Que Vlo-Ve? Série 1 No 16 avril 1978 pages 25-28 Coursing SIEGLER-PASCAL © DRESAT Coursing Hosannah ! un nouveau sport est créé ! Coursing ! Formule encore mystérieuse pour ceux que ce cri «Curses ! Résultats des curses !» agite uniquement de la joie ou de la déception imminentes ; car, les chevaux ne sont plus qu'un prétexte pour la vanité et pour le jeu ! Mais le coursing, néophyte chaste et pur encore, offre surtout à ses fervents les palpitations fortes du sport, le spectacle émouvant de la lutte des lévriers-greyhounds, athlètes rythmés et véloces, au cœur généreux. De même que tout sport noble, le coursing nous vient d'Angleterre. Et c'est au plus anglophobe de nos hommes de lettres, à Marcel Boulenger que nous devons, en grande partie, l'introduction du coursing à Paris. Ce sport a, en effet, tout d'abord passionné les artistes ; mais maintenant il transporte davantage encore les femmes. Beaucoup de nos jolies Parisiennes sont propriétaires d'importants chenils. Rien n'est plus curieux que de les voir, les jours de courses, par la pluie et par le vent, chaussées de fortes bottines, enveloppées d'inesthétiques imperméables, suivre âprement dans leurs jumelles les péripéties de la lutte. Et, souvent entre «propriétaires», elles ont affirmé par de gros paris leur confiance en leur élève. Voici l'époque de l'année où le coursing fait courir au Tremblay ses grandes épreuves. Tout comme en Angleterre, où sera disputé, en février, le Waterloo-Cup de quarante mille francs, on courra au Tremblay le 1er et le 2 février la coupe de Fontenoy, dotée pourtant d'une allocation plus modeste, comme le fut notre prix du Jockey-Club à l'origine. Mais une élite sera là pour la voir disputer, et le [25] lévrier qui la remportera deviendra illustre et prendra rang au stud-book parmi les ancêtres. * * * Mais assistons plutôt à l'une de ces courses. La cloche a sonné : prenons place. Le juge, revêtu de la redingote rouge de chasse, est monté à cheval. L'homme des chiens, the slipper, splendide gars britannique, a accouplé les deux champions et les maintient ensemble, avec peine, par une laisse. Les deux rivaux sont là, resplendissants de force, trépidants d'ardeur frénétique. Ce sont : Crawberry, au collier blanc, Descendant, au collier rouge ; celui-ci plus puissant, l'autre plus souple, tous deux de race illustre... Le starter donne le signal du «Lâchez le lièvre». Chassée hord du parc, vers un chemin couvert, la petite bête sauvage, au sortir, s'arrête un instant, éblouie par la lumière et par l'espace, pareille au taureau poussé hors du toril dans l'arène. Soudain, buvant l'air, ivre de liberté, le lièvre s'élance, et déjà il se hâte vers des taillis. Les chiens, maintenus en laisse, l'ont aperçu. Un frémissement a secoué leur corps passionné : ils tirent double sur l'attache, et l'homme a peine à les tenir ; maintenant ils l'entraînent. Le slipper court à perdre haleine derrière eux ; de tout son poids, il résiste, le bras tendu, la main crispée sur la courroie, évoquant pour notre mémoire avec sa face glabre, sa stature athlétique, l'Aurige de Delphes... 1 Que Vlo-Ve? Série 1 No 16 avril 1978 pages 25-28 Coursing SIEGLER-PASCAL © DRESAT Mais déjà le lièvre est loin, à quatre-vingts, à cent mètres peut-être. Hors du gîte, messire Lièvre songe encore : «Libre ! avec toutes les possibilités ! 0 gambades sur l'herbe tendre, ô douceur du cytise et du thym parfumé, ô envoi des rendez-vous romantiques au clair de lune !...» * * * « Mais, qu'est-ce ?... Lièvre a dressé ses longues oreilles, et de [26] ses yeux a jailli l'effroi. La vitesse de sa course a décuplé, car, derrière lui, un double galop furieux retentit. Crawberry et Descendant, lâchés enfin, passent comme l'ouragan ; ils se rapprochent ; ils semblent voler, et leur silhouette se découpe sur la verdure comme des voiliers, poussés par le vent, sur l'azur. Lièvre fuit, anxieux... Que faire ?... Filer tout droit, c'est l'irrémédiable perte... Alors ?... un crochet brusque à droite... Les chiens, emportés par leur impétueux élan, font un effort surnaturel pour le briser et pour tourner derrière la proie convoitée ; mais celle-ci, grâce à cette ruse, a déjà repris une nouvelle avance ; les lévriers s'élancent à nouveau à toute vitesse. Cependant plus brusquement encore, le lièvre a fait un crochet à gauche ; cette fois, les pattes des chiens se sont agrippées désespérément au sol pour le suivre ; leurs ongles ont été arrachés, leur cœur a chaviré par cette brutale rupture du rythme de leur allure-Mais la course se poursuit ; une course implacable, une course à mort. Le lièvre halète ; il sent ses forces diminuer... Ah ! vivre, vivre !... Un dernier effort ; encore un brusque changement de direction - les chiens s'arcboutent et suivent, mais un hurlement de douleur stride : Crawberry, à bout, épiisé, les pattes en sang, s'est couché sur la piste, tel un gladiateur blessé dans le cirque. Son compagnon un instant hésite... Déjà le lièvre s'éloigne, épuisé lui aussi… * * * Soudain rapide comme l'étincelle, dans une exaspération de volonté, Descendant, fils vaillant de pères glorieux, Descendant, aux poumons d'acier comme Ajax Télamon, Descendant, aux pieds légers comme Achille, bondit, les yeux injectés, une langue démesurée hors de la gueule. Le lièvre flotte : à droite ? à gauche ?... - Trop tard !... Dans un saut formidable, le greyhound lui a brisé les reins, et déjà, pour étancher sa soif et sa haine, il lèche âprement les rares gouttelettes de sang de sa victime. Cependant le juge, comme autrefois dans les tournois, fait agiter [27] le fanion écarlate de Descendant. Alors les cris stridents et répercutés de «Red colour ! Red colour !» déchirent l'air, et accompagnant la rentrée du vainqueur en fanfare triomphale. Henry Siegler-Pascal [28] 2