DOSSIER
FEYDEAU ET LE VAUDEVILLE
Programme Terminale Théâtre 2012-2013
Cours de M. BOUCARD
INTRODUCTION
L’expression « théâtre de boulevard »
désigne un ensemble de genres scéniques à
l’origine très variés mais dont le point
commun est d’avoir souvent, et encore
aujourd’hui, été méprisés par les amateurs
d’un théâtre dit « sérieux » et intellectuel
dont les qualités esthétiques seraient
éminemment supérieures.
Pourtant, si l’histoire littéraire a retenu tous
les « grands » auteurs du théâtre dit sérieux,
le théâtre de boulevard a produit depuis le
18ème siècle un nombre inimaginable de
pièces et de spectacles et attiré un public
immense qui lui assure encore de nos jours
son succès.
Le vaudeville, genre duquel relèvent les pièces de Feydeau au programme (quoique Feydeau ne les
appelle pas « vaudevilles » mais « comédies » - nous verrons pourquoi), appartient depuis le début au
« théâtre de boulevard ». Pour comprendre et apprécier la force de ce répertoire, il faut d’abord
connaître l’histoire palpitante du théâtre de boulevard et pour cela connaître l’histoire des salles du
« boulevard des théâtres ».
Pour montrer le mépris dont le vaudeville a toujours été l’objet, citons Feydeau lui-même en 1905 :
« Le vaudeville est-il mort ? Quelle plaisanterie! Mort
le vaudeville? Mort le mélodrame? Ah! ça! donneriez-
vous dans les idées de ce petit cénacle de jeunes
auteurs qui, pour essayer de tuer ces genres florissants
qui le gênent, n’a trouvé d’autre moyen que de décréter
tout simplement qu’ils étaient morts! Mais voyons, mon
cher ami, s’ils étaient morts, est-ce qu’on se donnerait
tant de peine pour le crier à tous les échos? Quand une
chose n’est plus, éprouve-t-on le besoin d’en parler?
Enfin, si le vaudeville et le mélodrame étaient morts,
est-ce qu’on les jouerait quatre ou cinq cents fois de
suite, quand à succès égal, une comédie, genre DIT
supérieur (comme s’il y avait une classification des
genres !) se joue péniblement cent fois? Comment
expliquer cette durée tout à l’avantage du genre
défunt? Peut-être par le dicton «Quand on est mort,
c’est pour longtemps!» À ce compte-là, vive la mort! Non, la vérité, c’est qu’il y a vaudeville et
vaudeville, mélodrame et mélodrame, comme il y a comédie et comédie. Quand un vaudeville est bien
fait, logique, logique surtout, qu’il s’enchaîne bien, qu’il contient de l’observation, que ses personnages
ne sont pas uniquement des fantoches, que l’action est intéressante et les situations amusantes, il réussit.
[ ...] »
PREMIERE PARTIE
LES ORIGINES DU THEATRE DE BOULEVARD : LA GUERRE DES THÉÂTRES
1- Avant la Révolution de 1789 les Parisiens ont le choix entre :
LE THEATRE OFFICIEL : des théâtres subventionnés par le pouvoir, le roi.
Trois troupes et trois salles sont officiellement reconnues et subventionnées par le pouvoir. Chacune
de ces troupes (et chacune de ces salles) pratique un genre scénique dont elle a le monopole exclusif :
- l’Académie Royale de
musique c’est le temple de
l’art lyrique, de l’Opéra. Cette
troupe a le monopole du
spectacle chanté avec
musiciens.
- la Comédie Française elle a
l’exclusivité du grand répertoire
classique, tragique et comique
(Molière, Corneille, Racine, etc.)
- la Comédie italienne elle
s’est spécialisée dans le répertoire
de la commedia dell’arte,
arlequinades, parodies d’opéras,
farces, comédies.
Ces trois troupes ont la protection du pouvoir qui leur a réservé les privilèges et monopoles dans
leurs répertoires réciproques, leur évitant ainsi toute concurrence.
En contrepartie, ces troupes proposent des spectacles bien peu subversifs, inféodés à l’idéologie
dominante, critiquant bien peu le pouvoir.
La conséquence de cette soumission est qu’au 18ème siècle ce théâtre est menacé de sclérose. Le
public est lassé de voir toujours les mêmes spectacles (mêmes tragédies, mêmes comédies,
comédiens déclamant avec emphase…).
LE THEATRE FORAIN : les salles indépendantes des foires saisonnières
- Depuis 1596 les forains ont la permission de jouer des spectacles profanes en échange d’une taxe.
Les foires commerciales se sont donc multipliées devenant des lieux et des moments très importants
de la vie populaire parisienne en particulier
pour la vie des spectacles.
ex : foire St Germain, rive gauche, en hiver
foire Saint Laurent, rive droite, en été
foire St Ovide sur place Vendôme, automne
André Degaine, Histoire illustrée du théâtre
Ces foires suscitent
une véritable
effervescence dans
la capitale les
spectacles, ancêtres
du cirque et du
théâtre de rue, sont
nombreux : danses
acrobaties, parades,
exhibitions
d’animaux…
Ces spectacles plaisent au public car ce théâtre
s’affranchit des règles et codes du théâtre officiel et se
montre souvent irrévérencieux.
- 1697 : l’expulsion des comédiens italiens qui ont
déplu au roi Louis XIV laisse leur répertoire comique
orphelin de toute troupe et favorise donc l’essor de ce
théâtre de foire : les comédiens et baladins de foire
s’emparent du répertoire et des rôles.
les lieux s’améliorent, le public vient nombreux
(même la Cour). Louis XIV lui-même est séduit la renommée du Théâtre de la Foire est faite.
Mais les théâtres officiels se montrent jaloux et créent tracasseries, obstacles, fermetures… Pour
survivre à cette guerre que leur mènent les théâtres officiels, les comédiens de la foire trouvent des
subterfuges qui vont progressivement donner naissance à des genres de spectacles spécifiques.
Ex : en 1703, la Comédie Française leur interdit de déclamer du texte ? Ils répondent en
proposant des monologues, en déclamant des textes depuis les coulisses. Ou bien ils font
passer les textes sur des affiches et écriteaux théâtre à la muette »).
Ex : L’Académie royale de musique a le privilège de la musique, elle fait donc interdire les
chansons sur scène ? Les forains les font chanter par le public sur des airs populaires
connus = c’est la naissance de l’opéra-comique et du vaudeville !
Le public s’amuse beaucoup de ces stratagèmes qui tournent en dérision les théâtres officiels.
ce qu’il faut retenir de cette époque (17ème et 18ème siècles) :
la guerre que se livre le théâtre officiel et le théâtre de foire va donner naissance à de
nombreux genres qui vont s’affirmer au 19ème siècle ;
se dessine une opposition très marquée entre un théâtre officiel et sérieux et un théâtre qui
ne l’est pas : c’est-à-dire une opposition artistique et intellectuelle entre
- deux types de lieux : les salles officielles, subventionnées et les salles de « moins
bonne réputation » , privées ;
- deux types de répertoires : le répertoire sérieux, classique celui des grands auteurs
(dont on a retenu les noms !) et celui (encore très inconnu, dont nous n’avons plus beaucoup de
traces) du théâtre forain, très inventif ;
- deux types de publics : le public aristocratique et riche d’un côté, le théâtre
populaire de l’autre.
REMARQUE : demandez-vous si, aujourd’hui, le théâtre est sorti de ces oppositions faciles et
hiérarchies méprisantes
détail d’une peinture de gravure de Willem-Isaaksz Swanenburg , 1581 - 1612
Pieter Balten Balthasar (c. 1525 - c. 1598)
2- Le Boulevard du Crime ou l’apothéose du théâtre populaire
Dans années 1760 : le
théâtre de foire se
concentre Boulevard du
Temple, devenu
promenade à la mode
des salles et des scènes
apparaissent de façon
définitive pour ce théâtre
originellement de tréteaux.
Le Boulevard du Temple
devient un lieu connu pour
son théâtre populaire : de
vient qu’on est passé de le
l’expression désignant un
lieu « théâtre DU
boulevard » à l’expression désignant des genres « Théâtre DE boulevard ».
La résistance des théâtres officiels est rude contre cette concurrence obligeant aux déménagements
certaines troupes. Les plus fortunées restent en payant d’énormes indemnités.
13 janvier 1791 : un décret déclare enfin la liberté des théâtres et supprime tous les privilèges des
théâtres officiels. Cette décision politique entraîne le développement massif des forains sur le
Boulevard du Temple.
Ex : le Théâtre des Funambules, 1816, rendu célèbre par mime JB Debureau
image tirée du film Les enfants du paradis, Marcel Carné. On y voit la foule de badauds, les nombreux théâtres
1807 : ces théâtres du boulevard, montrant des spectacles n’obéissant pas aux règles du théâtre
officiel, montrant un théâtre abondant, protéiforme, donc difficile à maîtriser, sont souvent vus par le
pouvoir comme susceptibles d’agiter les classes populaires,. Napoléon, méfiant à égard du théâtre
rétablit même la censure et réduit le nombre de salles parisiennes : huit salles sont tolérées :
o les quatre théâtres nationaux - Comédie Française, Opéra, Opéra Comique, Odéon
o et quatre théâtres secondaires privés le Vaudeville, les Variétés, l’Ambigu Comique et le
théâtre de la Gaîté
cette séparation entre deux types de lieux (privé / public) renforce l’opposition et la hiérarchie
géographiques et artistiques :
o d’un côté les théâtres nationaux pour le
grand répertoire situés au cœur de Paris, attirant
un public notable et aisé (tous ces théâtres sont au
cœur de Paris, lieu de la bourgeoisie et de
l’aristocratie) ;
o de l’autre les salles secondaires rejetées en
périphérie, Boulevard du Temple, grands
boulevards pour le public populaire (tous ces
théâtres et ces boulevards sont à cette époque à la
limite de Paris, l’équivalent des « banlieues »).
Carte postale (en haut) de la moitié du 19ème siècle puis (en-bas) peinture de Jean Béraud représentant le théâtre du
Vaudeville
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