84 : son fils pressent l’existence de troubles ; il s’empêtre dans ses réponses, cherche ses mots, paraît fatigué
et perplexe – ces derniers termes constituant une excellente description clinique des débuts de la maladie.
86 : ne semble pas savoir qui il est. Il regagne néanmoins sa lucidité à la fin de l’entretien.
86 : ne se souvient plus du nom des différents canyons qu’il adorait et connaissait par cœur. D’autres
déclarent qu’ils n’ont eu aucun indice suggérant qu’il était malade. Cela relevait-il de l’inattention, de la
maladie, d’un trouble caractérisé ?...
94 : Alzheimer diagnostiqué, 5 ans après son départ. La maladie s’aggrave progressivement.
2001 : vit dans une semi-isolation. Nancy est l’une des seules personnes qu’il reconnaîtra jusqu’au bout.
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PAQUID (Personnes Âgées Quid) est une étude prospective de l’institut d’épidémiologie. La plus ancienne
de ses cohortes de personnes de 65 ans et + comprenait 3777 sujets lors de son lancement en 1989. Les sujets
sont issus de la Gironde et de la Dordogne, de milieux urbains comme ruraux. Son suivi s’est donc étendu sur
23 ans aujourd’hui.
La maladie évolue depuis déjà très longtemps au moment où le diagnostic est posé. Les psychologues
criblent les sujets suspectés de démence. Un point a été réalisé tous les deux ans sur la santé physique,
mentale, etc. Toutes ont été vues à domicile, afin d’être le plus représentatif possible – les personnes isolées
auraient en effet difficilement pu se rendre au centre d’épidémiologie pour les tests.
Le psychologue a relevé à chaque fois un bilan neuropsychologique, thymique ; des données biographiques.
Les suspects de troubles étaient alors vus par un médecin. L’étude essaie de préciser l’étiologie de la
démence.
Au début de l’étude, les personnes de la cohorte n’étaient pas malades. À terme, la prévalence d’Alzheimer
atteint 10%. PAQUID permet de voir rétrospectivement les symptômes préalables : d’où une courbe qui se lit
de droite vers la gauche, et indique le nombre d’années qui précèdent le diagnostic clinique, porté par le
neurologue ou le gériatre, d’Alzheimer. Les courbes relèvent ainsi une phase pré-démentielle.
DSST (Digital Symbol Substitution Test) : test des codes de Weschler. Permet de mesurer la vitesse
psychomotrice en reportant un symbole correspondant à un chiffre. 17 ans avant, il y a déjà une différence de
performance entre le groupe contrôle et celui qui sera atteint de démence : on observe en effet un
ralentissement très léger, impossible à détecter en clinique, mais néanmoins significatif même s’il reste dans
la norme.
Sur près de 4 000 personnes, on a près de 400 malades. On suspectait que l’évolution d’Alzheimer était
longue ; elle l’est encore davantage. Vingt ans avant, il y a un début de déclin, un processus pré-démentiel.
Mesure de la Fluence Verbale Sémantique : « citez un maximum de noms d’animaux en une minute. » Si la
différence est moindre que la première, les intervalles de confiance ne se recoupent pas : elle demeure donc
significative. Encore une fois, les performances restent dans la norme très longtemps, et sont inaccessibles à
l’investigation clinique. La maladie est ainsi très insidieuse ; les signes qui en indiquent les prémices sont
infra-cliniques.
Plaintes mnésiques ou cognitives. Auto-évaluation (mémoire, trouver ses mots, concentration, calcul). C’est
7 ans avant le diagnostic de démence que le nombre de plaintes commence à augmenter, étant donné que les
troubles cognitifs ont commencé depuis longtemps. Au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, la plainte
disparaît – on est alors dans les stades avancés de la maladie, ceux de l’anosognosie. Il s’agit ainsi de
l’évolution normale de la métacognition.
III) Introduction au concept de démence
« Démence » vient du latin de-mens, « perte de l’esprit ». Le dément est celui qui a perdu l’esprit.
Juvénal, Ier siècle : « Même pire que toutes les déchéances physiques, le vieillard n’a plus toute sa tête… » Il
y avait alors moins de vieillards, donc moins de déments.
XVIIIe-XIXe : démence comme maladie mentale. Chez Juvénal, la démence est identifiée à la vieillesse. Elle
devient une maladie mentale. Usage du terme « démence » dans le langage courant, comme synonyme de
« folie », sens qu’il a gardé : « C’est complétement dément ».
Esquirol, début XIXe, neurologue : distingue démence des psychoses fonctionnelles. Il la définit comme
« une affection cérébrale caractérisée par l’affaiblissement de la sensibilité, de l’intelligence, de la volonté. »
Fin XIXe : un pas en arrière, l’autre en avant. La démence est associée à l’âge : la sénilité, la démence, sénile,
est considérée comme une conséquence « normale », irréductible du vieillissement, et non comme une
maladie spécifique. Cette locution, « démence sénile », est encore utilisée par des non-spécialistes.
Début XXe : définition de la schizophrénie par Kraepelin qui va parler de démence précoce pour qualifier
cette pathologie, ce qui va avoir pour conséquence l’installation d’une « démence de type sénile » chez un
adulte jeune. La notion est aujourd’hui totalement caduque : l’expression ne fait plus allusion à des adultes
psychiatriques.