1887 : Ivanov vif succès au début de sa carrière - la - Fi

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Notes d’histoire [dans le calendrier julien, la seule année entre 1850 & 1870 où Pâques soit tombé le 3 avril est l’année 1860.]
1762, 18 février : Manifeste abolissant l’obligation de servir pour les nobles.
28 juin : Révolution de palais ; Catherine II impératrice.
1766-1769 : Premier tour du monde par un Français (Bougainville).
1795 : introduction en France du système métrique
(1860-1904)
Cexov (č)
Né à Taganrog (Russie) en janvier 1860. Décédé à Badenweiler (Allemagne) en juillet 1904
dans la famille d’un petit commerçant. Fait ses études dans une école grecque et au lycée.
1860 : Son grand-père, serf, se libère, ainsi que sa famille en payant 3500 roubles
1861 (19 février) abolition du servage
1870 : son père perd sa fortune. La famille va à Moscou, sauf Anton qui reste à Taganrog (sud-est)
1873 (13 ans) vu La Belle Hélène à Taganrog. Aimables bourgeois les Drossi. (cf. Ma vie /
Ajoguine)*** p.169
Tchékhov connut effectivement au cours de sa jeunesse une période de joyeuse effervescence, fertile en
inventions bouffonnes du style L’Élevage artificiel des hérissons : manuel à l’usage des fermiers. p.38
[…] il trouva du travail dans la presse « de divertissement » - milieu fertile en comportements douteux et même
malhonnêtes à peine camouflés. Il appelait cette activité journalistique « la Kitchéièvrerie », du nom de Pierre
Kitcheïev, « représentant typique de la presse à grand tirage ». 1 p.19
1877-78 : rédaction de la pièce Sans père. Retrouvée ? en 1923 : Drame sans titre ou Platonov. (p.17)*
1879 (en automne) il va à la Faculté de Médecine à l’Université de Moscou
Personnages de la Russie de province ; petits textes humoristiques
S’élève contre l’injustice. Individualiste + artiste
Grande bonté ; gloire. Adoré de presque toute la Russie.
Anton Tchekhov entreprend des études de médecine à Moscou tout en subvenant aux besoins de sa
famille.
A partir de 1880, il écrit des nouvelles dans un journal humoristique et son premier recueil, ‘Les récits
bariolés’, est publié en 1886.
1er recueil : Les Contes de Melpomène / muse de la tragédie. Se vend mal. Signe Antocha Tchékhonté.
Serguéienko, ancien condisciple d’Anton écrit dans Le Télégraphe de Novorossiisk « C’est drôle et cela sert
le cœur. »*** p.36
1880 : 1er récit publié dans le journal Strékoza (et Boudilnik, Oskolki) signé d’un pseudonyme.
[Entre 1880 et 1898 : 649 récits.]
1
BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004
Trois pièces en un acte, trois vaudevilles dont il ne reste que les titres. (p.18)*
1880-81 : Platonov remis à l’actrice Maria Yermolova / Petit Théâtre de Moscou : refus / longueur.
[Jouée en France, sous le titre : Ce fou de Platonov, adaptation de Pol Quentin. Représentée intégralement,
elle eût duré plus de sept heures. Montée sous des titres divers en Allemagne, U.S.A., Angleterre. Représentée
en URSS pour la 1ère fois, en 1959.]
Ce Fou de Platonov. La première pièce de ce recueil a été découverte en 1920 parmi les divers papiers
d’Anton Tchekhov qui venaient d’entrer aux Archives Centrales de Moscou. L’examen du manuscrit
autographe de cette pièce en quatre actes, qui ne portait pas de titre, permit d’établir que cette pièce datait des
années 1880-1881. 1880, c’est à cette date que commence la carrière du dramaturge, par un tableau de la
décadence de la société russe de son époque, thème auquel Tchekhov restera fidèle. Tous les personnages des
drames ultérieurs et le ton général de son théâtre sont déjà en germe dans cette première pièce.
La première pièce de l’auteur alors âgé de 20 ans : le héros, un instituteur vivant dans le Sud de la
Russie, au XIX° siècle, bavarde, plaisante, se saoule, provoque des scandales, courtise des femmes,
trompe la sienne, éprouve des remords, s’interroge sur le sens de la vie et meurt. L’art de Tchékhov
est déjà là : art de l’éclipse, du silence, éloge de la banalité et refus des idéologies.
Suivent deux pièces de théâtre, ‘Ivanov’ et ‘Oncle Vania’. L’hémoptysie, dont il se sait atteint depuis dix ans,
le touche à nouveau. Il interrompt ses voyages et s’installe à Yalta avec sa femme et ses enfants. C’est à cette
époque qu’il écrit trois de ses pièces les plus célèbres : ‘La Mouette’, ‘Les trois soeurs’ et ‘La Cerisaie’. Il
s’éteint lors d’un séjour en Allemagne en juillet 1904. Il est sans conteste un maître de la nouvelle et a aussi
révolutionné le théâtre russe. Ses pièces sont celles d’un témoin lucide, cruel mais toujours impartial. Il
s’attache à montrer les destins tragiques et quotidiens d’antihéros qui resteront à jamais dans l’imaginaire
universel.
1883 : 77 contes
21-24 août 1883 : « J’écris dans les conditions les plus insupportables. […] Un homme qui écrit peut difficilement
trouver une atmosphère plus insupportable. […] » (p.12-13)*
octobre 1883 : travaille à un vaudeville.(p.18)*
1884
1884 : parodie de la pièce la Fumée de la vie de B.M. Markevitch. (p.18)*
Pièce en un acte Sur la grande route tirée de son récit En automne, qu’il intitula « étude dramatique
en un acte. » (p.18)*
après ses premiers débuts littéraires il collaborait dans les revues moscovites : Zritel (La Libellule), Budilnik
(Le Réveil-Matin), Strkoza (Le Spectateur) etc., à des revues de Saint-Petersbourg telles que Oskolki (Les
Eclats), Petersburgskaya gazeta (Journal de Pétersbourg = La Gazette de Pétersbourg.) et enfin Novoye
Vremya (Temps nouveau), respectable mais plutôt conservateur journal de A.S. Souvorine. (p.13)*
Les Eclats : journal satirique ; à 20 ans dans La Cigale (1880) 2 textes de lui sous 2 signatures différentes ;
Divertissement ([…] attaqué en vers, le poème est intitulé Anton le tendancieux. Par erreur, on parle de lui
comme d’un vétérinaire. Il réplique : « Pourtant je n’ai jamais eu l’honneur de soigner l’auteur. » »***p.56);
L’héritage littéraire (1886) ; La Source
La
Libellule,
Le
Réveil-Matin,
Le
Spectateur,
Les
Éclats,
Temps
nouveau,
La
Pensée
russe.
1984: 50 contes
La Partie de wint, Registre des réclamations : récits publiés dans la revue Les Éclats, écrits avec une
verve très cocasse.
1884 : parution du 1er recueil de ses oeuvres : Les Contes de Melpomène / muse de la tragédie. Se
vend mal. Signe Antocha Tchékhonté. Dans l’établissement de bains, La Sirène, Les esprits troublés, Les égarés
Fait la connaissance de Grigorovitch, Korolenko, Garchine, Plechtchéïev.
Décembre 1884 : 1er crachements de sang, après l’affaire de la banque Skopine.
1885
1985 : 85 contes + récits et reportages : 129
fin année 1885 : Tchékhov se rend à Saint-Pétersbourg, invité par Leïkine.*
1886
1986 : 98 contes
cf. note 1. […] nouvelles écrites entre 1886 & 1889 […] mettent à nu non seulement chez le
personnage principal, mais chez tous ceux qui gravitent autour de lui, la part obscure, inavouée, des
sentiments et des comportements.2
Récit : Le Corbeau
4 janvier 1886 : « J’étais terriblement gêné d’avoir écrit avec tant de négligence et comme par-dessus la jambe. Si
j’avais su qu’on me lisait, je me suis dit, je n’aurais pas écrit sur commande… Mets-toi bien cela dans la tête : on te lit. »
de retour à Moscou dans une lettre à son frère Alexandre. (p.13)*
15 février 1886 parut Requiem dans la revue Temps nouveau ; pour la première fois, il signait de son
vrai nom.3
Leïkine décida de rassembler les publications de Tchékhov en un recueil : parution de son deuxième
recueil Les récits bariolés. Signe encore Antocha Tchékhonté (en dessous : An. P. Tchékhov.) =
Nouvelles variées
28 mars 1886 : réponse de Tchékhov à Grigorovitch : « si j’ai un don que je dois respecter, je dois avouer
devant la pureté de votre cœur que jusqu’à présent je n’en ai rien fait. Je m’en sentais pourvu et pourtant je le considérais
comme insignifiant (…jusqu’à ce jour je l’ai pris avec légèreté, négligence et étourderie (…). Je mets tous mes espoirs
dans l’avenir. Je n’ai que vingt-six ans. Peut-être arriverai-je à en faire quelque chose, bien que le temps passe vite. »
(p.14)*
nouvelle : La Plaisanterie ou Histoire de rire
récit Tristesse. Iona, cocher, poignant héros du récit publié dans La Gazette de Petersburg.
16 août 1886 : La Fatalité parue dans Novoe Vremja
26 octobre 1886 : La Fange dans la revue Temps nouveau.
1887
fin 1886 - début 1887 : autre « étude dramatique en un acte » : Le Chant du cygne. Dans une lettre
du 14 janvier 1887 à M.V. Kisseleva il avait appelé « le plus petit drame du monde. » (p.19)*
Deux vaudevilles : Hamlet, prince danois & La Force de l’hypnotisme.
1887 : 3ème recueil : Dans le crépuscule (succès, Prix Pouchkine en 1888) signé An. P. Tchékhov. +
4ème recueil : Paroles innocentes ou Innocentes Paroles
Fragments du journal d’un irascible n°21
17 janvier 1887 : « A côté de mon épouse-médecine, j’ai aussi ma maîtresse-littérature, mais de celle-ci je ne parle
pas car ceux qui vivent hors la loi périront aussi hors la loi. » lettre à son frère Alexandre. (p.14)*
1ère de ses pièces qui sera jouée :
1887 : Ivanov vif succès au début de sa carrière - la personnalité complexe de ce représentant d’une
génération perdue suscita un intérêt passionné dans le public qui n’était pas habitué à des portraits
psychologiques aussi fouillés.
Propriétaire foncier d’âge mûr, sa vie professionnelle est un échec et il n’a que des dettes. Sa vie
sentimentale ne vaut pas mieux, car, marié par amour à une Juive, il ne peut plus la supporter, bien qu’elle soit
en train de mourir de phtisie. Incapable de passer une simple soirée avec elle, il cherche refuge chez un vieil
ami alcoolique, Lebedev, dont la femme lui prête de l’argent à intérêt et la fille Sacha est amoureuse de lui.
2
& 3 BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.
Cette dernière lui déclare son amour et il ne peut s’empêcher de la prendre dans ses bras au moment même où
arrive sa femme. De plus en plus aigri par les dettes qu’il ne peut payer, la maladie de sa femme et les
remords, Ivanov accumule les erreurs. Il refuse l’argent que Lebedev lui propose, reçoit Sacha chez lui et
traite sa femme de sale Juive et lui annonce très clairement qu’elle n’a plus longtemps à vivre. Sa femme
morte, Ivanov décide de se remarier avec Sacha, mais, incapable de surmonter ses propres contradictions, il se
suicide le jour de ses noces.
Ivanov, qui date de 1887, fut écrit en dix jours. Ce premier drame achevé suscita par sa nouveauté un vif
mouvement d’opinion. Pourtant, il ne fut pas compris tout de suite. La forme neuve "quotidienne", la grisaille
apparente des caractères, l’absence d’intrigue, déroutaient le public et la critique. On lui reprocha aussi d’avoir
"calomnié la société russe". Tchekhov se défendit sur ce point, en expliquant que ses personnages étaient
toujours le résultat de son étude de la vie. Et en effet, Ivanov, le drame de cet idéaliste velléitaire est bien le
drame même de l’intelligentsia russe de l’époque.
19 novembre 1887 : « Les hommes de théâtre disent n’avoir encore jamais vu au théâtre une telle effervescence,
autant d’applaudissements et de querelles qu’à la suite de ma pièce. Et chez Korch, l’auteur n’avait encore jamais été
ovationné dès le deuxième acte ». lettre à son frère Alexandre. (p.19)*
24 novembre 1887 : « Tu ne peux imaginer comment ça s’est passé ! De cette petite merde qu’est mon drame ils en
ont fait une montagne ! Je t’ai déjà décrit l’émotion qui régnait dans le public et dans les coulisses - durant ses trente
deux années de carrière théâtrale le souffleur n’avait jamais rien vu de tel. On faisait du bruit, on trépignait, on criait : »
Psst ! » ; au buffet on a failli se battre et à la galerie les étudiants avaient voulu virer quelqu’un, si bien que la police
avait dû intervenir et en sortir deux. L’émotion était générale. » « Ton Schiller Shakespearovitch ! » lettre à
Alexandre. (p.20)*
« J’ai caressé le rêve audacieux de faire la somme de tout ce qui fut écrit jusqu’à présent sur les gens
qui languissent et se lamentent et, par mon Ivanov, mettre un terme à cette sorte
d’écrivasserie. »***p.164
1888
ème
5
recueil : Récits (1888)
1888 : la pièce est montée à la scène. Imprimée en 1889.
Succès d’Ivanov traite d’un problème qui travaille les intellectuels russes / sombres années 80 :
un homme prématurément las d’une existence languide, confronté sans cesse à des obstacles impossibles à surmonter, à
l’inertie, à la pesanteur et à l’indifférence face auxquelles se brise tout élan et s’éteint tout enthousiasme. (p.20)*
[…] un homme dont la vie s’était stérilisée dans la structure rigide de la société russe des années 80 du XIX ème s. (p.20)*
1888 : parution de la 1ère grande œuvre, la nouvelle La Steppe
Prix Pouchkine pour son recueil Dans le crépuscule (3ème recueil, 1887)
1888 : retouche Ivanov (surtout le 4ème acte).
Autres vaudevilles : Tonnerre et éclairs, L’Ours, Une demande en mariage, Tatiana Repina (initialement
conçue comme le 5ème acte du drame du même nom de A.S. Souvorine) (p.20)*
L’Ours. Madame Popova vit dans le deuil quand Smirnov, un propriétaire foncier rustre et sans
éducation fait irruption dans sa maison pour lui ordonner de lui rembourser immédiatement les dettes
contractées par son défunt mari. Une violente dispute éclate, qui se terminera de manière peu habituelle.
1888 : écriture commune Tchékhov-Souvorine de Le Sylvain (Lesij) (Le Sauvage) (p.20)*
Le Sauvage (en russe, Le Sylvain) est la troisième grande pièce de Tchekhov, et se situe
chronologiquement entre Ivanov et La Mouette. Conçue en 1888, la pièce fut rédigée au printemps
de 1889. Représentée pour la première fois à Moscou en décembre de la même année, la pièce, dont
la composition et la technique étaient inhabituelles, ne fut comprise ni du public ni de la critique.
4 octobre 1888 : « Mon saint des saints, c’est le corps humain, la santé, l’intelligence, le talent, l’inspiration,
l’amour et la liberté la plus absolue. La libération de toute force brutale et de tout mensonge, de quelque
manière qu’ils s’expriment : voilà ce que serait mon programme si j’étais un grand artiste »
3 novembre 1888 : lettre à Souvorine : « Les têtes chaudes de maintenant veulent embrasser ce qu’on ne peut
embrasser scientifiquement ; elles veulent trouver les lois scientifiques de la création […]. Il n’y a à mon avis,
pour les gens attirés vers la méthode scientifique, ceux à qui Dieu donne le rare don de penser
scientifiquement, qu’une seule issue : la philosophie de la création. On peut grouper en faisceau tout ce que
les artistes ont créé de mieux dans tous les siècles, saisir ce qui en fait la ressemblance et le prix. Cette
ressemblance commune constituera une loi. Dans les œuvres que l’on appelle immortelles, il y a beaucoup de
caractères communs, et, si on les enlève, l’œuvre perd son prix et son charme. C’est donc que ce caractère
commun est nécessaire. »[…]
1889
1889 : Tragédien malgré lui & Une noce
Une banale histoire
7 janvier 1889 : lettre à Souvorine : droit de naissance / roturier : libération / esclave en lui.
1889 : 17 avril ; par ennui « dans l’impossibilité d’écrire un roman » (lettre à Souvorine) il commence à écrire
Le Sylvain (Lesij) (Le Sauvage); en septembre-octobre, retouchée en décembre, définitivement rédigée en
février -avril 1890. (p.20-21)*
froidement accueilli par le public / Théâtre d’Abramova qualifié de roman-comédie par Tchékhov. caractère
déséquilibré et composite. Remanié par la suite en Oncle Vania (Djadja Vania)
7 mai 1889 : lettre à Souvorine : tendance matérialiste est « quelque chose de nécessaire, d’inévitable et qui
échappe au pouvoir de l’homme. Tout ce qui vit sur terre est nécessairement matérialiste »
15.05.1889 : lettre à Souvorine : « En Goethe, le poète et le naturaliste ont fait très bon ménage. Ce ne sont
pas les connaissances - la poésie et l’anatomie - qui se font la guerre ; ce sont les erreurs : c’est-à-dire les
hommes. »
mort de son frère Nicolas, jeune peintre plein de talent.
1890
6ème recueil : Hommes moroses
1890 : voyage à l’île de Sakhaline ; départ le 21.04.1890, arrivé le 11.07.1890. repart le 13.10 et débarque à
Odessa le 1er décembre 1890. [BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.]
printemps 1891 : voyage à l’île de Sakhaline
pièce en un acte : Le Jubilé & La nuit avant le jugement (inachevée, commencée en 1890)
Voyage dans l’île de Sakhaline (1893-1894) suscite écho admiratif de la critique progressiste des années 90.
1er mai 1891 / à Paris dans une manifestation d’ouvriers [= 19 avril d’après le calendrier grégorien en
usage en Russie, en retard de 12 jours, au XIXème siècle, sur le calendrier julien ne usage ailleurs.]
Le Duel : récit dont les conversations avec le zoologue Wagner, à Boguimovo, ont inspiré certains
propos de von Koren.
1892 : « Il suffit que l’on mette un fusil entre les mains d’un homme et il a envie de tirer. Son
caractère, son éducation, ses principes n’interviennent pour ainsi dire pas. Il a une arme, il tire. A
Mélikhovo, en 1892, Tchékhov qui aime tant les animaux accompagne son ami Lévitan à la chasse.
Le peintre tire une bécasse. L’oiseau tombe, touché à l’aile. Lévitan se montre incapable d’achever
sa victime et c’est Tchékhov qui doit le faire. « Voilà une belle créature amoureuse de moins, tandis
que deux imbéciles rentraient à la maison et se mettaient à table pour dîner ... » Trois ans plus tard,
il écrit la scène de La Mouette où Tréplev revient près de Nina avec un oiseau mort: « J’ai eu la
bassesse de tuer cette mouette. Je la dépose à vos pieds. » » ***p.201
11 février 1893 : « La médecine est ma femme légitime, la littérature ma femme non légitime. » lettre à I.I.
Ostrovsky. (p.14)*
28 juillet 1893 : « La médecine est une tâche fatigante et mesquine, jusqu’à la trivialité. […] » lettre à
A.Souvorine. (p.14)*
18 janvier 1895 : « Je n’écris pas de pièce et je n’en ai aucune intention. J’ai vieilli et je n’ai plus la foi. J’ai plutôt
envie d’écrire un roman long de cent verste. » lettre à Souvorine (p.22)*
18 avril 1895 : « Je vais écrire une pièce, mais plus tard. Je n’ai pas envie d’écrire de drames, mais je n’ai pas encore
trouvé un sujet de comédie. Si je ne pars pas à l’étranger, en automne je me mettrai au travail. » (p.22)*
5 mai 1895 : « J’écrirai quelque chose d’inhabituel. » lettre à Souvorine (p.22)*
21 octobre 1895 : « …figurez-vous, je suis en train de rédiger une pièce (…) cela me procure un certain plaisir, bien
que je continue à me révolter contre les règles de la scène. C’est une comédie, trois rôles féminins, six rôles masculins,
quelques événements, cinq pouds d’amour. » lettre à Souvorine (p.22)*
1895 ? : Les Lièvres et les Chinois, fable pour les enfants. Unique poème de Tchékhov.4 p.39
Trois années : récit. Trois années : c’est le temps qu’il faut à deux nouveaux mariés pour découvrir les dissonances
de la vie conjugales, tandis que s’accélère dans la famille du jeune homme la dégénérescence physique, mentale et
morale d’une dynastie de gros marchand.
1896
Avilova accompagnée de son frère Alexeï se rendit à un bal masqué, le 27 janvier 1896.
La Mouette (Cajka) échec au début. Pièce choisie par Liévkaïa, actrice comique.
[En Russie, il était de tradition, de donner la première représentation d’une pièce au bénéfice d’un acteur de renom.
Souvent, comme ce fut le cas le 17 octobre 1896, deux pièces étaient jouées dans la même soirée.] ** p.223
[Elle était donnée au bénéfice d’une actrice comique qui ne faisait pas partie de la distribution, mais dont le nom avait
rempli la salle de marchands, de camelots, d’officiers s’attendant à bien rigoler. Furieux qu’on ne leur serve pas ce qu’ils
attendaient, les spectateurs des premiers rangs tournent ostensiblement le dos à la scène, se mettent à parler fort, à rire et
à siffler. La panique s’empare des comédiens.]***p.165-166
Les spectateurs étaient venus pour rire. Le texte de la pièce de Tréplev pouvait très bien être compris
comme un pastiche du théâtre d’avant-garde. La suite de la pièce offrant moins d’occasions de rire,
les spectateurs se mirent à brocarder les acteurs, puis tout se termina par des sifflets et des huées.
L’un des plus beaux scandales de l’histoire du théâtre russe.
Dans une propriété de campagne donnant sur un lac, une actrice célèbre mais vieillissante, Arkadina, se
repose en compagnie de son amant, un écrivain connu, Trigorine. Cette actrice a un fils, Tréplev, qui s’occupe
de littérature et qui a écrit une pièce dont il veut donner une représentation le soir même. Cette œuvre
légèrement décadente a pour principale interprète une jeune voisine, Nina Zarétchnaïa dont Tréplev est
follement amoureux. La représentation est un échec, car Arkadina, jalouse de son fils, ne cesse pas de faire des
remarques acerbes. Dans le 2ème acte, l’action évolue peu à peu et nous faisons plus ample connaissance avec
les personnages. Arkadina est une femme dure, égoïste et avare, Trigorine un homme velléitaire et Nina une
âme simple et romantique attirée par la célébrité de Trigorine. Dans le 3 ème acte nous apprenons que Tréplev a
essayé de se suicider, ce qui n’empêche pas sa mère de partir sans lui laisser d’argent. Quant à Nina, elle
avoue son amour à Trigorine. Le dernier acte se passe quelques années plus tard (2 ans), tous se retrouvent en
plein hiver dans la propriété. Tréplev est devenu un écrivain connu, Nina a un enfant de Trigorine, mais celuici s’est lassé d’une actrice sans talent. Revoyant Tréplev, Nina lui avoue que, malgré tout, elle continue
d’aimer l’écrivain. Nina partie, Tréplev brûle ses manuscrits et se suicide.
La Mouette. Dans une lettre à son ami Souvorine, datée du 21 octobre 1895, Tchekhov déclarait à
propos de La Mouette, pièce à laquelle il travaillait: "Je ne l’écris pas sans plaisir, bien que j’y transgresse
gravement les lois du théâtre. C’est une comédie: trois rôles de femmes, six rôles d’hommes, quatre actes, un
paysage (vue sur un lac), beaucoup de conversations littéraires, peu d’action, cent kilos d’amour." Tchekhov
avait conscience de rompre avec la tradition et d’employer des procédés dramatiques nouveaux. Remaniée au
début de 1896, La Mouette fut jouée pour la première fois au Théâtre Alexandrinski, à Saint-Pétersbourg, le 6
octobre / 17 octobre 1896. Le public qui s’attendait à une comédie traditionnelle ne comprit rien aux
intentions de Tchekhov. L’accueil réservé au spectacle fut si hostile et l’échec si retentissant que Tchekhov
quitta le théâtre avant la fin du spectacle et repartit pour Moscou par le premier train du matin. Profondément
frappé par cet insuccès, Tchekhov ne consentit qu’après de longues hésitations à confier La Mouette, deux ans
plus tard, au jeune Théâtre d’Art de Moscou. Mise en scène par Stanislavski, elle connut un succès triomphal,
et n’a pas cessé depuis lors d’être inscrite au répertoire de ce théâtre, dont l’oiseau aux longues ailes déployées
est devenu l’emblème.
La bécasse blessé par Levitan, Tchékhov dut l’achever.
Début acte III est donné le message codé tant attendu par Avilova.
Prospère et chanceux : 1er recueil de nouvelles de L.A. AVILOVA.
1897 : Les Moujiks, nouvelle publiée dans La Pensée russe. Ce tableau sans concession des mœurs
paysannes russes eut un énorme retentissement et attira des controverses passionnées. Le Comité de censure
4
BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.
obligea Tchékhov à faire quelques coupes ou modifications et les populistes, de leur côté, reprochèrent à
l’auteur sa vision trop négative du monde paysan.5
Séjour en France
1898
La représentation de La Mouette de Tchékhov en 1898 sur la scène du Théâtre d’Art de Moscou a fixé pour
longtemps le développement ultérieur de ce théâtre, qui est demeuré lié à la dramaturgie de Tchékhov : Oncle
Vania (1899), Les Trois Sœurs (1901), La Cerisaie (1904). Le laconisme serré des descriptions, leur
expressivité remarquable, la science du portrait, une situation psychologique brossée en deux ou trois
traits caractéristiques - la simplicité et en même temps l’audace du style - tels sont les traits essentiels
de l’art de Tchékhov.
Lénine et Staline ont eu souvent recours, dans leurs articles contre les ennemis de la classe ouvrière, aux types
créés par Tchékhov.
Collectif « Quelques dates (d’après la Petite Encyclopédie Soviétique, édit. 1947) » in Europe, n°104-105,
Paris, Les Éditeurs Français Réunis, 1954, p.150.
Oncle Vania. Drame sur la condition humaine, la solitude et l’ennui, la pièce met en scène un
vieux professeur qui, avec sa seconde épouse, se retire à la campagne dans la maison de Vania et
de sa fille. Leur arrivée trouble des existences paisibles. Dans un dernier sursaut pour combattre la
peur de ne pas vivre vraiment, les personnages tentent d’aimer, de haïr, de tuer.
Les Trois Soeurs. Irina, Macha, Olga sont soeurs. La grisaille de leur vie provinciale les
étouffe tant qu’elles rêvent à des lendemains meilleurs: "Oh mes soeurs chéries, notre vie n’est pas
terminée. Il faut vivre! La musique est si gaie, si joyeuse! Un peu de temps encore et nous saurons
pourquoi cette vie, ces souffrances... Si l’on savait! Si l’on savait!"
La Cerisaie. Après cette pièce composée en 1903, Tchekhov, qui mourra l’année suivante, n’a plus
rien écrit pour le théâtre. Il existe, entre sa dernière pièce et la toute première - Ce Fou de Platonov d’assez grandes affinités, tant dans le choix des thèmes, tel celui de la maison natale perdue, que dans les
situations et les caractères. Cependant, on perçoit dans La Cerisaie une note optimiste nouvelle: l’auteur
proclame ici, par la voix des jeunes, cette foi en un avenir meilleur qui s’affirme également dans d’autres
œuvres de sa dernière période. Des lettres de Tchekhov, il ressort qu’il considérait La Cerisaie comme
une comédie gaie, voire comme une farce. L’interprétation de sa pièce par Stanislavski le laissa
insatisfait. "Pourquoi", écrivait-il à sa femme Olga Knipper, qui jouait le rôle de Mme Ranevski,
"pourquoi s’obstine-t-on, sur les affiches et dans les annonces des journaux, à appeler ma pièce un drame
? Décidément Némirovitch et Alexéev [Stanislavski] voient dans ma pièce autre chose que ce que j’ai
écrit, et je te parie tout ce que tu voudras qu’ils ne l’ont pas lue une seule fois avec attention."
La dernière pièce de Tchékhov, qui apparaît comme la chronique d’une transition entre un passé
révolu, celui des grandes propriétés familiales, et un avenir riche de promesses individuelles. Une
succession de tableaux dont la nouvelle traduction restitue la poésie et la profondeur.
« Ce n’est ni une comédie ni une farce, comme vous l’avez noté, c’est une tragédie, en dépit de la promesse d’une vie
meilleure que vous avez ouvert au dernier acte… J’ai pleuré comme une femme, j’ai voulu, mais je n’ai pas pu me
contenir. Je vous entends dire : permettez, mais c’est tout de même une farce… Non, pour un homme ordinaire, c’est une
tragédie. » Stanislavski / Cerisaie (p.7)
4 janvier 1898 lettre datée / calendrier julien, en retard de 12 jours, au XIX ème siècle, sur le
calendrier grégorien en usage en France. D’où le 16 janvier ???? note MT
Lettre du 2 février 1898 (soit le 14 février en France)
Lettre du 6 février 1898 (soit le 18 février en France)
Février 1898, lettre à Souvorine. Rupture provisoire avec Souvorine / l’affaire Dreyfus + à son frère
27 juillet 1898 : « Écrire m’est devenu écoeurant, et je ne sais que faire. J’aimerais bien pratiquer la médecine, je
prendrais volontiers un poste, mais je ne m’en sens plus physiquement apte. » lettre à Lydia Avilova. (p.14)
5
[BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.] p.111.
novembre 1898 : « Il me semble, voyez-vous, que vous êtes envers les hommes, dans cette pièce, plus froid que le
démon. » Maxime Gorki écrit à Tchékhov / Oncle Vania
1899
ère
31 janvier, 1 de la pièce Ivanov. Contrairement aux craintes de Tchékhov, elle remporta un vif
succès.
1er mai : représentation de La Mouette donnée par le théâtre d’Art ; Olga Knipper, future épouse de
Tchékhov, y jouait le rôle titre.
1900
élu académicien d’honneur
publication de la nouvelle Dans le Ravin. Apre histoire d’une rivalité familiale en milieu paysan.
Ermolova : « […] parce que pour moi la tchékhoverie est devenue symbole de ténèbres lugubres, de
miasmes, de tristesse. » p.114
hiver 1900 ; éditions du Scorpion nouvellement créées.
- Décidément, tout cet art nouveau moscovite, c’est de la foutaise ! s’emballait-il. Cela me rappelle
une enseigne que j’ai vue à Taganrog : « Établissement d’eaux minérales artificielles ». Eh bien,
c’est du même tabac ! On ne peut pas faire du nouveau sans art. Ce qui est fait avec art est toujours
nouveau. [BOUNINE, Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.] p.47
1901 : Tchékhov traitait souvent Olga, dans ses lettres, de « petit chien », par affection.** p.304
1902 : renonce au titre d’académicien d’honneur en signe de protestation lorsque Gorki fut exclu sur
l’ordre du tsar, du nombre des académiciens d’honneur.
Publication de la nouvelle L’Évêque. Réflexions d’un prélat quelques jours avant sa mort ; évocation intimiste de
ses activités sacerdotales, de sa maladie, de son enfance, de tous ces infimes replis d’une vie qui fondent l’identité d’un
être mais qui échappent aux regards extérieurs, même les plus proches.
1904 : 1ère de La Cerisaie, le jour de sa fête, le 17 janvier : 44ème anniversaire + 25 ans de vie
littéraire. Ce jubilé ne correspondait pas à la réalité puisqu’il avait publié son premier récit en mars
1880.**
Guerre russo-japonaise éclate le 8 février 1904.
Le Tchernoziom, nouvelle de Bounine : il s’agit de deux nouvelles sur le thème de la campagne,
réunies en diptyque et publiées dans le 1er numéro de la revue Znanié. Dans la première, Les Rêves,
le narrateur, un hobereau, rapporte des bribes de conversations entre paysans saisies dans un wagon de 3 ème classe.
La deuxième, Un capital en or, évoque le déclin de la noblesse rurale vu par ce même narrateur-hobereau.
Les deux volets du diptyque traduisent une inquiétude devant une menace latente émanant du monde
paysan. L’œuvre eut à l’époque un grand retentissement. Dans la lettre qu’il adresse à Amfiteatrov le
13 avril 1904, Tchékhov recommande vivement la lecture de cette nouvelle qu’il qualifie de
« remarquable ».
2 juillet (15 juillet) meurt de tuberculose à Badenweiler. « on put lire une expression de bonheur sur
son visage qui avait subitement rajeuni… » citation de la lettre du correspondant berlinois du journal
Les Nouvelles russes, relatant les derniers jours de Tchékhov et publiée en juillet 1904. [BOUNINE,
Ivan, Tchékhov, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.] p.50
1911 : paroles de Tchekhov citées par Chtchétinine dans La Fourmilière littéraire (Le Messager historique.)
« Lorsqu’on parle avec Léon Nicolaïevitch [Tolstoï], on se sent entièrement en son pouvoir. Je n’ai jamais
rencontré d’être plus séduisant et, pour ainsi dire, plus harmonieusement conçu. C’est un homme presque
parfait. »
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« ce n’est pas celui qui ne sait pas écrire des récits qui manque de talent mais plutôt celui qui les
écrit sans savoir le cacher » in Ionytch *
** TROYAT, Henri, Tchékhov, éditions Flammarion, 1984.
*** GRENIER, Roger, Regarder la neige qui tombe : impressions de Tchékhov, Gallimard, coll. « L’un et
l’autre », J-B. Pontalis (dir.), 1992.
**** NÉMIROVSKY, Irène, La vie de Tchekhov, Paris, éditions Albin Michel, 1946.
*Hristic Jovan, Le Théâtre de Tchékhov, Lausanne, L’âge d’homme, 1982
traduit du serbo-croate par Harita et Francis Wybrands
NOTES SUR LA TERMINOLOGIE
D’habitude nous parlons des pièces de Tchékhov comme de pièces naturalistes - comme nous
parlons du « cycle naturaliste » d’Ibsen - mais le naturalisme ne suppose pas seulement une
ressemblance immédiate, plus exactement, une identité de ce que nous voyons sur la scène avec ce
que nous rencontrons autour de nous, mais aussi, une tendance à réduire l’existence à quelques
mécanismes biologiques, physiologiques ou sociaux fondamentaux. En ce sens, Tchékhov est bien
loin d’être un auteur naturaliste, la notion, un peu plus large, de réalisme conviendrait, me semble-til, mieux à son œuvre. (p.9)
Écrivain russe (1860-1904).
"Dans l’œuvre de Tchekhov passe un cortège d’esclaves, esclaves de leurs amours, de leur bêtise, de leur
paresse ou avidité de bien-être, esclaves d’une peur obscure de la vie, vaguement troublés, remplissant leur
existence de discours décousus sur l’avenir, parce qu’ils sentent qu’il n’y a pas de place pour eux dans le
présent. Parfois, au cœur de cette masse grise retentit un coup de feu: c’est Ivanov ou Treplev qui a compris
ce qu’il avait à faire: mourir. Certains forment de jolis rêves sur la beauté de la vie dans deux cents ans, mais
personne ne se pose cette simple question: qui donc la rendra belle, si nous nous bornons à rêver? À côté de
cette foule grise et ennuyée d’êtres impuissants, est passé un homme grand, intelligent, attentif. Il a jeté un
regard sur ces mornes habitants de sa patrie et, déchiré de désespoir, sur un ton de doux mais profond
reproche, il a dit avec un triste sourire, d’une belle voix sincère: "Que vous vivez mal, messieurs !""
Maxime Gorki
Internet
Sa biographie se résume à quelques dates dans un calepin et beaucoup de pages blanches. Il ne se passe rien
ou à peu près rien dans la vie de l’écrivain, comme il ne se passe rien ou à peu près rien dans son théâtre.
Une enfance triste dans une bourgade reculée, des études de médecine, une impérieuse vocation littéraire,
quelques voyages à l’étranger, des séjours en sanatorium, un mariage sur le tard : bref une vie sans histoires,
une vie de routine, partagée entre le travail, les factures à régler et les médicaments.
Martyrisé
Tchekhov, terrorisé par un père despote, se demandait chaque matin "serai-je battu aujourd’hui ?".
Sur ce fond de grisaille l’homme souffre continuellement, rongé par un mal inexorable, la tuberculose. Il
tousse et crache le sang ; le visage fin et bon, la bouche légèrement moqueuse expriment la mélancolie, et les
rides trahissent la crispation de la souffrance. Cette vie ne tient qu’à un fil. Mais chaque instant, si douloureux
soit-il, est une victoire sur la maladie. Chaque souffle d’air, le frémissement des feuilles, le bruit des pas sur la
neige sont un miracle de la vie.
Nul n’a éprouvé aussi bien que Tchekhov la tristesse désespérante de ces mornes journées où la maladie ne
laisse pas de répit, la solitude, le dégoût devant la médiocrité du monde, le tragique à la fois social et
métaphysique de la condition humaine ; mais nul n’a connu aussi bien que lui le prix de cette succession
d’instants arrachés à la mort.
" Dans mon enfance je n’ai pas eu d’enfance ". Le petit garçon qui garde la boutique d’épicerie que tient son
père, en veillant tard dans la nuit, a déjà sur le monde un regard d’adulte. Entre deux devoirs rédigés à la lueur
des bougies, il observe les passants et écoute leurs conversations, tout en luttant contre le sommeil.
Le père, fils de serf libéré, est un homme sévère, violent, qui passe ses colères en maniant le fouet et, l’instant
d’après, s’agenouille devant les icônes. On suit très régulièrement les offices chez les Tchekhov, on est confit
en dévotions. L’église, la boutique, le lycée, une atmosphère de brutalité et de bigoterie, tel est le cadre où
grandit le jeune Anton.
En 1879 Anton s’inscrit à la faculté de médecine à Moscou où il terminera ses études en 1884. Les Tchekhov
vivent pauvrement et logent dans un sous-sol humide. Les frères aînés boivent et se dissipent. Anton a la
charge des siens et améliore l’ordinaire en publiant quelques brefs récits dans un petit journal humoristique.
En 1880, à vingt ans, Tchkhov a publié neuf récits, 5 ans plus tard il atteindra le chiffre de 129 articles et
nouvelles !
Mais cette littérature " alimentaire " payée 68 kopecks la ligne compte moins dans sa vie que la médecine. Il
écrit ses contes trois heures par jour, sur le coin de la grande table où est servi le samovar, au milieu des éclats
de rire de ses frères et de leurs camarades. Ses sujets appartiennent à la vie de tous les jours, qu’il observe de
son regard moqueur. Sa facilité tient du prodige.
" La médecine est ma femme légitime, écrit-il, la littérature, ma maîtresse. Quand l’une m’ennuie, je vais
passer ma nuit avec l’autre ".
Bientôt Tchekhov devient une gloire de la Russie. Il reçoit le prix Pouchkine ; on le courtise, on l’adule, et le
public l’aime. Et pourtant combien il est difficile de connaître cet homme de 28 ans, déjà las et déçu, qui se
livre si peu. De sa vie sentimentale, on ne sait rien ou presque, en dehors d’une brève aventure d’adolescent
avec une jeune paysanne et de son tardif mariage avec l’actrice Olga Knipper.
" Le chantre de la désespérance " écrivait Léon Chestov et il ajoutait " Il a tué les espoirs humains 25 ans
durant; avec une morne obstination il n’a fait que cela ". Que reste-t-il lorsque le voile des illusions s’est
déchiré ? Le vide, le tragique dérisoire du néant.
Les pièces de Tchekhov se déroulent dans le cadre de la province, une province morne et routinière, où les
seuls événements sont le défilé de la garnison, les conversations plus ou moins médisantes autour d’un
samovar, le passage du docteur ou de l’inspecteur des impôts, une province qui ressemblerait à une eau morte,
que trouble un instant, comme le jet d’une pierre un événement inopiné ; quelques rides à peine, et la vie
reprend. Mais, souterrainement, tout se défait dans la dérive de la vie et l’usure du temps.
Et pourtant ce monde désenchanté reste imprégné de grâce et cet écrivain impitoyable pénétré de tendresse.
Une flambée de poésie éclaire cette société finissante. Gorki écrivit à Tchekhov " Vous accomplissez un
travail énorme avec vos petits récits, en éveillant le dégoût de cette vie endormie, agonisante…. Vos contes
sont des flacons élégamment taillés, remplis de tous les arômes de la vie. ". Si Tolstoï refusait à Tchekhov
tout talent de dramaturge, il le tenait pour un remarquable conteur.
On se tait dans le théâtre de Tchekhov et " l’on s’entend se taire ". Chaque silence, rythmé par l’horloge,
marque le temps qui s’écoule, d’une exceptionnelle densité. Dans l’oisiveté de la vie de province, chaque
seconde compte. Chaque instant de présent est nourri de passé et condense en lui plusieurs années de
désespoir et de révolte, de nostalgie ou d’ennui…
Le temps tchékhovien ne mûrit pas les personnages. Il les défait, il les dépossède de leur être, il émousse leurs
sentiments. Le temps est une blessure – impossible de vivre au présent, ce présent absurde et lourd de regrets,
les hommes sont condamnés à vivre au passé ou au futur antérieur. " Je n’aime plus personne " soupire
Astrov, le médecin d’Oncle Vania. La seule vie possible est la vie rêvée, la vie du souvenir, de la nostalgie ou
encore la vie d’un futur lointain et utopique.
A part Pouchkine, Tchekhov est à peu près le seul des plus grands écrivains russes à ne pas proposer de
recette pour sauver le monde. [Cf. André Markovich sur France Culture le mercredi 19 octobre 2005 entre
17h et 19h00.] Quant à philosopher sur l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, il n’y songe même pas.
Sa philosophie c’est la compassion. Il éprouve une intense compassion pour ses personnages
Gorki a écrit : " Personne n’a compris avec autant de clairvoyance et de finesse le tragique des petits côtés de
l’existence ; personne avant lui ne sut montrer avec autant d’impitoyable vérité le fastidieux tableau de leur
vie telle qu’elle se déroule dans le morne chaos de la médiocrité bourgeoise ".
Ce qui caractérise le talent révolutionnaire de Tchekhov est cet art de suggérer les émotions et la qualité d’une
atmosphère dans une langue dépouillée et transparente. Et c’est ainsi que ce monde désenchanté, fait d’élans
impuissants, de désespoirs rentrés reste imprégné de grâce : une poignée de poésie éclaire cette société
finissante, le rire d’un enfant ou la beauté d’une femme.
Rosanna Delpiano
Bibliographie :
La grande encyclopédie Larousse
Tchekhov d’Henri Troyat, éditons Flammarion
Tchekhov, Nouvelles, édition Classiques modernes, La Pochothèque, Préface Vladimir
Volkoff
Platonov (1880)
Les Méfaits du tabac (1886)
Ivanov (1887)
Tragédien malgré lui (1888)
Une demande en mariage (1888)
L’Ours (1988)
L’Esprit des forêts (1889)
La Mouette (1896)
Oncle Vania (1897)
Les Trois sœurs (1901)
La Cerisaie (1903)
Anton Tchekhov naît à Taganrog, en Crimée ; son père, fils de serf (rappelons que le servage a été aboli
en 1861 seulement), tyrannique, mystique et gestionnaire calamiteux (il tient une épicerie-débit de
boisson), le détourne définitivement de la religion, en l’obligeant à chanter tous les soirs à l’église.
Sa famille (sa mère, faible et soumise, son père et ses frères) déménage en catastrophe en 1876, pour
Moscou : le père échappe in extremis à la prison pour dettes. Le jeune Anton reste à Taganrog pour
terminer ses études.
1879-1884 : Tchekhov est étudiant en médecine ; en même temps il écrit de très nombreuses nouvelles,
très courtes, souvent comiques, qu’il publie dans les journaux.
1884 : il est médecin et commence à exercer ; mais il subit sa première hémoptysie, qui révèle une
tuberculose.
1888 : ses nouvelles connaissent un grand succès ; il reçoit le prix Pouchkine.
1889 : Son frère Nicolas meurt de tuberculose. C’est pour Anton Tchekhov un tournant : il écrit des
œuvres plus longues, plus mélancoliques : Une banale histoire (1889) ; Le Duel (1891)
RECUPERE POUR MASTER I
1890 : Il entreprend un voyage à l’île de Sakhaline, où se trouve le bagne. Il se livre à une véritable enquête
sociologique et médicale, et rédige un récit qui peut être considéré comme le premier exemple de littérature
concentrationnaire : L’ïle de Sakhaline, qui sera publié en 1893 : récit terrifiant parce que dénué de
pathétique, d’une rigoureuse objectivité.
A la suite de cette publication, les châtiments corporels seront interdits à Sakhaline, des écoles seront créées,
et la condition des détenus quelque peu adoucie...
On peut comparer l’œuvre de Tchekhov sur le bagne à celle du journaliste français Albert Londres, dont le
reportage fit fermer le bagne de Cayenne.
1892 : Lutte contre la famine et le choléra. Il achète la propriété de Melikhovo, aux environs de Moscou,
où il sera heureux au contact de la nature (il se fera construire une maisonnette au fond du jardin pour
échapper à ses trop nombreux visiteurs et écrire ses œuvres !)
1896 : La Mouette (théâtre). Ce n’est pas sa première expérience d’écriture théâtrale, mais c’est un chef
d’œuvre. Sera jouée en France par le théâtre de l’Atelier.
1897 : grave hémoptysie : il doit renoncer à vivre à Mélikhovo, et à exercer la médecine. Le metteur en
scène Stanislavsky fait ses débuts à Moscou, et Tchekhov écrit Oncle Vania (qui sera créé en 1899)
1898 : Tchekhov achète une maison à Yalta, en Crimée, dont le climat convient mieux à son état de
santé ; mais Moscou lui manque... Il rencontre l’actrice Olga Knipper, qui deviendra sa femme.
1899 : La Dame au petit chien (nouvelle)
1901 : Les Trois Sœurs (théâtre) ; en parallèle, il continue à publier des nouvelles.
1904 : La Cerisaie (théâtre). C’est un triomphe. Tchekhov a le temps d’y assister, et meurt quelques
jours plus tard.
Les principales caractéristiques de Tchekhov :

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La lucidité, le refus de toute illusion, sur l’homme, la société, ou la religion.
Le refus de tout engagement politique, en particulier en tant qu’écrivain. Il n’a aucune affinité avec
les Révolutionnaires, pas plus qu’avec le pouvoir.
Cela n’indique nullement un manque de courage : en 1902, il démissionne de l’Académie quand le
Tsar annule l’élection de son ami Gorki pour des motifs politiques.
C’est un scientifique, qui croit au progrès, à l’évolutionnisme (c’est un lecteur enthousiaste de
Darwin). Matérialiste, il n’est cependant pas scientiste : il pense que le progrès améliorera la
condition humaine, mais dans un avenir lointain...
Enfin, il manifeste désenchantement et mélancolie, mais non découragement ni désespoir : il croit en
un bonheur futur.
Nouvelles :
Premières nouvelles, coll° 10/18, domaine étranger n° 3719
Histoire de rire et autres nouvelles, Librio n° 698
Une banale histoire, Folio 2 €, n° 4105
La Steppe, Salle 6, l’Évêque, Folio classique, 2003
La Dame au petit chien et autres nouvelles, Folio, 1999
Récits :
L’Île de Sakhaline, Folio, 2001
Théâtre :
Théâtre complet, Folio, 2 vol. (n° 393 et 521) (à lire absolument : La Mouette, Les Trois Sœurs, La Cerisaie)
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