compétence sociale et du sentiment corrélatif d’être statutairement fondé et appelé à exercer
cette capacité spécifique. Il s’agit de comprendre une relation étroite qui existe entre ce que
Bourdieu appelle le « capital scolaire » et la propension à répondre aux questions politiques.
Il pose l’existence d’une relation à analyser. La difficulté est double : il ne s’agit pas
seulement de la capacité à comprendre le discours politique, ou de la capacité à reproduire un
point de vue politique, il faut également faire intervenir ce qui autorise et encourage chez les
individus ce sentiment d’être autorisé à parler politique, à donner son avis, c’est-à-dire à
mobiliser des principes de classement et d’analyse explicitement politiques au lieu de
répondre au coup par coup selon des principes d’un autre ordre (éthiques, religieux…)
A propos des principes éthiques ou moraux, Bourdieu fait remarquer que ce qu’on appelait
avant l’intelligence c’est aussi ce au nom de quoi nombre d’intellectuels du 19ème siècle ont pu
dénoncer les dangers du suffrage universel. Il prend un contre-exemple : méfions-nous de ces
questions de compétences intellectuelles, car en certaines époques certains intellectuels ne se
sont pas privés de faire comprendre que les affaires politiques méritaient une certaine
intelligence donc qu’on ne pouvait pas donner au peuple le suffrage universel car il n’était pas
doté de cette intelligence propre à gérer les phénomènes collectifs ou de société. En notre
époque, c’est cette même foi en la légitimité que confère cette compétence intellectuelle qui
pousse les intellectuels à se sentir obligés et autorisés à professer leur opinion sur les grandes
questions du moment. Si l’on prolonge ces réflexions sur l’analyse de cette question de la
compétence : on peut mieux comprendre que déplorer l’abstention, l’indifférence comme ont
pu le faire un certain nombre de commentateurs politiques pour mieux clamer les bienfaits de
la démocratie cela ne contribue pas à éclairer les faits politiques. Ces déplorations, ces
regrets cachent en réalité combien l’intérêt pour la politique dépend de la définition
sociale de la compétence politique réelle. Dans les commentaires, la plupart du temps, fait
défaut l’analyse des chances réellement garanties de participer vraiment à la politique.
Il
reprend un sondage où les gens étaient invités à exprimer spontanément leur point de vue
sur le système d’enseignement. Bourdieu s’arrête sur ce que les sondeurs appellent les non-
réponses à certaines questions. Phénomène banal, qu’on peut rapprocher du phénomène
d’abstention. Il y a là matière à déploration rituelle, et même un obstacle au bon
fonctionnement de la démocratie. Les non-réponses peuvent atteindre des taux supérieurs aux
taux des réponses exprimées. On rejette donc une information très précieuse : par le fait de
recalculer les pourcentages en éliminant les non-réponses, on crée quelque chose d’artificiel.
Tout groupe qui est placé devant un problème est susceptible d’avoir une opinion sur ce
problème et est susceptible de répondre positivement ou négativement sur ce problème. Il faut
mesurer le taux de légitimation sociale dans l’expression des réponses et non-réponses.
Le mécanisme selon lequel s’exprime l’opinion, à commencer par le vote, est un mécanisme
censitaire caché. Il faut poser la question sur ce qui détermine les personnes à répondre ou à
s’abstenir. Prendre au sérieux les silences, les abstentions, les non-réponses, c’est faire un
constat important dans l’analyse sociologique : faire ce constat c’est « construire un objet
nouveau ». Autrement dit, ce qui est objet de l’analyse sociologique est moins dans le
contenu, dans la nature des réponses, que dans la forme. Ce qui fait question c’est de savoir ce
que signifie le fait de soumettre un groupe à un sondage, à une enquête. C’est en quelque sorte
renverser les choses et c’est « construire l’objet de l’analyse sociologique ».
Les taux de réponses et non-réponses varient en fonction de la place occupée dans la société
par les agents. On débouche sur le poids des stratifications sociales, sur l’importance des
Droit à la parole, notion de compétence sociale, cf. conférence culture et politique, Lyon, Pierre Bourdieu.