l’arrivée d’importuns impromptus, les comédiens surgissent devant la caméra, le plan est serré
sur leur visage pour capter la naissance du sentiment avant même qu’il soit formulé. Le fourbe
Bois-d’Enghien fait souvent des apartés à la caméra, c’est par lui que se brise le quatrième mur,
celui qui sépare le public de la représentation théâtrale, ici, le spectateur de l’écran. Ces apartés
supportent le nœud dramatique : Bois-d’Enghien va-t-il réussir à rompre avec Lucette, ce «fil à la
patte» qui l’empêche d’accéder au monde aristocratique qu’il ambitionne d’intégrer ?
Le rythme de ce film est dense. La caméra suit tous les allers et venues des personnages pressés,
surpris, obligés d’agir dans l’urgence. Ce sont leurs comportements face à l’urgence qui créent
l’action et chacun se révèle sous son vrai jour. Les jeux de miroirs, très présents à l’écran, sont
l’outil visuel pour signifier la tromperie de tous et rendre prégnant le jeu de dupes auquel tous
participent. Chaque personnage a plusieurs facettes qu’il révèle dans les situations extrêmes. Le
monde de la Belle Époque n’est pas tendre. Hypocrites, prétentieux, calculateurs, persifleurs, les
caractères sont trempés dans le cynisme, ce qui engendre un humour souvent corrosif.
La cadence est aussi rendue par l’omniprésence du son. À l’origine, le vaudeville se chantait,
c’était une ballade gaie et gouailleuse. Dans Un fil à la patte, on claque des talons, on tape des
mains, on chante, on crie, on jouit. La bande son (entre autres, le ballet de Faust de Gounod)
emporte les scènes sur des airs de revue ; entraînante presque à l’excès, la musique est ainsi
entièrement au service de la trame narrative. C’est une véritable danse endiablée à laquelle
Michel Deville nous invite. Il faut donc noter à cet endroit que le réalisateur fait très peu de prises,
filme à un rythme effréné l’enchaînement des plans, laissant à l’acteur peu de temps pour la
réflexion, et préservant de fait, sa spontanéité et le plaisir de jouer la comédie. M. Deville a donc
choisi les rushes des répétitions au montage, ce qui donne au film ce naturel et cet entrain propres
à l’improvisation des comédiens pendant le tournage de plans séquences.
Enfin, même le choix des acteurs concourt à parfaire l’adaptation cinématographique de la pièce
de Feydeau. E. Béart, C. Berling, D. Blanc, S. Merhar, P. Timsit, lesquels appartiennent déjà peu
ou prou à un cinéma de genre différent, sont tous à contre-emploi de leur personnage habituel. Ce
mélange est un écho à la pièce de Feydeau dans laquelle sont réunis des personnages de
différents milieux sociaux : une chanteuse de café-concert, un journaliste, une aristocrate, un
chansonnier…
Georges Feydeau aurait déclaré de son écriture : « Un gramme d’imbroglio, un gramme de
libertinage, un gramme d’observation, malaxer. » Avec l’adaptation d’Un fil à la patte, Michel Deville
lui rend un bel hommage.
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