L`élargissement : une réponse européenne au nouvel ordre

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L'élargissement : une réponse européenne au nouvel ordre
économique mondial
Claude Martin
Même si l'élargissement de l'Europe est un véritable défi pour les quinze pays déjà membres,
l'UE n'a cessé de soutenir les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale en leur
offrant une perspective d'adhésion. Ce processus auquel se sont joints trois pays
méditerranéens (Chypre, Malte et la Turquie s'insère dans un contexte économique de
libéralisme et de mondialisation des échanges où les frontières et les règles du commerce
international évoluent constamment. De ce point de vue, l'élargissement peut être interprété
comme une réponse européenne au nouvel ordre économique mondial. Pour la grande Europe
de demain, les enjeux du développement sont liés aux potentiels d'échanges et à la
libéralisation des capitaux dans les pays candidats. Des problèmes économiques persistent. Ils
concernent, principalement, l'énergie, la reconversion de secteurs industriels, l'agriculture et le
marché du travail. Enfin, la démocratisation et les effets de décentralisation introduisent des
risques d'affaiblissement des Etats, avec l'apparition de nouveaux acteurs économiques, voire,
d'organisations illégales ou à la limite de la loi. Dans ces différents contextes, il paraît difficile
de formuler un scénario de l'après élargissement. S'agissant du développement des pays
candidats les plus avancés, on peut tirer quelques enseignements sur leurs perspectives, en
comparant leur situation avec celle de pays tels que la Grèce et le Portugal avant leur
adhésion. Plus globalement les problèmes concernent le devenir de la grande Europe et les
risques d'une périphérisation des économies d'Europe centrale. Parmi les hypothèses
formulées, la plus probable nous paraît être celle d'une Europe à plusieurs centres, Europe
dans laquelle les régions développeront leur propre logique de prospérité.
1. Mondialisation et recomposition de l’Europe. Deux histoires
parallèles
.1. Le nouveau contexte mondial
a mondialisation est un phénomène relativement récent, facilité par la révolution de
l'informatique (Internet) la chute du mur de Berlin et la libéralisation des mouvements de
capitaux dans l'Union Européenne . La mondialisation ne se limite pas à l'ouverture des
frontières ou à l'Investissement direct étranger. Elle se traduit par un rapprochement
économique, politique et écologique des sociétés, porté par des technologies (connexion des
entreprises et des marchés, télévision par satellite, Internet…). L'impact mondial de la crise
financière qui a commencé en juillet 1997 dans le Sud-Est asiatique illustre bien l'étendue et
la rapidité de ces interconnexions entre différents réseaux. La mondialisation correspond aussi
au basculement d'une bonne partie de la planète dans l'économie de marché et au triomphe du
libéralisme.
Historiquement, la libéralisation des échanges est un processus engagé par le GATT (General
Agreement on Tarifs and Trade) et souscrit par 23 pays occidentaux en 1947. Son programme
consistait à réduire les tarifs douaniers, limiter les barrières protectrices et éliminer les
discriminations en matière de commerce international. L'objectif était d'engager un processus
continu de libéralisation du commerce, favorable au développement de l'investissement, à la
création d'emplois et à l'expansion des échanges . Depuis 1947, diverses négociations vont
aboutir, en 1994, à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce. L'OMC est une
organisation inter-gouvernementale à part entière. Signée à Marrakech par 125 Etats, sa
mission est d'élargir le champ de la libéralisation et d'arbitrer les conflits commerciaux.
Quatre ans plus tard, en 1999 à Seattle, l'OMC, avec 135 Etats membres, est devenue le cadre
réglementaire de la mondialisation de l'économie. Les pays signataires se sont engagés à
libéraliser l'agriculture et les services et à prendre quelques règles dans les domaines de
l'environnement, du social et de la santé. De même le projet de l'AMI (Accord Multilatéral sur
l'Investissement ) négocié dans le cadre de l'OCDE permettrait la non discrimination des
investisseurs étrangers en créant ainsi des droits mondiaux pour les entreprises .
2.
L'émergence
de
l'Europe
économique
Tandis que le monde se globalise, le dynamisme européen prend la forme d'un arc industriel
dont la pointe nord-ouest se trouve au niveau de Manchester, le centre en Rhénanie et
l'extrémité sud-est au cœur de l'Italie du Nord. La concentration urbaine et la densité du trafic
commercial font de cette épine dorsale de l'Europe, une des zones les plus actives au monde.
C'est autour de cette banane bleue ainsi perçue par les cosmonautes et photographiée par les
satellites, que se dessine l'Europe économique construite à partir de 1950.
L'association, en 1951, de six pays au sein de la Communauté Européenne du Charbon et de
l'Acier (CECA) , est le véritable point de départ du processus. En 1957, le Traité de Rome
réunit l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas au sein de
la Communauté Economique Européenne (CEE). Dès lors, l'Union Européenne ne cesse de
s'élargir du Nord au Sud avec l'adhésion successive, du Danemark, de l'Irlande et du Royaume
Uni
en
1972,
de la Grèce en 1981, de l'Espagne et du Portugal en 1986, de l'Autriche, de la Finlande et de la
Suède en 1995. Les critères d'adhésion, fixés en 1993 à Copenhague, se définissent ainsi :
- être un pays européen (appartenance géographique, politique et culturelle)
garantir
la
démocratie
être
compétitif
sur
les
marchés
de
l'Union
s'aligner
sur
la
législation
communautaire
(acquis)
- souscrire aux objectifs politique, économique et monétaire de l'UE
En décembre 2002 à Copenhague, une fois de plus, les Présidents, Chanceliers et Premiers
Ministres de l'Union engagent un cinquième élargissement et décident d'intégrer dix nouveaux
membres parmi lesquels huit sont des Etats du Centre et du Nord de l'Europe et deux
appartiennent au Bassin Méditerranéen . L'adhésion de deux Etats balkaniques est reportée à
2007. La Turquie est reconnue comme treizième candidat. Le dynamisme politique du
continent européen est un fait remarquable. Une nouvelle géographie se dessine avec un
potentiel accru d'un million de kilomètres carrés en surface, une population de 370 millions
d'habitants et une économie de l'ordre de 9 milliards d'euros, capable de rivaliser avec celle
des Etats-Unis.
2.
L'élargissement
aux
pays
d'Europe
centrale
et
orientale
Les 12 et 13 décembre derniers, le Conseil européen de Copenhague a permis de clore les
négociations avec dix pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Rép. tchèque, Slovaquie,
Hongrie, Slovénie, Chypre et Malte), pour une adhésion définitive au 1er mai 2004.
Copenhague entérine également la clôture de l'ensemble des chapitres de négociation.
L'élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale, quel que soit le délai et au
delà des inquiétudes qui se manifestent de part et d'autre, est l'occasion de prendre la mesure
des nouveaux potentiels dont dispose ou disposera l'Europe Unie en termes commerciaux et
financiers.
2.1.
Les
échanges
commerciaux
Après l'effondrement du début des années 90, le commerce intérieur de l'Europe centrale a
connu une reprise grâce à la conjugaison du libre-échange et des stratégies des firmes
multinationales. Si l'on considère les 12 pays candidats en Europe centrale (incluant les pays
baltes et balkaniques) on observe que la presque totalité de leurs échanges sont réalisés avec
leur proximité immédiate, c'est-à-dire avec le reste de l'Europe. Toutefois, l'orientation et
l'importance des échanges varient selon la zone géographique et les secteurs d'activité.
Sur
le
plan
géographique,
on
distingue
trois
groupes
de
pays
:
- Les Pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) mais aussi une partie de la Pologne orientés
vers
l'Europe
du
Nord
et
le
Royaume
Uni,
- Les Pays d'Europe centrale (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie et Pologne
occidentale),
orientés
vers
la
zone
Allemagne.
- les Pays Balkaniques (Bulgarie, Roumanie) plus orientés vers l'Italie, la Grèce et l'exYougoslavie
et
moins
dépendants
de
l'Allemagne
Leurs résultats économiques varient selon les secteurs d'activité et leur localisation
géographique.
Ainsi, dans l'automobile, cinq pays candidats (Rép. Tchèque, Hongrie, Pologne, Slovaquie et
Slovénie), réalisent 75 % des échanges du secteur avec l'UE 15.
Ces résultats s'expliquent en partie par la proximité des grands marchés européens, l'existence
d'une main d'œuvre spécialisée, combinée à des technologies modernes (importées), des
politiques fiscales et de formation et par un effort dans la préparation des sites de
délocalisation .
Si l'on cherche à comparer les pays membres de l'UE exportateurs vers les pays candidats
d'Europe centrale et des Balkans, il faut tenir compte de leurs performances intracommunautaires
et
extra-communautaires.
…).
Pour savoir si un pays est performant il faut rapporter le montant de ses exportations à
destination des pays candidats à ses exportations intra-communautaires. Ces performances
doivent être corrigées de la distance géographique (absence de frontière commune, liens
historiques ou culturels. La différence par rapport à l'équilibre permet d'apprécier la marge de
progression des exportations d'un pays de l'UE dans la zone PECO (Tableau 1).
Tableau 1. Taux de couverture des exportations potentielles par les exportations observées de
l'UE
à
destination
des
PECO
(données
1997)
PECO
Pologne
Hongrie
Slovaquie
etTchéquie
Bulgarie
Roumanie
UE
15
51%
46%
97%
44%
41%
53%
France
60%
64%
74%
53%
35%
61%
Allemagne
45%
36%
137%
39%
43%
55%
Autriche
101%
65%
145%
94%
85%
90%
Italie
80%
88%
84%
67%
42%
102%
Sources : Elargissement. Série Stratégie. RES 06 - 23 avril 2001
Les performances commerciales de la France, inférieures au potentiel, dépassent la moyenne
des performances de ses partenaires. L'Autriche et l'Italie font mieux que la France.
Tableau 2. Taux de couverture des exportations potentielles par les exportations observées des
PECO
à
destination
de
l'UE
en
1997
PECO*
Pologne
Hongrie
Slovaquie
etTchéquie
Bulgarie
Roumanie
UE
15
37%
28%
79%
32%
42%
47%
France
32%
29%
52%
23%
32%
43%
Allemagne
63%
27%
127%
32%
40%
53%
Autriche
35%
37%
101%
70%
39%
52%
Italie
28%
37%
59%
41%
61%
97%
Sources : Elargissement. Série Stratégie. RES 06 - 23 avril 2001
En sens inverse la marge de progression des exportations des PECO vers l'Union européenne
reste importante. Il est probable que les importations de l'Union en provenance des pays
candidats se renforceront plus rapidement que les exportations de l'Union vers ces pays
(Tableau
2).
Parmi les pays candidats, la Hongrie occupe une place particulière avec près de 80 % de ses
exportations
à
destination
de
l'Union.
La moindre performance d'autres pays candidats peut s'expliquer par leur mauvaise adaptation
à la demande européenne, par l'absence de maîtrise des techniques et des réseaux de vente.
2.2.
Les
mouvements
de
capitaux
Les possibilités financières des pays candidats sont liées aux mouvements de capitaux.
Dans l'Union Européenne, ceux-ci sont libéralisés pour toutes les formes d'investissements :
directs, immobiliers et de portefeuille. Dans les PECO, le processus de libéralisation des
mouvements de capitaux a déjà commencé et le désir d'adhésion accélère le processus.
La libéralisation produit des effets positifs lorsque l'économie nationale est stable et que les
politiques économiques sont crédibles. Dans toute l'Europe de l'Est, les systèmes bancaires
ont connu une profonde restructuration. Aujourd'hui ils sont presque complètement privatisés.
En 2002-2003, il faut s'attendre à l'achèvement des privatisations des grandes banques dans
six pays candidats (Pologne, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Roumanie et Bulgarie).
Les participations étrangères prévues fin 2002 dans les systèmes bancaires de ces pays sont de
l'ordre de 75 % en Pologne, 90 % en Lituanie, 83 % en Slovaquie, 41 % en Slovénie, 57 % en
Roumanie
et
79
%
en
Bulgarie.
Certains pays bénéficient de financements pour renforcer leurs capacités administratives, leurs
infrastructures et leurs équipements (PHARE, ISPA et SAPARD) dont les principaux
bénéficiaires sont la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie.
Partout se sont ouverts des marchés financiers mais les transactions sont encore peu
diversifiées.
L'Investissement Direct Etranger (IDE) est perçu par les gouvernements de ces pays comme
un moyen indispensable pour accélérer le processus d'ajustement des entreprises et faciliter la
réintégration des économies dans l'économie mondiale. Au niveau économique,
l'investissement direct étranger a un rôle non négligeable sur l'investissement global y compris
sur la balance des paiements. En 2000, les IDE à destination des PECO se sont élevés à près
de 21 milliards de dollars. Cumulés depuis 1990, ils atteignent près de 100 milliards de dollars
pour l'ensemble de la zone, dont 80 % environ en provenance de l'Union. La répartition de
l'IDE n'est pas uniforme : la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie en détiennent plus
de 70 %.
Les principaux investisseurs européens dans la zone ont été l'Allemagne (25 %), les Pays-Bas
(16%) et l'Autriche (14 %). La majeure partie de ces investissements porte sur quelques
projets industriels importants (automobile, télécommunication, hydrocarbure..) dans un
nombre réduit de pays,
retenus en fonction de facteurs d'attraction.
Les implantations étrangères sont favorisées dans les secteurs prioritaires (industrie, grande
distribution, banques) et dans certaines régions. Ces investissements se répartissent entre les
PECO essentiellement selon l'avancement de leurs réformes à l'exception de la Pologne qui
tout
en
possédant
le
plus
grand
marché,
en
attire
moins.
Les firmes multinationales de la zone Japon Asie -Pacifique investissent également dans les
PECO Pour les FMN, les changements survenus dans les PECO ont créé un nouvel espace
pour redéployer leurs activités. Elles disposent d'un pouvoir de négociation avec ces
gouvernements d'autant plus fort qu'elles peuvent choisir le lieu de leur délocalisation. Leur
mondialisation commerciale et financière s'appuie avant tout sur la mondialisation de la
production. Généralement ces firmes s'installent dans les secteurs les plus attractifs comme
ceux de l'industrie manufacturière (alimentation, mécanique, chimique), de l'industrie
automobile,
des
communications
ou
des
services
financiers
Pour les pays européens et tout particulièrement pour l'Allemagne et l'Autriche il s'agit de
trouver dans une zone géographique proche, de nouveaux sites de fabrication à la fois
compétitifs et disposant d'une main-d'œuvre qualifiée pour leurs productions à contenu élevé
en travail. A moyen terme, les firmes destinent l'essentiel de leur production au marché des
PECO.
La France compte 1756 implantations, principalement en Pologne, République tchèque,
Hongrie, Roumanie et Slovaquie. Environ 270 entreprises françaises sont implantées en
République tchèque pour une présence étrangère globale estimée à 1 200 entreprises.
La présence française en Hongrie a connu un essor remarquable en 1995-1996 du fait des
grands groupes, arrivés pour une bonne part dans le cadre des privatisations. Cela permet
aujourd'hui à la France de se situer au 3ème rang des investisseurs.
La France est le premier investisseur en Roumanie avec 216 entreprise. La Slovaquie compte
un nombre plus important d'implantations de grande taille. Les entreprises implantées en
Slovénie sont peu nombreuses et occupent des positions dominantes dans des secteurs tels que
la construction automobile, la distribution ou les services bancaires. En Lituanie, les
implantations
sont
de
petite
taille.
La présence des Etats-Unis dans les PECO, même si elle n'est pas prioritaire, s'inscrit dans le
cadre d'une stratégie offensive visant à prendre pied sur des marchés nouveaux en voie de
stabilisation, tête de pont pour l'Europe de l'Est aujourd'hui et demain pour l'ensemble du
marché européen.
.Les problèmes non résolus
Si des évolutions positives sont à relever dans les pays candidats, certains experts soulignent
des problèmes persistants, liés au développement économique (marchés, capitaux, normes…)
ou à la protection de l'environnement. Depuis le sommet de Lisbonne, ces pays ont été mis en
contact avec la priorité d'un développement durable. A l'heure actuelle et malgré de réels
efforts, des difficultés de nature sectorielle ou politique subsistent.
3.1. Les problèmes sectoriels
Les problèmes non résolus concernent, principalement, la reconversion de certains secteurs
industriels, l'agriculture ainsi que le marché du travail.
Energie : des centrales nucléaires vétustes
Le nucléaire pèse sur le processus de l'élargissement de l'Union européenne . Trois pays
disposent encore de centrales considérées comme dangereuses (Kozloduy en Bulgarie,
Bohunice en Slovaquie et Ignalina en Lituanie). Ils se sont engagés à les fermer. Pour
l'instant, seule la Slovaquie a fourni un calendrier précis de démantèlement. Le cas est
particulièrement critique pour la Lituanie.
La BERD gère des fonds internationaux pour le démantèlement des centrales. Par ailleurs,
Phare pourrait accroître son aide au nucléaire lituanien, bulgare et slovaque d'ici 2006.
Sidérurgie
Le secteur est en difficulté depuis la chute du communisme. Les échanges ont été caractérisés
par une baisse régulière des exportations, associée à une progression rapide des importations.
La plupart des entreprises sidérurgiques ne sont pas rentables et sont parfois fortement
endettées comme en Pologne. Cette situation s'explique par un outil de production vétuste et
une faible productivité. Des investissements sont indispensables mais les chances de reprises
sont faibles.
Agriculture : résorber la main d'œuvre excédentaire
L'agriculture pose un problème particulier, d'une part à cause de la non libéralisation des
produits agricoles au niveau mondial en raison des difficultés rencontrées pour l'extension de
la Politique Agricole Commune. La PAC ne correspond pas toujours aux besoins des pays
candidats. Dans les PECO, l'agriculture occupe une place trois ou quatre fois plus importante
que dans l'UE, en termes de PIB, de population active et de surface. Paradoxalement, ces pays
ont presque le même nombre d'agriculteurs que l'UE, alors que leur production agricole
s'élève à peine à 10 % de la production communautaire.
Marché du travail
Dans l'Union européenne, la mobilité du travail est en régression depuis les années 70.
Environ 2% de la population active des pays membres proviennent des autres pays membres.
Le marché européen du travail est beaucoup plus rigide que celui des Etats-Unis ou du
Canada. Une des principales causes en est la législation (par exemple la condition de domicile
fixe et stable). Dans les pays candidats, une partie de la population est disposée à changer de
domicile. L'élargissement conduira certainement à la réduction des rigidités sur le marché du
travail européen. Les différences linguistiques et culturelles représentent des obstacles
difficiles à surmonter et la mobilité de la force de travail comporte des risques en favorisant la
concentration et la spécialisation géographique. Les grandes disparités entre les pays
candidats et l'Union Européenne, en termes de productivité, pourraient avoir des effets
négatifs.
Les premiers devront alors choisir entre une émigration massive ou un taux de chômage
important, accompagné d'une croissance de la pauvreté or, l'UE n'acceptera pas de voir
diminuer le niveau des salaires et le niveau de vie .
3
.2.
Les
problèmes
politiques
:
l'affaiblissement
des
Etats
Les effets de décentralisation affaiblissent l'État central . La mise en place de politiques
économiques régionales contribue souvent à renforcer le clivage entre des régions
économiquement
fortes
et
dynamiques
et
des
régions
plus
faibles.
Ainsi naissent des groupes socio-économiques, des entrepreneurs, des groupes professionnels
et d'autres, étroitement liés aux politiques régionales, animés par la défense des intérêts
particuliers. Ils interviennent pour influencer les décisions économiques prises, soit au niveau
national, soit au niveau régional et local. L'affaiblissement des Etats a créé, dans certains
pays, des conditions propices à l'apparition d'organisations illégales ou à la limite de la loi. Il
s'agit de véritables secteurs d'économie parallèle qui échappent au contrôle de l'État. La
caractéristique commune des actions entreprises par ces organisations est une forte
accumulation de richesses et son transfert vers les pays occidentaux. En agissant dans le
domaine de l'économie illégale, elles échappent à la pression fiscale et offrent des emplois
illégaux aux nombreux chômeurs, en proposant même des perspectives de carrières pour les
jeunes.
4.
Les
conséquences
possibles
de
l'élargissement.
Il est difficile, à l'heure actuelle, de parler de l'après-élargissement. La capacité des pays
candidats à s'engager sur la voie d'un développement durable conditionnera leurs
performances économiques. Mais la condition essentielle demeure la réorientation des
échanges vers l'Union Européenne même s'il faut, pour cela, surmonter la barrière des
distances
économiques,
géographiques
et
culturelles.
Les hypothèses d'évolution des pays candidats viennent parfois de l'expérience passée mais la
véritable prospective s'inspire de considérations géopolitiques.
4.1.
La
réorientation
des
échanges
Certains pays candidats manifestent des similitudes économiques avec la Grèce et le Portugal
avant leur adhésion . Cela permet de tirer des enseignements sur leurs perspectives en matière
de
commerce
extérieur,
une
fois
intégrés
dans
l'Union.
Depuis son adhésion en 1981, les exportations de la Grèce à destination de l'Union
européenne ont couvert une part de plus en plus faible de leur niveau potentiel. En parallèle,
l'Union européenne a connu également un recul du taux de couverture de ses exportations
potentielles vers la Grèce. Ainsi, même si les échanges entre l'Union européenne et la Grèce
ont augmenté de manière importante sur la période, la progression constatée se révèle
inférieure à ce que ce pays pouvait prétendre compte tenu de sa distance économique et
géographique avec l'Union Européenne.
Lors de son adhésion en 1986, le Portugal disposait de niveaux d'échanges avec l'Union
Européenne, inférieurs à leurs potentiels en raison d'une ouverture plus importante vers des
zones géographiques extra-européennes. Une décennie après son adhésion, la situation est
inversée puisque le Portugal couvrait en 1997 100 % de son potentiel d'exportations avec
l'Union contre 71% en 1985. Contrairement à la Grèce, le Portugal a réussi à réorienter ses
échanges vers l'Union européenne de manière à dépasser les niveaux d'échanges que les
distances économique et géographique permettaient d'espérer : exprimé en parité de pouvoir
d'achat, le PIB par habitant a ainsi augmenté de 64 % pour le Portugal entre 1985 et 1999,
contre 22 % pour la Grèce sur la même période. Dès lors, il semble que la capacité des pays
candidats à s'engager dans un scénario à la portugaise (rattrapage rapide) plutôt qu'à la
grecque, conditionnera une bonne partie de leurs performances économiques.
4.2.
L'Europe
des
régions
Officiellement, deux hypothèses sont envisagées concernant les conséquences possibles de
l'élargissement : l'accentuation du modèle centre-périphérie ou l'émergence d'une géographie
plus
polycentrique
de
la
grande
Europe.
Le premier scénario signifie que, dans les régions les moins prospères, le revenu moyen par
habitant n'atteindrait que 30 % de celui de l'Union, par suite de différences de productivité et
de niveaux de formation. Dans le second scénario, les régions transfrontalières, plus
spécialisées que la moyenne européenne actuelle par suite de l'introduction de l'Euro et de la
progression du marché unique, verraient leur poids se renforcer au niveau des centres urbains
historiques et des infrastructures de communication. Ce scénario, plus optimiste, suppose des
politiques communautaires assez fortes . En Europe centrale, les diagnostics sont réservés,
tant sur le potentiel des régions transfrontalières que sur l'efficacité des aides structurelles . Il
reste que l'Union Européenne est un cadre géopolitique à l'intérieur duquel de nouveaux
courants d'échange peuvent se développer, de façon originale et parfois imprévue. Le concept
de région est encore trop récent pour que Bruxelles y attache une grande attention mais il
semble que des sous-ensembles géographiques plus ou moins disjoints tendent à se regrouper
en dehors des cadres nationaux .
D'anciens carrefours commerciaux redeviennent actifs à mesure que les frontières
s'estompent. La Baltique se restructure autour de l'ancienne Ligue Hanséatique. L'Arc Latin,
de Barcelone à l'Italie du Nord à travers la Côte d'Azur, concentre des ressources scientifiques
et des capitaux dans la haute technologie. Les provinces des Alpes Adriatiques, issues de
l'ancien empire austro-hongrois, travaillent à promouvoir l'environnement et la coopération
dans les transports. L'Arc Danubien, malgré les séquelles de la guerre des Balkans, recèle un
énorme potentiel de navigation entre l'Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la
Bulgarie et la Yougoslavie. En France, des métropoles telles que Lyon et Grenoble exploitent
des opportunités commerciales avec Turin et Milan. L'Arc Atlantique, de l'Irlande au Portugal
en passant par les côtes françaises et le Nord de l'Espagne possède les plus grands ports et
d'extraordinaires ressources marines.
Ceci est véritable carte de l'Union Européenne. Plus qu'une géographie des Etats aux
frontières bien délimitées, il s'agit d'un archipel de territoires dont les identités resurgissent à
travers le temps et l'espace.
L'Europe au delà des frontières
Dans un monde où la globalisation impose de plus en plus les règles du jeu, la nouvelle
Europe doit, à la fois, régler la question de ses frontières et renforcer l'efficacité de son action.
La nouvelle vague d'adhésion entérinée par le dernier sommet de Copenhague est une chance
historique de renforcer cette position, d'élargir l'espace européen de liberté, de sécurité et de
développement.
Les fondateurs de l'Europe avaient cherché, dans leur projet politique, à rallier tous les pays
européens sans donner au critère géographique une signification exclusive. Un nouveau
challenge sera d'exporter l'Europe au delà de son périmètre formel. A Copenhague, la
Commission européenne a rappelé que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Yougoslavie, la
Macédoine et l'Albanie ont vocation à devenir candidats à l'entrée dans l'Union. Après Chypre
et Malte, l'entrée prochaine de la Bulgarie et de la Roumanie permettront à une région du SudEst Méditerranée de se constituer autour de la péninsule balkanique. La Grèce, depuis les
déclarations de Zagreb en 2000, cherche à donner un nouvel élan au projet d'une Europe
méditerranéenne. La présidence grecque, au premier semestre 2003 jouera un rôle déterminant
.
Le débat lancé pour empêcher la Turquie de faire partie de l'Union se trouve dépassé par les
conclusions du Sommet d'Helsinki qui lui ont conféré le statut juridique de pays candidat ,
statut
confirmé
à
Copenhague
en
décembre
2002.
L'Europe semble condamnée à s'agrandir pour jouer le rôle d'une grande puissance
internationale. La question de savoir si elle le fait en dehors des cadres établie (y compris du
cadre géographique stricto sensu) n'est pas d'une importance capitale. Pas plus que de savoir
si l'Europe se fait avec ou contre les Etats Unis. L'Europe se fait. Plus elle s'agrandira et plus
les potentiels économiques, techniques et culturels se développeront. Plus qu'un concept
géographique, elle doit demeurer un rêve capable de transcender les frontières.
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