ECONOMIE PUBLIQUE
Une économie de marché conduit-elle toujours à une allocation
optimale ?
Un équilibre de marché est un optimum de Pareto. Mais l'existence d'un
équilibre de marché dépend de conditions particulières. Lorsqu'elles ne sont pas
toutes respectées, un équilibre de marché n'est pas forcément un optimum de
Pareto. On parle alors de défaillances de marché.
Le texte qui suit est une synthèse introductive sur cette question importante et
touchant à de nombreux domaines.
1. Définitions
Pourquoi le marché serait-il l'organisation de l'activité économique la plus
souhaitable ? Il permet de coordonner les décisions de nombreux agents isolés qui
ne se préoccupent que de leur propre bien-être. Il alloue les ressources de façon
efficiente. Comment juger que l'allocation obtenue est la meilleure possible ? En
économie, la façon usuelle de qualifier une situation d'optimale est de recourir au
concept d'optimum de Pareto. Le marché est un mécanisme d'allocation des
ressources optimal parce que, si les marchés sont complets et si les préférences
des agents sont monotones, l'équilibre auquel il conduit est un optimum de
Pareto (Premier théorème de l'économie du bien-être).
Les marchés doivent être " complets " pour que le théorème soit valide. Tous les
biens présents dans l'économie et entrant dans les fonctions d'utilité des agents
doivent faire l'objet d'échanges. Cette condition exclut, comme on le verra,
l'existence d'externalités et de biens publics.
Il existe des biens publics purs. On peut citer les phares maritimes, un feu
d'artifice, la défense nationale. D'autres biens sont " partiellement publics ". C'est
notamment le cas de la connaissance. Le fait que des candidats à un examen
utilisent en même temps une méthode de résolution d'un système d'équations ne
doit pas, en principe, altérer la qualité des copies rendues (alors que pour un
examen d'informatique, si tous travaillent ensemble sur le même ordinateur, les
résultats seront probablement moins brillants). La connaissance est non rivale.
Mais il est possible en principe d'exclure de certaines formes de la connaissance.
C'est par exemple ce que l'on fait lorsqu'on fait lorsqu'on institue un système de
brevets sur les découvertes technologiques.
On parlera de " défaillances de marché " pour désigner les situations où les
conditions requises pour que le marché conduisent à une allocation des
ressources efficiente sont violées de façon caractérisée.
Les conclusions d'efficience de la théorie de l'équilibre général ne sont plus
valides dans ces cas. On peut alors envisager la façon de corriger le marché.
Ici, pour faire plus court, on se limitera à exposer les mécanismes qui conduisent
à ces défaillances. On peut ajouter deux mots au delà, cependant. C'est à l'Etat
que peut revenir la charge de corriger le marché lorsqu'on le juge nécessaire. Il
dispose d'un certain nombre d'instruments incitatifs tels que la réglementation,
la fiscalité, l'intervention directe dans la production, la définition de droits de
propriété.
Signalons par ailleurs que la notion de bien public retenue ici est purement
économique. Elle correspond à une définition technique et ne saurait s'assimiler à
celle de service public qui correspond à un souhait de gestion collective d'un bien.
2. Rendements croissants : les biens publics et les externalités
Lorsqu'il existe des biens publics, le marché ne peut conduire seul à l'optimum de Pareto
(qu'on peut appeler aussi " optimum social ", en opposition avec le terme " optimum
individuel ", où l'agent fait ce qu'il a de mieux à faire pour lui seul). Produire un bien public
pour l'échanger sur un marché signifie qu'à la limite, personne ne paiera pour disposer du
bien. Chacun risque d'adopter un comportement de passager clandestin. Si personne ne paie
pour le bien produit par un agent, il perd le bénéfice de son action, au profit de ceux qui
consomment le bien sans rémunérer son producteur. Le producteur sait cela. Et, dans certains
cas, il ne produira tout simplement pas le bien. Ceci représente une perte de bien-être pour la
société puisque ce bien, s'il était produit, rapporterait une utilité à certains. Dans d'autres cas,
le bien sera produit, mais pas en quantité suffisante.
Dans tous les cas, on se retrouve face à un système de marchés incomplets. Tous les biens
qui peuvent faire l'objet d'un échange mutuellement avantageux ne sont pas produits. Il y a
rupture de la correspondance entre équilibre de marché et optimum de Pareto.
C'est notamment le cas des dépenses de recherche fondamentale. On ne dépose pas de
brevet sur une formule mathématique. Comment un agent privé peut-il rentabiliser son
activité de recherche fondamentale ? Il ne peut pas. Imaginons une économie où personne ne
produit de recherche fondamentale. Cette économie est inefficiente au sens de Pareto. Il serait
avantageux pour tous que quelqu'un devienne chercheur, découvre des formules
mathématiques, des propriétés physiques, que sais-je encore et qu'il soit payé pour cela. Cela
permettrait de créer plus de richesses et d'échanges mutuellement avantageux. Mais le marché
ne sait pas organiser cet enrichissement social. Il n'existe pas de marché pour ce bien, qui
entre pourtant dans les fonctions de production des entreprises, voire dans les fonctions
d'utilité des consommateurs.
Bien sur, la production de biens publics peut exister. Le fait que vous soyez en train de lire
ce texte, sur lequel je ne touche pas un centime d'euro le montre bien. Mais il y a fort à parier
que vous auriez aimé quelque chose de plus long et plus consistant. Outre le fait que je fais ce
que je peux ! Je n'ai pas forcément la possibilité d'occuper mes ressources en temps à une
production qui ne me permet pas de reproduire ma force de travail (pardon si cette allusion à
un auteur peu néoclassique vous choque) et qui, de plus, empiète sérieusement sur mon temps
de loisir. Heureusement, d'autres peuvent le faire dans le cadre du marché de l'édition.
Les biens publics crée des externalités. Ainsi, le fait que des découvertes scientifiques soient
réalisées dans le domaine de la recherche fondamentale va accroître, on l'a dit, la productivité
de certains producteurs en leur permettant de mettre au point de nouvelles technologies. La
recherche joue ici le rôle d'un facteur de production. Par ailleurs, ces découvertes auront à leur
tour un impact sur la qualité ou la variété des produits mis à disposition des consommateurs,
améliorant ainsi leur bien-être. C'est un point important des nouvelles théories de la
croissance, dites " théorie de la croissance endogène ".
Toujours dans le domaine de la connaissance, l'éducation moyenne d'une population a un
rôle important. Le fait que votre collègue de travail soit quelqu'un de compétent est un point
positif pour vous-même (si on exclut en tout cas la possibilité qu'il vous pique votre
promotion). En le côtoyant, vous améliorez votre capital humain, et votre productivité. Si
l'éducation est un marché, chacun doit déterminer le prix qu'il est prêt à mettre pour acquérir
un niveau de formation donné, afin d'obtenir de ses études un rendement individuel donné. On
ne se préoccupe guère du voisin lorsqu'on fait cela. Pourtant, socialement, il serait opportun
de tenir compte du fait que lorsqu'on s'éduque, il existe une externalité positive pour les
autres. Il en résulte que le marché de l'éducation, en raison de l'existence d'externalités sur la
connaissance, ne conduit pas à un optimum social. Chacun s'éduque moins que ce qu'il le
devrait, car il ne souhaite pas spontanément faire bénéficier de son capital humain, vu qu'il ne
tient pas compte non plus du fait que celui des autres lui profitera. Cette problématique est
applicable à des questions qui ne semblent pas économiques au demeurant. Ainsi, les formes
de ségrégation urbaine où les enfants de classes défavorisées sont regroupés dans les mêmes
écoles et les autres dans d'autres sont socialement préjudiciables dans la mesure où elles
créent des zones de pauvreté en capital humain qui réduisent, sous certaines conditions
plausibles, le niveau général de capital.
Dans un autre domaine, les infrastructures telles que des routes, une police et une justice
efficaces (au sens où elles protègent correctement et sans bavures les droits de propriété des
agents privés) sont des biens publics, qui sont sujet au comportement de passager clandestin et
génère néanmoins des externalités positives dans la production du secteur privé. Le marché
est généralement peu apte à les gérer (même si des exceptions, au cas par cas, peuvent être
envisagées et même si certains considèrent que tout peut être géré par le marché. Mais ceux
là, je pense, ont déjà arrêté de lire ce texte en me classant " grave socialiste, rien à faire "…).
On peut enfin évoquer l'exemple le plus courant de la littérature sur les externalités, celui de
la pollution industrielle. Les entreprises qui produisent sans tenir compte de la pollution
occasionnée ignorent l'externalité négative que crée cette pollution. Il existe une pollution
optimale dans une économie, disons une économie locale. La pollution est (au mieux !)
désagréable, tout le monde est d'accord sur ce point. Mais la production industrielle est utile.
En principe, il existe un niveau de production qui soit tel que plus de production crée une
pollution additionnelle qui nuit tellement aux riverains qu'elle ne suffira pas, d'un point de vue
social, à compenser le supplément de revenus qu'occasionne la production additionnelle (au
travers des salaires et profits versés). Ce point est un optimum de Pareto. Or, le marché,
comme il ne tient pas compte des nuisances créées par la pollution, n'est pas capable
d'atteindre spontanément cette allocation.
3. Rendements croissants internes à la firme et pouvoir de marché.
L'existence de l'équilibre général dépend en fait de la forme de la fonction de
production. Elle doit être à rendements d'échelle non croissants. Or, en pratique,
il existe des activités pour lesquelles cette propriété n'est pas vérifiée :
- D'abord, le fait de faire grandir la taille de la production est propice au
développement d'une meilleure division du travail.
- Certaines technologies connaissent par ailleurs des rendements croissants en
raison de propriétés physiques des processus. C'est par exemple le cas de certains
grands fourneaux où la déperdition de chaleur par unité de volume produite
diminue avec la quantité traitée.
- Ensuite, des équipements peuvent être indivisibles. Ce qui signifie que vous
n'avez pas besoin d'ajouter un ordinateur supplémentaire lorsque vous pilotez
une chaîne de montage robotisée dont la production est accrue. Seule la
programmation des robots va changer. C'est également vrai pour tout ce qui
relève des coûts dits " fixes ". Les coûts fixes sont de nature différentes. Il y a des
coûts tels que les frais administratifs, qui jusqu'à un certain point ne varient pas
selon la quantité produite (si vous adressez une facture à un client, son coût est le
même quelle que soit la quantité livrée). D'autres coûts sont encore plus
critiques. Par exemple, les coûts de développement d'un logiciel. Concevoir un
logiciel est généralement coûteux. Mais une fois le logiciel conçu pour pouvoir
produire la première unité, le coût de reproduction est quasiment négligeable.
Les rendements croissants se manifestent ainsi par une réduction du coût
moyen de production. Si on reprend le cas du logiciel, imaginons que la
conception coûte 100, la reproduction 5 (en réalité, le rapport est bien plus élevé).
Le premier logiciel produit aura coûté 105 (conception plus pressage). Le coût
moyen est alors de 105. Si on produit un second logiciel, le coût marginal est de 5,
le coût total de 110 et le coût moyen de 110/2 = 55. Et ainsi de suite. Les
rendements croissants proviennent dans ce cas du fait que l'on amortit les frais
fixes sur un plus grand nombre d'unités produites.
Lorsque les rendements sont croissants, l'équilibre de marché ne peut être
Pareto-optimal. En effet, il n'existe tout bonnement pas. En concurrence parfaite,
l'entreprise est censée fixer le prix au niveau du coût marginal. Or, lorsque les
rendements sont croissants, le coût marginal est toujours inférieur au coût
moyen. Fixer le prix au coût marginal conduirait l'entreprise à la faillite. Dans
ces situations, on est confronté au phénomène dit de " monopole naturel ". Il est
plus intéressant qu'une seule entreprise produise seule le bien en question. Mais,
comme elle se comporte en monopole, son prix ne sera pas égal au coût marginal,
mais à la recette marginale, ce qui n'est pas socialement souhaitable.
On doit faire deux remarques à ce sujet. D'une part, la littérature inspirée par
Schumpeter ne voit pas le monopole comme un mal en soi. C'est dans l'esprit de
l'économiste autrichien et de ses disciples la recherche du monopole qui guide les
entrepreneurs innovateurs. Et c'est grâce à des positions temporaires de
monopole qui leur apporte un profit supérieur à ce qu'ils auraient en concurrence
parfaite (profit nul en théorie d'ailleurs) que les entrepreneurs génère de
l'innovation. Or, l'innovation est un bien socialement souhaitable. Dans cet
esprit, les pertes de bien-être que suscite l'existence de monopoles sont
compensées par les gains de productivité de l'innovation. La théorie du bien-être
a une approche statique (propre au modèle d'équilibre général d'Arrow-Debreu)
alors que Schumpeter se place dans un cadre dynamique. D'autre part, la théorie
des marchés contestables (quoique relativement peu pertinente en pratique)
relativise la vision du monopole en montrant que des situations de monopole
peuvent mener quand même à une tarification au coût marginal, du fait de la
pression d'entrants potentiels sur le marché.
De manière générale, toute situation où les entreprises fixent un prix supérieur
au coût marginal sur un marché est sous-optimale (cas des oligopoles ou modèles
de négociations salariales en économie du travail).
4. Le problème de l'information
Lorsque l'information dont dispose les agents pour faire leurs choix n'est pas
parfaitement disponible à un coût négligeable, la correspondance entre équilibre
de marché et optimum de Pareto disparaît. Quelles sont ces situations ? Les
exemples sont très nombreux. Deux branches de la théorie économique en
traitent de façon systématique : la théorie des jeux et l'économie de l'information.
On les regroupe parfois sous le vocable " nouvelle microéconomie " (voir la
bibliographie). Il n'est pas question de faire un exposé complet de ces deux
disciplines (ce serait réellement trop long !). On se contentera de présenter
quelques exemples courants sur la question.
L'impossibilité de connaître la qualité d'un bien avant un échange
Prenons le cas du marché des véhicules d'occasion développé par Akerlof (1970).
Sur ce marché, seuls les vendeurs sont aptes à connaître parfaitement la qualité
du bien qu'ils vendent. Même s'ils ont les moyens de voir si un véhicule est un
véritable tacot ou pas, les acheteurs ne sont pas à même de déterminer aussi bien
que le vendeur la qualité du bien offert. Il y a une asymétrie d'information. Le
vendeur, lui, peut avoir intérêt à dissimuler la qualité réelle de la voiture. Et
même s'il a intérêt à montrer que son véhicule est en excellent état, il se peut que
cela soit trop coûteux pour qu'il le fasse. En admettant qu'il le fasse quand même,
on voit bien cependant que cela aura un coût et que l'échange n'est plus aussi
avantageux pour lui que dans un monde où toute l'information sur les biens est
disponible. Supposons qu'aucun offreur ne souhaite subir un coût pour signaler la
qualité de son véhicule. Le prix du marché sera donc le même pour tous les
véhicules en apparence identiques. Comme les demandeurs savent qu'ils ont des
chances de tomber sur un mauvais véhicule, le prix se situera quelque part entre
le prix normal d'un mauvais véhicule et le prix normal d'un bon véhicule. Or, à ce
prix là, les offreurs d'un bon véhicule refusent de vendre leur voiture. Il ne reste
donc plus sur le marché que les mauvais véhicules. Cette situation est donc
inefficiente, puisqu'il existe une demande et une offre pour les bons véhicules,
mais que les échanges mutuellement avantageux ne peuvent avoir lieu. On parle
d'antisélection (adverse selection, en anglais). Imaginons par ailleurs que la
probabilité de tomber sur un véhicule carrément dangereux soit significative.
Dans ce cas, c'est tout simplement le marché de l'occasion qui peut disparaître.
Personne n'est prêt à prendre le risque de rejoindre Lady Di sous le pont de
l'Alma. Aucun échange n'a lieu. Il s'agit là d'un exemple qui peut s'appliquer à
d'autres marchés où l'on ne peut distinguer a priori les produits selon leur
qualité.
Les difficultés pour repérer les caractéristiques d'un coéchangiste
C'est un cas typique du marché de l'assurance ou des banques. Imaginons que
vous avez finalement acheté votre automobile d'occasion. Il va falloir l'assurer.
Un assureur n'est pas systématiquement à même de savoir si vous êtes plutôt du
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