DOSSIER FEYDEAU ET LE VAUDEVILLE Programme Terminale

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FEYDEAU
DOSSIER
ET
LE
VAUDEVILLE
Programme Terminale Théâtre 2012-2013
Cours de M. BOUCARD
INTRODUCTION
L’expression « théâtre de boulevard »
désigne un ensemble de genres scéniques à
l’origine très variés mais dont le point
commun est d’avoir souvent, et encore
aujourd’hui, été méprisés par les amateurs
d’un théâtre dit « sérieux » et intellectuel
dont les qualités esthétiques seraient
éminemment supérieures.
Pourtant, si l’histoire littéraire a retenu tous
les « grands » auteurs du théâtre dit sérieux,
le théâtre de boulevard a produit depuis le
18ème siècle un nombre inimaginable de
pièces et de spectacles et attiré un public
immense qui lui assure encore de nos jours
son succès.
Le vaudeville, genre duquel relèvent les pièces de Feydeau au programme (quoique Feydeau ne les
appelle pas « vaudevilles » mais « comédies » - nous verrons pourquoi), appartient depuis le début au
« théâtre de boulevard ». Pour comprendre et apprécier la force de ce répertoire, il faut d’abord
connaître l’histoire palpitante du théâtre de boulevard et pour cela connaître l’histoire des salles du
« boulevard des théâtres ».
Pour montrer le mépris dont le vaudeville a toujours été l’objet, citons Feydeau lui-même en 1905 :
« Le vaudeville est-il mort ? Quelle plaisanterie! Mort
le vaudeville? Mort le mélodrame? Ah! ça! donneriezvous dans les idées de ce petit cénacle de jeunes
auteurs qui, pour essayer de tuer ces genres florissants
qui le gênent, n’a trouvé d’autre moyen que de décréter
tout simplement qu’ils étaient morts! Mais voyons, mon
cher ami, s’ils étaient morts, est-ce qu’on se donnerait
tant de peine pour le crier à tous les échos? Quand une
chose n’est plus, éprouve-t-on le besoin d’en parler?
Enfin, si le vaudeville et le mélodrame étaient morts,
est-ce qu’on les jouerait quatre ou cinq cents fois de
suite, quand à succès égal, une comédie, genre DIT
supérieur (comme s’il y avait une classification des
genres !) se joue péniblement cent fois? Comment
expliquer cette durée tout à l’avantage du genre
défunt? Peut-être par le dicton «Quand on est mort,
c’est pour longtemps!» À ce compte-là, vive la mort! Non, la vérité, c’est qu’il y a vaudeville et
vaudeville, mélodrame et mélodrame, comme il y a comédie et comédie. Quand un vaudeville est bien
fait, logique, logique surtout, qu’il s’enchaîne bien, qu’il contient de l’observation, que ses personnages
ne sont pas uniquement des fantoches, que l’action est intéressante et les situations amusantes, il réussit.
[ ...] »
PREMIERE PARTIE
LES ORIGINES DU THEATRE DE BOULEVARD : LA GUERRE DES THÉÂTRES
1- Avant la Révolution de 1789 les Parisiens ont le choix entre :
 LE THEATRE OFFICIEL : des théâtres subventionnés par le pouvoir, le roi.
Trois troupes et trois salles sont officiellement reconnues et subventionnées par le pouvoir. Chacune
de ces troupes (et chacune de ces salles) pratique un genre scénique dont elle a le monopole exclusif :
- l’Académie Royale de
musique  c’est le temple de
l’art lyrique, de l’Opéra. Cette
troupe a le monopole du
spectacle
chanté
avec
musiciens.
- la Comédie Française  elle a
l’exclusivité du grand répertoire
classique, tragique et comique
(Molière, Corneille, Racine, etc.)
- la Comédie italienne  elle
s’est spécialisée dans le répertoire
de la commedia dell’arte,
arlequinades, parodies d’opéras,
farces, comédies.
Ces trois troupes ont la protection du pouvoir qui leur a réservé les privilèges et monopoles dans
leurs répertoires réciproques, leur évitant ainsi toute concurrence.
En contrepartie, ces troupes proposent des spectacles bien peu subversifs, inféodés à l’idéologie
dominante, critiquant bien peu le pouvoir.
 La conséquence de cette soumission est qu’au 18ème siècle ce théâtre est menacé de sclérose. Le
public est lassé de voir toujours les mêmes spectacles (mêmes tragédies, mêmes comédies,
comédiens déclamant avec emphase…).
 LE THEATRE FORAIN : les salles indépendantes des foires saisonnières
- Depuis 1596 les forains ont la permission de jouer des spectacles profanes en échange d’une taxe.
Les foires commerciales se sont donc multipliées devenant des lieux et des moments très importants
de la vie populaire parisienne en particulier
pour la vie des spectacles.
ex : foire St Germain, rive gauche, en hiver
foire Saint Laurent, rive droite, en été
foire St Ovide sur place Vendôme, automne
André Degaine, Histoire illustrée du théâtre
Ces foires suscitent
une
véritable
effervescence dans
la capitale  les
spectacles, ancêtres
du cirque et du
théâtre de rue, sont
nombreux : danses
acrobaties, parades,
exhibitions
d’animaux…
détail d’une peinture de
Pieter Balten Balthasar (c. 1525 - c. 1598)
gravure de Willem-Isaaksz Swanenburg , 1581 - 1612
Ces spectacles plaisent au public car ce théâtre
s’affranchit des règles et codes du théâtre officiel et se
montre souvent irrévérencieux.
- 1697 : l’expulsion des comédiens italiens qui ont
déplu au roi Louis XIV laisse leur répertoire comique
orphelin de toute troupe et favorise donc l’essor de ce
théâtre de foire : les comédiens et baladins de foire
s’emparent du répertoire et des rôles.
 les lieux s’améliorent, le public vient nombreux
(même la Cour). Louis XIV lui-même est séduit  la renommée du Théâtre de la Foire est faite.
Mais les théâtres officiels se montrent jaloux et créent tracasseries, obstacles, fermetures… Pour
survivre à cette guerre que leur mènent les théâtres officiels, les comédiens de la foire trouvent des
subterfuges qui vont progressivement donner naissance à des genres de spectacles spécifiques.
Ex : en 1703, la Comédie Française leur interdit de déclamer du texte ? – Ils répondent en
proposant des monologues, en déclamant des textes depuis les coulisses. Ou bien ils font
passer les textes sur des affiches et écriteaux (« théâtre à la muette »).
Ex : L’Académie royale de musique a le privilège de la musique, elle fait donc interdire les
chansons sur scène ? – Les forains les font chanter par le public sur des airs populaires
connus = c’est la naissance de l’opéra-comique et du vaudeville !
Le public s’amuse beaucoup de ces stratagèmes qui tournent en dérision les théâtres officiels.
 ce qu’il faut retenir de cette époque (17ème et 18ème siècles) :
 la guerre que se livre le théâtre officiel et le théâtre de foire va donner naissance à de
nombreux genres qui vont s’affirmer au 19ème siècle ;
 se dessine une opposition très marquée entre un théâtre officiel et sérieux et un théâtre qui
ne l’est pas : c’est-à-dire une opposition artistique et intellectuelle entre
- deux types de lieux : les salles officielles, subventionnées et les salles de « moins
bonne réputation » , privées ;
- deux types de répertoires : le répertoire sérieux, classique celui des grands auteurs
(dont on a retenu les noms !) et celui (encore très inconnu, dont nous n’avons plus beaucoup de
traces) du théâtre forain, très inventif ;
- deux types de publics : le public aristocratique et riche d’un côté, le théâtre
populaire de l’autre.
REMARQUE : demandez-vous si, aujourd’hui, le théâtre est sorti de ces oppositions faciles et
hiérarchies méprisantes …
2- Le Boulevard du Crime ou l’apothéose du théâtre populaire
 Dans années 1760 : le
théâtre
de
foire
se
concentre Boulevard du
Temple,
devenu
promenade à la mode 
des salles et des scènes
apparaissent
de
façon
définitive pour ce théâtre
originellement de tréteaux.
Le Boulevard du Temple
devient un lieu connu pour
son théâtre populaire : de là
vient qu’on est passé de le
cette image d’époque, on voit l’affluence des promeneurs bourgeois, certains s’agglutinant devant les
l’expression désignant un sur
« crieurs » des théâtres qui annoncent ce qu’il y a à voir à l’intérieur des théâtres.
lieu
« théâtre
DU
boulevard » à l’expression désignant des genres « Théâtre DE boulevard ».
La résistance des théâtres officiels est rude contre cette concurrence obligeant aux déménagements
certaines troupes. Les plus fortunées restent en payant d’énormes indemnités.
 13 janvier 1791 : un décret déclare enfin la liberté des théâtres et supprime tous les privilèges des
théâtres officiels.  Cette décision politique entraîne le développement massif des forains sur le
Boulevard du Temple.
Ex : le Théâtre des Funambules, 1816, rendu célèbre par mime JB Debureau
image tirée du film Les enfants du paradis, Marcel Carné. On y voit la foule de badauds, les nombreux théâtres
 1807 : ces théâtres du boulevard, montrant des spectacles n’obéissant pas aux règles du théâtre
officiel, montrant un théâtre abondant, protéiforme, donc difficile à maîtriser, sont souvent vus par le
pouvoir comme susceptibles d’agiter les classes populaires,. Napoléon, méfiant à égard du théâtre
rétablit même la censure et réduit le nombre de salles parisiennes : huit salles sont tolérées :
o les quatre théâtres nationaux - Comédie Française, Opéra, Opéra Comique, Odéon
o et quatre théâtres secondaires privés – le Vaudeville, les Variétés, l’Ambigu Comique et le
théâtre de la Gaîté
 cette séparation entre deux types de lieux (privé / public) renforce l’opposition et la hiérarchie
géographiques et artistiques :
o
d’un côté les théâtres nationaux pour le
grand répertoire situés au cœur de Paris, attirant
un public notable et aisé (tous ces théâtres sont au
cœur de Paris, lieu de la bourgeoisie et de
l’aristocratie) ;
o
de l’autre les salles secondaires rejetées en
périphérie, Boulevard du Temple, grands
boulevards pour le public populaire (tous ces
théâtres et ces boulevards sont à cette époque à la
limite de Paris, l’équivalent des « banlieues »).
Carte postale (en –haut) de la moitié du 19ème siècle puis (en-bas) peinture de Jean Béraud représentant le théâtre du
Vaudeville
Dès le XVIIe siècle, siècle à
partir
duquel
se
multiplient les théâtres à
Paris,
les
salles de
spectacles sont à bordure
du centre où se trouve le
pouvoir
(politique
et
religieux).
Quand la ville s’agrandira,
les nouveaux théâtres
seront toujours contraints
de se loger à la périphérie,
laissant le centre aux
anciens théâtres devenus
« théâtres officiels ».
Les
différents
cercles
correspondent
aux
différentes enceintes de la
ville de Paris selon les
époques. Au 18ème et au
début du 19ème siècles, le
Boulevard
du
Temple
(« Boulevard du Crime ») se
trouve à la périphérie de
Paris.
Puis,
la
ville
s’agrandissant, ce sont les
théâtres
bourgeois
(les
« bonbonnières
bourgeoises ») qui occupent
le centre, les théâtres
populaires se trouvant à leur
tour, après les travaux
d’Hausmann (années 1860),
déménagés à la périphérie
(double trait noir).
Cartes d’après André Degaine, Histoire illustrée du théâtre
3- Les théâtres au 19ème siècle et le développement du théâtre
de boulevard
 à partir de la fin de l’Empire napoléonien (1815), les théâtres
bénéficient d’une nouvelle libéralisation.  de nouveaux
théâtres sont créés rive droite et sur les grands boulevards,
l’activité théâtrale s’en trouve intense. Nombreux sont encore
les théâtre à exister de nos jours (même s’ils ne sont plus à
leurs places d’origine) :
- théâtre de la porte St Martin
- théâtre du Vaudeville
- théâtre des Variétés
- théâtre du Gymnase
- théâtre de la Renaissance
- Bouffes Parisiens
Ce quartier devient le lieu d’une intense activité de spectacles
de tous genres (théâtre, danse, cirque, cabarets, spectacles
optiques féériques, marionnettes, mimes, endroits plus ou
moins fréquentables, difficiles à imaginer de nos jours.
Encore une fois, je vous renvoie au film de Marcel Carné Les
Enfants du Paradis qui rend bien l’atmosphère du Boulevard
du Temple.
La classe bourgeoise peut se rendre dans de nombreux
théâtres qui proposent des spectacles et un théâtre
« rassurant » leur sentiment d’être la classe dominante (ce
que Degaine désigne sous le nom de « bonbonnières
bourgeoises » sur la carte ci-dessus).
 les travaux haussmanniens : à partir des années 1860,
Napoléon III charge Haussmann de réorganiser l’urbanisme
de Paris  il s’agit
officiellement d’améliorer la
circulation, d’endiguer les
constructions anarchiques et
d’élever de splendides édifices
publics. Mais ce projet masque
une intention politique très
pragmatique : limiter les
risques d’émeutes populaires.
Certains lieux comme le
boulevard
du
Temple
facilitaient par trop l’élévation
de barrières et compliquaient
l’intervention des forces de
l’ordre. De surcroît, la concentration des théâtres populaires, héritage de l’esprit indépendant des
foires, était une bien dangereuse poudrière potentielle.
 Haussmann fait raser la plupart des théâtres du boulevard du Temple. Les populations sont
relogées dans les banlieues, c’est-à-dire éloignées des lieux de spectacle et de culture.
 Les salles de théâtre se ferment au petit peuple !!!!! De là on peut, peut-être, dater la séparation
qui existe encore entre le monde de la culture et du théâtre et les classes populaires.
 Aujourd’hui : de tous théâtres du Boulevard du Temple ne subsiste à son emplacement d’origine que
le théâtre Déjazet.
Les grands boulevards concentrent encore de nombreux théâtres privés dont la programmation
essentielle reste les vaudevilles et les comédies qui relèvent de ce qu’on appelle le théâtre de
Boulevard.
REMARQUE : pourquoi le Boulevard du Temple est-il appelé « Boulevard du Crime » ?
Le bd du Crime doit son nom aux nombre de crimes commis dans les pièces représentées (mariages forcés, séquestrations, vols,
assassinats…) qui s’y jouent et particulièrement dans le genre appelé mélodrame. Voici le témoignage humoristique d’un critique
de l’époque (1823) :
« Une âme sensible voulait qu’on appelât le boulevard du Temple le Boulevard du Crime ; hélas ! ce nom ne serait que trop
mérité ; on a fait le recensement de tous les crimes qui s’y sont commis depuis vingt ans ; en voici le résultat : Tautin a été
poignardé 16302 fois ; Marty a subi 11000 empoisonnements, avec variantes ; Fresnoy a été immolé de différentes façons
27000 fois ; Mlle Adèle Dupuis a été 750000 fois innocente, enlevée ou noyée ; 64000 accusations capitales ont éprouvé la vertu
de Mme Levesque. Et Mlle Olivier, à peine entrée dans la carrière, a déjà bu 1600 fois dans la coupe du crime et de la
vengeance. »
photo du boulevard du Temple de Daguerre, milieu du 19ème siècle
4- Comment expliquer le développement du théâtre de boulevard au 19ème siècle
L’annexion des boulevards par la bourgeoisie
 Le succès du théâtre de boulevard est lié à l’ascension de la bourgeoisie au 19ème siècle. Même si
depuis le 17ème siècle, le théâtre fait venir toutes les classes sociales (pensez aux conditions bruyantes
de représentation des pièces de Molière), l’architecture des salles hiérarchise rigidement les
publics, et plus encore quand la salle à l’italienne devient le modèle de salle omniprésent.

La séparation des publics s’accentue à partir des
années 1830 pour devenir la règle sous le Second
Empire (1852-1870) quand les salles populaires
sont rejetées en périphérie laissant les théâtres
officiels du centre de Paris à l’élite intellectuelle et
sociale. La bourgeoisie s’empare des lieux de
théâtre et des genres qui s’y pratiquent.
 l’apparition et le développement des genres du
théâtre de Boulevard s’explique par cette domination
de la bourgeoisie sur le monde du théâtre.
Un théâtre – miroir
 Ce que va proposer le théâtre de boulevard, à
travers les différents genres dominants
(mélodrame, vaudeville surtout), c’est l’image
dramatisée des valeurs morales, sociales,
politiques, religieuses que prône la bourgeoisie,
c’est le reflet du mode de vie que développe la
bourgeoisie.
 Les pièces sont ancrées sur l’actualité
Ex : allusion aux découvertes techniques (électricité,
eau courante, …) , donnant l’impression au public qui
salle à l’italienne avec son compartimentage du public et sa forme en
a les moyens de s’offrir ces progrès d’être
demi-cercle qui permet de voir et être vu
« progressiste » ;
Ex : l’évolution des mœurs qui est représentée : fumer le cigare, s’inviter à dîner, allusions
aux endroits à la mode… personnages de demi-mondaines, de nouveaux riches parvenus…
Les préoccupations du moment sont représentées : le monde des affaires (opposition de
classes, conflits d’intérêts…), la famille (infidélité, conflits de générations,
mariage/divorce…)  le théâtre de Feydeau montre tout cela.
 Le théâtre de boulevard renvoie un tableau des codes bourgeois du public bourgeois pour fonder
et renforcer l’identité de classe dominante et cimenter l’ordre social désiré par le pouvoir.
 L’écriture de ce théâtre est donc « démagogique » : les œuvres sont peu dérangeantes, flattent les
goûts bourgeois… mais peu de vitriol. La fin des pièces est toujours morale et conformiste (méchants
punis, les personnages vertueux sont récompensés…)
Cf Alexandre Dumas fils, Préface du Fils Naturel, 1868 : il explique le but de ce théâtre :
« Indiquons le but à cette masse flottante qui cherche son chemin sur toutes les grandes
routes ; fournissons-lui de nobles sujets d’émotion et de discussion (…) Il nous faut peindre à
larges traits, non plus l’homme individu, mais « l’homme humanité », le retremper dans ses
sources, lui indiquer ses voies, lui découvrir ses fins ; autrement dit, nous faire plus que
moralistes, nous faire législateurs. Pourquoi pas, puisque nous avons charge d’âmes ? »
Conclusion
C’est dans cette histoire, dans ces lieux et cette atmosphère populaire que le vaudeville va
progressivement se développer et devenir, à la fin du 19ème siècle, le genre boulevardier par excellence.
DEUXIEME PARTIE
LE VAUDEVILLE
C’est le genre boulevardier qui connaît succès le plus marquant et plus long puisqu’il est encore très en
vogue de nos jours.
1- Histoire du genre
 Origines. L’étymologie est discutée : le mot viendrait de vau-de-vire : d’après région de Normandie
(Vire) où au 15ème siècle le poète Olivier Basselin compose un type de chanson particulière en
appliquant des textes satiriques à des airs connus qui seront appelées « vaudevires » en référence à
l’origine géographique normande.
Le répertoire s’accroit vite et se répand en France.  au 16ème siècle : vaudevire = chanson
populaire de circonstance : chanson bachique, grivoise, satirique, en tous les cas gaie et composée
sur un air facile à retenir.
Le mot est remplacé progressivement par vaudeville (probablement par confusion avec voix-deville, titre donné à plusieurs recueils de chansons citadines au 17ème siècle où des recueils de
vaudevilles sont publiés.
 Fin du 17ème siècle : le vaudeville entre sur la scène de théâtre.
- Les Comédiens Italiens lancent la mode des spectacles mixtes, chantés et parlés : ils
jouent déjà la commedia dell’arte accompagnés d’instruments.
De plus pour pasticher et se moquer de leurs rivaux de l’Opéra, ils farcissent leurs
représentations de parodies d’opéras et de tragédies lyriques : sur la partition
originale, on adapte paroles satiriques  comme fait le vaudeville !
- En 1697 : expulsion des Italiens qui ont déplu au Roi. Leur privilège est donc perdu.
 les théâtres forains s’approprient leurs pratiques. Sur les foires St Germain et St
Laurent les « pièces à vaudevilles » connaissent un essor et un succès en jouant des
interdits fixés par les théâtres officiels :
ex : au nom de leurs privilèges, la Comédie Française et l’Académie Royale de
musique ont fait interdire la comédie et le chant sur les théâtres de foire ? Les
Forains trouvent parade : les comédiens miment l’action sur scène, on présente
au public ces écriteaux avec texte ; on indique le timbre d’un vaudeville (qq
acteurs dans public lancent l’air)  pièces dites « à écriteaux » qui
apparaissent dans années 1710.
Le public s’amuse de ces parodies et stratégies de contournements…
- En 1714 : moyennant une taxe versée à l’Académie royale de musique les comédiens
de foire obtiennent l’autorisation de chanter eux-mêmes
 la « pièce à vaudeville » se développe : dans une pièce à vaudeville, on peut
trouver :
- entre 20 et plus de 50 airs chantés, distribués sur différents comédiens
- les couplets ont plusieurs fonctions :
ils se substituent aux dialogues
ils résument la situation
ils apportent un éclaircissement
ils apportent de la grivoiserie, de l’humour
- l’intrigue de ces pièces est simpliste, les personnages sont typologiques, ils
ne cherchent qu’à faire rire.
 Au 18ème siècle, années 1750 : la « pièce à vaudeville » n’est plus à la mode, concurrencée par opéracomique.
Elles reviennent à la mode à la fin du siècle si bien qu’on inaugure un Théâtre du Vaudeville le 12
janvier 1792.
Insérer image du théâtre
 Au 19ème siècle le vaudeville devient un des genres les plus prestigieux.
- Le genre est épargné par la censure de Napoléon. La gaieté légère que propose ce genre théâtral
répond aux attentes du public éprouvé par les terreurs et les horreurs de la Révolution. Les auteurs
de vaudevilles gardent un ton comique consensuel. Aussi quand, en 1807, Napoléon restreint le
nombre de salles à Paris, le théâtre du Vaudeville reste parmi les 8 théâtres autorisés.
 la production de vaudevilles devient considérable. Entre 1806 et 1848 on estime que les
vaudevillistes font jouer plus de 10000 pièces ! Certes, à l’époque un vaudeville est une pièce en 1
acte (on en joue donc plusieurs par soirée !). « Faire des vaudevilles est devenu la meilleure des
industries littéraires » dira le critique Paul Vermond en 1835.
- Eugène SCRIBE et Eugène LABICHE sont les deux auteurs qui donnent ses lettres de noblesse au
genre du vaudeville en en faisant un genre élaboré. Les pièces sont plus structurées, mieux pensées
dans leur progression dramaturgique :
- 3 actes, mise en place méticuleuse des éléments de départ pour permettre enchaînement
selon image de la boule de billard.
- Les personnages gagnent en psychologie et en vraisemblance.
- Les airs et chansons qui caractérisent le vaudeville depuis l’origine paraissent de plus en
plus superficiels, ils diminuent donc en nombre et en importance, sans disparaître
complètement puisque ils restent obligatoires pour ne pas concurrencer théâtres qui ont
privilège du théâtre parlé jusqu’en 1864.
-
Le 6 janvier 1864 est une date importante dans l’histoire du théâtre: un décret libère enfin les
auteurs, les salles et les genres scéniques de toutes les contraintes et tous les privilèges : CHAQUE
AUTEUR PEUT FAIRE CE QU’IL VEUT, CHAQUE GENRE PEUT S’EMPARER DE CE QU’IL
VEUT ET DEVENIR CE QU’IL VEUT.
 le vaudeville profite de cette liberté en faisant disparaître les couplets (d’autant plus
facilement que le genre de l’opérette prend le relais à la même époque).
Remarque : Un Fil à la Patte comprend encore un vaudeville au sens ancien du terme : à l’acte III,
scène 8, Viviane et Bois d’Enghien sont contraints de s’entretenir en chantant «sur l’air de Magali,
de Mireille» - mais il faut noter que ce bref «vaudeville», loin d’être une bouffonnerie gratuite, est
justifié dramatiquement, puisque les deux amants doivent chanter pour donner le change à Miss
Betting, qui chaperonne Viviane.
-
Georges FEYDEAU arrive à ce moment de l’histoire du vaudeville et parachève le genre.
Depuis 1870, le vaudeville désigne donc toute pièce d’une gaieté vive dont les ressorts comiques sont
fondés essentiellement sur le comique de situation et l’enchaînement vif de péripéties comiques.
2- DRAMATURGIE DU VAUDEVILLE : les rouages de la mécanique vaudevillesque
Le vaudeville répond à un objectif dramaturgique clair :  EFFICACITE DRAMATIQUE OPTIMALE.
L’intrigue d’un vaudeville ne doit jamais cesser de s’auto-alimenter en rebondissements, en coups de théâtre
de manière à toujours tenir le spectateur en haleine et en rire.
STRUCTURE DRAMATIQUE
L’exposition et les préparations
L’intrigue d’un vaudeville est souvent complexe et obéit au principe de l’accumulation : elle ne
cesse de se compliquer au gré des mensonges des personnages.
Pour que le spectateur ne se perde pas, l’exposition est fondamentale. Tout l’acte I peut être nécessaire
pour installer les ressorts souvent complexes de la pièce. Au risque de rendre parfois cet acte I
laborieux à cause de la surcharge d’informations.
Ex : L’acte I d’Un fil à la patte comprend 20 scènes qui obéissent au principe d’accumulation des
personnages nouveaux et donc des intrigues nouvelles : Marcelline  Lucette  Cheneviette 
Nini  Fontanet  Bois d’Enghien  Baronne  Bouzin  Irrigua…
Cette exposition minutieuse assure les « préparations » c’est-à-dire la mise en place de tous les
éléments qui assureront la vraisemblance (parfois relative) de l’intrigue à venir.
Ex : Un fil … : l’acte I comprend 20 scènes. A la fin de l’acte tous les fils sont tendus autour de
chacun des personnages :
 Bois d’Enghien et l’imbroglio amoureux qui s’annonce chez la baronne dans l’acte II
 Lucette et sa menace de mort qui annonce l’acte III
 L’intrigue Irrigua qui traverse toute la pièce pour culminer en III
 L’intrigue Bouzin qui traverse aussi la pièce
L’agencement de l’intrigue
A partir d’une action principale et d’un personnage principal qui la porte (le mariage de Bois
d’Enghien et sa nécessaire séparation d’avec Lucette ; l’urgence qu’il y a pour Toto d’avaler son
purgatif), l’action s’épaissit progressivement, se démultiplie en un faisceau d’intrigues connexes :
Ex : Un fil : l’intrigue Irrigua, l’intrigue Bouzin, l’intrigue Viviane, l’intrigue
Marceline qui voudrait bien goûter à l’amour…
Ex : On purge : l’intrigue commerciale, l’intrigue de l’adultère, l’intrigue intestinale…
 d’où le sentiment de complexité des intrigues dont la multiplication et l’intrication touchent
parfois à l’absurde
Le découpage en actes est conventionnel. Chaque acte constitue une étape dans l’imbroglio : après les
préparations de l’acte I, l’acte II complexifie l’intrigue en enfonçant les personnages dans leurs
mensonges. L’acte III touche à l’hystérie que vient, deus ex machina, en coup de théâtre, résoudre une
ultime action.
Le découpage des scènes répond à la tradition des entrées et sorties des personnages. Si le vaudeville
multiplie les scènes dans chaque acte, c’est que les entrées et sorties s’y font à un rythme effréné
déclencheur de comique, autour de cet élément de décor devenu accessoire et « personnage » : LA
PORTE
Ex : Un fil : dans I, Marceline meurt de faim : ce sont les incessantes entrées et sorties de
personnages qui retardent l’assouvissement de cette faim à la scène 7.
Ex : On purge : a contrario, c’est le fait que Mme Folavoine ne parvienne pas à sortir du bureau de
son mari qui génère un comique répétitif.
La fatalité comique
Le vaudeville repose sur une chaîne ininterrompue d’actions qui enferment les personnages dans des
situations comiques inextricables. C’est pourquoi on peut parler de « fatalité comique ».
Cf Francisque Sarcey : « les incidents naissent des incidents et chaque pas que vous faites pour
sortir de ces épines vous y empêtre davantage » (Quarante ans de théâtre, 1900-1901)
Le vaudeville repose donc sur une mécanique infernale de péripéties qui vont crescendo.
Cf Feydeau : « Je pars toujours de la vraisemblance. Un fait – à trouver – vient bouleverser l’ordre
de marche des événements naturels tels qu’ils auraient dû se dérouler normalement. J’amplifie
l’incident. Si vous comparez la construction d’une pièce à celle d’une pyramide : je pars de la pointe
et j’élargis le débat. » (cité par Michel Georges-Michel, L’époque Feydeau)
 cette citation de Feydeau explique bien le phénomène de l’ENGRENAGE qui donne aux
événements comiques qui définissent le vaudeville une impression de fatalité burlesque, voire absurde.
Ex : réplique de Bois d’Enghien pour désigner cette construction et ce sentiment de fatalité dans
laquelle il s’est lui-même mis : « J’ai une maison de cinq étages suspendue sur ma tête. » (II, 10)
Lé dénouement
Le vaudeville se termine toujours dans la joie. L’ingéniosité de l’auteur consiste donc à démêler tous
les imbroglios qu’il a mis en place.
Cf Dumas fils, Préface de La princesse Georges, 1877 : « Un dénouement est un total mathématique.
Si votre total est faux, toute votre opération est mauvaise. J’ajouterai même qu’il faut toujours
commencer la pièce par le dénouement, c’est-à-dire ne commencer l’œuvre que lorsqu’on a la scène,
le mouvement et le mot de la fin. On ne sait bien par où on doit passer que lorsque l’on sait où l’on
va. »
Dans ce dénouement heureux, l’ordre et la morale triomphent, fût-ce de manière ambiguë.
Ex : certes Bois d’Enghien se marie et la demi-mondaine Lucette quitte la scène, chassée,
humiliée (la morale bourgeoise pourrait s’en trouver satisfaite). Mais le menteur Bois
d’Enghien ne s’en trouve pas moins récompensé , de même que Viviane qui a trompé sa mère
et lui fait un chantage à la réputation pour obtenir le « bien » qu’elle convoite.
Ex : On purge : c’est aussi sur un mensonge à ses parents bernés que Toto remporte le match.
Le primat de la situation
La situation clé : le trio
La situation de départ pose toute la mécanique qui va s’enclencher. La situation que privilégie le
vaudeville est le TRIO.
Trio amoureux : mari/femme/amant(e)
Trio familial : père/mère/enfant
Cette cellule de départ peut ensuite varier : trio financier, trio politique, trio domestique…
Le trio permet de mettre en scène la tromperie conjugale, l’adultère, out toute tromperie, le
personnage tiers étant là pour témoigner du mensonge, pour encombrer, gêner.
Les incidents
A partir de la situation de départ, le vaudeville va consister à multiplier les incidents, obstacles.
Rencontres fâcheuses
Les scènes de rencontres intempestives sont les plus caractéristiques du vaudeville  elles forcent
les personnages à des confrontations non souhaitées, chocs particulièrement efficaces pour créer le
comique.
Cf Feydeau, propos rapporté par Tristan Bernard : « Quand je fais une pièce, je cherche,
parmi mes personnages, quels sont ceux qui ne doivent pas se rencontrer. Et ce sont ceux-là
que je mets, aussitôt que possible, en présence. » (ex : II du Dindon)
C’est souvent le hasard le plus gratuit qui agit, le dramaturge ne s’embarrasse pas de justification
plausible de ces rencontres. Le vaudeville ne met pas en scène une « nécessité », une fatalité comme
dans la tragédie mais laisse au contraire l’imprévu et l’impromptu régner en maîtres. Mais cet
inattendu ne l’est pas pour le public qui au contraire attend cet imprévu !
Ces rencontres obéissent souvent au principe du contretemps : elles ont lieu trop tôt ou trop tard, les
retours sont inopinés… Cette dramaturgie du contretemps génère une source de tension pour le
personnage propre à susciter le rire du public.
Ex : Mme Folavoine qui refuse de sortir du bureau de son mari alors que doit arriver M.
Chouilloux. La pièce repose ensuite sur le retour inopiné de Mme Folavoine.
Ex : L’acte II de Un fil… repose entièrement sur les arrivées inopinées de personnes que Bois
d’Enghien souhaiterait ne pas voir.
Finalement, quand la rencontre est prévisible, inévitable, le dramaturge peut s’amuser alors à la
retarder pour créer un suspense comique.
Ex : la rencontre de Lucette et Bois d’Enghien chez la Baronne jusqu’à la scène du placard
Ex : la rencontre des Chouilloux avec Mme Folavoine en déshabillé.
les quiproquos
La méprise, l’erreur, la confusion sont les ingrédients favoris du vaudeville. En plus de mettre
certains personnages dans des situations comiques (ex : le personnage de Fontanet qui ne comprend
pas pourquoi on rit de lui), ils enrichissent l’intrigue (voir acte II de Un fil).
L’esthétique du quiproquo repose sur un engrenage comique dont l’intérêt repose sur la capacité
(Bois d’Enghien, Lucette, Viviane… Toto) ou l’incapacité (Bouzin, Folavoine…) des personnages à
réagir à l’imprévu.
Ex : comparez Bouzin le butor et Bois d’Enghien le matois…
Ex : observez les manœuvres malhabiles et comiques de M. Folavoine pour se sortir des
bourdes que crée sa femme.
Le mouvement permanent
Le vaudeville et le théâtre de boulevard ne souffrent aucun temps mort !  le mouvement et l’action doivent
être rapides, crescendo, jusqu’à une accélération délirante.
Pour cela, les dramaturges ont quelques procédés :
 attention minutieuse aux déplacements des personnages. A propos des déplacements des
personnages de Feydeau, on parle même de « chorégraphie », tant l’auteur se montre attentif aux
placements et déplacements des personnages dans les didascalies et par le système de numéros
indiquant les places sur la scène ;
 jeu dynamique sur les entrées/sorties autour de l’accessoire maître du vaudeville : les portes. Ce jeu
permet une dynamique de remplissage de l’espace scénique (ex : La dame de chez Maxim  40aine
de pers !)
 l’écriture des didascalies est minutieuse
 le jeu des comédiens : tempo physique exigeant : marcher/courir/aller/revenir/tomber…
 les accessoires : l’objet dans le vaudeville, en plus d’être référentiel, réaliste, est toujours dynamique
car utilisé par les personnages : canapés, rideaux, …
ex : le bouquet, le Figaro, l’armoire, … dans Un fil
ex : le seau des eaux usées, le pot de chambre, le purgatif dans On purge
 le texte lui-même enfin est propre à une énergie scénique époustouflante : répliques rythmées,
stichomythies, duels verbaux…  le texte du vaudeville offre bien peu de temps morts !
LE PERSONNAGE DU BOULEVARD
« Le personnage du Boulevard présente certains traits réalistes et vraisemblables qui l’inscrivent dans un
contexte familial et social. En même temps, il est aussi un personnage caricatural, figé, dépourvu de
substance, car la prédominance écrasante de la situation dans la dramaturgie boulevardière le relègue au
rang d’un instrument destiné à mettre en œuvre l’intrigue. » (BRUNET, Le théâtre de boulevard, p.102)
La spécificité la plus notable du personnage de vaudeville est son aptitude à jouer une comédie dans la
comédie  la théâtralité est constitutive du personnage de vaudeville : celui-ci est toujours en train de jouer,
simuler, tromper, feindre, bref, faire du théâtre.
Castigat ridendo mores : des personnages miroirs du public
Le personnage de vaudeville est typé, obéit à une série de clichés de l’époque.
Des fonctions types
- le personnage est défini par son titre, sa situation, sa fonction (« la bonne », le
« commandant », la « baronne »…) :
-
« Le personnage incarne donc une fonction type dans le cadre d’un réseau relationnel. A
chaque fonction se trouve attaché un ensemble de caractéristiques convenues – ce qui
facilite pour le spectateur le décryptage des situations. »
ex : Bois d’Enghien est l’aristocrate désargenté, Lucette la cocotte, Folavoine le
bourgeois enrichi, le nouveau riche, Chouilloux le fonctionnaire…
Ces catégories sociales, malmenées par l’intrigue, ne sont jamais transgressées dans le
vaudeville qui maintient toujours l’ordre social et politique en place!
 cette « fonctionnalité » sociale du personnage le prive de toute psychologie propre
et individualisante.
Ex : Bois d’Enghien est un type (l’homme pleutre intéressé), on en trouve à la pelle
dans le vaudeville ; Folavoine est le type du marchand enrichi…
Les personnages sont « ordinaires », médiocres, ils sont les représentants de la vie, le
spectateur doit pouvoir reconnaître le monde dans lequel il vit.
 il s’agit de renvoyer image de l’ordre social bourgeois où chacun tient son rang,
du domestique à la demi-mondaine, du père de famille à l’homme politique…
Le ridicule de l’homme
- toute velléité d’humanisme ou d’humanité est vouée à l’échec dans la comédie de
Boulevard  la rigidité mécanique est à l’œuvre pour laisser les personnages dans
leur superficialité comique et dans le ridicule fondamental qui les définit.
- Tous les personnages de vaudeville dressent un tableau animé des vices de l’humain.
En ce sens, le vaudeville se fait l’héritier toute la tradition théâtrale comique depuis Molière
dont le théâtre souhaitait illustrer le proverbe latin : castigat ridendo mores (corriger les
mœurs par le rire).
La mécanisation des personnages
- l’inscription du personnage dans un type lui confère ipso facto les caractéristiques
anthropologiques qui le définissent. (ex : l’amant, la femme adultère, le commis…)
- le personnage obéit donc à un comportement défini préalablement. Le vaudeville n’est
pas un théâtre qui montre l’intériorité d’un personnage réfléchissant à son être, son
identité. Le personnage est déterminé à agir selon un schéma déjà établi et que le
public connaît.
 les personnages-types se trouvent donc interchangeables, dupliqués d’un vaudeville à
l’autre.
- le personnage finit donc par être figé, « chosifié », assimilé à un objet de façon comique.
Cf BERGSON : « nous rions toutes les fois qu’un personnage nous donne l’impression
d’une chose » (Le rire, chap I)
- Cette caractéristique est renforcée par l’importance du décor et de l’accessoire dans le
vaudeville  le personnage y est en permanente relation d’inclusion / exclusion…
comme s’il parvenait difficilement à trouver la plénitude de sa place.
Ex : Bouzin est le protoype le plus abouti : voir sa relation au parapluie qui
traverse toute la pièce, objet de distinction sociale (accessoire de mode) mais
qui le gêne dès le début et dont il ne saura pas quoi faire jusqu’à la fin. Ce
parapluie est le double chosifié de Bouzin : un accessoire gênant !
Ex : le seau d’eaux usées de Mme Folavoine, qui dit, mieux que les mots,
l’abaissement de ces personnages scatophiles.
Des personnages monomaniaques
Le personnage de boulevard est donc prévisible, cantonné à un emploi attendu par le public.
- dans la tradition de la farce, le comportement du personnage est marqué par le
grossissement et la simplification qui le privent de toute profondeur pour accentuer le
comique.
L’onomastique est déjà révélatrice d’une tare : « Giclefort, Coustouillu, Follbraguet,
Bouzin… » chez Feydeau ; « Dardenboeuf, Beautendon » chez Labiche, …
-
le personnage est donc réduit à une dominante, un trait obsessionnel,
monomaniaque qui est l’illustration de cette raideur comique selon Bergson qui se
manifeste dans la langue (onomatopées, tics de langage, …), dans le corps pleins de
gestes obsédants, répétitifs, qui les apparentent à des marionnettes inquiétantes (voir
Christian Hecq interprétant Bouzin dans la mise en scène de Deschamps).
le théâtre dans le théâtre
Le personnage de vaudeville a toujours une propension à se mettre en scène, à jouer un rôle, à être en
représentation créant ainsi du théâtre dans le théâtre.
- Les situations d’imbroglios les conduisent à manipuler les autres, à travestir, à tricher , les
forçant ainsi à jouer souvent deux pièces en une : celle à laquelle les assigne l’auteur et
celle qu’ils se condamnent à jouer eux-mêmes (ex : Bois d’Enghien).
Cette caractéristique est encore plus vraie quand les personnages sont du monde du
spectacle !
 il s’agit de jouer son rôle dans la comédie généralisée du monde. Le monde est un théâtre, disait
Calderon de la Barca : les personnages de Feydeau en sont parfaitement conscients mais Feydeau
s’applique à montrer les rouages mal huilés de cette grande pièce de théâtre qu’est la vie.
- cet aspect du personnage se voit dans le jeu (souvent qualifié de « surjeu ») que propose
le vaudeville : le comédien doit surinvestir son personnage de théâtralité.
 Théâtre et théâtralité sont donc exacerbés. Le vaudeville n’est jamais dans l’illusion théâtrale et la théorie
du 4ème mur. Au contraire, il interroge l’illusion théâtrale et les pouvoirs et effets de la théâtralité.
L’ESPACE
Un espace figuratif
- Les didascalies traduisent la volonté claire d’illusion réaliste  la scène se passe
généralement dans un intérieur bourgeois reconstitué avec souci du détail.
Toutefois, l’analyse comparée de mises en scène permettra d’établir le respect ou
l’irrespct (Deschamps) du metteur en scène par rapport à cette convention.
- Le vaudeville ne respecte pas l’unité de lieu mais propose au contraire une multiplication
des espaces (qui traduit les progrès techniques que connaît le théâtre dans le changement
rapide de décor, dans l’électricité…).
Ex : Un fil à la patte = révélateur de ces changements de lieux
Extérieur et salon
- espace scénique = généralement clos et les élargissements = virtuels
- salon = lieu de l’intimité en même temps que lieu de la sociabilité  lieu d’observation
des usages.
- Salon = lieu centrifuge (ouvrant sur d’autres lieux fortement symboliques comme la
chambre…) d’où l’on cherche à partir … et centripète (on y revient …) où tous se
retrouvent, se croisent, se gênent…
 lieu de passage, de traversée, les pers s’y croient à l’abri sans l’être jamais.
- Porosité des lieux, débordements d’un espace sur l’autre (ex : l’intimité du salon de
toilette de Mme Folavoine dans le bureau du mari…)
- Le PLACARD (armoire) = lieu topique
Espace et mouvement
Dans le vaudeville l’espace a la capacité de générer le mouvement :
- Il doit favoriser ou empêcher les passages, chassés-croisés, rencontres, quiproquos…
- L’espace est vulnérable : espace troué de PORTES (ex : Boeing Boeing = 7 portes) qui
menacent à tout moment ouverture
Ex : voir les décors et scénographies d’Un Fil… ou encore les différents espaces de
chez les Folavoine qui s’interpénètrent de façon comique
- L’espace vaudevillesque essaie d’opposer le visible au caché. Mais les espaces
cachés/visibles initialement séparés finissent toujours pas entrer en contact
Les accessoires
-
Ils ont une fonction référentielle d’abord : situer le milieu, effet de réel
Ils participent de la dynamique d’action
ex : le Figaro dans Un Fil… ; le pot de chambre, le seau…
 ces objets deviennent tyranniques, enfermant les personnages dans leur propre
monde, brisant les aspirations des personnages en leur faisant subir une dégradation
comique.
LE TEMPS
Dans le vaudeville, toute inscription du personnage dans temps est impossible tant les situations se
succèdent de façon imprévisible
- Le personnage de vaudeville est dans un présent permanent, une immédiateté oppressante,
une urgence écrasante
 ce qui prive le pers de vaudeville de toute « expérience », de tout devenir,
progression/progrès incarnés dans une temporalité  le personnage reste immuable, sans
conscience du temps
(différent dans comédies de bd où pers = inscrit dans une histoire et une temporalité)
3. La rhétorique du Boulevard
 Le théâtre de bd ne met pas en scène le silence  THEATRE DE LA PAROLE
 Les personnages s’affrontent, s’interrogent, s’expliquent, …  la parole assure le tempo de l’action.
LES JEUX DE LANGAGE
Les codes langagiers
Niveaux de langue et registres
- pers de Bd se révèle par son langage qui l’inscrit dans milieu social, intellectuel…
- exacerbation des oppositions comiques des pers à partir de ces oppositions de langue
- interroge alors fondements de la communication
Ecarts par rapport à la norme
- idiolectes = courants et particulièrement le pers étranger riche en potentiel comique
- pers de bd = coupables de nbreux « dévergondages grammaticaux » (cf pers Colardeau
dans Un jeune homme pressé de Labiche : écrit apprendre avec 3 P et enfant avec 3 F
jugeant que le destinataire de ses lettres en retranchera s’il en trouve en trop…)
Comique de mots et mots d’auteurs
Véritable fête du langage
- jeux sur les signifiants, sur sonorité même des mots  satire des discours creux (cf pers
d’hommes politiques et leur langue de bois, de mondains snobs…), des phrases
ronflantes…
- jeux sur les signifiés, calembours, jeux de mots, plaisanteries… le « mot d’auteur »
abonde dans th de Bd créant complicité et reconnaissance entre public et auteur.
Cf Pavis, Dictionnaire du théâtre définit le « mot d’auteur » comme partie du texte « dont
on ressent qu’elle n’est pas vraiment prononcée par le personnage en fonction de sa
psychologie et de la situation, mais mise dans sa bouche par l’auteur, de façon à faire
passer dans le texte un mot d’esprit, un aphorisme ou une maxime. »
 mettent en exergue virtuosité langagière de l’auteur, en interrompant illusion théâtrale
par adresse implicite au public et distanciation
ex : « Ah ! Si on pouvait voir les femmes vingt après après, on ne les
épouserait pas vingt ans avant ! », Feydeau, Hôtel du libre-échange
ex : « Ah ! quel dommage qu’on ne puisse avoir un amant sans tromper son
mari. », Feydeau, La main passe
ex : Vidal : -Vous n’êtes pas fidèle à votre femme ? – Léo :- Si, souvent !,
Guitry, La prise de Berg op Zoom
L’ART DU DIALOGUE
- Si qq ex de monologues, sont tt de même rares  le Bd et srtt le vaudeville = théâtre du
dialogue emporté, vif (donc rares sont les tirades, et si tirade = moment de théâtralité
forte)
- Tempo vif, soutenu, précipitation même, jq au galop effréné de parole
- Lutte verbale, stichomythies.
- Procédé courant mis en place par Labiche = réplique d’urgence : qd pers doit faire face à
situation inattendue, pressante, gênante/ Réponse = incongrue, fait déraper le dialogue
dans le non-sens, dans comique.
- Illogismes, effets de rupture = fréquents, illustrant les incertitudes et la précarité de
l’univers bourgeois des pers menaçant constamment de basculer dans absurde.
 communication = probq dans th de bd et srtt dans vaudeville. Théâtre qui parle jq à
saturation mais dont les effets pragmatiques sont sérieusement mis à mal tant les entraves se
multiplient.
SEXE, MENSONGE, APARTÉS
L’expression du désir
-
-
Rhétorique amoureuse = abondante dans Bd, le lgge étant arme des pers pour assouvir
leurs désirs, satisfaire leurs égoïsmes  pers construisent des édifices de lgge pour
obtenir ce qu’ils souhaitent. Or lgge = pbq, les édifices s’avèrent fragiles…
La sexualité = verbalisée dans le Bd : l’acte sexuel n’est jamais mis en scène, le corps est
tabou (qq baisers et caresses) : la coucherie, prtt abondante, = uniquement par le lgge
La parole mensongère
- Mensonge = gde affaire du Bd
- Pers = tjrs un secret, un dilemme, un aveu impossible porteur de tension dramatique et de
potentiel comique
- C’est le discours faux qui enclenche l’action et la nourrit jq à folie  en ce sens le Bd
propose réflexion intéressante sur le lgge, sur nécessaire ou non illusion des mots
Cf Anouilh, Les poissons rouges, III : « il ne faut jamais dire la vérité : c’est elle le
vrai désordre. »
Cf Guitry, Mon père avait raison, I à propos du mensonge: « C’est une des plus
grandes voluptés de la vie !... C’est une joie qui n’est pas fatigante… et qui n’est
limitée que par la crédulité des autres. »
 pas de vie sociale sans mensonge !!!
L’aparté
usage abondant de l’aparté
- Fournit au spect éléments utiles à compréhension d’une situation (ex : 1er aparté de Bois
d’Enghien pour annoncer au public qu’est là pour rompre malgré apparences…)
- Expriment sentiments des pers, révèlent intimité (svt panique !)
- Rôle comique fort, convention théâtrale un peu lourde mais qui rappelle au spect le
théâtre en lui révélant le tenants et aboutissants des discours
- Déjouent les faux-semblants, défont l’hypocrisie du jeu social et du jeu des personnages
 dénoncent le théâtre par double énonciation , crée hiatus en dit/non dit
 spect a sentiment d’être maître du jeu et plaisir en est multiplié
« La rhétorique du Boulevard se distingue donc par une double spécificité. D’une part, elle relève
foncièrement d’une dramaturgie à effets : nul procédé qui ne soit d’abord et avant tout comique, nulle
« ficelle » qui ne serve prioritairement le spectacle. D’autre part, elle est très marquée par les jeux sur
l’énonciation et sur l’énoncé… Fête du langage, fête de la parole – authentique car mensongère -, fête de
l’esprit aussi, le théâtre de Boulevard s’épanouit dans l’art subtil du décalage, de la distanciation et du clin
d’œil. » (132)
TROISIEME PARTIE
GEORGES FEYDEAU ET LES PIÈCES AU PROGRAMME
1- Biographie de Georges FEYDEAU (1862-1921)
Le père de Georges, Ernest-Aimé Feydeau, était coursier en Bourse, directeur de journal et polygraphe :
auteur d’essais, de plusieurs romans, et même de deux pièces de théâtre, il comptait Théophile Gautier et
Flaubert parmi ses amis. Georges Feydeau grandit au sein d’un milieu littéraire et bohème et fit preuve très
tôt de son goût pour le théâtre. A quatorze ans, avec quelques condisciples, il fonde au Lycée Saint-Louis le
Cercle des Castagnettes et interprète dans ce cadre, non sans talent, du Molière, du Labiche, ou des
monologues de son propre cru.
A 19 ans, Feydeau fait jouer avec un certain succès sa première pièce, Par la fenêtre, un quiproquo en un
acte pour deux comédiens, dans un casino de station balnéaire. Mais entre 1882 et 1890, la demi douzaine de
comédies qu’il compose, ainsi que plusieurs monologues interprétés par de grands comédiens (Galipaux,
Coquelin cadet, Saint-Germain], ne lui permet pas de percer. Seul Tailleur pour dames (1886), qui tient 79
représentations, trouve grâce aux yeux de la critique.
En 1892, alors que Feydeau (qui s’est marié trois ans plus tôt avec la fille du peintre Carolus Duran) songe à
se faire acteur, il remporte enfin son premier vrai triomphe: Monsieur chasse. «Je ne vous décrirai pas le
public», écrit le critique de théâtre Francisque Sarcey: «il était épuisé, il était mort de rire, il n’en pouvait
plus».
Deux autres pièces de Feydeau, également créées en 1892, confirment le sacre du nouveau roi du vaudeville.
Les œuvres suivantes Un fil à la patte et L’Hôtel du Libre-Echange, 1894; Le Dindon, (1896), en font le
dramaturge français le plus célèbre de son temps, traduit en une dizaine de langues et joué dans toutes les
capitales d’Europe. Sa gloire culmine avec La Dame de chez Maxim (1891), qui dépasse largement le millier
de représentations et devient l’une des principales attractions touristiques du Paris de l’Exposition
Internationale.
Feydeau peut se permettre de prendre quelque temps ses distances avec le vaudeville pour se consacrer à ses
autres passions: le noctambulisme et la peinture.
En 1904, il revient cependant au théâtre avec La Main passe, que suivent La Puce à l’oreille (1907) et
Occupe-toi d’Amélie (1908).
Dès cette même année 1908, connaissant des déboires dans sa vie personnelle et familiale, Feydeau
entreprend de renouveler sa manière et renonce aux procédés du pur vaudeville pour se concentrer sur les
ressources comiques des dissensions entre époux. Ce versant de son œuvre, inauguré par Feu la Mère de
Madame, est sans doute inspiré à la fois par le souci de s’illustrer dans un genre théâtral moins méprisé en
1916 et par ses propres malheurs conjugaux: séparé, puis divorcé de sa femme, Feydeau vivra en effet ses
dernières années à l’hôtel Terminus. De cette époque date le cycle appelé Du mariage au divorce : des
farces en un acte telles que On Purge Bébé (1910), Mais n’te promène donc pas toute nue (1911), Léonie est
en avance (1911) et Hortense a dit: «je m’en fous !» (1916). Mais Feydeau, vieillissant, a toujours plus de
difficultés à terminer ses pièces (certaines restent d’ailleurs inachevées). En 1919, une affection syphilitique
entraîne de graves troubles mentaux: Feydeau doit être interné dans une maison de santé de RueilMalmaison. Il y meurt en 1921.
D’après Henri Gidel, Le Vaudeville, Paris, 1986
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