
« Ou blessé, ou tué. La peur suppure de l’usine .. nous nous souvenons que
nous sommes des hommes, et combien nous sommes plus fragiles que des
machines », Robert Linhart, 1978.
Introduction :
La vulnérabilité désigne à l’origine, la possibilité pour un humain d’être blessé sinon tué. Ce
n’est donc pas une notion nouvelle en philosophie et en sciences sociales. Concept de base
analogue à la fragilité dans la philosophie de Ricoeur
, la vulnérabilité est très précise en
économie sociale: vulnérabilité professionnelle au chômage, à la pauvreté, au harcèlement etc….
Par contre l’élargissement de cette notion aux groupes sociaux et aux pays est récente. Ainsi les
économistes ont intégré la vulnérabilité à la macroéconomie, notamment pour illustrer des
économies exposées à des chocs. Le Fonds Monétaire International retient des indicateurs
globaux ayant trait à la vulnérabilité macro-économique d’une Nation : endettement, liquidités,
réserves, performances des entreprises. Cette « vulnérabilité » envisagée au niveau des agrégats,
est très éloignée de la dimension humaine et L’utilisation de la vulnérabilité s’élargit sans que le
concept soit bien défini. La Banque Mondiale énonce que « la vulnérabilité mesure la probabilité
qu’un choc entraîne une diminution du bien-être » (Banque Mondiale, Rapport 2001, p.139).
Mais la vulnérabilité peut se produire sans probabilité
et si elle est probable, n’être pas
mesurable. D’autre part, en reposant sur des probabilités, la vulnérabilité ne peut échapper au
débat entre probabilité objective et subjective. Plusieurs auteurs, G. Shackle (1945) et J. Hicks
(1977) mettent en doute la capacité des probabilités à intégrer les « possibilités » ou encore les
« surprises potentielles » d’une personne par rapport aux événements. Hicks (1977) affirme que
la probabilité du désastre ne se mesure pas. Selon Shackle (1945), la vulnérabilité est une perte
d’ascendance par rapports aux évènements. A la limite, la probabilité serait le « reflet de notre
ignorance » (Suppes, 1981), à la mesure d’’événements tels que les épidémies, les éruptions
volcaniques, les grandes tempêtes, tremblements de terre. Ce sont des évènements plausibles,
mais non probabilisables, ce qui pose des problèmes graves de réparation et suscite actuellement
un débat sur la nature de l’indemnisation.
Ce débat montre la nécessité d’élargir le champ des méthodes liées à la formalisation de la
vulnérabilité de la personne, en distinguant différentes modalités de probabilité, de possibilité ou
encore de plausibilité….mais aussi de recadrer conceptuellement et séquentiellement la
vulnérabilité par rapport à la fragilité, la faillibilité ou encore la fautivité. Cette double ouverture
de la vulnérabilité, aux niveaux de la méthode et des concepts, est l’objet de ce travail. Celui-ci
est organisé de la manière suivante : dans un premier temps nous définissons la vulnérabilité et
nous montrons les raisons pour lesquelles il est difficile de donner une définition précise de la
vulnérabilité pour ensuite introduire les notions de fragilité et de faillibilité. Dans un deuxième
temps nous associons la nation de responsabilité à celle de la vulnérabilité. La responsabilité nous
permet d’analyser la vulnérabilité de la personne à ravers l’exemple des transferts inter-vivos et
Voir Ricoeur (1988), Ch. IV.
Maximiser l’utilité attendue d’une décision, faite d’opinions et de jugements sur les conséquences de la décision,
est un concept central de la rationalité (Suppes, 1981), y compris économique. Cet usage de l’utilité, comme le
concept en tant que valeur d’usage est-il fonctionnel ou procède-t-il d’un utilitarisme benthamien ?