L'élargissement : une réponse européenne au nouvel ordre économique mondial Claude Martin Même si l'élargissement de l'Europe est un véritable défi pour les quinze pays déjà membres, l'UE n'a cessé de soutenir les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale en leur offrant une perspective d'adhésion. Ce processus auquel se sont joints trois pays méditerranéens (Chypre, Malte et la Turquie s'insère dans un contexte économique de libéralisme et de mondialisation des échanges où les frontières et les règles du commerce international évoluent constamment. De ce point de vue, l'élargissement peut être interprété comme une réponse européenne au nouvel ordre économique mondial. Pour la grande Europe de demain, les enjeux du développement sont liés aux potentiels d'échanges et à la libéralisation des capitaux dans les pays candidats. Des problèmes économiques persistent. Ils concernent, principalement, l'énergie, la reconversion de secteurs industriels, l'agriculture et le marché du travail. Enfin, la démocratisation et les effets de décentralisation introduisent des risques d'affaiblissement des Etats, avec l'apparition de nouveaux acteurs économiques, voire, d'organisations illégales ou à la limite de la loi. Dans ces différents contextes, il paraît difficile de formuler un scénario de l'après élargissement. S'agissant du développement des pays candidats les plus avancés, on peut tirer quelques enseignements sur leurs perspectives, en comparant leur situation avec celle de pays tels que la Grèce et le Portugal avant leur adhésion. Plus globalement les problèmes concernent le devenir de la grande Europe et les risques d'une périphérisation des économies d'Europe centrale. Parmi les hypothèses formulées, la plus probable nous paraît être celle d'une Europe à plusieurs centres, Europe dans laquelle les régions développeront leur propre logique de prospérité. 1. Mondialisation et recomposition de l’Europe. Deux histoires parallèles .1. Le nouveau contexte mondial a mondialisation est un phénomène relativement récent, facilité par la révolution de l'informatique (Internet) la chute du mur de Berlin et la libéralisation des mouvements de capitaux dans l'Union Européenne . La mondialisation ne se limite pas à l'ouverture des frontières ou à l'Investissement direct étranger. Elle se traduit par un rapprochement économique, politique et écologique des sociétés, porté par des technologies (connexion des entreprises et des marchés, télévision par satellite, Internet…). L'impact mondial de la crise financière qui a commencé en juillet 1997 dans le Sud-Est asiatique illustre bien l'étendue et la rapidité de ces interconnexions entre différents réseaux. La mondialisation correspond aussi au basculement d'une bonne partie de la planète dans l'économie de marché et au triomphe du libéralisme. Historiquement, la libéralisation des échanges est un processus engagé par le GATT (General Agreement on Tarifs and Trade) et souscrit par 23 pays occidentaux en 1947. Son programme consistait à réduire les tarifs douaniers, limiter les barrières protectrices et éliminer les discriminations en matière de commerce international. L'objectif était d'engager un processus continu de libéralisation du commerce, favorable au développement de l'investissement, à la création d'emplois et à l'expansion des échanges . Depuis 1947, diverses négociations vont aboutir, en 1994, à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce. L'OMC est une organisation inter-gouvernementale à part entière. Signée à Marrakech par 125 Etats, sa mission est d'élargir le champ de la libéralisation et d'arbitrer les conflits commerciaux. Quatre ans plus tard, en 1999 à Seattle, l'OMC, avec 135 Etats membres, est devenue le cadre réglementaire de la mondialisation de l'économie. Les pays signataires se sont engagés à libéraliser l'agriculture et les services et à prendre quelques règles dans les domaines de l'environnement, du social et de la santé. De même le projet de l'AMI (Accord Multilatéral sur l'Investissement ) négocié dans le cadre de l'OCDE permettrait la non discrimination des investisseurs étrangers en créant ainsi des droits mondiaux pour les entreprises . 2. L'émergence de l'Europe économique Tandis que le monde se globalise, le dynamisme européen prend la forme d'un arc industriel dont la pointe nord-ouest se trouve au niveau de Manchester, le centre en Rhénanie et l'extrémité sud-est au cœur de l'Italie du Nord. La concentration urbaine et la densité du trafic commercial font de cette épine dorsale de l'Europe, une des zones les plus actives au monde. C'est autour de cette banane bleue ainsi perçue par les cosmonautes et photographiée par les satellites, que se dessine l'Europe économique construite à partir de 1950. L'association, en 1951, de six pays au sein de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) , est le véritable point de départ du processus. En 1957, le Traité de Rome réunit l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas au sein de la Communauté Economique Européenne (CEE). Dès lors, l'Union Européenne ne cesse de s'élargir du Nord au Sud avec l'adhésion successive, du Danemark, de l'Irlande et du Royaume Uni en 1972, de la Grèce en 1981, de l'Espagne et du Portugal en 1986, de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède en 1995. Les critères d'adhésion, fixés en 1993 à Copenhague, se définissent ainsi : - être un pays européen (appartenance géographique, politique et culturelle) garantir la démocratie être compétitif sur les marchés de l'Union s'aligner sur la législation communautaire (acquis) - souscrire aux objectifs politique, économique et monétaire de l'UE En décembre 2002 à Copenhague, une fois de plus, les Présidents, Chanceliers et Premiers Ministres de l'Union engagent un cinquième élargissement et décident d'intégrer dix nouveaux membres parmi lesquels huit sont des Etats du Centre et du Nord de l'Europe et deux appartiennent au Bassin Méditerranéen . L'adhésion de deux Etats balkaniques est reportée à 2007. La Turquie est reconnue comme treizième candidat. Le dynamisme politique du continent européen est un fait remarquable. Une nouvelle géographie se dessine avec un potentiel accru d'un million de kilomètres carrés en surface, une population de 370 millions d'habitants et une économie de l'ordre de 9 milliards d'euros, capable de rivaliser avec celle des Etats-Unis. 2. L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale Les 12 et 13 décembre derniers, le Conseil européen de Copenhague a permis de clore les négociations avec dix pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Rép. tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Chypre et Malte), pour une adhésion définitive au 1er mai 2004. Copenhague entérine également la clôture de l'ensemble des chapitres de négociation. L'élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale, quel que soit le délai et au delà des inquiétudes qui se manifestent de part et d'autre, est l'occasion de prendre la mesure des nouveaux potentiels dont dispose ou disposera l'Europe Unie en termes commerciaux et financiers. 2.1. Les échanges commerciaux Après l'effondrement du début des années 90, le commerce intérieur de l'Europe centrale a connu une reprise grâce à la conjugaison du libre-échange et des stratégies des firmes multinationales. Si l'on considère les 12 pays candidats en Europe centrale (incluant les pays baltes et balkaniques) on observe que la presque totalité de leurs échanges sont réalisés avec leur proximité immédiate, c'est-à-dire avec le reste de l'Europe. Toutefois, l'orientation et l'importance des échanges varient selon la zone géographique et les secteurs d'activité. Sur le plan géographique, on distingue trois groupes de pays : - Les Pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) mais aussi une partie de la Pologne orientés vers l'Europe du Nord et le Royaume Uni, - Les Pays d'Europe centrale (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie et Pologne occidentale), orientés vers la zone Allemagne. - les Pays Balkaniques (Bulgarie, Roumanie) plus orientés vers l'Italie, la Grèce et l'exYougoslavie et moins dépendants de l'Allemagne Leurs résultats économiques varient selon les secteurs d'activité et leur localisation géographique. Ainsi, dans l'automobile, cinq pays candidats (Rép. Tchèque, Hongrie, Pologne, Slovaquie et Slovénie), réalisent 75 % des échanges du secteur avec l'UE 15. Ces résultats s'expliquent en partie par la proximité des grands marchés européens, l'existence d'une main d'œuvre spécialisée, combinée à des technologies modernes (importées), des politiques fiscales et de formation et par un effort dans la préparation des sites de délocalisation . Si l'on cherche à comparer les pays membres de l'UE exportateurs vers les pays candidats d'Europe centrale et des Balkans, il faut tenir compte de leurs performances intracommunautaires et extra-communautaires. …). Pour savoir si un pays est performant il faut rapporter le montant de ses exportations à destination des pays candidats à ses exportations intra-communautaires. Ces performances doivent être corrigées de la distance géographique (absence de frontière commune, liens historiques ou culturels. La différence par rapport à l'équilibre permet d'apprécier la marge de progression des exportations d'un pays de l'UE dans la zone PECO (Tableau 1). Tableau 1. Taux de couverture des exportations potentielles par les exportations observées de l'UE à destination des PECO (données 1997) PECO Pologne Hongrie Slovaquie etTchéquie Bulgarie Roumanie UE 15 51% 46% 97% 44% 41% 53% France 60% 64% 74% 53% 35% 61% Allemagne 45% 36% 137% 39% 43% 55% Autriche 101% 65% 145% 94% 85% 90% Italie 80% 88% 84% 67% 42% 102% Sources : Elargissement. Série Stratégie. RES 06 - 23 avril 2001 Les performances commerciales de la France, inférieures au potentiel, dépassent la moyenne des performances de ses partenaires. L'Autriche et l'Italie font mieux que la France. Tableau 2. Taux de couverture des exportations potentielles par les exportations observées des PECO à destination de l'UE en 1997 PECO* Pologne Hongrie Slovaquie etTchéquie Bulgarie Roumanie UE 15 37% 28% 79% 32% 42% 47% France 32% 29% 52% 23% 32% 43% Allemagne 63% 27% 127% 32% 40% 53% Autriche 35% 37% 101% 70% 39% 52% Italie 28% 37% 59% 41% 61% 97% Sources : Elargissement. Série Stratégie. RES 06 - 23 avril 2001 En sens inverse la marge de progression des exportations des PECO vers l'Union européenne reste importante. Il est probable que les importations de l'Union en provenance des pays candidats se renforceront plus rapidement que les exportations de l'Union vers ces pays (Tableau 2). Parmi les pays candidats, la Hongrie occupe une place particulière avec près de 80 % de ses exportations à destination de l'Union. La moindre performance d'autres pays candidats peut s'expliquer par leur mauvaise adaptation à la demande européenne, par l'absence de maîtrise des techniques et des réseaux de vente. 2.2. Les mouvements de capitaux Les possibilités financières des pays candidats sont liées aux mouvements de capitaux. Dans l'Union Européenne, ceux-ci sont libéralisés pour toutes les formes d'investissements : directs, immobiliers et de portefeuille. Dans les PECO, le processus de libéralisation des mouvements de capitaux a déjà commencé et le désir d'adhésion accélère le processus. La libéralisation produit des effets positifs lorsque l'économie nationale est stable et que les politiques économiques sont crédibles. Dans toute l'Europe de l'Est, les systèmes bancaires ont connu une profonde restructuration. Aujourd'hui ils sont presque complètement privatisés. En 2002-2003, il faut s'attendre à l'achèvement des privatisations des grandes banques dans six pays candidats (Pologne, Lituanie, Slovaquie, Slovénie, Roumanie et Bulgarie). Les participations étrangères prévues fin 2002 dans les systèmes bancaires de ces pays sont de l'ordre de 75 % en Pologne, 90 % en Lituanie, 83 % en Slovaquie, 41 % en Slovénie, 57 % en Roumanie et 79 % en Bulgarie. Certains pays bénéficient de financements pour renforcer leurs capacités administratives, leurs infrastructures et leurs équipements (PHARE, ISPA et SAPARD) dont les principaux bénéficiaires sont la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie. Partout se sont ouverts des marchés financiers mais les transactions sont encore peu diversifiées. L'Investissement Direct Etranger (IDE) est perçu par les gouvernements de ces pays comme un moyen indispensable pour accélérer le processus d'ajustement des entreprises et faciliter la réintégration des économies dans l'économie mondiale. Au niveau économique, l'investissement direct étranger a un rôle non négligeable sur l'investissement global y compris sur la balance des paiements. En 2000, les IDE à destination des PECO se sont élevés à près de 21 milliards de dollars. Cumulés depuis 1990, ils atteignent près de 100 milliards de dollars pour l'ensemble de la zone, dont 80 % environ en provenance de l'Union. La répartition de l'IDE n'est pas uniforme : la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie en détiennent plus de 70 %. Les principaux investisseurs européens dans la zone ont été l'Allemagne (25 %), les Pays-Bas (16%) et l'Autriche (14 %). La majeure partie de ces investissements porte sur quelques projets industriels importants (automobile, télécommunication, hydrocarbure..) dans un nombre réduit de pays, retenus en fonction de facteurs d'attraction. Les implantations étrangères sont favorisées dans les secteurs prioritaires (industrie, grande distribution, banques) et dans certaines régions. Ces investissements se répartissent entre les PECO essentiellement selon l'avancement de leurs réformes à l'exception de la Pologne qui tout en possédant le plus grand marché, en attire moins. Les firmes multinationales de la zone Japon Asie -Pacifique investissent également dans les PECO Pour les FMN, les changements survenus dans les PECO ont créé un nouvel espace pour redéployer leurs activités. Elles disposent d'un pouvoir de négociation avec ces gouvernements d'autant plus fort qu'elles peuvent choisir le lieu de leur délocalisation. Leur mondialisation commerciale et financière s'appuie avant tout sur la mondialisation de la production. Généralement ces firmes s'installent dans les secteurs les plus attractifs comme ceux de l'industrie manufacturière (alimentation, mécanique, chimique), de l'industrie automobile, des communications ou des services financiers Pour les pays européens et tout particulièrement pour l'Allemagne et l'Autriche il s'agit de trouver dans une zone géographique proche, de nouveaux sites de fabrication à la fois compétitifs et disposant d'une main-d'œuvre qualifiée pour leurs productions à contenu élevé en travail. A moyen terme, les firmes destinent l'essentiel de leur production au marché des PECO. La France compte 1756 implantations, principalement en Pologne, République tchèque, Hongrie, Roumanie et Slovaquie. Environ 270 entreprises françaises sont implantées en République tchèque pour une présence étrangère globale estimée à 1 200 entreprises. La présence française en Hongrie a connu un essor remarquable en 1995-1996 du fait des grands groupes, arrivés pour une bonne part dans le cadre des privatisations. Cela permet aujourd'hui à la France de se situer au 3ème rang des investisseurs. La France est le premier investisseur en Roumanie avec 216 entreprise. La Slovaquie compte un nombre plus important d'implantations de grande taille. Les entreprises implantées en Slovénie sont peu nombreuses et occupent des positions dominantes dans des secteurs tels que la construction automobile, la distribution ou les services bancaires. En Lituanie, les implantations sont de petite taille. La présence des Etats-Unis dans les PECO, même si elle n'est pas prioritaire, s'inscrit dans le cadre d'une stratégie offensive visant à prendre pied sur des marchés nouveaux en voie de stabilisation, tête de pont pour l'Europe de l'Est aujourd'hui et demain pour l'ensemble du marché européen. .Les problèmes non résolus Si des évolutions positives sont à relever dans les pays candidats, certains experts soulignent des problèmes persistants, liés au développement économique (marchés, capitaux, normes…) ou à la protection de l'environnement. Depuis le sommet de Lisbonne, ces pays ont été mis en contact avec la priorité d'un développement durable. A l'heure actuelle et malgré de réels efforts, des difficultés de nature sectorielle ou politique subsistent. 3.1. Les problèmes sectoriels Les problèmes non résolus concernent, principalement, la reconversion de certains secteurs industriels, l'agriculture ainsi que le marché du travail. Energie : des centrales nucléaires vétustes Le nucléaire pèse sur le processus de l'élargissement de l'Union européenne . Trois pays disposent encore de centrales considérées comme dangereuses (Kozloduy en Bulgarie, Bohunice en Slovaquie et Ignalina en Lituanie). Ils se sont engagés à les fermer. Pour l'instant, seule la Slovaquie a fourni un calendrier précis de démantèlement. Le cas est particulièrement critique pour la Lituanie. La BERD gère des fonds internationaux pour le démantèlement des centrales. Par ailleurs, Phare pourrait accroître son aide au nucléaire lituanien, bulgare et slovaque d'ici 2006. Sidérurgie Le secteur est en difficulté depuis la chute du communisme. Les échanges ont été caractérisés par une baisse régulière des exportations, associée à une progression rapide des importations. La plupart des entreprises sidérurgiques ne sont pas rentables et sont parfois fortement endettées comme en Pologne. Cette situation s'explique par un outil de production vétuste et une faible productivité. Des investissements sont indispensables mais les chances de reprises sont faibles. Agriculture : résorber la main d'œuvre excédentaire L'agriculture pose un problème particulier, d'une part à cause de la non libéralisation des produits agricoles au niveau mondial en raison des difficultés rencontrées pour l'extension de la Politique Agricole Commune. La PAC ne correspond pas toujours aux besoins des pays candidats. Dans les PECO, l'agriculture occupe une place trois ou quatre fois plus importante que dans l'UE, en termes de PIB, de population active et de surface. Paradoxalement, ces pays ont presque le même nombre d'agriculteurs que l'UE, alors que leur production agricole s'élève à peine à 10 % de la production communautaire. Marché du travail Dans l'Union européenne, la mobilité du travail est en régression depuis les années 70. Environ 2% de la population active des pays membres proviennent des autres pays membres. Le marché européen du travail est beaucoup plus rigide que celui des Etats-Unis ou du Canada. Une des principales causes en est la législation (par exemple la condition de domicile fixe et stable). Dans les pays candidats, une partie de la population est disposée à changer de domicile. L'élargissement conduira certainement à la réduction des rigidités sur le marché du travail européen. Les différences linguistiques et culturelles représentent des obstacles difficiles à surmonter et la mobilité de la force de travail comporte des risques en favorisant la concentration et la spécialisation géographique. Les grandes disparités entre les pays candidats et l'Union Européenne, en termes de productivité, pourraient avoir des effets négatifs. Les premiers devront alors choisir entre une émigration massive ou un taux de chômage important, accompagné d'une croissance de la pauvreté or, l'UE n'acceptera pas de voir diminuer le niveau des salaires et le niveau de vie . 3 .2. Les problèmes politiques : l'affaiblissement des Etats Les effets de décentralisation affaiblissent l'État central . La mise en place de politiques économiques régionales contribue souvent à renforcer le clivage entre des régions économiquement fortes et dynamiques et des régions plus faibles. Ainsi naissent des groupes socio-économiques, des entrepreneurs, des groupes professionnels et d'autres, étroitement liés aux politiques régionales, animés par la défense des intérêts particuliers. Ils interviennent pour influencer les décisions économiques prises, soit au niveau national, soit au niveau régional et local. L'affaiblissement des Etats a créé, dans certains pays, des conditions propices à l'apparition d'organisations illégales ou à la limite de la loi. Il s'agit de véritables secteurs d'économie parallèle qui échappent au contrôle de l'État. La caractéristique commune des actions entreprises par ces organisations est une forte accumulation de richesses et son transfert vers les pays occidentaux. En agissant dans le domaine de l'économie illégale, elles échappent à la pression fiscale et offrent des emplois illégaux aux nombreux chômeurs, en proposant même des perspectives de carrières pour les jeunes. 4. Les conséquences possibles de l'élargissement. Il est difficile, à l'heure actuelle, de parler de l'après-élargissement. La capacité des pays candidats à s'engager sur la voie d'un développement durable conditionnera leurs performances économiques. Mais la condition essentielle demeure la réorientation des échanges vers l'Union Européenne même s'il faut, pour cela, surmonter la barrière des distances économiques, géographiques et culturelles. Les hypothèses d'évolution des pays candidats viennent parfois de l'expérience passée mais la véritable prospective s'inspire de considérations géopolitiques. 4.1. La réorientation des échanges Certains pays candidats manifestent des similitudes économiques avec la Grèce et le Portugal avant leur adhésion . Cela permet de tirer des enseignements sur leurs perspectives en matière de commerce extérieur, une fois intégrés dans l'Union. Depuis son adhésion en 1981, les exportations de la Grèce à destination de l'Union européenne ont couvert une part de plus en plus faible de leur niveau potentiel. En parallèle, l'Union européenne a connu également un recul du taux de couverture de ses exportations potentielles vers la Grèce. Ainsi, même si les échanges entre l'Union européenne et la Grèce ont augmenté de manière importante sur la période, la progression constatée se révèle inférieure à ce que ce pays pouvait prétendre compte tenu de sa distance économique et géographique avec l'Union Européenne. Lors de son adhésion en 1986, le Portugal disposait de niveaux d'échanges avec l'Union Européenne, inférieurs à leurs potentiels en raison d'une ouverture plus importante vers des zones géographiques extra-européennes. Une décennie après son adhésion, la situation est inversée puisque le Portugal couvrait en 1997 100 % de son potentiel d'exportations avec l'Union contre 71% en 1985. Contrairement à la Grèce, le Portugal a réussi à réorienter ses échanges vers l'Union européenne de manière à dépasser les niveaux d'échanges que les distances économique et géographique permettaient d'espérer : exprimé en parité de pouvoir d'achat, le PIB par habitant a ainsi augmenté de 64 % pour le Portugal entre 1985 et 1999, contre 22 % pour la Grèce sur la même période. Dès lors, il semble que la capacité des pays candidats à s'engager dans un scénario à la portugaise (rattrapage rapide) plutôt qu'à la grecque, conditionnera une bonne partie de leurs performances économiques. 4.2. L'Europe des régions Officiellement, deux hypothèses sont envisagées concernant les conséquences possibles de l'élargissement : l'accentuation du modèle centre-périphérie ou l'émergence d'une géographie plus polycentrique de la grande Europe. Le premier scénario signifie que, dans les régions les moins prospères, le revenu moyen par habitant n'atteindrait que 30 % de celui de l'Union, par suite de différences de productivité et de niveaux de formation. Dans le second scénario, les régions transfrontalières, plus spécialisées que la moyenne européenne actuelle par suite de l'introduction de l'Euro et de la progression du marché unique, verraient leur poids se renforcer au niveau des centres urbains historiques et des infrastructures de communication. Ce scénario, plus optimiste, suppose des politiques communautaires assez fortes . En Europe centrale, les diagnostics sont réservés, tant sur le potentiel des régions transfrontalières que sur l'efficacité des aides structurelles . Il reste que l'Union Européenne est un cadre géopolitique à l'intérieur duquel de nouveaux courants d'échange peuvent se développer, de façon originale et parfois imprévue. Le concept de région est encore trop récent pour que Bruxelles y attache une grande attention mais il semble que des sous-ensembles géographiques plus ou moins disjoints tendent à se regrouper en dehors des cadres nationaux . D'anciens carrefours commerciaux redeviennent actifs à mesure que les frontières s'estompent. La Baltique se restructure autour de l'ancienne Ligue Hanséatique. L'Arc Latin, de Barcelone à l'Italie du Nord à travers la Côte d'Azur, concentre des ressources scientifiques et des capitaux dans la haute technologie. Les provinces des Alpes Adriatiques, issues de l'ancien empire austro-hongrois, travaillent à promouvoir l'environnement et la coopération dans les transports. L'Arc Danubien, malgré les séquelles de la guerre des Balkans, recèle un énorme potentiel de navigation entre l'Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Yougoslavie. En France, des métropoles telles que Lyon et Grenoble exploitent des opportunités commerciales avec Turin et Milan. L'Arc Atlantique, de l'Irlande au Portugal en passant par les côtes françaises et le Nord de l'Espagne possède les plus grands ports et d'extraordinaires ressources marines. Ceci est véritable carte de l'Union Européenne. Plus qu'une géographie des Etats aux frontières bien délimitées, il s'agit d'un archipel de territoires dont les identités resurgissent à travers le temps et l'espace. L'Europe au delà des frontières Dans un monde où la globalisation impose de plus en plus les règles du jeu, la nouvelle Europe doit, à la fois, régler la question de ses frontières et renforcer l'efficacité de son action. La nouvelle vague d'adhésion entérinée par le dernier sommet de Copenhague est une chance historique de renforcer cette position, d'élargir l'espace européen de liberté, de sécurité et de développement. Les fondateurs de l'Europe avaient cherché, dans leur projet politique, à rallier tous les pays européens sans donner au critère géographique une signification exclusive. Un nouveau challenge sera d'exporter l'Europe au delà de son périmètre formel. A Copenhague, la Commission européenne a rappelé que la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Yougoslavie, la Macédoine et l'Albanie ont vocation à devenir candidats à l'entrée dans l'Union. Après Chypre et Malte, l'entrée prochaine de la Bulgarie et de la Roumanie permettront à une région du SudEst Méditerranée de se constituer autour de la péninsule balkanique. La Grèce, depuis les déclarations de Zagreb en 2000, cherche à donner un nouvel élan au projet d'une Europe méditerranéenne. La présidence grecque, au premier semestre 2003 jouera un rôle déterminant . Le débat lancé pour empêcher la Turquie de faire partie de l'Union se trouve dépassé par les conclusions du Sommet d'Helsinki qui lui ont conféré le statut juridique de pays candidat , statut confirmé à Copenhague en décembre 2002. L'Europe semble condamnée à s'agrandir pour jouer le rôle d'une grande puissance internationale. La question de savoir si elle le fait en dehors des cadres établie (y compris du cadre géographique stricto sensu) n'est pas d'une importance capitale. Pas plus que de savoir si l'Europe se fait avec ou contre les Etats Unis. L'Europe se fait. Plus elle s'agrandira et plus les potentiels économiques, techniques et culturels se développeront. Plus qu'un concept géographique, elle doit demeurer un rêve capable de transcender les frontières.