FEYDEAU DOSSIER ET LE VAUDEVILLE Programme Terminale Théâtre 2012-2013 Cours de M. BOUCARD INTRODUCTION L’expression « théâtre de boulevard » désigne un ensemble de genres scéniques à l’origine très variés mais dont le point commun est d’avoir souvent, et encore aujourd’hui, été méprisés par les amateurs d’un théâtre dit « sérieux » et intellectuel dont les qualités esthétiques seraient éminemment supérieures. Pourtant, si l’histoire littéraire a retenu tous les « grands » auteurs du théâtre dit sérieux, le théâtre de boulevard a produit depuis le 18ème siècle un nombre inimaginable de pièces et de spectacles et attiré un public immense qui lui assure encore de nos jours son succès. Le vaudeville, genre duquel relèvent les pièces de Feydeau au programme (quoique Feydeau ne les appelle pas « vaudevilles » mais « comédies » - nous verrons pourquoi), appartient depuis le début au « théâtre de boulevard ». Pour comprendre et apprécier la force de ce répertoire, il faut d’abord connaître l’histoire palpitante du théâtre de boulevard et pour cela connaître l’histoire des salles du « boulevard des théâtres ». Pour montrer le mépris dont le vaudeville a toujours été l’objet, citons Feydeau lui-même en 1905 : « Le vaudeville est-il mort ? Quelle plaisanterie! Mort le vaudeville? Mort le mélodrame? Ah! ça! donneriezvous dans les idées de ce petit cénacle de jeunes auteurs qui, pour essayer de tuer ces genres florissants qui le gênent, n’a trouvé d’autre moyen que de décréter tout simplement qu’ils étaient morts! Mais voyons, mon cher ami, s’ils étaient morts, est-ce qu’on se donnerait tant de peine pour le crier à tous les échos? Quand une chose n’est plus, éprouve-t-on le besoin d’en parler? Enfin, si le vaudeville et le mélodrame étaient morts, est-ce qu’on les jouerait quatre ou cinq cents fois de suite, quand à succès égal, une comédie, genre DIT supérieur (comme s’il y avait une classification des genres !) se joue péniblement cent fois? Comment expliquer cette durée tout à l’avantage du genre défunt? Peut-être par le dicton «Quand on est mort, c’est pour longtemps!» À ce compte-là, vive la mort! Non, la vérité, c’est qu’il y a vaudeville et vaudeville, mélodrame et mélodrame, comme il y a comédie et comédie. Quand un vaudeville est bien fait, logique, logique surtout, qu’il s’enchaîne bien, qu’il contient de l’observation, que ses personnages ne sont pas uniquement des fantoches, que l’action est intéressante et les situations amusantes, il réussit. [ ...] » PREMIERE PARTIE LES ORIGINES DU THEATRE DE BOULEVARD : LA GUERRE DES THÉÂTRES 1- Avant la Révolution de 1789 les Parisiens ont le choix entre : LE THEATRE OFFICIEL : des théâtres subventionnés par le pouvoir, le roi. Trois troupes et trois salles sont officiellement reconnues et subventionnées par le pouvoir. Chacune de ces troupes (et chacune de ces salles) pratique un genre scénique dont elle a le monopole exclusif : - l’Académie Royale de musique c’est le temple de l’art lyrique, de l’Opéra. Cette troupe a le monopole du spectacle chanté avec musiciens. - la Comédie Française elle a l’exclusivité du grand répertoire classique, tragique et comique (Molière, Corneille, Racine, etc.) - la Comédie italienne elle s’est spécialisée dans le répertoire de la commedia dell’arte, arlequinades, parodies d’opéras, farces, comédies. Ces trois troupes ont la protection du pouvoir qui leur a réservé les privilèges et monopoles dans leurs répertoires réciproques, leur évitant ainsi toute concurrence. En contrepartie, ces troupes proposent des spectacles bien peu subversifs, inféodés à l’idéologie dominante, critiquant bien peu le pouvoir. La conséquence de cette soumission est qu’au 18ème siècle ce théâtre est menacé de sclérose. Le public est lassé de voir toujours les mêmes spectacles (mêmes tragédies, mêmes comédies, comédiens déclamant avec emphase…). LE THEATRE FORAIN : les salles indépendantes des foires saisonnières - Depuis 1596 les forains ont la permission de jouer des spectacles profanes en échange d’une taxe. Les foires commerciales se sont donc multipliées devenant des lieux et des moments très importants de la vie populaire parisienne en particulier pour la vie des spectacles. ex : foire St Germain, rive gauche, en hiver foire Saint Laurent, rive droite, en été foire St Ovide sur place Vendôme, automne André Degaine, Histoire illustrée du théâtre Ces foires suscitent une véritable effervescence dans la capitale les spectacles, ancêtres du cirque et du théâtre de rue, sont nombreux : danses acrobaties, parades, exhibitions d’animaux… détail d’une peinture de Pieter Balten Balthasar (c. 1525 - c. 1598) gravure de Willem-Isaaksz Swanenburg , 1581 - 1612 Ces spectacles plaisent au public car ce théâtre s’affranchit des règles et codes du théâtre officiel et se montre souvent irrévérencieux. - 1697 : l’expulsion des comédiens italiens qui ont déplu au roi Louis XIV laisse leur répertoire comique orphelin de toute troupe et favorise donc l’essor de ce théâtre de foire : les comédiens et baladins de foire s’emparent du répertoire et des rôles. les lieux s’améliorent, le public vient nombreux (même la Cour). Louis XIV lui-même est séduit la renommée du Théâtre de la Foire est faite. Mais les théâtres officiels se montrent jaloux et créent tracasseries, obstacles, fermetures… Pour survivre à cette guerre que leur mènent les théâtres officiels, les comédiens de la foire trouvent des subterfuges qui vont progressivement donner naissance à des genres de spectacles spécifiques. Ex : en 1703, la Comédie Française leur interdit de déclamer du texte ? – Ils répondent en proposant des monologues, en déclamant des textes depuis les coulisses. Ou bien ils font passer les textes sur des affiches et écriteaux (« théâtre à la muette »). Ex : L’Académie royale de musique a le privilège de la musique, elle fait donc interdire les chansons sur scène ? – Les forains les font chanter par le public sur des airs populaires connus = c’est la naissance de l’opéra-comique et du vaudeville ! Le public s’amuse beaucoup de ces stratagèmes qui tournent en dérision les théâtres officiels. ce qu’il faut retenir de cette époque (17ème et 18ème siècles) : la guerre que se livre le théâtre officiel et le théâtre de foire va donner naissance à de nombreux genres qui vont s’affirmer au 19ème siècle ; se dessine une opposition très marquée entre un théâtre officiel et sérieux et un théâtre qui ne l’est pas : c’est-à-dire une opposition artistique et intellectuelle entre - deux types de lieux : les salles officielles, subventionnées et les salles de « moins bonne réputation » , privées ; - deux types de répertoires : le répertoire sérieux, classique celui des grands auteurs (dont on a retenu les noms !) et celui (encore très inconnu, dont nous n’avons plus beaucoup de traces) du théâtre forain, très inventif ; - deux types de publics : le public aristocratique et riche d’un côté, le théâtre populaire de l’autre. REMARQUE : demandez-vous si, aujourd’hui, le théâtre est sorti de ces oppositions faciles et hiérarchies méprisantes … 2- Le Boulevard du Crime ou l’apothéose du théâtre populaire Dans années 1760 : le théâtre de foire se concentre Boulevard du Temple, devenu promenade à la mode des salles et des scènes apparaissent de façon définitive pour ce théâtre originellement de tréteaux. Le Boulevard du Temple devient un lieu connu pour son théâtre populaire : de là vient qu’on est passé de le cette image d’époque, on voit l’affluence des promeneurs bourgeois, certains s’agglutinant devant les l’expression désignant un sur « crieurs » des théâtres qui annoncent ce qu’il y a à voir à l’intérieur des théâtres. lieu « théâtre DU boulevard » à l’expression désignant des genres « Théâtre DE boulevard ». La résistance des théâtres officiels est rude contre cette concurrence obligeant aux déménagements certaines troupes. Les plus fortunées restent en payant d’énormes indemnités. 13 janvier 1791 : un décret déclare enfin la liberté des théâtres et supprime tous les privilèges des théâtres officiels. Cette décision politique entraîne le développement massif des forains sur le Boulevard du Temple. Ex : le Théâtre des Funambules, 1816, rendu célèbre par mime JB Debureau image tirée du film Les enfants du paradis, Marcel Carné. On y voit la foule de badauds, les nombreux théâtres 1807 : ces théâtres du boulevard, montrant des spectacles n’obéissant pas aux règles du théâtre officiel, montrant un théâtre abondant, protéiforme, donc difficile à maîtriser, sont souvent vus par le pouvoir comme susceptibles d’agiter les classes populaires,. Napoléon, méfiant à égard du théâtre rétablit même la censure et réduit le nombre de salles parisiennes : huit salles sont tolérées : o les quatre théâtres nationaux - Comédie Française, Opéra, Opéra Comique, Odéon o et quatre théâtres secondaires privés – le Vaudeville, les Variétés, l’Ambigu Comique et le théâtre de la Gaîté cette séparation entre deux types de lieux (privé / public) renforce l’opposition et la hiérarchie géographiques et artistiques : o d’un côté les théâtres nationaux pour le grand répertoire situés au cœur de Paris, attirant un public notable et aisé (tous ces théâtres sont au cœur de Paris, lieu de la bourgeoisie et de l’aristocratie) ; o de l’autre les salles secondaires rejetées en périphérie, Boulevard du Temple, grands boulevards pour le public populaire (tous ces théâtres et ces boulevards sont à cette époque à la limite de Paris, l’équivalent des « banlieues »). Carte postale (en –haut) de la moitié du 19ème siècle puis (en-bas) peinture de Jean Béraud représentant le théâtre du Vaudeville Dès le XVIIe siècle, siècle à partir duquel se multiplient les théâtres à Paris, les salles de spectacles sont à bordure du centre où se trouve le pouvoir (politique et religieux). Quand la ville s’agrandira, les nouveaux théâtres seront toujours contraints de se loger à la périphérie, laissant le centre aux anciens théâtres devenus « théâtres officiels ». Les différents cercles correspondent aux différentes enceintes de la ville de Paris selon les époques. Au 18ème et au début du 19ème siècles, le Boulevard du Temple (« Boulevard du Crime ») se trouve à la périphérie de Paris. Puis, la ville s’agrandissant, ce sont les théâtres bourgeois (les « bonbonnières bourgeoises ») qui occupent le centre, les théâtres populaires se trouvant à leur tour, après les travaux d’Hausmann (années 1860), déménagés à la périphérie (double trait noir). Cartes d’après André Degaine, Histoire illustrée du théâtre 3- Les théâtres au 19ème siècle et le développement du théâtre de boulevard à partir de la fin de l’Empire napoléonien (1815), les théâtres bénéficient d’une nouvelle libéralisation. de nouveaux théâtres sont créés rive droite et sur les grands boulevards, l’activité théâtrale s’en trouve intense. Nombreux sont encore les théâtre à exister de nos jours (même s’ils ne sont plus à leurs places d’origine) : - théâtre de la porte St Martin - théâtre du Vaudeville - théâtre des Variétés - théâtre du Gymnase - théâtre de la Renaissance - Bouffes Parisiens Ce quartier devient le lieu d’une intense activité de spectacles de tous genres (théâtre, danse, cirque, cabarets, spectacles optiques féériques, marionnettes, mimes, endroits plus ou moins fréquentables, difficiles à imaginer de nos jours. Encore une fois, je vous renvoie au film de Marcel Carné Les Enfants du Paradis qui rend bien l’atmosphère du Boulevard du Temple. La classe bourgeoise peut se rendre dans de nombreux théâtres qui proposent des spectacles et un théâtre « rassurant » leur sentiment d’être la classe dominante (ce que Degaine désigne sous le nom de « bonbonnières bourgeoises » sur la carte ci-dessus). les travaux haussmanniens : à partir des années 1860, Napoléon III charge Haussmann de réorganiser l’urbanisme de Paris il s’agit officiellement d’améliorer la circulation, d’endiguer les constructions anarchiques et d’élever de splendides édifices publics. Mais ce projet masque une intention politique très pragmatique : limiter les risques d’émeutes populaires. Certains lieux comme le boulevard du Temple facilitaient par trop l’élévation de barrières et compliquaient l’intervention des forces de l’ordre. De surcroît, la concentration des théâtres populaires, héritage de l’esprit indépendant des foires, était une bien dangereuse poudrière potentielle. Haussmann fait raser la plupart des théâtres du boulevard du Temple. Les populations sont relogées dans les banlieues, c’est-à-dire éloignées des lieux de spectacle et de culture. Les salles de théâtre se ferment au petit peuple !!!!! De là on peut, peut-être, dater la séparation qui existe encore entre le monde de la culture et du théâtre et les classes populaires. Aujourd’hui : de tous théâtres du Boulevard du Temple ne subsiste à son emplacement d’origine que le théâtre Déjazet. Les grands boulevards concentrent encore de nombreux théâtres privés dont la programmation essentielle reste les vaudevilles et les comédies qui relèvent de ce qu’on appelle le théâtre de Boulevard. REMARQUE : pourquoi le Boulevard du Temple est-il appelé « Boulevard du Crime » ? Le bd du Crime doit son nom aux nombre de crimes commis dans les pièces représentées (mariages forcés, séquestrations, vols, assassinats…) qui s’y jouent et particulièrement dans le genre appelé mélodrame. Voici le témoignage humoristique d’un critique de l’époque (1823) : « Une âme sensible voulait qu’on appelât le boulevard du Temple le Boulevard du Crime ; hélas ! ce nom ne serait que trop mérité ; on a fait le recensement de tous les crimes qui s’y sont commis depuis vingt ans ; en voici le résultat : Tautin a été poignardé 16302 fois ; Marty a subi 11000 empoisonnements, avec variantes ; Fresnoy a été immolé de différentes façons 27000 fois ; Mlle Adèle Dupuis a été 750000 fois innocente, enlevée ou noyée ; 64000 accusations capitales ont éprouvé la vertu de Mme Levesque. Et Mlle Olivier, à peine entrée dans la carrière, a déjà bu 1600 fois dans la coupe du crime et de la vengeance. » photo du boulevard du Temple de Daguerre, milieu du 19ème siècle 4- Comment expliquer le développement du théâtre de boulevard au 19ème siècle L’annexion des boulevards par la bourgeoisie Le succès du théâtre de boulevard est lié à l’ascension de la bourgeoisie au 19ème siècle. Même si depuis le 17ème siècle, le théâtre fait venir toutes les classes sociales (pensez aux conditions bruyantes de représentation des pièces de Molière), l’architecture des salles hiérarchise rigidement les publics, et plus encore quand la salle à l’italienne devient le modèle de salle omniprésent. La séparation des publics s’accentue à partir des années 1830 pour devenir la règle sous le Second Empire (1852-1870) quand les salles populaires sont rejetées en périphérie laissant les théâtres officiels du centre de Paris à l’élite intellectuelle et sociale. La bourgeoisie s’empare des lieux de théâtre et des genres qui s’y pratiquent. l’apparition et le développement des genres du théâtre de Boulevard s’explique par cette domination de la bourgeoisie sur le monde du théâtre. Un théâtre – miroir Ce que va proposer le théâtre de boulevard, à travers les différents genres dominants (mélodrame, vaudeville surtout), c’est l’image dramatisée des valeurs morales, sociales, politiques, religieuses que prône la bourgeoisie, c’est le reflet du mode de vie que développe la bourgeoisie. Les pièces sont ancrées sur l’actualité Ex : allusion aux découvertes techniques (électricité, eau courante, …) , donnant l’impression au public qui salle à l’italienne avec son compartimentage du public et sa forme en a les moyens de s’offrir ces progrès d’être demi-cercle qui permet de voir et être vu « progressiste » ; Ex : l’évolution des mœurs qui est représentée : fumer le cigare, s’inviter à dîner, allusions aux endroits à la mode… personnages de demi-mondaines, de nouveaux riches parvenus… Les préoccupations du moment sont représentées : le monde des affaires (opposition de classes, conflits d’intérêts…), la famille (infidélité, conflits de générations, mariage/divorce…) le théâtre de Feydeau montre tout cela. Le théâtre de boulevard renvoie un tableau des codes bourgeois du public bourgeois pour fonder et renforcer l’identité de classe dominante et cimenter l’ordre social désiré par le pouvoir. L’écriture de ce théâtre est donc « démagogique » : les œuvres sont peu dérangeantes, flattent les goûts bourgeois… mais peu de vitriol. La fin des pièces est toujours morale et conformiste (méchants punis, les personnages vertueux sont récompensés…) Cf Alexandre Dumas fils, Préface du Fils Naturel, 1868 : il explique le but de ce théâtre : « Indiquons le but à cette masse flottante qui cherche son chemin sur toutes les grandes routes ; fournissons-lui de nobles sujets d’émotion et de discussion (…) Il nous faut peindre à larges traits, non plus l’homme individu, mais « l’homme humanité », le retremper dans ses sources, lui indiquer ses voies, lui découvrir ses fins ; autrement dit, nous faire plus que moralistes, nous faire législateurs. Pourquoi pas, puisque nous avons charge d’âmes ? » Conclusion C’est dans cette histoire, dans ces lieux et cette atmosphère populaire que le vaudeville va progressivement se développer et devenir, à la fin du 19ème siècle, le genre boulevardier par excellence. DEUXIEME PARTIE LE VAUDEVILLE C’est le genre boulevardier qui connaît succès le plus marquant et plus long puisqu’il est encore très en vogue de nos jours. 1- Histoire du genre Origines. L’étymologie est discutée : le mot viendrait de vau-de-vire : d’après région de Normandie (Vire) où au 15ème siècle le poète Olivier Basselin compose un type de chanson particulière en appliquant des textes satiriques à des airs connus qui seront appelées « vaudevires » en référence à l’origine géographique normande. Le répertoire s’accroit vite et se répand en France. au 16ème siècle : vaudevire = chanson populaire de circonstance : chanson bachique, grivoise, satirique, en tous les cas gaie et composée sur un air facile à retenir. Le mot est remplacé progressivement par vaudeville (probablement par confusion avec voix-deville, titre donné à plusieurs recueils de chansons citadines au 17ème siècle où des recueils de vaudevilles sont publiés. Fin du 17ème siècle : le vaudeville entre sur la scène de théâtre. - Les Comédiens Italiens lancent la mode des spectacles mixtes, chantés et parlés : ils jouent déjà la commedia dell’arte accompagnés d’instruments. De plus pour pasticher et se moquer de leurs rivaux de l’Opéra, ils farcissent leurs représentations de parodies d’opéras et de tragédies lyriques : sur la partition originale, on adapte paroles satiriques comme fait le vaudeville ! - En 1697 : expulsion des Italiens qui ont déplu au Roi. Leur privilège est donc perdu. les théâtres forains s’approprient leurs pratiques. Sur les foires St Germain et St Laurent les « pièces à vaudevilles » connaissent un essor et un succès en jouant des interdits fixés par les théâtres officiels : ex : au nom de leurs privilèges, la Comédie Française et l’Académie Royale de musique ont fait interdire la comédie et le chant sur les théâtres de foire ? Les Forains trouvent parade : les comédiens miment l’action sur scène, on présente au public ces écriteaux avec texte ; on indique le timbre d’un vaudeville (qq acteurs dans public lancent l’air) pièces dites « à écriteaux » qui apparaissent dans années 1710. Le public s’amuse de ces parodies et stratégies de contournements… - En 1714 : moyennant une taxe versée à l’Académie royale de musique les comédiens de foire obtiennent l’autorisation de chanter eux-mêmes la « pièce à vaudeville » se développe : dans une pièce à vaudeville, on peut trouver : - entre 20 et plus de 50 airs chantés, distribués sur différents comédiens - les couplets ont plusieurs fonctions : ils se substituent aux dialogues ils résument la situation ils apportent un éclaircissement ils apportent de la grivoiserie, de l’humour - l’intrigue de ces pièces est simpliste, les personnages sont typologiques, ils ne cherchent qu’à faire rire. Au 18ème siècle, années 1750 : la « pièce à vaudeville » n’est plus à la mode, concurrencée par opéracomique. Elles reviennent à la mode à la fin du siècle si bien qu’on inaugure un Théâtre du Vaudeville le 12 janvier 1792. Insérer image du théâtre Au 19ème siècle le vaudeville devient un des genres les plus prestigieux. - Le genre est épargné par la censure de Napoléon. La gaieté légère que propose ce genre théâtral répond aux attentes du public éprouvé par les terreurs et les horreurs de la Révolution. Les auteurs de vaudevilles gardent un ton comique consensuel. Aussi quand, en 1807, Napoléon restreint le nombre de salles à Paris, le théâtre du Vaudeville reste parmi les 8 théâtres autorisés. la production de vaudevilles devient considérable. Entre 1806 et 1848 on estime que les vaudevillistes font jouer plus de 10000 pièces ! Certes, à l’époque un vaudeville est une pièce en 1 acte (on en joue donc plusieurs par soirée !). « Faire des vaudevilles est devenu la meilleure des industries littéraires » dira le critique Paul Vermond en 1835. - Eugène SCRIBE et Eugène LABICHE sont les deux auteurs qui donnent ses lettres de noblesse au genre du vaudeville en en faisant un genre élaboré. Les pièces sont plus structurées, mieux pensées dans leur progression dramaturgique : - 3 actes, mise en place méticuleuse des éléments de départ pour permettre enchaînement selon image de la boule de billard. - Les personnages gagnent en psychologie et en vraisemblance. - Les airs et chansons qui caractérisent le vaudeville depuis l’origine paraissent de plus en plus superficiels, ils diminuent donc en nombre et en importance, sans disparaître complètement puisque ils restent obligatoires pour ne pas concurrencer théâtres qui ont privilège du théâtre parlé jusqu’en 1864. - Le 6 janvier 1864 est une date importante dans l’histoire du théâtre: un décret libère enfin les auteurs, les salles et les genres scéniques de toutes les contraintes et tous les privilèges : CHAQUE AUTEUR PEUT FAIRE CE QU’IL VEUT, CHAQUE GENRE PEUT S’EMPARER DE CE QU’IL VEUT ET DEVENIR CE QU’IL VEUT. le vaudeville profite de cette liberté en faisant disparaître les couplets (d’autant plus facilement que le genre de l’opérette prend le relais à la même époque). Remarque : Un Fil à la Patte comprend encore un vaudeville au sens ancien du terme : à l’acte III, scène 8, Viviane et Bois d’Enghien sont contraints de s’entretenir en chantant «sur l’air de Magali, de Mireille» - mais il faut noter que ce bref «vaudeville», loin d’être une bouffonnerie gratuite, est justifié dramatiquement, puisque les deux amants doivent chanter pour donner le change à Miss Betting, qui chaperonne Viviane. - Georges FEYDEAU arrive à ce moment de l’histoire du vaudeville et parachève le genre. Depuis 1870, le vaudeville désigne donc toute pièce d’une gaieté vive dont les ressorts comiques sont fondés essentiellement sur le comique de situation et l’enchaînement vif de péripéties comiques. 2- DRAMATURGIE DU VAUDEVILLE : les rouages de la mécanique vaudevillesque Le vaudeville répond à un objectif dramaturgique clair : EFFICACITE DRAMATIQUE OPTIMALE. L’intrigue d’un vaudeville ne doit jamais cesser de s’auto-alimenter en rebondissements, en coups de théâtre de manière à toujours tenir le spectateur en haleine et en rire. STRUCTURE DRAMATIQUE L’exposition et les préparations L’intrigue d’un vaudeville est souvent complexe et obéit au principe de l’accumulation : elle ne cesse de se compliquer au gré des mensonges des personnages. Pour que le spectateur ne se perde pas, l’exposition est fondamentale. Tout l’acte I peut être nécessaire pour installer les ressorts souvent complexes de la pièce. Au risque de rendre parfois cet acte I laborieux à cause de la surcharge d’informations. Ex : L’acte I d’Un fil à la patte comprend 20 scènes qui obéissent au principe d’accumulation des personnages nouveaux et donc des intrigues nouvelles : Marcelline Lucette Cheneviette Nini Fontanet Bois d’Enghien Baronne Bouzin Irrigua… Cette exposition minutieuse assure les « préparations » c’est-à-dire la mise en place de tous les éléments qui assureront la vraisemblance (parfois relative) de l’intrigue à venir. Ex : Un fil … : l’acte I comprend 20 scènes. A la fin de l’acte tous les fils sont tendus autour de chacun des personnages : Bois d’Enghien et l’imbroglio amoureux qui s’annonce chez la baronne dans l’acte II Lucette et sa menace de mort qui annonce l’acte III L’intrigue Irrigua qui traverse toute la pièce pour culminer en III L’intrigue Bouzin qui traverse aussi la pièce L’agencement de l’intrigue A partir d’une action principale et d’un personnage principal qui la porte (le mariage de Bois d’Enghien et sa nécessaire séparation d’avec Lucette ; l’urgence qu’il y a pour Toto d’avaler son purgatif), l’action s’épaissit progressivement, se démultiplie en un faisceau d’intrigues connexes : Ex : Un fil : l’intrigue Irrigua, l’intrigue Bouzin, l’intrigue Viviane, l’intrigue Marceline qui voudrait bien goûter à l’amour… Ex : On purge : l’intrigue commerciale, l’intrigue de l’adultère, l’intrigue intestinale… d’où le sentiment de complexité des intrigues dont la multiplication et l’intrication touchent parfois à l’absurde Le découpage en actes est conventionnel. Chaque acte constitue une étape dans l’imbroglio : après les préparations de l’acte I, l’acte II complexifie l’intrigue en enfonçant les personnages dans leurs mensonges. L’acte III touche à l’hystérie que vient, deus ex machina, en coup de théâtre, résoudre une ultime action. Le découpage des scènes répond à la tradition des entrées et sorties des personnages. Si le vaudeville multiplie les scènes dans chaque acte, c’est que les entrées et sorties s’y font à un rythme effréné déclencheur de comique, autour de cet élément de décor devenu accessoire et « personnage » : LA PORTE Ex : Un fil : dans I, Marceline meurt de faim : ce sont les incessantes entrées et sorties de personnages qui retardent l’assouvissement de cette faim à la scène 7. Ex : On purge : a contrario, c’est le fait que Mme Folavoine ne parvienne pas à sortir du bureau de son mari qui génère un comique répétitif. La fatalité comique Le vaudeville repose sur une chaîne ininterrompue d’actions qui enferment les personnages dans des situations comiques inextricables. C’est pourquoi on peut parler de « fatalité comique ». Cf Francisque Sarcey : « les incidents naissent des incidents et chaque pas que vous faites pour sortir de ces épines vous y empêtre davantage » (Quarante ans de théâtre, 1900-1901) Le vaudeville repose donc sur une mécanique infernale de péripéties qui vont crescendo. Cf Feydeau : « Je pars toujours de la vraisemblance. Un fait – à trouver – vient bouleverser l’ordre de marche des événements naturels tels qu’ils auraient dû se dérouler normalement. J’amplifie l’incident. Si vous comparez la construction d’une pièce à celle d’une pyramide : je pars de la pointe et j’élargis le débat. » (cité par Michel Georges-Michel, L’époque Feydeau) cette citation de Feydeau explique bien le phénomène de l’ENGRENAGE qui donne aux événements comiques qui définissent le vaudeville une impression de fatalité burlesque, voire absurde. Ex : réplique de Bois d’Enghien pour désigner cette construction et ce sentiment de fatalité dans laquelle il s’est lui-même mis : « J’ai une maison de cinq étages suspendue sur ma tête. » (II, 10) Lé dénouement Le vaudeville se termine toujours dans la joie. L’ingéniosité de l’auteur consiste donc à démêler tous les imbroglios qu’il a mis en place. Cf Dumas fils, Préface de La princesse Georges, 1877 : « Un dénouement est un total mathématique. Si votre total est faux, toute votre opération est mauvaise. J’ajouterai même qu’il faut toujours commencer la pièce par le dénouement, c’est-à-dire ne commencer l’œuvre que lorsqu’on a la scène, le mouvement et le mot de la fin. On ne sait bien par où on doit passer que lorsque l’on sait où l’on va. » Dans ce dénouement heureux, l’ordre et la morale triomphent, fût-ce de manière ambiguë. Ex : certes Bois d’Enghien se marie et la demi-mondaine Lucette quitte la scène, chassée, humiliée (la morale bourgeoise pourrait s’en trouver satisfaite). Mais le menteur Bois d’Enghien ne s’en trouve pas moins récompensé , de même que Viviane qui a trompé sa mère et lui fait un chantage à la réputation pour obtenir le « bien » qu’elle convoite. Ex : On purge : c’est aussi sur un mensonge à ses parents bernés que Toto remporte le match. Le primat de la situation La situation clé : le trio La situation de départ pose toute la mécanique qui va s’enclencher. La situation que privilégie le vaudeville est le TRIO. Trio amoureux : mari/femme/amant(e) Trio familial : père/mère/enfant Cette cellule de départ peut ensuite varier : trio financier, trio politique, trio domestique… Le trio permet de mettre en scène la tromperie conjugale, l’adultère, out toute tromperie, le personnage tiers étant là pour témoigner du mensonge, pour encombrer, gêner. Les incidents A partir de la situation de départ, le vaudeville va consister à multiplier les incidents, obstacles. Rencontres fâcheuses Les scènes de rencontres intempestives sont les plus caractéristiques du vaudeville elles forcent les personnages à des confrontations non souhaitées, chocs particulièrement efficaces pour créer le comique. Cf Feydeau, propos rapporté par Tristan Bernard : « Quand je fais une pièce, je cherche, parmi mes personnages, quels sont ceux qui ne doivent pas se rencontrer. Et ce sont ceux-là que je mets, aussitôt que possible, en présence. » (ex : II du Dindon) C’est souvent le hasard le plus gratuit qui agit, le dramaturge ne s’embarrasse pas de justification plausible de ces rencontres. Le vaudeville ne met pas en scène une « nécessité », une fatalité comme dans la tragédie mais laisse au contraire l’imprévu et l’impromptu régner en maîtres. Mais cet inattendu ne l’est pas pour le public qui au contraire attend cet imprévu ! Ces rencontres obéissent souvent au principe du contretemps : elles ont lieu trop tôt ou trop tard, les retours sont inopinés… Cette dramaturgie du contretemps génère une source de tension pour le personnage propre à susciter le rire du public. Ex : Mme Folavoine qui refuse de sortir du bureau de son mari alors que doit arriver M. Chouilloux. La pièce repose ensuite sur le retour inopiné de Mme Folavoine. Ex : L’acte II de Un fil… repose entièrement sur les arrivées inopinées de personnes que Bois d’Enghien souhaiterait ne pas voir. Finalement, quand la rencontre est prévisible, inévitable, le dramaturge peut s’amuser alors à la retarder pour créer un suspense comique. Ex : la rencontre de Lucette et Bois d’Enghien chez la Baronne jusqu’à la scène du placard Ex : la rencontre des Chouilloux avec Mme Folavoine en déshabillé. les quiproquos La méprise, l’erreur, la confusion sont les ingrédients favoris du vaudeville. En plus de mettre certains personnages dans des situations comiques (ex : le personnage de Fontanet qui ne comprend pas pourquoi on rit de lui), ils enrichissent l’intrigue (voir acte II de Un fil). L’esthétique du quiproquo repose sur un engrenage comique dont l’intérêt repose sur la capacité (Bois d’Enghien, Lucette, Viviane… Toto) ou l’incapacité (Bouzin, Folavoine…) des personnages à réagir à l’imprévu. Ex : comparez Bouzin le butor et Bois d’Enghien le matois… Ex : observez les manœuvres malhabiles et comiques de M. Folavoine pour se sortir des bourdes que crée sa femme. Le mouvement permanent Le vaudeville et le théâtre de boulevard ne souffrent aucun temps mort ! le mouvement et l’action doivent être rapides, crescendo, jusqu’à une accélération délirante. Pour cela, les dramaturges ont quelques procédés : attention minutieuse aux déplacements des personnages. A propos des déplacements des personnages de Feydeau, on parle même de « chorégraphie », tant l’auteur se montre attentif aux placements et déplacements des personnages dans les didascalies et par le système de numéros indiquant les places sur la scène ; jeu dynamique sur les entrées/sorties autour de l’accessoire maître du vaudeville : les portes. Ce jeu permet une dynamique de remplissage de l’espace scénique (ex : La dame de chez Maxim 40aine de pers !) l’écriture des didascalies est minutieuse le jeu des comédiens : tempo physique exigeant : marcher/courir/aller/revenir/tomber… les accessoires : l’objet dans le vaudeville, en plus d’être référentiel, réaliste, est toujours dynamique car utilisé par les personnages : canapés, rideaux, … ex : le bouquet, le Figaro, l’armoire, … dans Un fil ex : le seau des eaux usées, le pot de chambre, le purgatif dans On purge le texte lui-même enfin est propre à une énergie scénique époustouflante : répliques rythmées, stichomythies, duels verbaux… le texte du vaudeville offre bien peu de temps morts ! LE PERSONNAGE DU BOULEVARD « Le personnage du Boulevard présente certains traits réalistes et vraisemblables qui l’inscrivent dans un contexte familial et social. En même temps, il est aussi un personnage caricatural, figé, dépourvu de substance, car la prédominance écrasante de la situation dans la dramaturgie boulevardière le relègue au rang d’un instrument destiné à mettre en œuvre l’intrigue. » (BRUNET, Le théâtre de boulevard, p.102) La spécificité la plus notable du personnage de vaudeville est son aptitude à jouer une comédie dans la comédie la théâtralité est constitutive du personnage de vaudeville : celui-ci est toujours en train de jouer, simuler, tromper, feindre, bref, faire du théâtre. Castigat ridendo mores : des personnages miroirs du public Le personnage de vaudeville est typé, obéit à une série de clichés de l’époque. Des fonctions types - le personnage est défini par son titre, sa situation, sa fonction (« la bonne », le « commandant », la « baronne »…) : - « Le personnage incarne donc une fonction type dans le cadre d’un réseau relationnel. A chaque fonction se trouve attaché un ensemble de caractéristiques convenues – ce qui facilite pour le spectateur le décryptage des situations. » ex : Bois d’Enghien est l’aristocrate désargenté, Lucette la cocotte, Folavoine le bourgeois enrichi, le nouveau riche, Chouilloux le fonctionnaire… Ces catégories sociales, malmenées par l’intrigue, ne sont jamais transgressées dans le vaudeville qui maintient toujours l’ordre social et politique en place! cette « fonctionnalité » sociale du personnage le prive de toute psychologie propre et individualisante. Ex : Bois d’Enghien est un type (l’homme pleutre intéressé), on en trouve à la pelle dans le vaudeville ; Folavoine est le type du marchand enrichi… Les personnages sont « ordinaires », médiocres, ils sont les représentants de la vie, le spectateur doit pouvoir reconnaître le monde dans lequel il vit. il s’agit de renvoyer image de l’ordre social bourgeois où chacun tient son rang, du domestique à la demi-mondaine, du père de famille à l’homme politique… Le ridicule de l’homme - toute velléité d’humanisme ou d’humanité est vouée à l’échec dans la comédie de Boulevard la rigidité mécanique est à l’œuvre pour laisser les personnages dans leur superficialité comique et dans le ridicule fondamental qui les définit. - Tous les personnages de vaudeville dressent un tableau animé des vices de l’humain. En ce sens, le vaudeville se fait l’héritier toute la tradition théâtrale comique depuis Molière dont le théâtre souhaitait illustrer le proverbe latin : castigat ridendo mores (corriger les mœurs par le rire). La mécanisation des personnages - l’inscription du personnage dans un type lui confère ipso facto les caractéristiques anthropologiques qui le définissent. (ex : l’amant, la femme adultère, le commis…) - le personnage obéit donc à un comportement défini préalablement. Le vaudeville n’est pas un théâtre qui montre l’intériorité d’un personnage réfléchissant à son être, son identité. Le personnage est déterminé à agir selon un schéma déjà établi et que le public connaît. les personnages-types se trouvent donc interchangeables, dupliqués d’un vaudeville à l’autre. - le personnage finit donc par être figé, « chosifié », assimilé à un objet de façon comique. Cf BERGSON : « nous rions toutes les fois qu’un personnage nous donne l’impression d’une chose » (Le rire, chap I) - Cette caractéristique est renforcée par l’importance du décor et de l’accessoire dans le vaudeville le personnage y est en permanente relation d’inclusion / exclusion… comme s’il parvenait difficilement à trouver la plénitude de sa place. Ex : Bouzin est le protoype le plus abouti : voir sa relation au parapluie qui traverse toute la pièce, objet de distinction sociale (accessoire de mode) mais qui le gêne dès le début et dont il ne saura pas quoi faire jusqu’à la fin. Ce parapluie est le double chosifié de Bouzin : un accessoire gênant ! Ex : le seau d’eaux usées de Mme Folavoine, qui dit, mieux que les mots, l’abaissement de ces personnages scatophiles. Des personnages monomaniaques Le personnage de boulevard est donc prévisible, cantonné à un emploi attendu par le public. - dans la tradition de la farce, le comportement du personnage est marqué par le grossissement et la simplification qui le privent de toute profondeur pour accentuer le comique. L’onomastique est déjà révélatrice d’une tare : « Giclefort, Coustouillu, Follbraguet, Bouzin… » chez Feydeau ; « Dardenboeuf, Beautendon » chez Labiche, … - le personnage est donc réduit à une dominante, un trait obsessionnel, monomaniaque qui est l’illustration de cette raideur comique selon Bergson qui se manifeste dans la langue (onomatopées, tics de langage, …), dans le corps pleins de gestes obsédants, répétitifs, qui les apparentent à des marionnettes inquiétantes (voir Christian Hecq interprétant Bouzin dans la mise en scène de Deschamps). le théâtre dans le théâtre Le personnage de vaudeville a toujours une propension à se mettre en scène, à jouer un rôle, à être en représentation créant ainsi du théâtre dans le théâtre. - Les situations d’imbroglios les conduisent à manipuler les autres, à travestir, à tricher , les forçant ainsi à jouer souvent deux pièces en une : celle à laquelle les assigne l’auteur et celle qu’ils se condamnent à jouer eux-mêmes (ex : Bois d’Enghien). Cette caractéristique est encore plus vraie quand les personnages sont du monde du spectacle ! il s’agit de jouer son rôle dans la comédie généralisée du monde. Le monde est un théâtre, disait Calderon de la Barca : les personnages de Feydeau en sont parfaitement conscients mais Feydeau s’applique à montrer les rouages mal huilés de cette grande pièce de théâtre qu’est la vie. - cet aspect du personnage se voit dans le jeu (souvent qualifié de « surjeu ») que propose le vaudeville : le comédien doit surinvestir son personnage de théâtralité. Théâtre et théâtralité sont donc exacerbés. Le vaudeville n’est jamais dans l’illusion théâtrale et la théorie du 4ème mur. Au contraire, il interroge l’illusion théâtrale et les pouvoirs et effets de la théâtralité. L’ESPACE Un espace figuratif - Les didascalies traduisent la volonté claire d’illusion réaliste la scène se passe généralement dans un intérieur bourgeois reconstitué avec souci du détail. Toutefois, l’analyse comparée de mises en scène permettra d’établir le respect ou l’irrespct (Deschamps) du metteur en scène par rapport à cette convention. - Le vaudeville ne respecte pas l’unité de lieu mais propose au contraire une multiplication des espaces (qui traduit les progrès techniques que connaît le théâtre dans le changement rapide de décor, dans l’électricité…). Ex : Un fil à la patte = révélateur de ces changements de lieux Extérieur et salon - espace scénique = généralement clos et les élargissements = virtuels - salon = lieu de l’intimité en même temps que lieu de la sociabilité lieu d’observation des usages. - Salon = lieu centrifuge (ouvrant sur d’autres lieux fortement symboliques comme la chambre…) d’où l’on cherche à partir … et centripète (on y revient …) où tous se retrouvent, se croisent, se gênent… lieu de passage, de traversée, les pers s’y croient à l’abri sans l’être jamais. - Porosité des lieux, débordements d’un espace sur l’autre (ex : l’intimité du salon de toilette de Mme Folavoine dans le bureau du mari…) - Le PLACARD (armoire) = lieu topique Espace et mouvement Dans le vaudeville l’espace a la capacité de générer le mouvement : - Il doit favoriser ou empêcher les passages, chassés-croisés, rencontres, quiproquos… - L’espace est vulnérable : espace troué de PORTES (ex : Boeing Boeing = 7 portes) qui menacent à tout moment ouverture Ex : voir les décors et scénographies d’Un Fil… ou encore les différents espaces de chez les Folavoine qui s’interpénètrent de façon comique - L’espace vaudevillesque essaie d’opposer le visible au caché. Mais les espaces cachés/visibles initialement séparés finissent toujours pas entrer en contact Les accessoires - Ils ont une fonction référentielle d’abord : situer le milieu, effet de réel Ils participent de la dynamique d’action ex : le Figaro dans Un Fil… ; le pot de chambre, le seau… ces objets deviennent tyranniques, enfermant les personnages dans leur propre monde, brisant les aspirations des personnages en leur faisant subir une dégradation comique. LE TEMPS Dans le vaudeville, toute inscription du personnage dans temps est impossible tant les situations se succèdent de façon imprévisible - Le personnage de vaudeville est dans un présent permanent, une immédiateté oppressante, une urgence écrasante ce qui prive le pers de vaudeville de toute « expérience », de tout devenir, progression/progrès incarnés dans une temporalité le personnage reste immuable, sans conscience du temps (différent dans comédies de bd où pers = inscrit dans une histoire et une temporalité) 3. La rhétorique du Boulevard Le théâtre de bd ne met pas en scène le silence THEATRE DE LA PAROLE Les personnages s’affrontent, s’interrogent, s’expliquent, … la parole assure le tempo de l’action. LES JEUX DE LANGAGE Les codes langagiers Niveaux de langue et registres - pers de Bd se révèle par son langage qui l’inscrit dans milieu social, intellectuel… - exacerbation des oppositions comiques des pers à partir de ces oppositions de langue - interroge alors fondements de la communication Ecarts par rapport à la norme - idiolectes = courants et particulièrement le pers étranger riche en potentiel comique - pers de bd = coupables de nbreux « dévergondages grammaticaux » (cf pers Colardeau dans Un jeune homme pressé de Labiche : écrit apprendre avec 3 P et enfant avec 3 F jugeant que le destinataire de ses lettres en retranchera s’il en trouve en trop…) Comique de mots et mots d’auteurs Véritable fête du langage - jeux sur les signifiants, sur sonorité même des mots satire des discours creux (cf pers d’hommes politiques et leur langue de bois, de mondains snobs…), des phrases ronflantes… - jeux sur les signifiés, calembours, jeux de mots, plaisanteries… le « mot d’auteur » abonde dans th de Bd créant complicité et reconnaissance entre public et auteur. Cf Pavis, Dictionnaire du théâtre définit le « mot d’auteur » comme partie du texte « dont on ressent qu’elle n’est pas vraiment prononcée par le personnage en fonction de sa psychologie et de la situation, mais mise dans sa bouche par l’auteur, de façon à faire passer dans le texte un mot d’esprit, un aphorisme ou une maxime. » mettent en exergue virtuosité langagière de l’auteur, en interrompant illusion théâtrale par adresse implicite au public et distanciation ex : « Ah ! Si on pouvait voir les femmes vingt après après, on ne les épouserait pas vingt ans avant ! », Feydeau, Hôtel du libre-échange ex : « Ah ! quel dommage qu’on ne puisse avoir un amant sans tromper son mari. », Feydeau, La main passe ex : Vidal : -Vous n’êtes pas fidèle à votre femme ? – Léo :- Si, souvent !, Guitry, La prise de Berg op Zoom L’ART DU DIALOGUE - Si qq ex de monologues, sont tt de même rares le Bd et srtt le vaudeville = théâtre du dialogue emporté, vif (donc rares sont les tirades, et si tirade = moment de théâtralité forte) - Tempo vif, soutenu, précipitation même, jq au galop effréné de parole - Lutte verbale, stichomythies. - Procédé courant mis en place par Labiche = réplique d’urgence : qd pers doit faire face à situation inattendue, pressante, gênante/ Réponse = incongrue, fait déraper le dialogue dans le non-sens, dans comique. - Illogismes, effets de rupture = fréquents, illustrant les incertitudes et la précarité de l’univers bourgeois des pers menaçant constamment de basculer dans absurde. communication = probq dans th de bd et srtt dans vaudeville. Théâtre qui parle jq à saturation mais dont les effets pragmatiques sont sérieusement mis à mal tant les entraves se multiplient. SEXE, MENSONGE, APARTÉS L’expression du désir - - Rhétorique amoureuse = abondante dans Bd, le lgge étant arme des pers pour assouvir leurs désirs, satisfaire leurs égoïsmes pers construisent des édifices de lgge pour obtenir ce qu’ils souhaitent. Or lgge = pbq, les édifices s’avèrent fragiles… La sexualité = verbalisée dans le Bd : l’acte sexuel n’est jamais mis en scène, le corps est tabou (qq baisers et caresses) : la coucherie, prtt abondante, = uniquement par le lgge La parole mensongère - Mensonge = gde affaire du Bd - Pers = tjrs un secret, un dilemme, un aveu impossible porteur de tension dramatique et de potentiel comique - C’est le discours faux qui enclenche l’action et la nourrit jq à folie en ce sens le Bd propose réflexion intéressante sur le lgge, sur nécessaire ou non illusion des mots Cf Anouilh, Les poissons rouges, III : « il ne faut jamais dire la vérité : c’est elle le vrai désordre. » Cf Guitry, Mon père avait raison, I à propos du mensonge: « C’est une des plus grandes voluptés de la vie !... C’est une joie qui n’est pas fatigante… et qui n’est limitée que par la crédulité des autres. » pas de vie sociale sans mensonge !!! L’aparté usage abondant de l’aparté - Fournit au spect éléments utiles à compréhension d’une situation (ex : 1er aparté de Bois d’Enghien pour annoncer au public qu’est là pour rompre malgré apparences…) - Expriment sentiments des pers, révèlent intimité (svt panique !) - Rôle comique fort, convention théâtrale un peu lourde mais qui rappelle au spect le théâtre en lui révélant le tenants et aboutissants des discours - Déjouent les faux-semblants, défont l’hypocrisie du jeu social et du jeu des personnages dénoncent le théâtre par double énonciation , crée hiatus en dit/non dit spect a sentiment d’être maître du jeu et plaisir en est multiplié « La rhétorique du Boulevard se distingue donc par une double spécificité. D’une part, elle relève foncièrement d’une dramaturgie à effets : nul procédé qui ne soit d’abord et avant tout comique, nulle « ficelle » qui ne serve prioritairement le spectacle. D’autre part, elle est très marquée par les jeux sur l’énonciation et sur l’énoncé… Fête du langage, fête de la parole – authentique car mensongère -, fête de l’esprit aussi, le théâtre de Boulevard s’épanouit dans l’art subtil du décalage, de la distanciation et du clin d’œil. » (132) TROISIEME PARTIE GEORGES FEYDEAU ET LES PIÈCES AU PROGRAMME 1- Biographie de Georges FEYDEAU (1862-1921) Le père de Georges, Ernest-Aimé Feydeau, était coursier en Bourse, directeur de journal et polygraphe : auteur d’essais, de plusieurs romans, et même de deux pièces de théâtre, il comptait Théophile Gautier et Flaubert parmi ses amis. Georges Feydeau grandit au sein d’un milieu littéraire et bohème et fit preuve très tôt de son goût pour le théâtre. A quatorze ans, avec quelques condisciples, il fonde au Lycée Saint-Louis le Cercle des Castagnettes et interprète dans ce cadre, non sans talent, du Molière, du Labiche, ou des monologues de son propre cru. A 19 ans, Feydeau fait jouer avec un certain succès sa première pièce, Par la fenêtre, un quiproquo en un acte pour deux comédiens, dans un casino de station balnéaire. Mais entre 1882 et 1890, la demi douzaine de comédies qu’il compose, ainsi que plusieurs monologues interprétés par de grands comédiens (Galipaux, Coquelin cadet, Saint-Germain], ne lui permet pas de percer. Seul Tailleur pour dames (1886), qui tient 79 représentations, trouve grâce aux yeux de la critique. En 1892, alors que Feydeau (qui s’est marié trois ans plus tôt avec la fille du peintre Carolus Duran) songe à se faire acteur, il remporte enfin son premier vrai triomphe: Monsieur chasse. «Je ne vous décrirai pas le public», écrit le critique de théâtre Francisque Sarcey: «il était épuisé, il était mort de rire, il n’en pouvait plus». Deux autres pièces de Feydeau, également créées en 1892, confirment le sacre du nouveau roi du vaudeville. Les œuvres suivantes Un fil à la patte et L’Hôtel du Libre-Echange, 1894; Le Dindon, (1896), en font le dramaturge français le plus célèbre de son temps, traduit en une dizaine de langues et joué dans toutes les capitales d’Europe. Sa gloire culmine avec La Dame de chez Maxim (1891), qui dépasse largement le millier de représentations et devient l’une des principales attractions touristiques du Paris de l’Exposition Internationale. Feydeau peut se permettre de prendre quelque temps ses distances avec le vaudeville pour se consacrer à ses autres passions: le noctambulisme et la peinture. En 1904, il revient cependant au théâtre avec La Main passe, que suivent La Puce à l’oreille (1907) et Occupe-toi d’Amélie (1908). Dès cette même année 1908, connaissant des déboires dans sa vie personnelle et familiale, Feydeau entreprend de renouveler sa manière et renonce aux procédés du pur vaudeville pour se concentrer sur les ressources comiques des dissensions entre époux. Ce versant de son œuvre, inauguré par Feu la Mère de Madame, est sans doute inspiré à la fois par le souci de s’illustrer dans un genre théâtral moins méprisé en 1916 et par ses propres malheurs conjugaux: séparé, puis divorcé de sa femme, Feydeau vivra en effet ses dernières années à l’hôtel Terminus. De cette époque date le cycle appelé Du mariage au divorce : des farces en un acte telles que On Purge Bébé (1910), Mais n’te promène donc pas toute nue (1911), Léonie est en avance (1911) et Hortense a dit: «je m’en fous !» (1916). Mais Feydeau, vieillissant, a toujours plus de difficultés à terminer ses pièces (certaines restent d’ailleurs inachevées). En 1919, une affection syphilitique entraîne de graves troubles mentaux: Feydeau doit être interné dans une maison de santé de RueilMalmaison. Il y meurt en 1921. D’après Henri Gidel, Le Vaudeville, Paris, 1986