérieur. Ensuite, avec le temps et les habitudes, elles se sont de plus en plus espacées, « pourquoi se réunir si tout va bien ». Ceci leur paraît une énorme contrainte en terme de temps et de disponibilité. Ainsi, pour beaucoup, les réunions ne sont nécessaires qu’en situation de crise. Cependant, ce manque de communication est un regret pour tous. Ils pensent que c’est un point très important de la bonne marche de l’association, mais ils ne se sentent pas le courage d’organiser des rencontres régulièrement. Au fil des entretiens, on peut remarquer que plus les tâches de chacun sont spécialisées et plus les associés ressentent le besoin de formaliser les réunions. En effet, ils ont moins l’occasion de partager des moments en commun, lors de travaux par exemple. Ils ne font que se croiser sur l’exploitation donc, les moments d’échanges sont rares. Au contraire, d’autres ne font pratiquement aucune réunion mais ont des outils de régulation de conflits ou de communication qui prennent d’autres formes, comme les moments du café ou de la transformation de la viande. Il faut que, d’une manière ou une autre, les associés arrivent à parler de leurs problèmes entre eux sans gênes ni tabous. Comme le souligne un des associés interrogés «il faut que les choses soient dites sinon, on part sur des non-dits et on accumule les ressentiments. » 12 A un niveau pratique, les structures visitées n’ont pas de bureau propre au GAEC. La seule ayant mise à disposition un bureau, l’a situé dans l’habitat de la personne qui accueillait un nouvel associé sur l’exploitation. Le bureau est pourtant un élément central de la vie du GAEC, car c’est normalement un lieu neutre de discussions et de prises de décisions. Pour les personnes interrogées, les décisions importantes sont prises en consensus (gros investissements, orientation de l’exploitation…) mais, les petits problèmes de tous les jours sont gérés à l’instant, sans consultation. 2.6 Vie privée, vie professionnelle En ce qui concerne les lieux de résidence des associés, il semble important qu’ils habitent près des exploitations pour des questions pratiques. Cependant, ils préfèrent garder une certaine distance et ne pas tous vivre sur l’exploitation elle-même. Le meilleur compromis semble des logements dans le même hameau lorsque ceci est possible. La question du respect de la vie privée est un sujet abordé de manière différente selon la perception du métier d’agriculteur par les associés. Ainsi, deux visions s’opposent. La première fait référence à une conception de la vie paysanne qui imbrique fortement vie privée et vie professionnelle. Généralement le ou la conjointe de l’exploitant participe aux travaux de la ferme et, est même quelque fois associée. Pour eux la préservation de la vie privée n’est pas un problème puisque le travail et la famille forme un tout. C’est un véritable mode de vie paysan. Pour les autres, l’agriculture est conçue certes comme un métier qui les passionne mais aussi comme une activité répondant aux mêmes règles qu’un salariat normal (revenu fixe, congés, horaire fixe…). Généralement, le ou la conjointe ne participe pas au travail sur l’exploitation et exerce une activité salariée externe. Dans ce cas, le fait qu’un des associés travaille seul face à un couple peut entraîner des déséquilibres dans la densité de travail à assumer. Par ailleurs, ils ont des attentes en terme de temps libre plus importantes puisqu’ils souhaitent passer du temps avec leur conjoint qu’ils ne voient pas sur leur lieu de travail. En réalité, on constate que deux conceptions de l’agriculture s’affrontent: l’agriculture comme mode de vie et l’agriculture comme moyen de vivre. Ces différences peuvent se révéler importantes à long terme car elles correspondent à des attentes et des exigences distinctes. La nouvelle génération d’agriculteurs veut de moins en moins vivre exclusivement pour l’agriculture. Beaucoup ne se voient pas travailler sans jours de congés, par exemple. Les personnes qui accueillent des jeunes souhaitant s’installer doivent prendre en compte cette nouvelle réalité. Cette différence de conception entraîne des priorités dans le travail distinctes. Alors que certains ne verront pas d’inconvénients à travailler tard, les autres, qui ont des enfants, par exemple, tiendront à des horaires fixes. Il est très important de parler dés le départ des priorités de chacun. Cependant, ces différences peuvent aussi constituer une source d’enrichissements mutuels. Ainsi, la plupart des associés interrogés, avouent apprendre beaucoup du mode de vie des uns et des autres aussi bien dans leur façon de travailler que dans leur conception de leur métier. 13 2.7 Avantages et inconvénients de l’association Les avantages liés à l’association sont nombreux. Tout d’abord, pour les personnes qui ont accueilli sur leur exploitation, le nouvel associé constitue la possibilité d’alléger leur charge de travail, de s’aménager du temps libre et de se libérer du poids des responsabilités assumées seul. En effet, un des aspects les plus importants de l’association semble de ne plus être seul sur l’exploitation, de partager les soucis, les doutes. Le nouvel arrivant permet aussi de redynamiser le travail et l’exploitation et de faire évoluer les mentalités. Quant à la personne qui est accueillie, l’association a d’abord été pour elle, un moyen de s’installer à moindre frais. Elle profite aussi de l’expérience de l’autre associé et évite ainsi, les galères de départ. Cependant, les inconvénients sont aussi réels. Pour celui qui accueille, il faut d’abord être capable de tout partager et surtout un outil de travail que l’on a façonné des années durant. Il faut accepter de céder une partie des capitaux, de se désengager par rapport à certains travaux, de laisser l’autre prendre des responsabilités. Bref, accepter d’avoir part égale, ni plus, ni moins, que son associé, malgré l’expérience et l’investissement de départ consacrés à l’exploitation. Il faut avoir une grande capacité d’humilité et d’écoute car les négociations et les discussions sont continuelles. Certains peuvent trouver cette contrainte très fatigante. Il faut toujours réfléchir à deux ou trois, faire le deuil de la liberté du paysan indépendant. Beaucoup comparent l’association à un couple où il faut faire des concessions et toujours tenir compte de l’autre. C’est aussi accepter le regard continuel d’un tiers sur son travail. Mais, tous s’accordent sur le fait que les avantages sont largement supérieurs aux inconvénients. Reste à être conscient des efforts qu’une telle entreprise demande de part et d’autre. Tous considèrent leur association comme une réussite même lorsqu’elle a débouché sur le retrait d’un associé. Après analyse de ces entretiens, je dégage quelques points essentiels qui semblent avoir favorisé la réussite des associations interrogées : - Des règles de fonctionnement et de travail claires et écrites dés le début - Une vision commune de l’agriculture et un projet commun pour l’exploitation - Des caractères et des besoins complémentaires - Une ouverture d’esprit des personnes qui accueillent et qui sont accueillies - Une capacité à faire consensus et à écouter l’autre Après avoir pris conscience de ce qu’implique un projet d’association, nous pouvons maintenant nous poser des questions pertinentes pour clarifier et mener à bien un tel projet. 14 3 Bien préparer un projet d’association Les intentions d’association sont nombreuses, mais les créations effectives de sociétés beaucoup moins. Des agriculteurs expriment souvent leur désir de s’associer, mais il semble qu’ils aient toutes les peines du monde à trouver le « bon » candidat, l’associé idéal. Or, c’est justement là que se trouve la première difficulté : prendre conscience que l’associé idéal n’existe pas. Une association se forme autour de personnes ayant des attentes et des besoins complémentaires afin d’atteindre un objectif commun. Elle suppose une capacité à accepter les consensus ainsi que des renoncements. On ne travaille pas de la même manière à deux que seul. C’est toute une organisation du travail à repenser, un fonctionnement interne à réinventer. Contrairement à une idée reçue, tout ceci ne se fait pas naturellement. L’élaboration de cette nouvelle organisation demande de la rigueur et de la méthode. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’orienter mon travail vers la création d’une méthode d’aide à la décision permettant de transformer une simple envie d’association en un projet effectif. Mais avant d’en venir à l’élaboration du fonctionnement interne d’une société, il existe une première étape primordiale pour les futurs associés. Elle concerne la connaissance de soi. En effet, il est indispensable de définir ses attentes et ses besoins vis à vis du travail et de sa vie privée. Ce n’est qu’en sachant ce que l’on veut, que l’on pourra négocier avec un partenaire des règles de fonctionnement, de travail qui satisferont aussi bien ses propres attentes que l’objectif commun de la structure. La méthode d’aide à la décision élaborée vise à répondre à ces deux conditions : définir les attentes personnelles des associés ainsi que leur objectif collectif à travers l’organisation interne de leur société. 3.1 Description de la méthode Cette méthode prend la forme d’un questionnaire en plusieurs parties (cf. annexe 1). Les futurs associés se réunissent ensemble pour répondre aux questions posées. Chacun y répond, tour à tour, et peut ensuite réagir aux réponses des autres. Il est important de respecter certaines règles de communication indispensables pour garantir un échange constructif 7. Ces règles sont assez basiques mais sont trop souvent oubliées. Ainsi, communiquer c’est tout d’abord savoir écouter, être à l’écoute d’autrui. Ceci suppose d’être patient et ne pas interrompre la parole de l’autre même lorsque l’on n’approuve pas son opinion. Une bonne communication passe aussi par l’absence de jugement sur la position d’autrui. Ces quelques points cruciaux ne sont pas si simples à respecter, il faut rester vigilant quant à leur application au cours de l’entretien. La première partie du questionnaire intitulée « organisation de l’exploitation ou de la société déjà existante » concerne la personne ou les personnes qui souhaitent accueillir un associé sur leur exploitation. Grâce aux questions posées, elles peuvent faire un état des lieux de leur ferme. Ainsi, le nouvel arrivant connaît la situation de l’exploitation ou de la société au moment de son entrée. Il s’agit de clarifier qui détient le capital, quelle est la santé financière de la structure et comment sont régis les rapports entre associés, s’il en existe déjà. A partir de ce « pré-diagnostic », chacun va pouvoir exprimer ses attentes et motivations pour créer une nouvelle structure collective. ROUSSELIN Virginie et BLANC Michel, S’entendre et fonctionner à plusieurs sur une exploitation, Travaux et Innovations, numéro 74, janvier 2001 7 15 On aborde alors la deuxième partie du questionnaire : « un projet commun ». Un premier stade de réflexion permet d’exprimer le « je », de clarifier à la fois son projet professionnel et ses attentes personnelles. En effet, vie professionnelle et vie privée ne sont jamais totalement cloisonnées dans ce métier. Dans un premier temps, chacun exprime sa conception de l’agriculture et du métier d’agriculteur. Il semble très important qu’une certaine idéologie du métier soit partager par tous. Cet « idéal » collectif va former le substrat de l’association agricole. Ensuite, chacun expose ses attentes et motivations par rapport à l’association. C’est le moment aussi de faire le point sur les qualités et défauts de chaque associé ainsi que sur leurs points faibles et leurs points forts. Il est aussi très important de savoir quelles concessions personnelles les futurs partenaires sont prêts à faire pour l’intérêt de la structure. A la fin de ce tour de table, il est demandé à chacun de reformuler les désirs et les attentes des autres participants. Ainsi, on peut s’assurer qu’il y a assimilation des besoins de chacun par le groupe. Après ce positionnement du « je », il est alors possible de glisser progressivement vers un « nous » en clarifiant le projet commun de la structure. Grâce à la définition de cet objectif commun, on pose les bases d’une entente groupale, d’un travail collectif. C’est le temps des projections, de laisser libre court à son imagination. Puis, peu à peu on passe de la projection à la réalité en distribuant les premiers rôles et en édictant les premières règles de travail. Les premières vraies discussions peuvent commencer. Les premières négociations émergent entre les attentes de chaque partie. Deux outils existent pour concrétiser les intentions des associés. Tout d’abord, les statuts du GAEC qui représente le contrat, le pacte qui va unir les associés. Ils décrivent les objectifs généraux, la base d’un travail commun. Par contre, tout ce qui relève de l’organisation de la vie quotidienne du GAEC est alors décrite dans le règlement intérieur (cf. annexe 2). Pour faciliter son élaboration, plusieurs thèmes sont alors abordés dans une troisième partie consacrée au « règles de fonctionnement » : – – – – – – le travail (compétences, tâches, objectifs, investissements…) le temps (temps de travail, temps libre, vie extérieure…) le partage du capital et la rémunération du travail (terres, bâtiments, revenus…) la communication (réunions, prise de décision…) l’entourage (habitation, conjoint, enfants…) l’avenir de l’association ( évolution personnelle des attentes de chacun, retrait d’un associé…) 3.2 La communication : un enjeu majeur de l’association L’association met en relation des personnes quotidiennement à travers le travail et le partage des responsabilités. Ce fonctionnement exige un dialogue permanent qu’il faut savoir organiser. La communication au sein d’une société agricole se trouve au croisement des relations interpersonnelles et des relations professionnelles. Elle permet de connaître les attentes et les besoins de chacun, de prendre en compte l’épanouissement identitaire de l’autre. Grâce au dialogue et à la négociation, la correspondance entre les attentes personnelles et les objectifs collectifs de la structure seront d’autant plus faciles à atteindre. Cependant, ces échanges ne s’établissent pas aussi naturellement que l’on pourrait imaginer. Pour les faciliter, il existe plusieurs outils mis à la disposition des associations : un lieu de rencontre neutre à l’usage exclusif du groupe (le bureau), des réunions périodiques, le cahier des comptes-rendus de réunion. 16 3.2.1 Le bureau Pour beaucoup, le fait d’avoir un bureau consacré au GAEC semble superflu ainsi qu’un investissement inutile. Cependant, c’est le centre névralgique de la société 8. C’est un lieu neutre par excellence, qui n’appartient à personne et à tous en même temps. Chacun peut se rendre dans le bureau quand il le souhaite pour consulter des documents relatifs à la vie du GAEC, comme la comptabilité ou encore passer un coup de fil, faire un courrier… C’est pour cette raison qu’il est très important que le bureau ne se trouve pas dans le lieu d’habitation d’un des associés. Les propriétaires des lieux peuvent interpréter le passage des différents associés dans leur maison comme une intrusion dans leur vie privée. Les autres associés peuvent aussi ressentir une gêne quant à se trouver dans le lieu d’habitation de leur collègue. Le fait d’avoir un espace consacré au GAEC bien distinct, facilite aussi la prise en charge des coups de fonctionnement liés aux contacts avec l’extérieur (téléphone, internet, fax, électricité…). Ce lieu est aussi et surtout l’endroit où peuvent se dérouler les réunions périodiques nécessaires à la bonne marche du GAEC. De ces réunions, découleront les grandes décisions relatives à la vie de la société. 3.2.2 Les réunions périodiques La plupart des personnes qui ont témoigné de leur expérience de l’association expliquent, qu’après les premiers mois de mise en route, les réunions leur semblaient de moins en moins utiles et nécessaires. La routine aidant, au fil du temps, elles se sont espacées jusqu’à, quelquefois disparaître. La plupart des associés interrogés regrettent cet état de fait, mais selon eux, les réunions représentent une trop grande contrainte en terme de temps et d’organisation. En effet, la tenue de réunions nécessite un minimum de professionnalisme et de technique Or toute technique est contraignante. Pourtant, tous sont d’accords sur le fait qu’elle est essentielle pour garantir le bon déroulement d’une réunion. Si les règles de base de communication ne sont pas respectées, les réunions s’éternisent, les participants ne ressentent plus leur utilité car ils se rencontrent sans véritable but. Voici quelques conseils qui aideront chacun à organiser leurs réunions pour qu’elles puissent constituer des moments privilégiés d’échanges entre associés9. Les motifs de réunion sont multiples. Ils peuvent viser la planification du travail, la coordination des activités de chacun, l’organisation de la gestion. Il s’agit aussi de prendre des décisions, de s’assurer que les objectifs de la structure sont toujours d’actualité. Les réunions ont aussi comme but d’entretenir des relations et une communication entre les différents membres de la société. Les réunions peuvent être fixes ou être organisées au coup par coup, mais le plus important est d’arrêter, à un moment donné, une date et un horaire qui seront respectés. Il est aussi essentiel d’établir un ordre du jour. Il sert à cadrer les débats en énonçant les différents points qui seront abordés lors de la réunion et à ne pas déborder sur les horaires préalablement déterminés. Il existe différentes techniques pour établir un ordre du jour. Un moyen simple et efficace est de disposer un cahier dans le bureau, sur lequel chacun pourra noter les points qu’il souhaite évoquer lors de la prochaine réunion. En début de réunion, il suffit alors, de relever les différentes idées pour établir l’ordre du jour ou le compléter. 8 Article collectif du groupe Ressources Humaines de GAEC et Sociétés, Apprendre à vivre en groupe, Agriculture de groupe n°238, sept 1991 9 MASTORCHIO Eric, Se réunir, quand, comment, pour quoi ? Agriculture de groupe n°321, nov. 2002 17 Au niveau de la gestion de la parole, si les associés sont plus de deux, il est intéressant de nommer un animateur. Il veille à ce que l’ordre du jour soit respecté et que les conversations ne s’éternisent pas. Il prend garde aussi à ce que chacun puisse s’exprimer sur tous les points abordés lors de la réunion et que le ton ne monte pas entre les participants. Si le GAEC est constitué de plusieurs associés, la responsabilité de l’animation sera assumée à tour de rôle. Les points importants favorisant une bonne communication sont assez simples, mais pas toujours faciles à appliquer. Chacun doit pouvoir s’exprimer librement, chaque avis donné sur un sujet doit être motivé, l’important est d’expliquer pourquoi on est d’accord ou non. Il est important de ne pas couper la parole, de ne pas monopoliser les temps de débat et il faut surtout s’interdire toutes attaques personnelles. Un point souvent occulté est l’attention des participants lors de la réunion. Il faut éviter de se laisser distraire. Les portables doivent être éteints, le téléphone de la société mit sur répondeur, et chacun doit faire l’effort de rester pendant toute la durée de la réunion. 3.2.3 Les comptes-rendus de réunions La dernière étape d’une réunion constitue la trace écrite. Il faut mettre noir sur blanc les décisions qui ont été prises, les sujets qui ont été abordés dans un compte-rendu. Ainsi, la responsabilité des décisions est écrite et ainsi elles sont moins facilement remises en cause. Il ne s’agit pas de faire des écritures compliquées, mais de laisser une trace dans un cahier réservé aux comptes-rendus par exemple (cf. annexe 3). Ce cahier devient alors la mémoire du groupe. Tout ce qui est noté doit être clair et compréhensible. Les groupes composés de plusieurs associés peuvent nommer un secrétaire qui notera les différents points abordés et les décisions prises. A la fin de la réunion, les notes prises peuvent être validées par l’ensemble des personnes présentes. Ce rôle de secrétaire peut tourner à chaque réunion. Avant que les participants ne se séparent à la fin de la réunion, il est important de définir une date plus ou moins précise pour la prochaine réunion. Il est important de souligner qu’à côté de la formalisation des réunions certains GAEC ressentent le besoin d’organiser une fois par an ou plus un repas chez l’un ou l’autre des associés avec les conjoints. Ils se réservent un week-end de détente ou un voyage ensemble pour essayer de se connaître sous un nouveau jour et ainsi casser la routine du travail sur l’exploitation. A chacun de définir les rapports qu’ils souhaitent entretenir avec ses associés afin de rendre l’association la plus agréable possible. 18