Octave Mirbeau (1840-1917) dénonce le pouvoir de l’argent dans la vie moderne, en créant un
type nouveau de financier opportuniste, Isidore Lechat. La toute-puissance de l’argent inspire
aussi Henry Bernstein (1876-1953) dans ses premiers drames : La Rafale (1905), Le Voleur
(1906), Samson (1907).
Emile Zola pensait que la dénonciation des tares sociales devait favoriser leur disparition. Cet
optimisme moralisant est repris par ce qu’on a pu appeler « le théâtre d’idées » : des drames
parfois sommaires illustrent alors un problème précis. François de Curel (1854-1929), lecteur
d’Ibsen, met ainsi aux prises patrons et ouvriers (Le Repas du lion, 1897) et expose les risques du
pouvoir scientifique et de l’expérimentation médicale (La Nouvelle Idole, 1899).
3. Pièces gaies
La postérité a souvent conservé de la Belle Epoque l’image d’une période heureuse. Il est vrai
que ses dramaturges ont su cultiver le rire, avec une série de pièces légères qui n’ont pas toutes
sombré dans l’oubli.
Au premier rang de ces amuseurs, il faut citer deux maîtres du vaudeville : Georges Feydeau et
Georges Courteline (1828-1929). Ce dernier fut défendu par Antoine, qui monta en 1891 sa
première pièce, Lidoire, au Théâtre-Libre, puis Le Gendarme est sans pitié (1899), Le
Commissaire est bon enfant et L’Article 330 (1900). La Paix chez soi, créée par Antoine en 1903,
entra dès 1906 au répertoire de la Comédie-Française, signe de la reconnaissance officielle des
qualités littéraires de Courteline.
4. Pièces poétiques
Comme le naturalisme, le symbolisme connaît, durant cette période, quelques tentatives de
transcription théâtrale. L’écrivain belge Maurice Maeterlinck (1862-1949) fit ainsi jouer en 1893
Pelléas et Mélisande, un drame qui prit valeur de manifeste. En opposition avec toute prétention
réaliste, il met en scène des personnages aux contours estompés sur lesquels plane une fatalité
mélancolique dans un décor flou de forêt et de château obscurs.
La pièce trouvera sa pleine réalisation avec l’opéra que Claude Debussy en tira en 1902. Même
métamorphose avec Ariane et Barbe-Bleue (1901), qui devient en 1907 un opéra de Paul Dukas.
On peut voir dans ce mouvement vers 1’opéra le résultat d’une évolution logique. Le symbolisme
insiste sur la musique et le mystère, ainsi que sur les correspondances entre les sensations ; en
passant de la poésie au théâtre, il devait rencontrer l’opéra, qui unit les mots aux notes. Poètes et
dramaturges connaissaient aussi Richard Wagner : ses œuvres, du Tannhäuser qui enchanta
Baudelaire lors de sa création parisienne en 1861, jusqu’a Parsifal (1882), incarnaient l’œuvre
d’art totale dont rêvaient Mallarmé et ses disciples.
Les mots se suffisent pourtant à eux-mêmes dans l’œuvre d’un autre admirateur de Wagner, Paul
Claudel, dont le public ne découvrira la déconcertante grandeur sur la scène qu’en 1912 avec
L’Annonce faite à Marie. Dès 1890, il avait cependant publié Tête d’or et, en 1901, dans le
recueil de L’Arbre, des textes aussi importants que La Ville, L’Échange et La Jeune Fille
Violaine : un autre théâtre était ici donne à lire qui, une fois mis en scène, allait bouleverser le
répertoire du XXe siècle.
5. Le « boulevard »
Depuis le XIXe siècle, le terme de « théâtre de boulevard » s’impose comme synonyme de
théâtre populaire et de divertissement. Les hasards de la géographie parisienne sont à l’origine de
cette appellation: on connaît, ne serait-ce que par le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis,