Tribune d’éthique propos du patient qu’il accueille à la clinique d’urgence. Présentement, des conditions aussi idéales font rêver les praticiens. A priori, nous pouvons imaginer que pour le patient, la réanimation réalisée par le Dr Rapido correspond à des soins dont il ne voulait pas; le patient nous dirait probablement que dans le langage juridique, ces soins sont «devenus inutiles» ou que «leurs conséquences lui sont intolérables». Dans l’hypothèse où les circonstances permettraient à un proche de discuter avec le médecin responsable, une difficulté se pose quant à la force probante de ce que demande la personne qui affirme s’exprimer au nom du patient. Plusieurs questions viennent à l’esprit du médecin à qui l’on explique les prétendues volontés du patient. L’interlocuteur du médecin est-il la personne avec laquelle le patient souhaiterait que le médecin discute? Cet interlocuteur respecte-t-il les volontés exprimées par le patient ou indique-t-il ce qui lui paraît être dans le meilleur intérêt du patient? Enfin, les directives du patient à son proche ont-elles été précédées par un examen sérieux et une compréhension valable de la situation? Avant de se décider à ne pas réanimer quelqu’un, un médecin peut avoir besoin de se faire une idée complète de l’état clinique du patient, de ses volontés, de ses rapports avec ses proches, de ses valeurs et de ses attentes quant à ce qu’il lui reste comme durée de vie. Dans le contexte d’une urgence, la nécessité d’intervenir diligemment pour réanimer le patient empêche de se livrer à la cueillette de toutes ces informations. Dans ces cas, il ne faut 60 le clinicien mai 1998 pas se surprendre que des médecins qui ne détiennent aucune information ou qui ne sont que très partiellement renseignés décident de réanimer le patient, conformément à l’économie générale de notre droit. Cependant, aucune norme juridique n’oblige le praticien à réanimer aveuglément tout patient qu’il se trouve à l’urgence ou non. Aspect éthique. Observer depuis Sirius, ou la distanciation. La mission d’une clinique d’urgence impose fréquemment qu’on y travaille sous une forte pression, dans des conditions qui imposent de réagir et d’entreprendre promptement; ces conditions créent un climat peu propice aux remises en question et aux débats. Ainsi, la bonne gestion de cas urgents souvent lourds ne laisse pas beaucoup de temps pour délibérer sur des questions par ailleurs très pertinentes, comme les questions éthiques. L’observation de la clinique d’urgence depuis Sirius repose sur deux prémisses : la clinique d’urgence est un lieu qui mérite d’être examiné attentivement du point de vue éthique, car il s’y produit de multiples événements ayant une forte densité morale; le personnel affecté à la clinique d’urgence a intérêt à se retirer de l’emportement quotidien inévitable en milieu d’urgence pour acquérir une certaine distanciation face à son action professionnelle régulière, plus particulièrement face à ce qui n’est plus questionné parce que devenu une partie de la routine. La distanciation consiste à adopter un recul, une position éloignée et critique par rapport au milieu