"Tchekhov serait de nos jours un militant des droits de l`homme"

"Tchekhov serait de nos jours un militant des
droits de l’homme"
Propos recueillis par Fabienne Arvers et Patrick Sourd le 11 Mars 2016-05-23
La Mouette est-elle la première pièce d’Anton Tchekhov que vous mettez en
sne ?
Thomas OstermeierC’est effectivement la première fois que je monte une pièce
de Tchekhov en français, mais sagissant de La Mouette, je lai mise en sne en
néerlandais à Amsterdam. On ne fait jamais le tour dune pièce en la mettant une fois en
sne, je trouve très agable de pouvoir ainsi la remettre sur le métier. Cela me permet
aussi de mettre en perspective ce que l’on sait de lauteur et ce que fut sa vie dhomme
dans la société. Tchekhov était un citoyen très engagé dans le domaine social. Il a
fondé des écoles et des bibliothèques. Comme citoyen, Tchekhov serait un militant des
droits de lhomme.Comme médecin, il ferait de nos jours partie dune ONG. Son
voyage en 1890 et le jour quil fait dans lîle de Sakhaline où ilcouvre l’enfer des
conditions de vie des bagnards le marque à jamais. Six ans plus tard il écrit la Mouette.
Mettez-vous l’accent sur cet engagement social de Tchekhov?
Ce n’est pas le but, mais cela me permet d’inscrire la pièce dans un contexte. De
relativiser les problèmes amoureux vécus par ce petit groupe de gens proche des
milieux artistiques. Avec une forme d’ironie, Tchekhov sous-titre sa pièce en la nommant
comédie”. Savoir l’expérience quil vient de vivre à Sakhaline nous aide à comprendre
pourquoi il désigne ainsi le sujet de sa pièce comme quelque chose qui peut partre
futile. Il n’est pas question pour lui de se moquer de ces chassés-croisés amoureux,
mais en même temps, savoir que lauteur est concer par la misère, les injustices
et les épidémies qui sont le lot des plus pauvres dans la Russie de son époque nous
permet d’actualiser le texte sans le trahir au regard de ce que nous vivons aujourd’hui.
Vous avez demandé une nouvelle version fraaise de la pièce à l’auteur
Olivier Cadiot?
C’est difficile pour moi de juger de la qualité dune traduction. Même si je m’exprime
couramment en français, je sais que je ne mtrise pas suffisamment les nuances de la
langue française pour savoir quel mot est juste et quelle expression ne l’est pas. C’est
pourquoi j’ai fait appel à Olivier Cadiot et lui ai proposé de partir de ma propre
adaptation du texte de la pièce en allemand pour quil en fasse une traduction. Cela dit,
ce que vous entendrez sur le plateau ne se limitera pas à cet exercice de réécriture
en français. Pour inscrire la pièce dans notre présent, j’ai inséré dans le cours de la
représentation des dialogues inventés par les acteurs durant le
séance d’improvisations qui leur ont permis de préciser leur manière d’aborder les
personnages. Olivier Cadiot n’y est pour rien, mais je trouvais naturel qu’ils évoquent
la crise migratoire et les réfugiés syriens. On a aussi conservé la scène où Valérie
Dreville s’était amusée à lire un passage de Plateforme de Michel Houellebecq…
Pouvez-vous nous parler de la scénographie de Jan Pappelbaum ?
Il est très simple et sinspire de ce que dit Treplev : “Cest ça mon théâtre. Pas de
décor, le regard à linfini sur le lac.Alors, il ny a pas grand-chose à part ce petit
plateau en bois où la pièce de Treplev est jouée au but et sur lequel toutes les autres
snes de La Mouette se déroulent. Jaime beaucoup lidée que cest un plateau de
tâtre et quil le reste pendant la totalité du spectacle. Et puis, il y a une peintre sur
sne, Katharina Zemke, qui peint un paysage pendant toute la durée de la
représentation.
La play-list du spectacle est impressionnante, avec près de vingt morceaux
des années 70. Cest très “peace and love” et gros pétard…
Oui, mais pas seulement ! Il y a aussi le dernier disque de Sufjean Stevens, paru l’an
dernier. C’est le plus grand de notre époque ! Mais c’est vrai que pour moi, Tchekhov
est un auteur lancolique et laconique, ce qu’on ne retrouve pas facilement dans le
punk! J’ai limpression que la mélancolie des Doors a beaucoup à voir avec Tchekhov,
cette tristesse, ce “sehnsucht”, un mot allemand difficilement traduisible qui signifie
quelque chose entre le désir et la passion. On retrouve tout cela dans les balades des
grands ros du rock des années 70 : le Velvet Underground, les Doors, David Bowie,
Jimi Hendrix. Et puis, j’aime bien que ce canon de la littérature qu’est Tchekhov
appartienne à notre génération et je refuse de faire de différence entre l’art du rocknroll et
celui de l’écriture de Tchekhov.
Cest aussi l’idée d’une contre-culture ?
Tout à fait. Puisqu’on na pas l’esprit révolutionnaire, il ne nous reste que la musique.
C’est comme la méthadone qui remplace lroïne. Le rock remplace la volution.
Comme dans Hamlet de Shakespeare que tu as déjà monté, La Mouette parle
des rapports entre un fils et sa mère. Comment las-tu abordé ?
Effectivement, cest un conflit générationnel et je sais que Tchekhov qui avait vu, enfant,
une représentation d’Hamlet, était fasci par Shakespeare. Dailleurs, La Mouette en
est une sorte de variation, sauf que dans Hamlet, à la fin, ils sont tous morts. Dans La
Mouette, seul le fils meurt et les parents continuent de vivre. C’est beaucoup plus
déprimant. Je préfèrerais qu’ils soient tous morts ! (rires) Il y a un très beau livre de
lauteur dramatique et pte Thomas Brach, Les fils meurent avant les pères. C’est le
signe d’une société décadente et mourante. La Mouette raconte cela aussi, mais
Tchekhov ne juge ni naccuse personne et ne nous culpabilise pas non plus. Car ce n’est
pas seulement la faute de la génération parentale. Il faut aussi se demander si ce n’est
pas celle de Treplev. N’est-il pas trop faible, trop lâche ? La pièce parle aussi de la
faiblesse de la génération des fils et des filles daujourdhui, un constat que je fais
également concernant le tâtre et ma génération. Même si les grands metteurs en
sne dhier sont morts, les Peter Zadek, Claus Peymann et Peter Stein sont encore là.
Et quand ils ont commen à faire du tâtre, la société était en révolte et en train de
changer, c’était Mai 68. Mais on vit une autre époque et si la sne tâtrale actuelle ne
bouge pas, c’est parce qu’on reflète la société. On est le miroir de l’époque.
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