Quand la souffrance est celle du médecin
Analyse du Dr. Carlo Bellieni
ROME, vendredi 25 mai 2007 (ZENIT.org) Nous publions ci-dessous une analyse du
docteur Carlo Valerio Bellieni, directeur de l’unité de soins intensifs néonatals à la
Polyclinique universitaire « Le Scotte » de Sienne, en Italie, et membre de l’Académie
pontificale pour la Vie sur la manière dont les médecins traitent la souffrance.
Cela semble paradoxal mais il existe un point fondamental sans lequel tout traitement de la
douleur est peu efficace : soigner la douleur du médecin. Les recherches les plus récentes
nous expliquent en effet que le premier problème de la relation médicale est le regard que l’on
porte sur le patient, à travers lequel le patient accepte ou non la maladie ou, dans le cas de
parents, le fils ; et ce regard sur le patient dépend beaucoup de la manière dont le médecin
s’accepte lui-même ou se sent accepté, avec ses faiblesses et ses limites. Je crois que c’est
précisément le point sensible à la base de désaccords dans le domaine éthique : on reflète sur
les autres ce que l’on pense de soi-même.
Transposons cela dans le domaine de la réanimation des nouveau-nés qui risquent de rester
handicapés ou de perdre la vie. Il ne s’agit pas au fond de décider uniquement combien de
semaines doit avoir un fœtus nouveau-né pour le réanimer ou non : nous devons d’abord nous
arrêter et nous demander quelle idée nous avons du petit patient et de sa maladie… Pensons-
nous qu’en sauvant un enfant gravement malade nous ne ferons que donner un poids aux
parents et à la société ? Pensons-nous que le handicap soit vraiment la fin de la vie ? Pensons-
nous (comme une bonne partie des médecins, selon une recherche européenne de l’an 2000),
que « la vie avec un grave handicap physique est pire que la mort » ? En réalité il est facile de
répondre « oui » à ces questions si l’on a passé des années au contact de situations
douloureuses, délaissées par la société, parfois même abandonnées des parents.
Mais même s’il est facile de répondre « oui », la réponse est erronée. Pour deux raisons : la
première, parce que cela signifie que nous avons capitulé devant la capacité de solidarité de
l’Etat. La deuxième raison est que nous avons peut-être tous très peur de perdre notre santé et
nous répercutons cette peur sur les autres. Une récente enquête montre que les néonatologistes
de Nouvelle Zélande et d’Australie les moins enclins à poursuivre les soins sont également
ceux qui ont le plus… peur de la mort (Archives of Disease in Childhood, 2007). Il s’agit
d’une enquête très sérieuse, menée auprès de 70 médecins, qui utilise une échelle d’évaluation
psychologique précise, et qui devrait faire réfléchir : la première douleur à soigner n’est peut-
être pas celle de l’enfant ou de la famille, mais celle des médecins, la solitude du médecin,
l’excès de travail qui fait devenir cynique ou sentimental. Comment peut-on intervenir à ce
niveau ? Peut-être par une aide réciproque d’éducation et de prise de conscience nouvelle. Il
est évident qu’un enfant malade oblige à revoir la vie, engendre une souffrance, parfois
insupportable ; mais la honte des hontes serait que quelqu’un légifère sur qui il convient de ne
pas réanimer, sans avoir au préalable multiplié par mille les ressources en faveur des familles
des malades, les services, la culture… combien de « sommes » gaspillées attendent-elles
d’arriver entre les mains de ceux qui en ont le plus besoin ?
Il est évident que cela ne signifie pas s’acharner (mais qui le fait ?) sur des enfants que nous
savons en fin de vie, en les soumettant à des soins inutiles pour prolonger un peu leur vie ;
mais cela signifie répondre à la question que pose le handicap. Cela signifie que toute
personne a le droit d’être soignée et bien soignée, d’autant plus si elle est porteuse de
handicap… à moins que les soins soient inutiles. Mais que signifie « inutiles » ? Le cheval qui
se casse une patte devient inutile pour le travail. J’ai la certitude que si je perdais l’usage de
mes jambes, si l’un de nous était atteint d’une grave maladie neurologique, nous ne
deviendrions pas « inutiles ». Un monde qui sépare les vies utiles des vies inutiles donne le
frisson.
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