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Michel KESTEMAN
Puisqu’on nous change l’hôpital,
l’hospitalité n’est pas déplacée :
elle devient fondamentale.
Anderlecht
Editions de la Marelle
2003
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Puisqu’on nous change l’hôpital, l’hospitalité n’est pas
déplacée : elle devient fondamentale.
La clinique Europe Saint-Michel à Etterbeek dont j’ai été
administrateur-délégué et directeur a.i., était déjà le fruit d’une fusion
de 4 cliniques : une maternité tenue par des religieuses, une institution
de sœurs hospitalières, un institut universitaire spécialisé en psychiatrie
et une clinique familiale fondée par un médecin.
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La situation est donc
mixte du côté des fondations.
L’héritage est repris par la Mutualité chrétienne en partenariat avec
l’Université catholique et des médecins avant d’évoluer vers une
intégration dans un grand ensemble, les Cliniques de l’Europe
associant encore deux autres cliniques d’Uccle passées de mains de
religieuses à celles de médecins mais gouvernés par les deux
universités de Louvain. Un seul pouvoir organisateur pour trois sites.
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On peut à partir de répondre sans langue de bois aux trois questions posées
par le colloque
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sur l’apport des institutions chrétiennes à l’année de la diaconie
, en disant brièvement que:
1. Si beaucoup d’hôpitaux, portent un nom de saint, l’hôpital d’initiative
privée et d’inspiration chrétienne créé pour soigner les malades comme
s’ils étaient le Christ lui-même est sans doute une espèce en voie de
disparition. L’identité chrétienne va donc se jouer ailleurs : chez les
acteurs.
2.
Le monde chrétien continue à organiser seul ou en partenariat avec
d’autres des institutions qui répondent à des peurs fondamentales de
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Dans le cadre du programme établi en 1985 par le Ministre J.L.Dehaene visant à une réduction des
hospitalisations tant par la réduction des durées ramenées à 8 jours que dans le nombre des institutions,
s’associent ainsi par étapes les maternités fusionnées de Malibran et du Solbosch à Ixelles, la Clinique St Michel
et l’Institut neurologique belge à Etterbeek, la Clinique de l’Europe (ancienne Faisanderie de Woluwé St Pierre
et Institut Médico- Chirurgical de Bruxelles au Square Marie-Louise).
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L’opération n’est cependant pas terminée : associer des équipes et des cultures d’entreprise différentes,
fusionner des services, hiérarchiser des concurrents d’hier, arbitrer de nombreux conflits, faire des économies
d’échelle dans le cadre d’une restructuration. On taille donc dans les budgets, on négocie avec les banques, les
syndicats et les médecins. On gère le changement non sans dégâts humains mais c’est la condition de survie de
l’institution. Une nouvelle fusion se négocie et, après audit, examen des opportunités stratégiques , le relais est
pris par les Cliniques de l’Europe (St Elisabeth-2 Alices) dont le conseil d’administration est un partenariat des
deux universités de Louvain UCL et KUL. L’institution assume la gestion de trois « campus hospitaliers » qui
assurent à la fois une certaine spécialisation, la possibilité de disposer des équipements de pointe, des équipes
médicales de la dernière génération et une distribution géographique de proximité dans le Sud de Bruxelles. A
l’heure où les quinze hôpitaux publics dans le cadre du Plan Iris réalisent 4 entités à Bruxelles, le secteur
hospitalier chrétien non-universitaire se développe désormais sur trois pôles : Europe, St Jean, St Anne-St Rémy-
St Etienne , sans parler de l’outsider qu’est l’hôpital universitaire St Luc de l’UCL.
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Dans le cadre de l’année de la diaconie, instituée par les évêques de Belgique, ce colloque est organisé par la
Faculté de théologie et de droit canonique de l’Université catholique de Louvain à Louvain- la- Neuve le
11/02/2003 pour des personnes engagées dans les pastorales diocésaines francophones.
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tout humain ( mourir, défaillir, souffrir, voir des êtres s’enfuir de la
vie ou se laisser envahir de l’intérieur ou de l’extérieur) et à des
besoins fondamentaux ( accoucher, naître, être bien dans son corps et
dans sa tête).
Le malheur de la maladie peut devenir un bonheur hospitalier
avec les expériences tout aussi fondamentales du côté de l’agir :
guérir, épanouir, intervenir, contenir,… On y développe en effet
l’action appropriée en matière d’organisation, de diagnostic, de soins
ou de prévention.
On y apprend du côté du subir, la patience du patient, la pendance
du pâtir en attendant mieux : le bonheur de la guérison. On y découvre
des effets secondaires de l’état de santé et des traitements prescrits.
On y apprend du côté du découvrir : la résistance de son corps, la
survie au-de de l’épreuve, la parenté au-delà de l’accouchement, la
solidarité au-delà du subir, la fraternité et la proximité à travers les
difficultés à se refaire et à s’accepter en vérité.
3. Le financement des hôpitaux est une chance et une contrainte.
L’Etat finance dans la cadre d’agréments, de programmations et de
normes hospitalières , les bâtiments et une partie des frais de
fonctionnement.
Le coût des technologies et de médicaments de pointe ainsi que le
souci du rendement et du standing médical limitent les espaces de
gratuité : « votre temps est compté », cette parole est dite aux malades,
mais aussi aux soignants. Cela ne va pas sans conflits d’intérêt.
Les patients couverts par la Sécurité sociale paient leur ticket
modérateur, leur quote-part personnelle, alourdie parfois par les
suppléments demandés par les médecins libéraux. Les plus riches
feront appel à une assurance. Ceux qui n’ont pas encore accès à la
sécurité sociale feront appel au Centre public d’aide sociale pour
obtenir un réquisitoire.
4. Les liens avec les instances pastorales du monde extra-hospitalier sont
ténus, trop sans doute.
L’équipe de pastorale de la santé a pris le relais de l’aumônier et est
présente aux côtés du malade, le passager hospitalisé, et plus encore
des soignants et des bénévoles, les permanents hospitaliers.
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Du côté institutionnel, ce sont les fédérations d’hôpitaux qui
réunissent les gestionnaires en communauté d’intérêt autour d’enjeux
économiques et stratégiques, sanitaires et sociaux, politiques et,
occasionnellement, éthiques. Est-ce efficace, suffisant ? La présence
d’un délégué épiscopal garantit-il la fidélité des institutions à
l’Evangile ?
On peut donc se demander : Pourrait-on réinventer autrement la
citoyenneté de la santé et l’accompagnement d’un malade qui ne
fait que passer à l’hôpital ?
Reprenons ces trois questions : elles conduisent à trois déplacements.
1. L’hospitalité se déplace : le monde de l’hôpital est en pleine mutation.
Après les ordres hospitaliers médiévaux et leurs fondations caritatives,
l’hospice St Jean de Bruges ou celui de Beaune, nous rappellent qu’ à l’époque
des Ducs de Bourgogne, une communauté de religieuses ou de béguines porte le
souci de ses contemporains. La pharmacie et le jardin aux plantes d’un côté, la
cuisine de l’autre entourent l’espace collectif de séjour qui ordonne les cellules
ou les alcôves autour d’un autel. La salle commune est aussi celle de la prière
commune. Le Christ guérisseur et la sœur soignante font alliance pour le bien-
être des patients.
L’institution va évoluer pour cinq raisons successives : les guerres, les
pestes, le politique et l’évolution des la démographie et des techniques.
La guerre fera évoluer la chirurgie ; les chirurgiens sont au front et
amènent les techniques d’organisation militaire dans la gestion de
l’hospitalité des sœurs.
Les pestes mettent l’Europe au lit ou la conduisent à la tombe : les
hospices n’y suffiront plus. Voyez L’œuvre au noir de Yourcenar ou
Le hussard sur le toit de Giono.
L’hôpital public devient alors l’institution spécialisée de diagnostic, -
la « clinique », de traitement, d’intervention et d’enfermement. La
maternité deviendra, aux siècles suivants et en milieu urbain, le relais
des sages femmes gérée par de maîtresses femmes de congrégations
hospitalières.
L’exclusion des ordres religieux de France en 1905 multipliera les
maisons chez nous : c’est tant mieux, mais le bassin de recrutement ne
sera pas à la mesure du renouvellement des équipes au XXème siècle.
Qui est désormais garant de l’institution et d’un savoir être qui apporte
autant que le savoir faire ? La professionnalisation, la syndicalisation
sont-elles garantes de continuité ?
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Entretemps, l’espace clos a aussi fonction prophylactique : il
préserve à la fois le patient et la société. Dans les deux sens, il exclut le
mal, du patient et des rangs de la société, comme l’a montré Michel
Foucault dans L’histoire de la folie.
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Pasteur et Röntgen ont ouvert la voie à la médecine scientifique et
technique. Freud ouvrira celle de la psychanalyse pour le domaine de
la santé mentale. L’hôpital va donc être bouleversé par l’impact des
nouvelles technologies avant de l’être par celui de la biologie et des
possibilités nouvelles offertes dans la maîtrise de la fécondité, de la
cellule, de l’ADN.
Autrefois, la maison de cure urbaine, celle des corps, côtoie encore la
cure des âmes, la maison du curé qui en porte le souci : il en a cure ; il
en est même l’aumônier. Aujourd’hui le centre hospitalier est devenu
une industrie du soin, un lieu de grand passage toutes les
ressources de la science et de la technique sont au service du malade
mais peut-il le supporter humainement et financièrement ? Tout ce qui
est faisable, est-il bénéfique ? Restera-t-il accessible à tous ?
Notre monde est désormais pluraliste , profane, professionnali à
l’extrême et syndicalisé en conséquence. Dès lors :
La dimension chrétienne n’est pas acquise une fois pour toutes : le
nom de saint, la chapelle, l’équipe d’aumônerie ne sont que des alibis
si on n’y trouve pas autre chose . Elle se joue précisément dans
l’attention à la vie du patient de la conception au dernier jour, de la
part des médecins. Elle se joue dans l’attention aux personnes
soignées, dans l’atmosphère d’humanité jusqu’au boutiste du personnel
soignant qui fait dire a contrario « et vous dites que vous êtes
chrétiens ? » Cet état d’esprit est cohérent s’il est partagé par la
majorité des acteurs.
On retrouve cette perspective dans les travaux d’un infirmier formateur
et philosophe des soins, Walter Hesbeen : « prendre soin relève d’une
attention adéquate et délicate qui s’inscrit dans une perspective (…),
faire un bout de chemin avec al personne pour l’accompagner vers
plus de santé, de bien-être, d’autonomie, d’harmonie,
d’épanouissement ».
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Cet état d’esprit prend au sérieux la
souffrance des patients et celle des professionnels : il sait cette
donnée incontournable pour l’acte de soin . La dimension chrétienne
de l’hôpital existe si cette approche est nommée, voulue, entretenue. et
si la direction et les cadres développent de manière analogue au sein du
personnel une approche de respect et de reconnaissance des personnes
dans la recherche commune d’un soin porté aux personnes pour
déployer la santé.
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FOUCAULT Michel, Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge classique, ( 10/18,169), Paris, Plon, 1961,
1964².
5
HESBEEN Walter, La qualité du soin infirmier, Paris, Masson, 1998, p. 98.
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