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de problèmes liés à l’emploi et de conflits ethniques périodiques entre les anciens et les néo-
immigrants, voire d’émeutes violentes. Chicago est alors le théâtre de multiples « problèmes
urbains » : pauvreté, zones d’habitats délabrés, délinquance, criminalité, conflits
interculturels… Ces problèmes traduisent un profond malaise social.
Les sociologues de la première période de l’Ecole de Chicago, relayés par les
travailleurs sociaux, décident d’intervenir pour régler ces problèmes. Il s’agit de comprendre
pour répondre à une demande sociale. Ils se placent au cœur de la vie des populations
déracinées, afin de mieux comprendre leur rapport à la société. Ils occupent l’espace,
observent la déviance, les gangs, les migrants, la marginalité, les minorités ethniques, le
crime, etc. Ainsi mobilisée, la sociologie doit être moins académique, plus pratique, ne serait-
ce que pour entrer au cœur des « lieux » et des problèmes, pour en dénouer les logiques et les
enjeux. En étudiant la ville, le monde urbain, l’immigration et la déviance, les chercheurs de
Chicago forgent un des courants les plus influents de la sociologie américaine.
Avant de se systématiser dans l’Interactionnisme, la sociologie empirique de Chicago
fut initiée et institutionnalisée par A.W. Small (fondateur du département et de la revue
American Journal of Sociology), W. Thomas (auteur avec F. Zaniecki du livre Le Paysan
polonais en Europe et aux Etats-Unis, 1918) ou encore R. Park (journaliste reconverti à la
sociologie et ancien étudiant de Simmel) et E.W. Burgess.
Jusqu’aux années 1920 et 1930, ce courant tient une place centrale dans la sociologie
américaine. Park, N. Anderson (Le hobo, 1923) ou F. Trasher (les « gangs de quartier »
comme forme de réorganisation sociale) poursuivent une analyse microsociologique de la
ville et des formes concrètes de la vie urbaine. On parle alors d’écologie urbaine. Car
l’urbanité engendre un mode de vie particulier : autonomie individuelle et anonymat ;
contacts incessants mais superficiels, impersonnels et fragmentés ; distinction des attitudes ;
etc. La ville est de fait l’espace d’un processus de compétition et de sélection pour
l’appropriation d’un territoire. L’écologie urbaine s’intéresse aux « aires » de répartition des
populations, à leur occupation, leurs transformations. Car les vagues successives de migrants
transforment la ville, d’où une instabilité de l’équilibre urbain qui s’illustre par une
« désorganisation-réorganisation ».
La ville de Chicago est qualifiée de « laboratoire social ». Au moyen de l’observation
participante in situ, les sociologues analysent les interactions sociales. Ces descriptions des
interactions s’accompagnent d’un recueil du ressenti, des représentations, des définitions
qu’en donnent les acteurs... catégories au moyen desquelles les acteurs interprètent et donnent
du sens à la vie sociale. Thomas parle d’une « définition de la situation » : « Quand les
hommes considèrent certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs
conséquences. » (Thomas, The child in America, 1932) Par la suite, Goffman définira les
interactions comme un « système social en miniature » : « L’influence réciproque que les
partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique
immédiate les uns des autres » (Goffman, Les cadres de l’expérience, 1974).
La seconde période de la tradition de Chicago (de l’entre-deux guerres aux années
1950), dont H. Blumer (à l’origine de l’expression « interaction symbolique », 1937) et E.
Hughes sont les figures centrales, affirme la démarche empirique inaugurée par leurs
prédécesseurs. À ceux-ci viennent se lier deux anthropologues, L.W. Warner et R. Redfield,
qui apporteront leurs savoirs quant à la méthode ethnographique. Blumer insiste sur le fait que
les individus agissent en fonction des significations qu’ils donnent à leurs actions. C’est ce
regard porté sur le « sens vécu » des expériences et sur les divers « cadres » sociaux qui
conduiront plus tard Goffman à dire que : « Les sociologues doivent parler du point de vue