Pouvez-vous nous parler de la scénographie de Jan Pappelbaum ?
Il est très simple et s’inspire de ce que dit Treplev : “C’est ça mon théâtre. Pas de
décor, le regard à l’infini sur le lac.” Alors, il n’y a pas grand-chose à part ce petit
plateau en bois où la pièce de Treplev est jouée au début et sur lequel toutes les autres
scènes de La Mouette se déroulent. J’aime beaucoup l’idée que c’est un plateau de
théâtre et qu’il le reste pendant la totalité du spectacle. Et puis, il y a une peintre sur
scène, Katharina Zemke, qui peint un paysage pendant toute la durée de la
représentation.
La play-list du spectacle est impressionnante, avec près de vingt morceaux
des années 70. C’est très “peace and love” et gros pétard…
Oui, mais pas seulement ! Il y a aussi le dernier disque de Sufjean Stevens, paru l’an
dernier. C’est le plus grand de notre époque ! Mais c’est vrai que pour moi, Tchekhov
est un auteur mélancolique et laconique, ce qu’on ne retrouve pas facilement dans le
punk! J’ai l’impression que la mélancolie des Doors a beaucoup à voir avec Tchekhov,
cette tristesse, ce “sehnsucht”, un mot allemand difficilement traduisible qui signifie
quelque chose entre le désir et la passion. On retrouve tout cela dans les balades des
grands héros du rock des années 70 : le Velvet Underground, les Doors, David Bowie,
Jimi Hendrix. Et puis, j’aime bien que ce canon de la littérature qu’est Tchekhov
appartienne à notre génération et je refuse de faire de différence entre l’art du rock’n’roll et
celui de l’écriture de Tchekhov.
C’est aussi l’idée d’une contre-culture ?
Tout à fait. Puisqu’on n’a pas l’esprit révolutionnaire, il ne nous reste que la musique.
C’est comme la méthadone qui remplace l’héroïne. Le rock remplace la révolution.
Comme dans Hamlet de Shakespeare que tu as déjà monté, La Mouette parle
des rapports entre un fils et sa mère. Comment l’as-tu abordé ?
Effectivement, c’est un conflit générationnel et je sais que Tchekhov qui avait vu, enfant,
une représentation d’Hamlet, était fasciné par Shakespeare. D’ailleurs, La Mouette en
est une sorte de variation, sauf que dans Hamlet, à la fin, ils sont tous morts. Dans La
Mouette, seul le fils meurt et les parents continuent de vivre. C’est beaucoup plus
déprimant. Je préfèrerais qu’ils soient tous morts ! (rires) Il y a un très beau livre de
l’auteur dramatique et poète Thomas Brach, Les fils meurent avant les pères. C’est le
signe d’une société décadente et mourante. La Mouette raconte cela aussi, mais
Tchekhov ne juge ni n’accuse personne et ne nous culpabilise pas non plus. Car ce n’est
pas seulement la faute de la génération parentale. Il faut aussi se demander si ce n’est
pas celle de Treplev. N’est-il pas trop faible, trop lâche ? La pièce parle aussi de la
faiblesse de la génération des fils et des filles d’aujourd’hui, un constat que je fais
également concernant le théâtre et ma génération. Même si les grands metteurs en
scène d’hier sont morts, les Peter Zadek, Claus Peymann et Peter Stein sont encore là.
Et quand ils ont commencé à faire du théâtre, la société était en révolte et en train de
changer, c’était Mai 68. Mais on vit une autre époque et si la scène théâtrale actuelle ne
bouge pas, c’est parce qu’on reflète la société. On est le miroir de l’époque.