Les Trois Représentations du Marketing au-travers de ses Définitions MATHIEU Jean-Pierre (1) & ROEHRICH Gilles (2) (1) Professeur de Marketing, Audencia-NantesEcole de Management, BP 31222, 44312 Nantes Cedex 3. Tel: 02.40.37.34.59 / Fax : 02.40.37.34.07 / [email protected] (2) Professeur de Marketing, CERAG, ESA Grenoble, Université Pierre Mendès France 38400 St Martin d’heres [email protected]. Les Trois Représentations du Marketing au-travers de ses Définitions: Résumé L’histoire du marketing s’inscrit dans une évolution aux facettes multiples : le concept de marketing lui-même, son domaine d’influence, son caractère scientifique, ont fait chacun l’objet d’une évolution importante. Formuler une définition du marketing se heurte donc à un double difficulté : cette définition doit simultanément englober l’ensemble des facettes du Marketing tout en rendant compte de l’état de chacune d’entre elles. L’objet de cette article est d’étudier la manière dont les auteurs de définitions du Marketing se sont sortis de cette difficulté. Après avoir dans un premier temps dressé un panorama des évolutions du Marketing dans le temps, nous effectuons une analyse lexicographique d’une corpus de 41 définitions anglaises, américaines et françaises, données dans des époques différentes. L’utilisation du logiciel ALCESTE révèle trois groupes de définitions. Leur analyse, effectuée à la lumière de l’histoire du Marketing, permet alors de les nommer : les définitions opérationnelles, ou le Marketing est principalement perçu comme une fonction de l’entreprise destinée à faciliter la vente ; celles, issues de l’école du Marketing management, où le Marketing est un processus de création de valeur ; enfin, les définitions centrées sur la notion d’échange présentent un Marketing enrichi et plus ouvert. Mots Clés : Marketing, Définitions du Marketing, Représentation, Analyse Lexicométrique Abstract The evolution of Marketing writes a multi-faceted history : the Marketing concept itself, its application area, its scientific dimension have all known an important evolution. The formulation of a definition of Marketing have to solve two main difficulties : include all the facets of marketing in a sole definition, and express the latest developments for each of them. The objective of this article is to study the way authors cope with this problem. We first begin with a review of the evolutions of Marketing. Then, we perform a lexical analysis of a set of 41 definitions of Marketing, from different periods and countries (England, France, USA). Using ACESTE methodology, we revealed three groups of definitions. An anlysis of these definitions in the light of the history of Marketing led to the following classification : Operational definitions, where Marketing is mainly perceived as of activity aimed at facilitating the selling process ; Marketing Management definitions, where Marketing is perceived as a process of value construction ; Marketing as Exchange definitions, where Marketing is appears enriched and more open. Keywords : Marketing, Marketing Definitions, Representation, Lexical Analysis 2 Les Trois Représentations du Marketing au Travers de ses Définitions: INTRODUCTION « One more time – what is marketing ?” A la fin d’un siècle qui a vu, tout au long de sa durée, le marketing se constituer en discipline scientifique (Cochoy, 1999), ce titre choisi par Baker (2000 b) en dit long sur la perplexité dans laquelle se trouvent enseignants et praticiens au moment de donner une définition du marketing. La réflexion sur l’essence et la nature du marketing est déjà ancienne, mais elle semble connaître un renouveau ces dernières années (Flambard-Ruau, 1997 ; Vernette, 2001, par exemple). Plusieurs causes, indépendantes les unes des autres, peuvent expliquer un tel regain d’intérêt : la force des critiques émanant des managers qui ne trouvent pas toujours réponses à leurs interrogations ; l’évolution de la réflexion sur ce qu’il est convenu d’appeler « les marketings sectoriels » (marketing B to B, marketing des services, marketing de la haute technologie, etc.) ; la pause du débat portant sur le statut scientifique du marketing ; enfin l’émergence de l’école post moderne (Firat et Venkatesh, 1999). La double nature de la réflexion sur le concept de marketing, ancienneté et renouveau, peut laisser penser que les définitions du marketing ont évolué parallèlement. L’objectif de cet article est d’étudier les différents modes de définition du marketing à la lumière de l’évolution du débat sur ce concept. Dans la première partie nous tentons d’identifier les principales dimensions de cette évolution. Dans la deuxième partie, nous nous appuyons sur une analyse lexicale de définitions trouvées dans la littérature pour en extraire une structure en trois groupes, qui est alors analysée à la lecture des constats effectués dans la 1 ère partie. Nous terminons cette étude en suggérant que chaque type définition du marketing peut être analysée comme une catégorie à part entière. 1. LE MARKETING – PHILOSOPHIE OU FONCTION ? Toute tentative de définition du marketing se heurte à cette ambivalence fondamentale : le marketing est à la fois une philosophie des affaires et une fonction dans l’entreprise. Pour Baker (2000b), qui poursuit une recherche permanente (Baker, 1976; 1996), l’essence du marketing est « une relation d’échange mutuellement satisfaisante » (p. 3). S’appuyant d’une part sur une reconstitution de l’apparition de l’échange entre les individus, et d’autre part sur certaines des « pierres angulaires » de la connaissance du marketing (la myopie marketing de Théodore Levitt, les trois ères du marketing de Keith et leur critique par Fullerton) cet auteur 3 tente de répondre à la question suivante : « le marketing est-il une philosophie ou une fonction ? ». culture production, d’autres fortement marquées par la culture vente, etc. Le mythe des « ères » du Marketing C’est dans un article publié en 1960 que Keith introduit l’idée des 3 ères du Marketing. Analysant l’évolution de l’entreprise Pillsbury, dont il fut un dirigeant, il conclut à la succession de 3 temps, coïncidant avec les modifications de la situation économique environnante : - L’ère « production » s’étend approximativement de 1850 à 1920. Dans cette période, l’entreprise se préoccupe essentiellement de la conception du produit et de l’organisation du processus de production. Les ventes se développent naturellement, conséquence d’une excédent de la demande sur l’offre. - L’ère « vente » aurait débuté aux alentours de 1920, et s’étendrait jusqu’aux années 50. La firme est toujours très orientée vers la production, mais il devient nécessaire d’avoir recours à une force de vente, afin de faire face au ralentissement de la demande et à l’augmentation de la pression concurrentielle. - L’ère « marketing » aurait débuté dans les années 50. Elle correspond à une véritable révolution culturelle dans l’entreprise : la satisfaction des besoins du client prend en effet la place de l’organisation interne de la production à la première place des préoccupations de l’entreprise. Cette nouvelle démarche est rendue nécessaire par le déficit de demande et l’excès d’offre. En 1968, Fullerton démonte point par point la thèse de Keith. S’appuyant sur une analyse historique rigoureuse, il montre que : - Les périodes délimitées par Keith ne correspondent à aucune chronologie universelle. L’évolution des conditions d’offre et de demande dépendent, entre autres, des situations spécifiques de chaque marché. - Au cours de chaque période, il est possible d’identifier des entreprises correspondant à chacun des trois profils de Keith. Aujourd’hui, on trouve toujours référence à ces « ères » du marketing, mais sous la forme d’ « approches », ou de « cultures ». Dans ce contexte, de nouvelles classifications sont également apparues, ajoutant aux trois états initiaux de Keith un état « produit » et un état « marché ». 4 Cette ambivalence rend difficile toute lecture de la littérature sur la question de la définition du marketing. En effet, les deux plans y sont mêlés, et la clarté des exposés s’en trouve amoindrie. Nous avons donc choisi d’effectuer dans cette première partie une double lecture des mêmes textes1. Dans un premier temps, nous tentons d’en extraire l’évolution de la fonction marketing. Dans un second temps, nous reprenons l’analyse sous l’angle de l’évolution du concept de marketing. Nous sommes conscients que ce choix implique un risque de répétition, mais nous pensons que la clarté de l’exposé est à ce prix. 1.1.La fonction marketing et ses évolutions Malgré la critique radicale de Fullerton (1988), le paradigme des trois ères du marketing de Keith (1960) fait encore largement référence, tant auprès des enseignants que des praticiens du marketing ((voir encadré). Une telle fidélité ne peut s’expliquer par l’inertie ou l’habitude. Comme l’avance Baker (1996), cette typologie, critiquable sur le plan historique, trouve une validation empirique dans une approche culturaliste de l’entreprise : certaines entreprises sont marquées par une Dans son acception la plus traditionnelle, le marketing est « cette fonction de l’organisation qui reste en contact permanent avec ses clients, décrypte leurs besoins, développe des « produits » qui correspondent à ces besoins et met en place un programme de communication pour exprimer les buts de l’organisation » (Kotler et Levy, 1969, p. 15). Il est unanimement reconnu que la spécificité de l’approche marketing réside dans « le décryptage des besoins des clients » de l’organisation et son influence sur la conception des « produits ». Concevoir et proposer une offre sur le marché n’est donc pas suffisant pour caractériser une orientation marketing. Il faut d’abord que cette offre ait été conçue dans l’objectif de répondre aux besoins des clients tels qu’ils ont été préalablement identifiés. Si les auteurs ne s’accordent pas sur le lieu et la date d’apparition du mot marketing, tous reconnaissent que sa formalisation en tant que pratique commerciale a lieu aux Etats-Unis, au début du XXème siècle et que sa conceptualisation a évolué en trois phases durant ce siècle (voir, par exemple, Pras, 1999 ou Flambard-Ruaud, 1997). Notons que dans de nombreux pays, des auteurs locaux, comme Chambonnaud (Goglio et Marco 2002), précurseur de l’adaptation du marketing américain en France, se chargèrent très rapidement de diffuser cette nouvelle connaissance. Il est important de préciser ici que notre objectif n’est pas de réaliser une synthèse supplémentaire sur le concept de Marketing et son évolution, mais bien d’effectuer une relecture des synthèses existantes, qui sont nombreuses, riches et convergeantes. 1 5 L’unanimité se fait également sur le fait de considérer les années 50-60 comme la seconde étape cruciale de la formalisation de l’approche marketing dans l’entreprise, avec l’émergence de l’école dite du marketing management. Avec des auteurs comme Borden (1964), Drucker (1954), Kotler (1967), Levitt (1960) ou Mac Carthy (1960), cette école réunit dans une vision globalement cohérente des notions et concepts comme ceux de segmentation, de positionnement, de processus de planification ou de marketing mix. La fonction marketing s’y voit attribuer une mission très précise : mettre en œuvre les préconisations formelles du marketing management. Cette mission a donné lieu à deux niveaux d’analyse : le niveau de la stratégie marketing, où sont définis la cible, le positionnement et la structure de l’offre, et le niveau du marketing opérationnel, où sont mises en oeuvre les décisions incluses dans le plan de marketing. A cette période, le marketing est tout à la fois dans l’entreprise une fonction, matérialisée par l’existence d’un département marketing, et une mission : satisfaire les clients (Drücker, 1954 ). Sur cette base, une double évolution va marquer la discipline : l’expansion (Sheth, 1988) et la remise en cause (Baker, 2000 a). L’expansion caractérise la tendance du Marketing à s’approprier des domaines qui lui étaient à priori étrangers. Cette expansion s’est faite dans deux directions : les types d’organisations concernées par le marketing et les activités qui, au sein de l’organisation, sont susceptibles de concerner la discipline. L’expansion organisationnelle a été initiée par Kotler et Levy (1969) qui ont affirmé l’adaptation de l’approche marketing à tout type d’organisations, commerciales ou non, à partir du moment où ces organisations avaient à faire à des publics avec lesquels elles entraient en relation. Bagozzi (1975) apporta à cette proposition une justification théorique en affirmant que l’échange n’était pas forcément marchand. L’expansion du marketing au sein de l’entreprise s’est matérialisée d’abord dans la capacité de la discipline à s’approprier un grand nombre de modèles issus de la discipline du management stratégique : les modèles de portefeuilles d’activité ou le modèle des 5 forces de Porter en sont les plus caricaturaux. Un troisième niveau d’analyse du marketing est alors apparu : celui du marketing stratégique (Lambin, 1986). Sous cette double expansion, on peut, avec Bartels (1972) se demander si le marketing ne risque pas de perdre son identité en se diluant dans un espace trop vaste, et si « le marketing, tel qu’il a été originellement conçu ne risque pas de réapparaître finalement sous un autre nom ». Deux notions, vedettes des années 90, apportent un début de confirmation à cette hypothèse. La première est la notion d’orientation marché ; la seconde, celle de qualité. 6 L’orientation marché (Kohli et Jaworsky, 1990 ; Narver et Slater, 1990) peut être perçue comme la forme la plus large du marketing. Incluant l’orientation client (première version de l’approche marketing), l’orientation concurrent, la réactivité et même l’orientation technologie (Gatignon et Xuereb, 1997), cette notion est perçue comme une culture d’entreprise, et non pas comme l’apanage d’une fonction. Il est donc possible de la considérer actuellement comme la forme la plus diluée du marketing. La notion de qualité s’est implantée dans les entreprises avec l’élaboration de normes adaptées à chaque contexte industriel. Dans sa version 2000, cette approche n’a qu’un objectif : la satisfaction du client, ce qui correspond tout simplement à la forme initiale du marketing. Parallèlement à cette phase « expansion-substitution », la discipline du marketing connaît une remise en cause interne de plus en plus agressive du paradigme du marketing management. Cette remise en cause est principalement européenne (Baker, 2000 a), et s’effectue sur deux fronts : le domaine des services (Grönroos, 1990 ; Eiglier et Langeard, 1987) et celui du marketing industriel avec notamment le groupe IMP (Hakanson, 1982). Dans les deux cas, les auteurs remettent en cause la validité du modèle du marketing management, en s’attaquant à son emblème : le marketing mix (Baker, 2000a, pp. 15-16), et en révélant sa limite ontologique : la transaction, à laquelle est substituée la relation (Baker, 2000 a, pp. 17-18). 1.2. Le concept de Marketing et ses évolutions Pour Easton (2001), la position épistémologique du marketing est celle du réalisme critique, à mi-chemin entre positivisme et relativisme. Il résume le cheminement de la discipline qui, partant de définitions très exigeantes, comme celles de Buzzell (1963) ou de Rudner (1966), finira par s’orienter, sous la pression des tenants de l’école relativiste (Anderson, 1983), vers une position réaliste (Hunt, 1991). Il est intéressant de rappeler les 3 premières des 8 caractéristiques spécifiques du réalisme critique : (1) la réalité existe indépendamment de la connaissance que nous en avons, (2) notre connaissance du monde est faillible et théorie-dépendante. Les concepts de vérité et d’erreur ne peuvent fournir une vision cohérente des relations entre la connaissance et son objet. Mais la connaissance peut faire l’objet de vérifications empiriques, et sa capacité à mettre en forme et à expliquer des pratiques expérimentales réussies n’est pas le fait du hasard, (3) La connaissance ne se développe ni de manière continue, comme une accumulation régulière de faits dans un schéma conceptuel stable, ni de manière discontinue, au travers de changements simultanés et universels dans les concepts ( Easton, 2001, p. ). Il est frappant de constater que ces trois préceptes peuvent servir de grille d’analyse à 7 l’évolution de la pensée sur la définition du marketing : (1) il existe une ontologie du marketing (2) nous avons du mal à y accéder à cause des limites de notre point de vue et (3) l’évolution de notre connaissance se fait par paliers. En effet, ce qui est souvent présenté comme « l’évolution du concept de marketing » (Flambard-Ruaud, 1997), voire même sa totale remise en cause (Cova, 1996), peut également être compris comme une progression vers une meilleure connaissance de l’ontologie de l’objet marketing. L’étude des principaux textes qui se penchent sur le sujet révèle que, si l’évolution du concept de marketing s’est faite par étapes, elle s’est également traduite par des modifications sur trois plans, qui vont maintenant être présentés. 1.2.1. Une problématique spécifique Dans la première phase, le marketing est apparu comme une prise de recul par rapport à la fonction vente. Il s’est donc posé comme une nouvelle problématique, c’est à dire une nouvelle façon d’aborder le problème de la vente de produits. S’opposant à une logique de l’offre, le marketing était caractérisé par la recherche des besoins des clients et la coordination des divers moyens permettant de mettre en avant la proposition de l’entreprise. Pras (1999) précise que « pour beaucoup, le concept de marketing est une orientation tournée vers le client qui s’appuie sur un marketing intégré destiné à engendrer la satisfaction du client et, à travers elle, à accomplir les buts de l’organisation » (p. 99). Cette approche a été cristallisée dans l’approche dite du marketing management. Le débat sur la pertinence de l’approche marketing classique est loin d’être clos. Issue du marketing B to B (Ochs, 1998) de manière générale, et du marketing des biens de haute technologie en particulier (Millier, 2002), une question est récemment réapparue : comment faire du marketing lorsque le besoin n’existe pas. C’est ainsi que, renforcée par la découverte que les clients n’ont aucune préférence au moment d’entreprendre un processus de décision d’achat (Bettman et al, 2000), renaît la conviction que la vente est avant tout affaire d’innovation et de pouvoir de conviction. Entre ces deux positions extrêmes, marketing de la demande et marketing de l’offre, Marion (1997) propose une hypothèse intermédiaire : le marketing conventionnaliste, ou médiateur. La proposition de cet auteur est de considérer que le rôle du marketing est d’identifier et de renforcer les offres les mieux adaptées à la demande. Partant du principe que la demande est en attente d’offres satisfaisantes, mais qu’il n’est pas possible de définir a priori quelles offres sont satisfaisantes, il définit le rôle du marketing comme celui d’un médiateur : il doit à la fois favoriser le succès des offres (par des actions de promotion) et identifier rapidement celles qui doivent être soutenues (celles qui ont effectivement du succès). Finalement, un accord tacite, 8 une convention, s’établira entre la demande et certaines offres, qui auront été considérées comme acceptables. Une comparaison de ces trois problématiques du marketing est présentée par Vernette (2001). 1.2.2. Une discipline à part entière Dans la deuxième phase, la question a principalement été d’identifier les conditions d’application du marketing. La réponse sur ce point a été double : la marketing est applicable lorsqu’il y a échange (Bagozzi, 1975), que l’échange soit marchand ou non (Kotler et Levy, 1969). Ayant identifié son champ d’application propre, l’échange, le marketing pouvait donc se constituer en discipline spécifique. La question de savoir si cette discipline était une science (Bartels, 1957 ; Taylor, 1965 ) a très vite été remplacée par celle de savoir si elle était une discipline scientifique. Cette question épistémologique a occupé les années 70, avant de sembler atteindre le statu-quo actuel, tel qu’il a été présenté plus haut : un relativisme critique dominant, entre certaines positions totalement positivistes et une tendance relativiste en croissance. 1.2.3. Un paradigme renouvelé La troisième facette de l’évolution du marketing correspond à un raffinement de la notion d’échange. Historiquement, le marketing trouve ses fondements dans la vente de produits standards à une clientèle anonyme, atteinte grâce à la communication de masse et à une distribution intensive (Cochoy, 1999). L’échange y est donc spontanément perçu comme une transaction. Les apports issus des branches sectorielles du marketing, principalement le marketing des services et le marketing industriel, ont éclairé l’insuffisance de cette optique de la transaction : il fallait donc passer à la relation, laquelle inclut la transaction, tout en étant plus qu’une suite de transactions (Webster, 1992). Comme le précisera Kotler (1992), il s’agit bien là d’un changement de paradigme. En effet, plus que tous les raisonnements, le paradigme relationnel remet fondamentalement en cause l’école du marketing management. En insistant sur les notions de satisfaction, de confiance, mais également de coopération, de fidélité ou d’engagement l’approche classique se heurte à un écueil fondamental : la participation du client à l’élaboration de l’offre (incluant tous les éléments du marketing mix) et donc à la production de sa propre satisfaction (qui dépend finalement plus de la relation que de la transaction instantanée). La démarche marketing classique doit être remplacée par une démarche beaucoup plus itérative, ou les rôles sont beaucoup moins clairement identifiés. 1.3. Synthèse : où en sommes nous aujourd’hui ? 9 Les paragraphes précédents ont tenté de réaliser une synthèse des évolutions du marketing tout au long du siècle dernier. Il en ressort que le concept a grossi (en intégrant des domaines qui ne le concernaient pas précédemment), est devenu plus complexe (avec l’acceptation du marketing de l’offre et du marketing conventionnaliste) et a changé d’objet (en passant de la transaction à la relation). Le tableau suivant tente de synthétisé l’essentiel de cette évolution. Les 4 colonnes du tableau correspondent aux quatre phases qui semblent rythmer l’évolution que nous avons décrite. Après son apparition au début du 20ième siècle, le marketing a été formalisé au tournant des années 50 par l’école du Marketing management. Cette base formelle lui a ouvert une phase d’expansion qui, en révélant les limites de cette approche, on provoqué sa remise en cause, et l’émergence du paradigme relationnel. Apparition Formalisation Expansion Remise en cause Objet Faciliter la vente Gérer la transaction Gérer l’échange transactionnel But Satisfaire le consommateur Satisfaire le consommateur Satisfaire le client Paradigme dominant La vente Le marketing Management Le marketing Management Opérationnel : vendre Stratégie marketing et marketing opérationnel Marketing stratégique, stratégie marketing et marketing opérationnel Gérer la relation d’échange Satisfaire le client / chercher ce qu’il veut acheter Marketing Management/ Marketing relationnel Orientation marché / Marketing stratégique, stratégie marketing et marketing opérationnel Tout type d’organisation Produits et services industriels, de grande consommation, services publics, etc . Champ d’application Organisations concernées Type de marketing Entreprises à but Entreprises à but lucratif lucratif Produits de grande consommation Produits de grande consommation Tout type d’organisation Produits et services industriels, de grande consommation, services publics, etc . 10 Il est important de reconnaître ici, avec Micaleff (1996), « la lente construction du corps théorique … » (p. 3385). En effet, les évolutions observées ne remettent pas en cause le concept de marketing. Elles l’enrichissent, sans rejeter les contenus précédents. La notion de marketing a donc évolué au rythme de la situation des marchés, de la structure des entreprises et des recherches et observations qui les ont accompagnées. Cet enrichissement continu devrait être perceptible dans les définitions que les auteurs donnent du marketing. En effet, parmi les matériaux utiles pour capter les évolutions du Marketing, les définitions qui en sont données peuventt être hautement révélatrices. Nous allons tenter d’appréhender cela dans la deuxième partie. 2. ANALYSE LEXICOMETRIQUE PAR CONTEXTE DE DEFINITIONS DU MARKETING Les définitions du Marketing sont nombreuses et différentes d’un auteur à l’autre. Il est donc tentant d’en effectuer régulièrement une analyse, afin d’en faire ressortir les grandes orientations. L’idée d’une telle analyse n’est pas tout à fait nouvelle. Déjà, en 1993, Gibson et al. effectuèrent une analyse de contenu, suivie d’une analyse des correspondances, sur une centaine de définitions. Conduite notamment dans une perspective historique, cette étude permet de mettre en avant les évolutions suivantes (Baker, 2000 b, pp. 19-20) : 1. des changements importants impliquant une évolution significative du concept de marketing depuis ses premières définitions, 2. le changement le plus important a eu lieu sur la nature de la relation, c’est à dire le passage de la transaction à la relation, 3. les changements dans l’environnement marketing ont conduit a un élargissement et un adoucissement du concept de marketing , et son transfert vers d’autres domaines, 4. le « Marketing » s’est montré adaptable, flexible, international et ouvert. Cette étude fournit donc une première approche sur les définitions du marketing. Notre objectif est d’aller un peu plus loin, en recherchant une typologie des définitions du marketing. 2.1. Sélection des définitions Afin de rassembler un nombre suffisant de définitions du marketing, nous avons adopté une double démarche. - recherche dans les ouvrages considérés comme des références par les enseignants du marketing, - consultation par Internet des membres de l’Association Française du Marketing. 11 Le résultat de cette procédure a fourni 41 définitions du Marketing2 (voir leur présentation en annexe) : 23 définitions francophones et 18 définitions anglophones. Nous sommes conscients du caractère arbitraire de cette population de départ. Néanmoins, notre expertise dans le domaine nous permet d’affirmer que si toutes les définitions existantes du marketing ne sont pas présentes, tous les types de définitions sont représentés. 2.2. Les contextes sémantiques du marketing Les définitions collectées ont été analysées à l’aide du logiciel ALCESTE, qui est un logiciel d’analyse lexicale. Pour nous, l’intérêt de ce logiciel est double : - d’une part il identifie les groupes de définitions. Chaque groupe correspond à un contexte sémantique, c’est à dire un ensemble cohérent de mots utilisée dans un contexte spécifique. - D’autre part, un test du Khi², permet d’identifier les mots spécifiques à chaque groupe (ceux qui sont affectés d’une valeur de Khi² élevée). Enfin, à la suite de Mathieu (2001) nous proposons de classer les mots des définitions en trois catégories (exemplaires, caractéristiques et scripts/schémas), afin de mieux en comprendre la signification. Cette classification est dite EPSS, pour Exemplaires, Propriétés, Scripts et Schéma. 2.2.1. Les 3 groupes de définitions du marketing L’analyse des 41 définitions a révélé 3 classes (pour l’heuristique de traitement voir Mathieu 2004). Les tableaux 1, 2 et 3 présentent les 3 contextes ainsi révélés. Les auteurs concernés sont listés au pied de chaque tableau. Il est normal que ces trois contextes sémantiques paraissent proches les uns des autres, puisque chacun est constitué à partir des définitions d’un même objet : le marketing. Mais il est tout de même intéressant de noter la variation de l’esprit dans lequel ces définitions ont été données : - Le contexte sémantique « Marketing opérationnel » rassemble 16 définitions et plus d’un tiers des éléments de discours (38%). Il est particulièrement caractérisé par les mots « Objectifs », « Entreprise », « Atteindre » et « Marché » (voir tableau 1). La lecture des autres mots qui le constituent indiquent une forte orientation managériale : adapter, permettre, ensemble, etc. Le marketing y est décrit comme un moyen d’atteindre les objectifs de l’organisation. 2 Les auteurs sont référencés dans les tableaux 1, 2 et 3 (les différents contextes du marketing ). 12 Ce jugement est renforcé par une second résultat fourni par le logiciel ALCESTE : une analyse typologique effectuée au sein de chaque contexte sémantique, et qui fournit donc les sous-groupes de mots qui apparaissent souvent ensemble. Pour le contexte sémantique « Marketing opérationnel », deux groupes ressortent fortement : le premier regroupe les mots « objectif, marché et atteindre » ; le second, les mots « entreprise et ensemble ». Vocabulaire signifiant CHI2 * Entreprise 13.27 Objectif 13.27 Atteindre 8.85 Marché 7.11 Adapter, adaptation, etc. 4.03 Permettre 4.03 Ensemble 3.90 Rentable, rentabiliser, etc. 2.44 Fonction 2.44 Commercial, commercialisation, etc. 2.28 Offre 2.28 Auteurs concernés : BARTELS, Commission_de_terminologie, EML_appliqué,GILARDI, HELFER_ORSONI,JOBBER, LINDON, MAC_DONALD, MERCATOR_1983, MERCATOR_1997, PRAXIMARKETING, Prof2, Prof_1 * La valeur du CHI² mesure le degré de spécificité du mot pour le groupe de définitions : plus le CHI² est élevé, plus le mot est spécifique du type de définition Tableau 1 : Contexte du marketing opérationnel A titre d’exemple, voici la définition donnée par Gilardi et al. ( 1995) : le marketing est l’ensemble d’études, de décisions et d’actions qui ont pour objet de connaître les besoins des consommateurs et d’y adapter les offres commerciales dans le but de réaliser les objectifs de l’entreprise. Nous retrouvons bien dans cette définition les préoccupations des responsables commerciaux qui, au début du siècle dernier, ont posé les bases du marketing (Cochoy, 2000) : orienter l’acte de vente en fonction des besoins des consommateurs, ce qui confirme l’ancrage de la définition dans le marketing BtoC. - Le contexte sémantique « Marketing management » rassemble 12 définitions et également un peu plus d’un tiers des éléments de discours (35%). Il est particulièrement caractérisé par les mots « Planifier », « Répondre », « Besoin », « Client », « Satisfaire » et « Prix » (tableau 2). La lecture des autres mots qui le constituent confirme l’ancrage de ces définitions dans l’école du marketing 13 management : biens, services, démarche, identifier, planifier, contrôler. De plus, l’analyse typologique révèle deux groupes de mots. Le premier rassemble les mots « répondre, consister et besoin » ; le second, les mots « planifier, satisfaire et client ». Vocabulaire signifiant CHI2 * Consister 14.16 Planifier, planification, etc. 10.45 Répondre 10.45 Satisfaire 6.81 Contrôler, contrôle, etc. 6.01 Identifier, identification, etc. 6.01 Prix 6.01 Client 4.94 Besoin 4.29 Service 3.26 Démarche 3.12 Mise 3.12 Bien 3.08 Action 2.0 Auteurs concernés : AMA1960, BAUX, BENOUN, BERRY_1983, CHIROUZE, CZINCOTA, DAYAN, HOWARD, MAC_CARTHY, PETTIGREW, STANTON_1975, STANTON_1981 * La valeur du CHI² mesure le degré de spécificité du mot pour le groupe de définitions : plus le CHI² est élevé, plus le mot est spécifique du type de définition Tableau 2 : Contexte du marketing management Une définition typique de ce groupe de définitions est fournie par Czincota (1997) : Le marketing est le processus suivi pour planifier et exécuter la conception d’idées, de biens et de services, de leur prix, de leur promotion et de leur distribution, afin de créer et de maintenir des échanges qui satisfont les buts individuels, organisationnels et sociétaux dans le contexte systémique d’un environnement global. Il est aisé de retrouver dans cette définition certaines références typiques de l’école du marketing management : les 4P du marketing mix, le processus de planification . L’intégration des préoccupations sociétales suggère que cette définition pourrait appartenir au groupe suivant. - Le contexte sémantique « Processus d’échange » rassemble 13 définitions et un quart des éléments de discours (26%). Les mots qui le caractérisent le plus sont « Echange », « Processus », « Social » et « Individu » (tableau 3). La lecture des 14 autres mots qui caractérisent ce contexte suggère un ancrage de ces définitions dans les propositions de Kotler et Levy (1969) et de Bagozzi (1992) : création, économie, satisfaction, désir, organisation. Enfin, l’analyse typologique fournit deux groupes de mots. Le premier rassemble les mots « échange, social et individu », tandis que le second ne comprend que le mot « processus ». Vocabulaire signifiant CHI2 * Echange 39.44 Processus 29.03 Social, sociaux 21.96 Individu 15.02 Création 11.76 Satisfaction 8.64 Désir 7.92 Economie, économique, etc. 7.92 Organisation 7.92 Désirer 5.09 Gestion 5.09 Concurrent, concurrence 5.09 Auteurs concernés : CLIQUET, EML_théorique, EVANS, JOLIBERT_DUBOIS, KOTLER_1980, KOTLER_1991, KOTLER_1999, LAMBIN, MICALEFF, OHIO_UNIVERSITY_19, PRAS, REEDER * La valeur du CHI² mesure le degré de spécificité du mot pour le groupe de définitions : plus le CHI² est élevé, plus le mot est spécifique du type de définition Tableau 3 : Contexte du marketing comme échange Pras (1997) fournit une définition typique de ce groupe : Le marketing est un processus social de gestion (par des acteurs, individus ou organisations) des sources et des flux d’information, de biens ou de services, en vue de la création et de l’échange volontaire et concurrentiel de ces biens ou services, générateurs d’utilité, à court, moyen ou long terme, pour les participants à l’échange. Il apparaît clairement que l’échange n’est plus ancré dans la sphère économique. Il en découle que les concepts caractéristiques de l’école du marketing management, profondément liés à l’échange marchand, sont absents de cette définition. Les trois groupes de définitions mis à jour révèlent donc que le marketing fait l’objet d’acceptions diverses. Nous allons essayer maintenant d’approfondir ce différences. 3. ANALYSE DES RESULTATS 15 Nous proposons d’analyser ces résultats sous deux angles : le premier consiste à comparer les trais groupes de définitions à l’évolution du marketing, telle qu’elle a été présentée dans la première partie. La seconde, à représenter chacun de ces groupes de définitions comme un catégorie cognitive à part entière. 3.1 . Définitions et évolution du marketing Les trois types de définitions du marketing - Les définitions de type « Marketing opérationnel » correspondent aux premières approches, identifiées au début du siècle dernier. C’est à cette période qu’est apparue l’impérieuse nécessité de poser la connaissance des besoins du client comme un préalable à la vente, cette dernière nécessitant un soutien de plus en plus important de la communication media ; - Les définitions de type « marketing management » correspondent à la conceptualisation effectuée dans les années 50-60. Reconnaissant la primauté du besoin du client, elles font référence aux principaux concepts développés alors : les 4P, la segmentation, le processus de planification stratégique, le positionnement ; - Enfin, les définitions de type « Marketing comme échange », expriment l’élargissement du concept de marketing, dans le courant des années 70. Ces définitions se libèrent du contexte marchand et mettent en avant la nécessité de maîtriser un échange transactionnel. Les trois groupes de définitions qui ont été révélés (voir encadré) paraissent concorder avec une évolution connue du marketing (Cochoy, 1999) . Il est important de remarquer ici que si ces groupes de définitions semblent pouvoir être reliés à des périodes de l’évolution du marketing, les définitions qui les composent ont pu être formulées à toutes les périodes. Par exemple, le groupe 1 contient une définition donnée dans l’ouvrage Praximarketing, de 1997. Le groupe 2 contient quant à lui une définition de Pettigrew de 1985, ou de Czincota de 1997, c’est à dire bien après la publication de l’article de Kotler et Levy. Enfin, le groupe 3 contient un grand nombre de définitions datant des années 90, c’est à dire postérieures à l’émergence de ce qu’il est convenu d’appeler le paradigme relationnel. En conséquence, il ressort que si les groupes de définitions sont représentatifs d’une période dans l’évolution du marketing, ils rassemblent des définitions qui ont pu être formulées à des dates très diverses : il n’y a pas de relation entre la date de proposition de la définition et le groupe auquel elle appartient. 16 Il est également possible de se demander si la nationalité de l’auteur exerce une influence sur le type de définition proposée. Rappelons que les définitions utilisées dans cette étude sont soit Françaises, soit américaines. Les résultats montrent que les deux nationalités se retrouvent dans chaque groupe. Cette observation suggère une absence de relation entre la nationalité et le type de définition proposée ; la petite taille de l’échantillon ne nous permet pas de justifier cette conclusion par un test statistique. Il n’est donc pas possible de justifier ces définitions par leur date, ou par la nationalité de leur auteur. Elles semblent plutôt exprimer l’acception que leur auteur se fait du marketing : une acception très opérationnelle pour le groupe 1, liée au marketing management des échanges commerciaux pour le groupe 2, et liée au marketing management des échanges de tous types pour le groupe 3. Il est enfin nécessaire d’insister sur le fait qu’aucun des groupes mis à jour ne semble marqué par les développement récents du marketing, et notamment par l’émergence du paradigme relationnel. Nulle part en effet on ne trouve mention de l’établissement d’une relation avec les clients, directs ou indirects. Cela est surprenant, dans la mesure ou ce paradigme a maintenat presque 20 ans, et qu’il est bien connu. Rappelons qu’il correspond à un changement d’optique important par rapport au paradigme du marketing management, dans la mesure où il intègre l’idée que l’offre est co-construite par le client (dans l ‘approche du marketing management, le client est simplement supposé choisir une offre « pré-packagée »). Si les définitions expriment des représentations du marketing, il est alors possible de les analyser comme des telles. C’est ce que permet de faire la classification EPSS 3.2. Classification EPSS Nous avons vu que chaque groupe de définitions est constitué sur la base de mots ou de groupes de mots qui expriment une idée fondamentale commune. En ce sens, tous les mots ou groupes de mots d’un groupe peuvent être vus comme des notions reliés à cette idée fondamentale. Cette structure est celle d’une catégorie cognitive, c’est à dire l’ensemble des notions qui viennent à l’esprit lorsqu’elles sont « activée » par un mot amorce. Par exemple, le mot amorce « oiseau » peut faire penser à « hirondelle, plume, aile, voler, bec, ver, etc. ». L’ensemble des mots ainsi remémorés constituent une catégorie cognitive. Il est important de noter qu’une catégorie cognitive est contextuée, c’est à dire qu’elle dépend du contexte dans lequel elle est activée. Par exemple, le même mot amorce « oiseau » peut faire penser à « mouette, planer, ailes, plumes, poisson, pêcher, etc. », pour une personne qui se promène sur une plage. Le contexte a donc une influence sur le contenu de la catégorie cognitive. C’est pour cela qu’on préfère les appeler « contextes sémantiques ». 17 Les éléments qui constituent une catégorie cognitive peuvent être classés en trois catégories : - les exemplaires sont les prototypes que l’acteur économique se remémore ou reconnaît. Pour la catégorie « oiseau », un exemplaire peut être pigeaon, goeland, ou aigle ; - les propriétés représentent les traits ou attributs des objets. Pour la catégorie « oiseau », les propriétés peuvent être : a des plumes, a des ailes, est petit, etc. - les scripts et les schémas sont des scénarios décrivant des enchaînements d’actions qui constituent des situations stéréotypées plus ou moins contextuées. Par exemple, les scènes « nourrir les pigeons » ou « chasser la palombe » peuvent correspondre à des scripts ou schémas de la catégorie « oiseau » D’après Mathieu (2001), constituer une taxinomie EPSS consiste à classer les différents éléments des contextes sémantiques dans chacune des trois catégories : Exemplaires, Propriétés, Schémas et Scripts. Le tableau 4 présente une tentative de classement des éléments de chaque contexte sémantique au sein de cette taxonomie. TAXINOMIE EPSS Marketing opérationnel Marketing management Exemplaires idéels entreprise(13.27) objectif(13.27) marché(7.11) offre(2.28) Prix (6.01) Client(4.94) Besoin(4.29) Service(3.26) Démarche(3.12) Biens(3.08) Action(2.00) Processus(29.03) Individu(15.02) Organisation(7.92) Désir(7.92) Concurrent(5.09) Gestion(5.09) Propriétés, traits(attributs) Ensemble(3.9) Rentable(2.44) Commercial(2.28) Atteindre(8.85) Adapter(4.03) Permettre(4.03) Consister(14.16) Planifier(10.15) Répondre(10.45) Satisfaire(6.81) Contrôler(6.01) Identifier(6.01) Echange(39.44) Création(11.76) Satisfaction(8.64) Désirer(5.09) Schémas & Scripts Marketing comme échange les valeurs entre parenthèses représentent les chi2 statistiquement significatif au seuil de alpha = 0,10 et un degré de liberté Tableau 4 : Les contextes sémantiques du Marketing L’analyse de la classification ainsi formée nous apporte quelques précisions sur ses fondements : 18 1. Seul le contexte « marketing opérationnel » comporte des caractéristiques. Leur lecture confirme à quel point ces définitions sont ancrées dans une vision commerciale et opérationnelle du marketing. 2. Chaque contexte est caractérisé par de nombreux exemplaires. La compréhension de ces exemplaires est aisée pour les deux premiers groupes : l’atteinte des objectifs pour le « marketing opérationnel » et le marketing mix comme réponse au besoin des clients pour le « marketing management ». Elle est en revanche malaisée pour le « marketing comme échange », où aucune logique ne ressort de la liste des exemlaires. 3. Les scripts et schémas, principalement représentés par des verbes, sont plus riches pour les contextes 2 et 3 que pour le contexte 1. La logique de regroupement est aisée à comprendre pour les groupes « marketing opérationnel » et « marketing management » ; elle est à nouveau moins claire pour le groupe « marketing comme échange ». Il ressort de cette analyse que les groupes « marketing opérationnel » et « marketing management » semblent correspondre à des orientations fortes dans les définitions du marketing. Par son manque de cohérence interne, le groupe « marketing comme échange » paraît moins stable. Le caractère disparate de son contenu peut être analysé de deux façons : soit il correspond à l’ensemble des définitions qui n’ont pu être classées dans l’une ou l’autre des deux autres groupes de définitions, soit il exprime la perplexité dans laquelle se trouvent les auteurs pour définir le marketing depuis une trentaine d’années. Il se peut que cette perplexité trouve son origine dans l’éclatement da la notion de marketing, telle que nous l’avons présentée dans la première partie. CONCLUSION Cet article a pour objectif de contribuer à la réflexion sur le concept de Marketing dans le cadre de l’analyse des ses représentations. Dans la première partie, à partir de la littérature, nous avons effectué une lecture duale de la représentation de ce concept. Nous en avons déduit une double évolution : une évolution du concept de Marketing de la vente vers la relation, et une évolution de la pratique du Marketing de la fonction vente vers une culture d’entreprise. Focalisant notre analyse sur l’évolution du concept de Marketing, nous avons ensuite analysé ses définitions usuelles. Trois groupes de définitions ont émergé, que nous avons dénommés : Marketing opérationnel, Marketing Management et Marketing de l’échange. 19 S’il y a un lien entre l’évolution historique du Marketing et la structure de ces définitions, il apparaît tout de même que les définitions sont en retard sur les évolutions. Il semble notamment que les auteurs éprouvent de plus en plus de difficultés à définir le marketing, et qu’il aient du mal à intégrer la dimension relationnelle dans leur définition. Il est nécessaire de faire preuve de prudence dans les conclusions à tirer de ce travail. Il est en effet nécessaire de prendre en compte certaines limites, dont les principales nous semblent être : - le fait que nous ayons centré notre analyse sur l’évolution de notre représentation du concept de Marketing, pas celle de sa mise en œuvre dans l’entreprise ; - la limitation de notre analyse à 41 définitions. Et même si les définitions les plus récentes font partie de cet ensemble, il se peut que des définitions « originales » puisse enrichir une telle analyse - la limitation de notre analyse à deux pays : la France et les Etats-Unis. D’autres points de vue pourraient apporter de la diversité. Les résultats qui ont été présenté montrent la diversité des représentations actuelles du marketing. Peut-être est-il souhaitable, comme le suggèrent Gibson et al. (1993) qu’il n’y ait pas de définition complète du marketing. Il paraît tout de même évident que les auteurs tardent actuellement à trouver une définition du marketing qui intègre les dernières évolutions de la discipline. 20 Références Anderson P.F. (1983), Marketing, Scientific Progress, and Scientific Method, Journal of Marketing, 47, pp. 155-173 Bagozzi Richard, P. (1975), Marketing as Exchange, Journal of Marketing, vol. 39, octobre, pp.32-39 Baker Michael J. (1976), Evolution of the Marketing Concept, in Baker Michael J. ed. Marketing-Theory and practice, 1st ed., Macmillan Business Baker Michael J. (1996), Evolution of the Marketing Concept, , in Baker Michael J. ed. Marketing-Theory and practice, 1st ed., Macmillan Business, pp. 1-9 Baker Michael J. (2000 a), Marketing – Philosophy or Function ?, in Baker, Michael J. ed. Companion Encyclopedia of Marketing, 2nd ed., Routledge, pp. 3-22 Baker Michael J. 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Notre choix pour cette méthode est fondé par le fait qu’elle va bien au delà d’une analyse de contenu : elle se situe au niveau sémantique et ne considère que les bases lexicales des mots pleins, opérant une réduction du vocabulaire par élimination des marqueurs de syntaxes, des désinences de conjugaison, de certains suffixes, des mots-outils ( articles, auxiliaires..), pour ne garder que les racines signifiantes. L’objectif de l’analyse est d’identifier des représentations ou des « mondes lexicaux », dénommés contextes sémantiques qui correspondent aux instanciations dans le discours d’univers mentaux ou se déplace l’énonciateur. Sur cette base, le logiciel procède alors à une analyse lexicométrique par contexte en 3 étapes : 1. Dans la première étape, les « contextes sémantiques » sont constitués à partir des mots et de leurs co-occurrence. Des mots qui apparaissent souvent dans le même champ se retrouveront dans un même groupe, ou contexte sémantique. 2. Puis est calculée au sein de chaque contexte sémantique la contribution au Chi2 de chaque mot. Plus la contribution est élevée, plus le mot participe à le signification du contexte sémantique. Cette étape permet de nommer chaque « contexte sémantique ». 3. Enfin, une analyse des correspondances multiples permet de présenter une carte des positions relatives des contextes sémantiques et des mots qui les caractérisent. Nous avons donc soumis nos définitions à ce traitement. Les résultats obtenus vont maintenant être présentés. 24 ANNEXE 2 Base des Définitions des Auteurs Académiques du Marketing utilisée pour l’Analyse Auteurs ou Intitutions AMA(1960) AMERICAN MARKETING ASSOCIATION BARTELS BENOUN BERRY BERRY (1983) Chartered Institute of Marketing CHIROUZE Commission de terminologie CZINCOTA DAYAN DRUCKER DUBOIS-JOLIBERT Ecole de Management de Lyon – EML (appliqué) Ecole de Management de Lyon – EML (théorique) EVANS GILARDI HELFER-ORSONI HOWARD JOBBER KOTLER LAMBIN LINDON MAC CARTHY MAC DONALD Marketing staff of the Ohio University (1965) MERCATOR_83 MERCATOR_97 MICALLEF PETTIGREW Philippe BAUX, PRAS PRAXIMARKETING Prof_1 Prof_2 Prof_3 Référence Cité dans Hunt, S., Marketing theory, - conceptual foundations of research in marketing, Grid Inc., 1976 Peter D. Benett, Dictionary of marketing terms, 2° éd., Chicago, AMA, 1995 Robert Bartels, Marketing theory and meta-theory, Richard D. 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