Page 1 sur 1 - Philippe Caubère Claudine et le théâtre – Pièce -
LUNDI 10 JUILLET 2000
CULTURE
54e FESTIVAL D’AVIGNON. L’acteur metteur en scène poursuit le roman inépuisable
de sa vie.
Caubère, tout sur sa mère
Claudine et le Théâtre
Claudine et le Théâtre
Par Philippe Caubère (en alternance
- Claudine ou l'éducation - et
- le Théâtre selon Ferdinand -).
Carrière Boulbon, 22h jusqu'au 27 juillet.
Intégrale le 29 juillet.
'est un ancien pavillon dc
chasse en pleine garrigue,
transformé en maison de
maître au début du siècle. Le
promontoire domine le pays,
de l’étang de Berre, dont la raffinerie
illumine la nuit telle une roue de fête
foraine, jusqu’aux collines aux portes
d'Aix-en-Provence. La demeure est
vaste et belle, entourée de jardins en
terrasses. La vieille balustrade,
surplombant la vallée, est ornée de
statues : une cohorte de nains
musiciens, dont un flûtiste à bicorne qui
ressemble à Napoléon. Longtemps, la
Chargère, la maison du grand-père de
Philippe Caubère, fut à vendre. Mais,
sauf à la faire visiter à des sourds un
jour de brouillard, il est difficile de
gommer un détail gênant : l'autoroute
Salon—Marseille passant à deux cents
mètres en contrebas. L'agent immobilier
a bien essayé d’escamoter la décharge
et la ligne à haute tension sur la colline
d’en face ; pour les six voies bitumées,
même si les cigales font écran, c’était
mission impossible.
Bref, de baisses de prix en visites sans
lendemain, Philippe Caubère a fini par
racheter la Chargère au mois de juillet
dernier pour le montant d’un petit
appartement à Paris. Et, depuis octobre,
il vit pratiquement dans la garrigue, où
il a déménagé ses livres, ses archives et
ses accessoires. Sur la cheminée du grand
salon, on trouve encore un renard
empaillé et, sur les murs, de vieilles
photos, dont celles d’un chasseur portant
un chapelet de gros oiseaux en
bandoulière : le grand-père et les
bartavelles. Le petit-fils ne chasse pas,
mais son vieux copain Bruno Rafaelli est
venu l’hiver dernier tirer des lapins
myxomatosés.
Etendard de la subversion. Dans la
cuisine, la cousine termine de coudre
pour le spectacle un drapeau rouge dont
la hampe en bambou provient
certainement du jardin. Le patron des
huiles Salador, à La Face-les-Oliviers,
n’imaginait pas qu’un jour l’étendard de
la subversion flotterait sur la Chargère.
Le nouveau propriétaire est parti à
Aix-en-Provence acheter un short
cycliste. A force de mimer sa mère en
train d’accoucher, renversé sur une chaise
les jambes en l’air, il a attrapé des
escarres et cherche un remède, à moins
d'une semaine de la première.
Le retour en Provence réussit à Caubère :
il a retrouvé la ligne du jeune homme
qui, il y a vingt ans, se lançait dans La
Danse du diable, premier chapitre d’une
folle autobiographie sur scène. Vingt ans
d'autovampirisation, marqués par les onze
épisodes du Roman d’un acteur, ou
com-ment le dénommé Ferdinand Faure,
parti faire du théâtre à Paris, fut
embauché chez Ariane Mnouchkine et les
aventures qui s’en suivirent. Mais
Caubère n’a toujours pas épuisé le roman
de sa vie. Les années d’enfance et le
personnage de sa mère, évoqués dans La
Danse du diable, constituent un matériau
encore largement inexploité. Le matériau
en question n’est pas seulement la
mémoire, mais les dizaines d’heures
d’improvisations effectuées en 1980
sous les yeux de Jean-Pierre Tailhade
et de Clémence Massart, qui sont à la
source de tout son travail. filmées et
enregistrées.
Pour Caubère, l’installation dans le
village de sa jeunesse coïncide donc
avec son retour en enfance sur scène,
d’où, explique-t-il, les kilos perdus : “Il
fallait que je retrouve une silhouette
crédible”. En ce dernier soir du mois
de juin, il doit "filer" pour la première
fois les deux épisodes inédits qu’il va
présenter à Avignon sous le titre
Claudine et le Théâtre et qui le mènent
de la naissance au bac. La scène n’est
pas loin : à vingt mètres au-dessus de la
maison, il a installé sur le toit de
l’ancien réservoir à eau le plancher de
son précédent spectacle sur Aragon. La
soirée est douce, l’autoroute bourdonne
sans à-coups, on aperçoit en contrebas
le toit d’une maison : celle de son
enfance, où son père vit toujours.
Roger Goffinet, assistant et
homme-mémoire depuis le début, se
cale sur sa chaise ; Véronique Coquet,
complice de presque aussi longue date,
s’installe sur un coussin ; Caubère
enfile son cuissard neuf, et c’est parti
pour plus de cinq heures coupées d’une
courte pause. Voilà Claudine, la mère,
en plein monologue entre deux nausées
tandis que madame Colomer s’affaire
en silence dans la pièce à côté. Les
spectateurs de La Danse du diable
retrouveront dans Claudine et le
Théâtre des situations et des
personnages familiers, et d’abord cette
mère passant se vie à coudre, à fumer, à
jurer comme un charretier et à tenter
d’écouter de Gaulle à la télé. Mais
Caubère commence cette fois par le
commencement, l’accouchement avec
Claudine s’exclamant au beau milieu :
“Pousser ? Mais pousser où, pourquoi,
et d’abord pour qui ?”
Amour vache. Dans cette répétition où
il s’agit de vérifier si le texte est bien
en mémoire, les mots plus que les
situations mènent la danse ; Caubère
marque peu le rythme ou les
changements de voix ; de toute façon,
la première partie est presque
exclusivement constituée du
monologue de Claudine.
Caubère-Ferdinand Faure, un châle aux
épaules, fait parler sa mère et il n'y a
aucune lourdeur, aucun drame juste la
célébration d'un amour vache. Ce qui
est formidable, c'est que le temps n'a
rien métamorphosé ou adouci, qu'on
pressent que celle qui parle par sa
bouche ressemble exactement à celle
qui parlait dans ce même jardin
quarante ans plus tôt. Mythique et
réelle, ni magnifiée, ni noyée dans le
sentimentalisme. De cette mère,
disparue en 1977 pendant le toumage
de Molière, Caubère dit avoir voulu
“livrer un portrait plus complet”.
Après le filage, de retour dans le grand
salon où son père, enfant, organisait
des spectacles, il mange, et boit du
champagne. C’est bien du passé qu’il
revient, au sortir du spectacle : “Dès
que je replonge dans le passé, les
souvenirs réels reviennent
instantanément : les couleurs, les
visages, la chaleur de la peau. Le
temps n’existe plus. Et c’est une
jubilation d’autant plus grande.” Tous
les épisodes ne sont pas authentiques,
mais tous ont été jugés crédibles, voire
véridiques, par les témoins de l’époque,
y compris cet accouchement où
Claudine joue celle qui n’a pas que
cela à faire. La cousine, qui a terminé
de coudre le drapeau rouge, confirme:
“Je retrouve tout : les mots, les
expressions —“Tu as oublié le vernis
des ongles des pieds !”—, la manie
du raccommodage, les gros mots...”
L’enfant du pays. Phillppe Caubère
n’en a toujours pas fini avec sa
jeunesse. Il a encore de quoi faire
plusieurs épisodes, sur mai 68, ses
débuts d’acteur à Aix avant son
départ pour Paris. “J'aimerais bien un
jour ne plus raconter l'histoire d'un
jeune homme, mais d’un homme.” Ce
jour viendra sans doute : ce sera le
premier chapitre du roman du Roman
d’un acteur, où l’on retrouvera
peut-être le récit du filage de
Claudine et le Théâtre, un soir de juin
sur la colline, et celui de la générale
du spectacle, un 7 juillet à la carrière
Boulbon. Quatre cent cinquante-huit
habitants de La Fare-les-Oliviers
s’étaient inscrits pour applaudir
l’enfant du pays.
Le week-end a été moins joyeux : un
gigantesque incendie a ravagé tous les
environs du village. Samedi soir, à
l’heure même où, dans la carrière
Boulbon, à trente kilomètres de là,
Philippe Caubère allumait ses
souvenirs, la maison de son père et la
Chargère était cernées par les
flammes. Elles se sont arrêtées à
l’aube à quelques mètres des murs.
Claudine veillait •
RENÉ SOLIS (envoyé spécial
à La Fare-les-Oliviers)