LE CHOIX DES CRITERES D’ATTRIBUTION
La sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse est le résultat d’un cheminement de
l’acheteur public qui doit avant tout mettre en place une politique et une organisation en matière
d’achats. Les objectifs fixés, en accord avec la politique générale de la collectivité, vont se traduire
dans la mise en place et l’exécution de ses marchés publics. Les critères de sélection et d’attribution
d’un marché, le choix d’une méthode de notation et d’analyse des offres, sont autant de reflets des
objectifs et des besoins de la collectivité. L’offre économiquement la plus avantageuse le sera donc en
fonction de ces objectifs et de ces besoins, et s’inscrit dans une logique de performance et d’efficacité
de la gestion publique.
Nous ne traiterons pas ici des critères de sélection des offres, qui constitue la première étape vers le
choix pertinent de l’offre économiquement la plus avantageuse et qui consiste à évaluer les
candidatures en fonction des capacités juridiques et professionnelles des candidats pour répondre à
la demande et exécuter le marché dans les meilleures conditions. Nous ne nous pencherons que sur
la détermination des critères d’attribution du marché, qui permettent, une fois que le filtre des critères
de sélection a fait son effet, d’opérer un tri entre les offres recevables.
Le code des marchés publics dispose dans son article 53 que le pouvoir adjudicateur, pour attribuer le
marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, peut se fonder sur
plusieurs critères, ou si l’objet du marché le permet sur le seul critère du prix.
1- Validité des critères : les conditions à respecter
Les critères de lection ou d’attribution des offres, doivent respecter certaines conditions. La
jurisprudence européenne en dégage quatre (CJCE, 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland) : ils
doivent être liés à l’objet du marché (besoin de l’acheteur), ne pas donner au pouvoir adjudicateur une
liberté de choix trop importante (pas de pouvoir discrétionnaire de choix), avoir fait l’objet de publicité
dans l’avis de publicité ou dans le règlement de consultation et respecter les principes fondamentaux
du droit communautaire tels que transparence (information appropriée des candidats sur les critères
d'attribution et sur les conditions de mise en œuvre des critères), égalité des candidats, objectivité et
non-discrimination.
D’autres principes, plutôt soulignés par la pratique, peuvent être mentionnés. Les critères doivent par
exemple être intelligibles. C’est-à-dire qu’ils doivent être compris de la même façon par les candidats
et le pouvoir adjudicateur.
Les critères doivent être sélectifs, mais non-discriminants. La frontière est parfois ténue. Il faut pouvoir
différencier les offres de façon objective et établir en quoi telle ou telle offre est plus utile et/ou
conforme aux attentes et au projet, que telle ou telle autre.
Les critères doivent être exhaustifs. Aucun critère en rapport avec l’objet du marché ne doit être
oublié. En effet, un critère oublié pourrait fait la différence entre deux offres et ôter sa pertinence au
choix de la collectivité
Enfin, les critères ne doivent pas être redondants, un seul critère pour décrire une seule
caractéristique du marché.
2- Les critères d’attribution de l’article 53 du code des marchés publics
Le prix
C’est le critère essentiel. Toutefois, il faut bien noter que la réglementation tend à minimiser son
impact dans l’évaluation économique des offres. En ce sens, la procédure d’adjudication prévoyant
l’attribution au moins-disant a été supprimée. Cependant, il est tentant pour les acheteurs publics de
conférer au prix une influence essentielle dans le choix d’une offre, et ainsi, alors même que la CJCE
estime qu’une réglementation ne peut pas exiger de façon générale et abstraite que le pouvoir
adjudicateur ne retienne que le critère du prix (7 octobre 2004, Sintesi SpA), les projets de réforme du
code des marchés publics ont pourtant plusieurs fois envisagé la réintroduction du moins-disant, sans
toutefois l’appliquer. Ce qui révèle bien l’état d’esprit général et la difficulté à intégrer l’idée que le
candidat le moins-disant ne propose pas forcément l’offre économiquement la plus avantageuse
(introduction progressive de la notion de « mieux-disant pour pallier à cela). Le recours au seul critère
prix doit donc être justifié au regard de la prestation demandée (CE, 6 avril 2007, Département de
l’Isère). C’est le cas pour l’achat de produits courants, bien définis, standardisés, bien que finalement,
on se rend compte que des critères additionnels peuvent presque toujours être envisagés pour
qualifier le produit acheté au-delà de son prix. Ce peut être un service de livraison à la demande par
exemple. Enfin, la volonté de l’acheteur de rester dans une procédure simple conditionne aussi
l’importance donnée au critère prix.
Lorsqu’on fait le choix de plusieurs critères, le prix n’est alors pas un critère obligatoire si les critères
retenus permettent de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, eu égard à l’objet du
marché (Conseil d’Etat, 28 avril 2008, commune de Toulouse, 280197). L’introduction d’autres
critères que le prix permet de relativiser son importance, de prendre en compte des considérations sur
le long terme (les motivations environnementales notamment), l’esthétique, ou des fonctionnalités
d’usage (commodité, compréhension, facilités d’entretien…).
Lorsque la pondération des critères est mise en place, le prix est théoriquement placé au même
niveau que les autres critères, même s’il garde toujours sa particularité, sa valeur historique si l’on
peut dire. La pondération appliquée au prix peut être inférieure à celle donnée à d’autres critères
techniques destinés à déterminer la fiabilité ou la performance des offres.
La valeur technique
Une simple mention d’un critère « valeur technique » sans commentaire d’aucune sorte est insuffisant.
Il ne permet pas une appréciation ou une notation adaptée de la valeur technique de l’offre. Ce critère,
très utilisé, sert très souvent à justifier la pluralité de critère, alors que la dimension technique est
préalablement définie par le pouvoir adjudicateur, ce qui a pour effet de limiter la liberté des candidats
sur ce point.
Le critère valeur technique doit donc, pour être pertinent, comprendre des précisions qui permettront
d’apprécier concrètement la technicité de l’offre.
Par exemple, pour des missions de conseil ou d’étude, on peut prendre en compte la composition de
l’équipe, les références des consultants, la proportion de consultants seniors.
La commission des marchés publics de l’Etat (Commission consultative des marchés publics depuis
2009) a précisé dans son rapport de 2008 que lorsqu’un poids important est donné au critère
technique, le service doit s’assurer que le surcoût qui va en résulter sera compensé par les avantages
attendus.
La localisation
Insérer des critères tenant à la localisation des candidats au marché peut être appliqué. Cependant, le
choix d’un tel critère doit absolument être lié à l’objet du marché. Si c’est bien le cas, et si cette
condition est nécessaire à la bonne exécution du marché, alors le fait de vouloir favoriser des
entreprises dites « locales » ne viole pas le principe d’égalité entre les candidats.
Sur ce sujet, voici quelques exemples :
Exiger l’immatriculation au RC du département concerne principalement les sièges sociaux et non pas
les établissements candidats au marché (TA Bordeaux, 3 juillet 1986 Société d’aménagement urbain
et rural contre Ville de Libourne, TA Rennes, 5 avril 1995, Préfet du Morbihan contre syndicat
intercommunal de Rochefort-en-Terre).
Attribuer de préférence un marché à une entreprise locale (légèrement plus chère) pour favoriser le
maintien des emplois locaux et l’acquittement de la taxe professionnelle au profit de la commune est
une erreur de droit, ces motifs étant sans rapport avec la réglementation des marchés (CE, 29 juillet
1994, Commune de Ventenac en Minervois).
L’implantation locale de l’entreprise ne peut pas être un critère d’attribution à elle-seule, en revanche il
est possible pour la collectivité d’exiger que, pour pouvoir être retenue, l’entreprise mette en place une
antenne située près du lieu d’exécution du marché (CE, 14 janvier 1998, Société Martin-Fourquin).
Les qualités esthétiques et fonctionnelles
Le critère esthétique est expressément cité dans l’article 53 du code des marchés publics. Le juge
considère que ce critère doit encore être justifié par l’objet du marché et être assez précis si on lui
affecte un coefficient de pondération élevé (CE, 28 avril 2006, commune de Toulouse). Il s’agit donc
de définir clairement en amont ce qui est considéré comme « beau ».
L’esthétique peut parfois se combiner avec le fonctionnel. Voici quelques exemples de vrais critères
retenus :
Interactivité et l’ergonomie pour un logiciel
Les éléments ludiques pour une aire de jeux (est-ce amusant, c’est la question à se poser)
Insertion dans l’environnement pour des structures modulaires ou du mobilier urbain
L’esthétique simple pour des sapins de Noël
Les critères sociaux / l’insertion professionnelle des publics en difficultés
La volonté souvent affichée de favoriser l’emploi local, et donc d’insérer des critères dits sociaux, se
heurte à l’interdiction de discriminations qui porteraient atteinte à la libre concurrence. L’équilibre est
donc parfois difficile à trouver et peut rendre le critère social illégal s’il n’est pas justifié par l’objet ou
les conditions d’exécution du marché.
Par exemple, la jurisprudence a annulé un marché qui avait institué un critère relatif à l’insertion
sociale en considérant que ni l’objet, ni les conditions d’exécution du marché ne justifiaient d’imposer
un critère d’insertion sociale aux soumissionnaires (TA Strasbourg, 30 novembre 1999, Préfet du Bas-
Rhin contre Communauté Urbaine de Strasbourg).
Le Conseil d’Etat, quant à lui, sanctionne l’imposition par le pouvoir adjudicateur d’un critère de
sélection des offres en fonction des « propositions concrètes faites par les soumissionnaires en
matière de création d’emplois, d’insertion et de formation ». (CE, 25 juillet 2001, Commune de
Gravelines). Cela va dans le sens de la doctrine qui tend à estimer qu’il convient mieux de considérer
les performances passées du candidat en matière d’insertion professionnelle et sociale, plutôt que les
performances attendues.
Les critères environnementaux
Les critères liés à la protection de l’environnement doivent être définis de façon objective.
La jurisprudence européenne établit la façon de définir ces critères environnementaux (CJCE, 17
septembre 2002Concordia Bus Finland), les 4 conditions de validité des critères d’attribution doivent
leur être appliquées (liés à l’objet du marché, pas de liberté de choix discrétionnaire, publicité, respect
des principes fondamentaux)
La CJCE précise que le fait que seules quelques entreprises puissent proposer le matériel qui permet
de respecter les critères environnementaux ne s’oppose pas au principe d’égalité.
Voici quelques exemples de critères environnementaux relevés dans des marchés existants :
- Teneur en matériaux recyclés
- Capacité de recyclage des matériaux
- Mode de stockage et lieu de stockage des déchets de chantier
- Mode de propulsion du véhicule
- Ecolabels officiels
- Consommation des équipements électriques
Les délais
Les critères relatifs aux délais de livraison ou d’exécution sont très courants et très souvent
déterminants. Il est donc très important de prévoir des pénalités de retard et les appliquer en cas de
retard dans les délais exigés.
Difficile à juger, le critère « délai » doit être accompagné de certaines précisions qui permettent de
jauger la capacité à honorer ce critère. Il peut s’agir par exemple de demander les modalités mises en
œuvre pour que la réalisation de la prestation dans les délais soit effective (description des équipes et
de l’organisation affectés au suivi de projet). Ce peut être aussi prévoir un délai supplémentaire afin
de donner une visibilité dans le planning de production du fournisseur.
Le caractère innovant
Ce critère fait référence à l’état de l’art dans la discipline ou la technique considérée. Pour le bâtiment
et les travaux publics, ce pourra être le recours à de nouveaux procédés de construction ou à des
matériaux nouveaux ou innovants.
3- Focus sur le choix des critères d’attribution plus spécifiques aux marchés de prestations
intellectuelles
Voici des exemples de critères d’attribution utilisés dans des marchés de prestations intellectuelles
Valeur des équipes
Cette valeur est appréciée par les références des intervenants et de l’entreprise.
Niveau de qualification et expérience professionnelle
Il s’agit ici de la qualification et de l’expérience professionnelle du ou des intervenants au marché (non
pas de l’entreprise). Le CV est souvent demandé afin de déterminer les titres d’études, leur date
d’obtention, et la formation suivie. L’expérience professionnelle entre également en ligne de compte :
le candidat doit fournir des expériences vérifiables, leur année de réalisation, et fournir le nom des
bénéficiaires de ces réalisations et leurs coordonnées, si ces informations ne sont pas confidentielles,
bien entendu.
Méthodologie présentée
Il s’agit souvent pour le candidat de produire une note organisationnelle sur l’exécution de la mission.
La question du doublon possible entre critères de candidatures et critères de choix des offres
On se demande très souvent si les critères de candidatures et les critères de choix des offres ne font
doublon. Ce n’est pas le cas. Pour la candidature, la collectivité s’appuie sur l’ensemble des CV de
l’entreprise, par exemple, alors que pour le critère de choix de l’offre (critère d’attribution), le même
critère peut être intégré mais il ne sera analysé que pour les personnes de l’entreprise qui seront
affectées à l’exécution du marché en question. Ce ne sera donc pas le même critère du point de vue
de l’analyse de l’offre.
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