3.2 Les approches empiriques des facteurs sensoriels
Nous avons vu que le discours sur les sens peu prendre plusieurs visages. Il existe d’une part
un discours rigoureux, basé sur une méthodologie validée scientifiquement : c’est le cas de l’analyse
sensorielle, méthode dont le protocole d’application est défini par des normes AFNOR. Le marketing
sensoriel se base également sur des travaux universitaires reconnus, ceux de Sophie Rieunier et Bruno
Daucé. Cependant, contrairement à l’analyse sensoriel qui s’adresse aux concepteurs de produits, le
discours du marketing sensoriel est plus proche de la culture marketing, car il concerne la mise en
valeur du produit en point de vente. Finalement, il existe un troisième visage du discours sur les sens,
qui correspond à une approche plus empirique des facteurs sensoriels. Cette approche empirique n’est
pas fondée sur une méthodologie rigoureuse et clairement formalisée.
Les acteurs de l’approche empirique, qu’ils soient designers, responsables marketing ou
encore ingénieurs, cessent de s’intéresser uniquement aux exigences fonctionnelles et techniques des
produits pour intégrer la qualité perçue de manière informelle dans le processus de conception comme
dans la communication sur le produit. L’approche empirique ne nécessite pas de réelle rigueur
méthodologique, mais uniquement une volonté globale de prendre en compte le confort sensoriel du
produit. Par exemple, la marque Décathlon communique fortement sur les qualités sensorielles de ses
produits et participe à des colloques sur le « design sensoriel ». Cependant, il n’existe pas de
méthodologie rigoureusement formalisée de design sensoriel chez Décathlon. En effet, Décathlon
estime que le design sensoriel à pour objectif de faire en sorte que la " valeur vécue " du produit soit
conforme à sa "valeur perçue " en magasin. Des groupes de consommateurs sont placés dans des
situations pratiques d'utilisation des produits. Ils sont interrogés sur leurs sensations, notamment sur
leurs sensations tactiles pour les chaussures et les textiles. Ainsi les consommateurs deviennent acteurs
de la création des produits. Néanmoins, on ne peut parler véritablement de « design sensoriel », mais
simplement de tests utilisateurs orientés sensations. L’approche empirique des facteurs sensoriels peut
également s’ancrer dans la recherche de nouveaux matériaux ou procédés industriels pouvant donner
lieu à de nouvelles sensations. L’existence de « mathériauthèques », véritables bibliothèques de
matériaux innovants, permet de faciliter ce type de démarche
.
4 SENSATIONS ET SIGNIFICATIONS
4.1. La Sémiotique, science des signes
Un signe est une chose qui fait penser à une autre chose, qui n’est pas elle [KLINKENBERG,
96]. Selon Ferdinand de Saussure, la sémiotique (ou sémiologie) vise à étudier « la vie des signes au
sein de la vie sociale » [SAUSSURE, 22]. Il s’agit de dépasser l’évidence et le bon sens, refuser
l’ineffable, pour tenter de caractériser la façon dont nous donnons du sens au monde qui nous entoure.
Car la signification est partout : dès que l’on projette une valeur sur quelque chose, un processus de
signification s’enclenche. Le produit industriel n’échappe pas à cette omniprésence de la signification.
En effet, le signe est l’instrument du savoir sur les choses : nous ne pouvons connaître notre
environnement qu’en établissant des correspondances entre un plan du contenu et un plan de
l’expression [KLINKENBERG, 96]. C’est en reconnaissant et en interprétant des signes dans un
produit que nous pouvons reconnaître sa fonctionnalité, le catégoriser par rapport à une famille de
produits, le rattacher à une tendance, évaluer sa « qualité symbolique ». Dans un contexte culturel
donné, l’utilisateur est en mesure de déduire un certain nombre de significations à partir de la
reconnaissance de signes. Cependant, il est difficile de décrire scientifiquement les réalités dont nous
avons l’expérience immédiate. La sémiotique permet d’expliquer comment le sens naît en nous, et
comment nous donnons sens aux choses : pourquoi nous sommes attirés par tel agencement de
couleurs ou de formes.
Il existe plusieurs « matériauthèques » ouvertes au public à Paris : l’ « Innovathèque » du CTBA, ou encore
« Matério ». Le développement récent de ces services d’aide à la sélection de matériaux témoigne du
développement de l’approche empirique des facteurs sensoriels : les entreprises cherchent à se différencier de la
concurrence en dotant leurs produits d’une signature sensorielle propre.