THEME 3 (ECO) : ECONOMIE DU DEVELOPPEMENT DURABLE. Question : La croissance économique est-elle compatible avec la préservation de l’environnement ? Ce chapitre est consacré à une réflexion critique sur les relations entre croissance économique et préservation de l’environnement. Tout d’abord, il faut montrer qu’une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible puis présenter les interactions entre les quatre types de capitaux (humain, naturel, social et institutionnel, physique) et leurs effets sur le bien-être en soulignant les limites de cette approche, notamment en matière d’évaluation monétaire. Il faut ensuite faire une présentation critique de la notion de développement durable à travers la définition du rapport Brundland, mais aussi de mettre en évidence les difficultés à mettre en œuvre des politiques au nom du développement durable. Enfin, on souligne deux conceptions de la soutenabilité : la soutenabilité faible et la soutenabilité forte, ces deux conceptions montrant les divergences quant à la définition du développement durable. Il s’agira ensuite de présenter une analyse des instruments économiques dont disposent les pouvoirs publics, en s’appuyant sur l’exemple de la politique climatique. L’idée générale est la primauté du politique sur l’économique. En effet, il apparait difficile de poursuivre un mode de production fondé sur l’utilisation massive des ressources naturelles, et générateur d’une dégradation de l’environnement. Les instruments réglementaires, fiscaux et marchands sont conçus avant tout comme des outils qui ne peuvent fonctionner efficacement qu’en présence d’une volonté politique forte. Ces instruments de politique économique doivent permettre de répondre aux défaillances du marché. Les politiques climatiques n’ont pas pour objectif de compenser l’intégralité des dommages provoqués par la concentration de gaz à effet de serre, mais de favoriser la réduction des émissions de CO2 tant que les coûts de la dépollution restent inférieurs et égalisent ceux qui résulteraient d’une non-intervention. Il s’agira d’effectuer une présentation critique de chacun des instruments que sont la réglementation, la taxation et le marché de quotas d’émission. Il faudra se rappeler les notions d’offre et de demande et d’allocation de ressources acquises en classe de Première. Plan : Introduction. Doc.1 p142 I. Le développement et l’amélioration du bien-être résultent de la croissance économique mais aussi de l’interaction de plusieurs types de capital. A. Croissance économique, développement et bien-être. B. Le bien-être résulte de quatre grands types de capital. Doc.3 p145 C. Croissance, environnement et biens communs. Polycopié : doc.1, doc.2, doc.3, doc.4, doc.6, doc.7 et doc.8 Doc.1 doc.2 p168 II. L’analyse économique du développement durable et les limites de la croissance. A. Les objectifs du développement durable. Doc.2 p146 ; doc.4 p147 B. Le débat sur la substituabilité des capitaux. Doc.2 p148 ; doc.4 p149 Doc.2 p150 Polycopié : doc.7 1 III. Les instruments pour mener des politiques climatiques. A. La contrainte : la réglementation. Doc.1 (polycopié) B. L’internalisation des externalités : - La taxation. Doc.4 (polycopié) ; doc.3 p165 - Les marchés de quotas d’émission. Doc.1 (polycopié) IV. La mise en œuvre de ces instruments et ses difficultés. Compléments : La recherche d’indicateurs pour mesurer la soutenabilité de la croissance économique et du développement. A. Les insuffisance du PIB. B. Comment mesurer le bien-être et la soutenabilité ? C. La complexité de la construction d’indicateurs. Annexes. Introduction. il apparait incontestable que la croissance économique a permis, depuis deux siècles environ, une élévation sans précédent du niveau de vie. Mais, depuis quelques décennies (années 1970), une prise de conscience des dégâts environnementaux et parfois humains engendrés par la croissance économique s’est développée. L’accroissement de la production de biens et de services se traduit-il toujours par une augmentation du bien-être ? La croissance économique est-elle, à long terme, compatible avec la préservation des équilibres écologiques et humains ? En d’autres termes, notre modèle de développement est-il durable ou plus exactement soutenable ? Les réponses à ces questions sont essentielles. En effet, au cours de l’histoire, un certain nombre de sociétés ont disparu car elles ne parvenaient pas à reproduire des composantes essentielles de leur capital. Il s’agit du capital économique sans lequel il ne peut y avoir de croissance de la richesse dans le temps. Mais il s’agit aussi du capital d’équité sociale que chaque société doit renouveler – Rome s’affaiblit puis disparut plus à cause de la dislocation de ses relations sociales que des assauts des barbares venus de l’extérieur – ou encore du capital des ressources naturelles. Ainsi, les Sumériens avaient bâti une civilisation grâce à la domestication du milieu naturel mais ne purent faire face à la salinisation des sols. La civilisation Maya prospéra jusqu’au IXème siècle dans l’Amérique précolombienne mais s’écroula en raison de la déforestation et de l’érosion des pentes qui raréfièrent les ressources alimentaires. I. Le développement et l’amélioration du bien-être résultent de la croissance économique mais aussi de l’interaction de plusieurs types de capital. A. Croissance économique, développement et bien-être. La croissance économique doit provoquer le développement c'est-à-dire un ensemble de changements – économiques et sociaux – visant à améliorer les conditions d’existence d’une population donnée. Mais la relation entre l’amélioration du niveau de vie engendrée par la croissance économique et la perception du bien-être ou du bonheur qu’en tire la population est marquée par une contradiction : le sentiment de bien-être ne progresse pas, voire parfois régresse, alors même que les conditions de vie s’améliorent « objectivement ». nous pouvons nous interroger sur cette contradiction et se demander si cette divergence n’est pas une conséquence de la dimension symbolique de la consommation, portée par des désirs croissant plus rapidement que la possibilité de les satisfaire. Richard Easterlin (né en 1926) – écono2 miste américain – a montré qu’une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus. Trois phénomènes expliqueraient cette absence de lien entre PIB par habitant et bien-être : - L’habitude : mes exigences s’accroissent avec le niveau de vie. Dès lors, l’insatisfaction reste inchangée. - La rivalité : l’amélioration de mon niveau de vie s’effectue en comparaison de celui des autres. Ainsi, mon bien-être progresse si mon revenu augmente plus que celui des autres. - L’anticipation : j’utilise le revenu d’autrui pour former des anticipations sur l’évolution de ma propre situation. Par ailleurs, le supplément de croissance économique n’apporte-t-il pas, dans les sociétés développées, des effets négatifs supérieurs aux effets positifs ? On observe que la croissance du niveau de vie d’un pays n’améliore son niveau de santé que jusqu’à un certain point. Ainsi, les Etats-Unis disposent de la même espérance de vie que le Costa-Rica ou le Chili (en 2011, 78,5 ans vs 79,3 ans et 79,1 ans) alors que leur PIB / hab. est 3-4 fois plus élevé (43 017 $ ppa vs 10 497 $ ppa et 13 329 $ ppa). La croissance économique engendre des pollutions (externalités négatives) qui obligent les sociétés à accroitre les dépenses dites « défensives » telles que les dépenses de santé. B. Le bien-être résulte de quatre grands types de capital. Le paradoxe d’Easterlin s’explique par des facteurs non monétaires qui auraient un effet plus important sur le bien-être que l’augmentation des revenus. Le bien-être dépend de la combinaison de quatre formes de capital qui entrent en interaction les uns avec les autres : - Le capital naturel (1) - Le capital physique (2) - Le capital humain (3) - Le capital social et institutionnel (4) (1) Il représente l’ensemble des ressources que la nature met à notre disposition et plus largement les caractéristiques de la nature (écosystèmes, biodiversité,…). Les ressources naturelles peuvent être non renouvelables (énergies fossiles, minerais,…) ou renouvelables, même s’il faut tenir compte de leur rythme de reconstitution et de l’intensité des prélèvements (réserves halieutiques, forêts,…). Son exploitation à des fins productives fournit aux individus les ressources nécessaires à leur bien-être. (2) Il est constitué par le stock de biens de production durables destinés à fournir des biens et des services capables de satisfaire les besoins de la population et d’améliorer leur bien-être. Ce stock s’accroit au rythme de la FBCF et son usure progressive est prise en compte par l’amortissement. Il permet d’accroitre la productivité du travail et par suite favorise une réduction du temps de travail, une augmentation du pouvoir d’achat, une amélioration des biens et services fournis et contribue donc au bien-être. (3) Cette notion est issue des travaux d’un économiste américain (Gary Becker né en 1930). Il représente l’ensemble des connaissances et des compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) accumulées par les hommes. Ce capital s’acquiert au cours de la formation initiale ou continue, des expériences sociales ou professionnelles et procure des avantages (notamment en termes de bien-être) sur les plans collectif et individuel (externalités positives). (4) Le capital social recouvre les relations entre les individus, relations qui s’effectuent à la fois dans le domaine professionnel et dans le domaine privé, et qui conditionnent le degré de confiance et de coopération que les individus peuvent mobiliser. Le capital institutionnel renvoie à la qualité des structures politiques et sociales qui a des retombées sur l’efficacité des relations individuelles. On peut alors en déduire une définition du capital social et institutionnel : il représente l’ensemble des réseaux sociaux, de normes, de valeurs et d’institutions qui permettent d’accroitre la confiance entre les individus dans une société donnée. Ce surcroit de confiance rapproche intérêts individuels et intérêt collectif, et favorise le bien-être des populations. Par ailleurs, il faut souligner que ces quatre types de capital peuvent se renforcer ou se nuire. (cf. cours). 3 C. Croissance, environnement et biens communs. Tout d’abord, on peut rappeler que l’accès aux biens reposent sur deux principes : - L’excluabilité : la consommation d’un bien nécessite son achat. - La rivalité : les consommateurs sont rivaux entre eux pour l’acquisition d’un bien. A partir de là, on peu distinguer différents types de biens : - Les biens privés (excluabilité et rivalité) - Les biens collectifs « purs » (non-excluabilté (impossible d’écarter quiconque de sa consommation) et non-rivalité (un bien peut être consommé simultanément par plusieurs individus sans que la quantité consommée par l’un diminue les quantités disponibles pour les autres)) - Les biens collectifs « impurs » (exluabilité et non-rivalité ; par exemple, les autoroutes à péage) - Les biens communs (non-excluabilité et rivalité) Dans la réflexion sur les enjeux environnementaux, la question des biens communs occupe une place de plus en plus importante sur la base, notamment, des travaux d’Elinor Ostrom (1934 – 2012), premier femme ayant le prix « Nobel » d’économie en 2009. Les biens communs sont des biens qui sont rivaux (leur utilisation par un agent empêche leur utilisation par un autre agent) et difficilement excluables. En d’autres termes, la caractéristique principale des biens communs est que n’importe qui au sein d’un groupe de personnes peut utiliser et abandonner telle ou telle ressource sans que celle-ci ne puisse faire l’objet d’une appropriation et d’un contrôle exclusif de part d’un individu. Selon Daniel Compagnon, « Sont communs (commons) les biens sur lesquels aucune unité sociale (individu, famille, entreprise) ne dispose de droits exclusifs, qu’il s’agisse des droits de propriété ou de droits d’usage. C’est l’exemple des biens communaux (bois ou pâturages) de l’Europe médiévale qui ont servi de référence historique à cette réflexion. » En effet, au moyen-âge, les terres médiévales étaient ouvertes aux récoltes de tous : n’importe qui pouvait aller ramasser du bois de chauffage, des champignons, les paysans pouvaient laisser paître leurs montons… C’est au XIIIème siècle, en Angleterre, que le roi Jean et les barons s’approprièrent de manière exclusive ces communs (politique d’enclosure). Aujourd’hui, les ressources halieutiques, les nappes d’eau souterraines, le climat, la biodiversité, etc. sont des biens communs. Pendant longtemps, on a mis en avant la « tragédie des biens communs » – titre d’un article publié en 1968 par le sociobiologiste Garett Hardin – à partir de l’exemple de pâturages librement utilisables. Chaque bénéficiaire du « droit de vaine pâture » va chercher à maximiser son avantage individuel en augmentant autant qu’il le peut la taille du troupeau qu’il conduit sur ces pâturages. Le résultat est bien évidemment la disparition de la ressource. Hardin conclut donc que le libre usage des communs conduit à la ruine de tous. On est confronté aujourd’hui à ce problème avec la surpêche qui conduit à ce que des espèces sont menacées de disparition (thons rouges de Méditerranée). En réponse à cette tragédie des biens communs, on met souvent l’accent sur la nécessité de définir des droits de propriété (donc de rendre la ressource excluable) afin que les titulaires de ces droits aient intérêt à protéger la ressource. Une autre solution consiste à faire appel à l’Etat qui use de son pouvoir règlementaire (création de réserves et de parcs naturels par exemple, interdiction de la chasse ou de la cueillette, quotas de pêche, etc.). Elinor Ostrom met l’accent sur une « troisième voie » : la gestion communautaire ou coopérative des ressources communes. Ses études comparatives des nombreux exemples de tels modes de gestion montrent l’importance des institutions et de la confiance pour créer les conditions de l’adoption de comportements coopératifs permettant de gérer ces ressources dans l’intérêt commun (y compris dans l’intérêt des générations futures). Les chercheurs se rattachant à cette approche soulignent que les institutions mises en place dans ce but doivent encourager les utilisateurs à suivre des règles satisfaisant 5 principes : - Définir ceux qui sont autorisés à utiliser la ressource ; - Préciser les liens entre les caractéristiques spécifiques de la ressource et la communauté des utilisateurs. Par exemple, une association d’irrigation a des règles qui spécifient comment un fermier peut en devenir membre, quelles qualifications il doit avoir pour être éligible à une responsabilité en son sein et l’état de la ressource justifiant une régulation (par exemple, situation de sécheresse) ; - Etre élaborées (au moins en partie) par les utilisateurs eux-mêmes ; - Etre mises en application par des individus responsables devant les utilisateurs ; - Définir des sanctions graduées pour ceux qui ne les respecteraient pas. 4 La théorie des biens communs connait un regain d’actualité notamment depuis la fin des années 1990, lorsque que Internet a été considéré comme un nouveau commun. La différence de ce bien commun numérique (« commun de la connaissance ») avec le bien commun naturel consiste en ce que les biens communs numériques ne sont pas soustractibles, l’usage de l’un ne remettant pas en cause la possibilité d’usage de l’autre. Si les communs de la connaissance peuvent apparaitre comme illimités, ils demeurent cependant susceptibles d’être l’objet de nouvelles enclosures, notamment avec l’appropriation privée du savoir et des méthodes (brevets de logiciels ou sur la connaissance). Le savoir, bien immatériel, est ainsi l’un des enjeux principaux qui a relancé la réflexion sur les biens communs. L’avantage principal de ces communs est de permettre à l’innovation de progresser sans se heurter aux intérêts en place. Dans ce cas, les biens communs vont permettre une croissance forte de la production non marchande, surtout pour l’économie de l’information et de la culture via Internet. Les logiciels, les médicaments, les gènes, les semences agricoles font néanmoins l’objet d’une lutte entre ceux qui voudraient en faire des biens communs universels et ceux qui voudraient se les approprier grâce notamment aux brevets. Les dérèglements climatiques liés aux défaillances du marché. Le réchauffement de la planète peut susciter des aléas climatiques conduisant à des destructions massives et coûteuses (ouragans, inondations, raz de marée…) ; il peut engendrer, selon les endroits, une progression des zones arides ou une montée des eaux dommageables pour les surfaces habitables ou exploitables par l’homme. Ces coûts, ces dommages ou ces désutilités pour d’autres agents sont sans compensation monétaire. Les travaux des climatologues montrent que le changement climatique résulte notamment de ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet de serre » : l’accumulation dans l’atmosphère terrestre de « gaz à effet de serre » (GES) – dont les principaux sont les dérivés carbonés, en particulier ceux émis lors de la combustion des énergies fossiles, qui sont elles-mêmes du carbone fossile stocké depuis des millénaires dans la croûte terrestre – modifie les échanges thermiques entre notre planète et la source principale de son réchauffement, le soleil. Le climat est un bien collectif car il est non-exclusif et non-rival. Il est impossible d’interdire l’accès à ce bien et sa consommation par une personne n’empêche pas sa consommation par une autre. Mais, du point de vue économique, le climat a la nature d’un « bien commun », dans la mesure où il n’est pas exclusif puisque sa dégradation touche, bien que de manière différenciée, tous les habitants de la planète, et qu’il est rival dans la mesure où ses dérèglements sont la résultante de l’accumulation de GES, elle-même conséquence des actions individuelles. Les dérèglements du climat étant la résultante des émissions de GES, celles-ci peuvent être analysées comme une pollution qui, dans l’analyse économique, correspond à une externalité négative. Dans de telles situations, les agents économiques individuels ne prennent en compte, dans leurs décisions, que les coûts et les bénéfices privés de leurs actions, négligeant ainsi les coûts subis par les tiers, donc par la collectivité tout entière – s’agissant du climat, l’humanité tout entière. Puisqu’il y a externalité, il y a défaillance de marché en situation de laisser-faire : en présence d’externalité négative, le coût privé est inférieur au coût social, de sorte que l’action à l’origine de l’externalité tend à être choisie de manière excessive au regard de ce qui est socialement souhaitable. Les cas de défaillances de marché étant des lieux classiques d’intervention des pouvoirs publics, une difficulté particulière se présente ici puisqu’il s’agit de ressources mondiales exigeant la prise de mesures au niveau de la planète. Il est souhaitable que des accords mondiaux contraignent les pays à conduire les efforts nécessaires, ce qui n’est pas sans poser de sérieuses difficultés. 5 II. L’analyse économique du développement durable et les limites de la croissance. A. Les objectifs du développement durable. Depuis 1972 et la publication, sous l’égide du Club de Rome, du rapport « Halte à la croissance », dit rapport « Meadows », plusieurs événements ont favorisé la prise de conscience de l’existence de limites à la croissance économique. Les chocs pétroliers des années 1970 révèlent la fragilité de cette ressource naturelle. Il en va de même pour les craintes sur la diminution de la biodiversité, l’extinction de certaines espèces animales ou la déforestation. Des accidents industriels majeurs comme celui de l’usine de Bhopal en Inde en 1984, de Tchernobyl en 1986, de Fukushima en 2011, les nombreuses marées noires, montrent les dégâts d’une production intensive sur l’environnement. Les conséquences induites par le réchauffement climatique (fonte des glaces, progression des zones arides, catastrophes climatiques destructrices…) semblent aller dans le même sens. A l’initiative du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) – créé en 1972 lors de la conférence de Stockholm organisée par l’ONU – , la commission dite « Brundtland » (du nom de Gro Harlem Brundtland, premier ministre norvégien) a publié, en 1987, un rapport, intitulé Notre avenir à tous, appelant de ses vœux un développement durable ou soutenable (en anglais sustainable). Celui-ci y est défini comme répondant « aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». L’accent est mis sur « les besoins essentiels des plus démunis auxquels il convient de donner la plus grande priorité » et sur les « limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ». En d’autres termes, il s’agit de réaliser une double équité : - une équité intragénérationnelle : les ressources, qu’elles soient économiques ou écologiques, doivent être équitablement distribuées entre les générations présentes en accordant une priorité aux plus démunis (individus, pays). - Equité intergénérationnelle : le développement présent doit tenir compte du développement potentiel des générations futures (sauvegarde des ressources pour l’avenir,…). Cette définition sera popularisée et fera l’objet de propositions d’actions pour les gouvernements dans l’ « Agenda 21 », adopté par les 178 pays participants au premier sommet de la terre à Rio en 1992. Ces propositions seront confirmées en 2000 par les Nations Unies sous la dénomination d’« Objectifs du millénaire pour le développement ». Le développement durable est désormais l’objectif à suivre pour les institutions internationales (PNUE, Banque Mondiale…), les pouvoirs publics et les agents économiques, en particulier les entreprises, qui entendent concilier les 3 « P », people, planet, profit, dans le cadre des démarches dites de « responsabilité sociale et environnementale » (RSE). B. Le débat sur la substituabilité des capitaux. Le développement durable ou soutenable (en anglais sustainable) intègre trois dimensions : la dimension économique (une croissance des richesses doit être possible), la dimension sociale (cette richesse doit être équitablement partagée dans le monde et entre les générations), la dimension environnementale (les ressources et la planète doivent être préservées). L’analyse économique se fonde quant à elle sur les possibilités de développement et d’amélioration du bien-être pour les générations futures ; conformément à la démarche patrimoniale retenue, elle fait reposer les critères de soutenabilité sur l’évolution des stocks des quatre types de capital évoqués plus haut. Un débat subsiste sur le caractère substituable de ces quatre types de capital et donc sur les moyens d’assurer la soutenabilité de notre développement. Les partisans de la « soutenabilité faible » appartiennent au courant néoclassique. L’objectif de soutenabilité est traduit par la non-décroissance dans le temps du bien-être individuel, lequel peut-être mesuré par le niveau d’utilité, le revenu ou la consommation. Pour que le bien-être des générations futures – conçu comme la somme des bien-être individuels – soit, au minimum, égal à celui des générations présentes, il faut leur transmettre une capacité de production de biens et de services répondant à leurs besoins. Il faut donc, moyennant un taux d’épargne suffisamment élevé, que le stock de capital à disposition de la société reste intact d’une génération à l’autre. Si la quantité totale de capital doit rester constante, il est possible, selon les néoclassiques, d’envisager des substitutions entre les différentes formes que revêt ce capital. Ils 6 estiment que la nature est un capital productif comme les autres. Par conséquent, on peut l’envisager substituable. S’il se raréfie, son prix deviendra plus élevé et les agents économiques s’efforceront de trouver les technologies productives qui utiliseront davantage des autres facteurs de production devenus relativement moins coûteux. Le progrès technique peut alors repousser les limites posées à la croissance économique. Il suffit donc que les générations présentes compensent les atteintes au stock de capital naturel par une accumulation des autres sortes de capitaux pour que les générations futures conservent une capacité intacte à produire du bien-être, et que le développement puisse être soutenable. La liberté des agents, qui les pousse à rechercher la technologie optimale pour produire, peut donc suffire à assurer la soutenabilité de la croissance de la production et de notre développement. L’homme a pu sauvegarder et même réintroduire des espèces animales, reconstruire des milieux naturels menacés. Un fleuve pollué peut être dépollué, une forêt détruite replantée, la biodiversité reconstituée. Il suffit de maintenir une capacité à produire du bien-être économique au moins égale à celle des générations présentes. Pour l’assurer, le niveau de capital total (naturel et construit) doit être maintenu constant. Comme le précise l’économiste Robert Solow, pour que son développement soit soutenable, une société doit maintenir « indéfiniment sa capacité productive, c’est-à-dire, de façon plus technique, que son capital total par tête serait non décroissant dans le temps intergénérationnel ». Ainsi, selon R. Solow, un échange s’effectue dans le temps : la génération présente consomme du « capital naturel » et, en contrepartie, lègue aux générations futures davantage de capacités de production sous forme de stocks d’équipements, de connaissances et de compétences. Les néoclassiques entendent montrer que la poursuite de la croissance va dans le sens de la protection de l’environnement. Cette idée avait déjà été développée dans les années 1970 par des économistes qui avaient publié des travaux dans lesquels ils avaient cherché à établir une corrélation entre le revenu par habitant et quelques indicateurs de pollution de l’air et de l’eau d’un certain nombre de pays. Les résultats de leurs études montrent que les émissions polluantes croissent en fonction du revenu moyen jusqu’à une certaine limite, puis décroissent, traçant ainsi une « courbe en U inversé » que l’on appelle aussi une « courbe de Kuznets environnementale ». C’est une représentation possible de cet espoir : comme les inégalités sociales, les émissions polluantes augmenteraient dans un premier temps à mesure que le revenu moyen s’accroît. Dans un second temps, les technologies nouvelles plus « propres » inverseraient la tendance. Si on considère la courbe de Kuznets environnementale comme une représentation satisfaisante des rapports entre croissance économique et environnement, alors, non seulement la croissance n’est pas contradictoire avec la préservation de l’environnement, mais, correctement orientée, elle est une condition de cette préservation. Les partisans de la « soutenabilité forte » ne partagent pas cet optimisme. Ils considèrent en effet que les atteintes au capital naturel sont, dans une certaine mesure au moins, irréversibles : les dommages causés à l’environnement restent en parties irréparables et certaines ressources épuisables sont irremplaçables. Dans cette hypothèse, il ne peut suffire de maintenir le capital global constant. Le capital naturel doit faire l’objet d’une conservation spécifique. Les facteurs de production ne sont pas tous substituables. Les innovations technologiques seules ne peuvent repousser les limites de la croissance économique. Il faut donc limiter les prélèvements sur les ressources naturelles à leur capacité de régénération, limiter l’émission de produits polluants à la capacité d’absorption de la nature et limiter le prélèvement des ressources naturelles non renouvelables en fonction de la possibilité de les remplacer par des ressources renouvelables. Cette approche se montre donc sceptique à l’égard du recours aux mécanismes du marché comme moyen de gestion du capital naturel. La marchandisation risquant au contraire de conduire à une utilisation excessive des ressources naturelles. Certains courants de l’opinion en viennent à contester l’idée même de développement durable et se prononcent en faveur d’une décroissance soutenable en se réclamant des travaux de l’économiste américain Nicholas Georgescu-Roegen (1906 – 1994). Pour ces auteurs, il faut mettre en cause de façon radicale notre conception de la production et de la consommation, en finir avec le productivisme et mettre l’accent sur la qualité de la vie, plutôt que sur la quantité de biens et de services que l’on peut acquérir. Mais ce discours est loin d’être partagé par une majorité d’économistes qui soulignent qu’une part très importante de la population mondiale est privée de l’accès au logement, à la santé, à l’éducation et que la décroissance n’est donc pas la bonne solution. En revanche, une transformation radicale des modes de croissance, des choix technologiques, des politiques publiques, est indispensable pour assurer une soutenabilité sociale et environnementale de la croissance. 7 III. Les instruments pour mener des politiques climatiques. Les instruments économiques permettant de gérer la question climatique sont de deux types : les uns reposent sur la contrainte, les autres sur l’incitation. Les externalités négatives peuvent en effet être combattues par la réglementation, c’est-à-dire la contrainte, ou/et par la mise en œuvre d’instruments ayant pour objectif de les internaliser : il s’agit alors de faire en sorte que les coûts privés supportés par les producteurs d’externalités incluent les coûts sociaux, c’est-à-dire les dommages et désutilités subis par les autres agents. Deux instruments peuvent être mobilisés pour cette internalisation des coûts sociaux : les taxes environnementales, qui corrigent les prix des marchés existants et les marchés de « droits d’émission », qui permettent de faire émerger de manière décentralisée un prix des émissions. Ces deux instruments sont issus des travaux respectifs d’Arthur Cecil Pigou (1877 – 1959) et de Ronald Coase (1910 – 2013). A. La contrainte : la réglementation. Afin d’empêcher leur production, il est tout d’abord possible d’agir à la source des externalités négatives par la réglementation, c’est-à-dire par leur interdiction directe ou indirecte, totale ou partielle. Il s’agit alors pour les pouvoirs publics d’établir des règles, des normes ainsi que les sanctions nécessaires à leur respect par les agents économiques. Dans un objectif de protection de la couche d’ozone, qui nous protège de l’excès de rayonnement solaire, ce type d’instrument a par exemple été adopté pour la réduction de l’émission des chlorofluorocarbones ou CFC, gaz qui sont présents dans la plupart des bombes aérosol et qui ont une responsabilité dans l’existence de lacunes aux pôles dans la couche d’ozone. La première convention pour la protection de la couche d’ozone, signée à Vienne en 1985, a été suivie en 1987 d’engagements fermes et chiffrés pour diminuer l’usage de ces gaz. Pour la question du climat, la réglementation peut concerner de nombreux domaines : les normes peuvent s’appliquer sur les moteurs et limiter les émissions des véhicules, sur la construction afin de limiter la consommation d’énergies fossiles, sur l’urbanisation pour favoriser les déplacements « doux », des normes techniques, par exemple, dans le secteur du bâtiment pour diminuer la demande du secteur en énergie et son impact en termes d’émissions de CO2,… L’utilisation des normes fait partie de la panoplie des instruments utilisés dans le cadre des politiques européennes. C’est par exemple le choix qui a été fait par l’union européenne dans son paquet énergieclimat de 2009 pour réguler les émissions de CO2 des véhicules routiers nouvellement produits : ceux-ci ne devront pas émettre plus de 130 grammes de CO2 par kilomètre à compter de 2015, contre 160 grammes à l’heure actuelle. On peut souligner que le périmètre des émissions concernées est relativement limité, puisqu’il est restreint aux véhicules neufs et que la mesure des émissions de CO2 est d’un coût relativement faible puisqu’elle est effectuée pour chaque modèle de voiture et non pour chaque véhicule. B. L’internalisation des externalités : La taxation. Une taxe environnementale sur les émissions vise à introduire les atteintes à l’environnement en leur donnant un prix. L’idée en revient à Arthur Cecil Pigou (1877-1955) qui décrivit le principe dès 1920 dans Economics of welfare. En effet, comme le marché ne donne aucune valeur aux biens environnementaux « gratuits » d’accès commun à tous, tels que l’air, l’eau ou le vent, il convient que le gouvernement taxe leur usage pour les protéger d’une surexploitation. Le niveau de prix retenu, autrement dit le taux de la taxe, correspond à la valeur que la société accorde à la protection de ces ressources. S’interrogeant sur cette question des externalités négatives, il propose l’établissement de taxes imputables au pollueur. L’intérêt d’utiliser un système de taxe pour tarifier la nuisance environnementale est d’envoyer un signal-prix aux agents économiques. Chaque pollueur va comparer le coût de sa réduction de sa pollution au prix de la taxe. On parle ordinairement d’écotaxes et de principe « pollueur/payeur ». Imposées par les pouvoirs publics, ces taxes constituent pour le pollueur un coût supplémentaire qui s’ajoute au coût privé marchand, ce qui modifie son calcul de production optimale. À court terme, le producteur est ainsi incité à moins produire, donc à réduire les émissions polluantes. À moyen et long terme, il pourra également être encouragé à utiliser des technologies de production moins polluantes pour minimiser son paiement de la taxe. L’incitation à réduire le volume de production ou à investir pour supprimer ou réduire les émis8 sions nocives sera d’autant plus forte que le niveau de la taxe sera élevé. En toute logique, le niveau de cette taxe doit également refléter l’importance des dommages. Le prélèvement d’une nouvelle taxe se traduit par de nouvelles recettes fiscales que les pouvoirs publics pourront affecter à la réparation, au moins partielle, des dommages causés. Ils peuvent aussi affecter une part de ces recettes à la réduction de la pression fiscale sur d’autres facteurs, notamment le travail, auquel cas l’emploi s’en trouvera stimulé : on parle alors de « double dividende ». la notion de double dividende traduit donc l’idée que la mise en place d’une fiscalité environnementale peut permettre simultanément deux améliorations pour la collectivité : - Le premier dividende réside dans la réduction de la pollution et des dommages qui en découlent, et découle directement de l’effet incitatif de la fiscalité sur les comportements. - Le second dividende est un gain collectif, distinct du bénéfice environnemental, et permis par une utilisation pertinent des recettes budgétaires procurées par cette fiscalité. L’utilisation des recettes de la fiscalité environnementale peut a priori concerner n’importe lequel des objectifs de politique publique : réduction de la dette, financement du système social, soutien à l’innovation, réduction d’autres pressions fiscales… Le cas le plus souvent examiné est celui où ces recettes sont utilisées pour réduire les distorsions (1) introduites par la fiscalité contributive(2), et en particulier celles causées par les prélèvements sociaux qui pèsent sur les revenus du travail. On parle de double dividende « fort » lorsque la réduction de ces distorsions génère un gain collectif qui lui-même excède le coût des dépenses induites par la fiscalité environnementale ; et de double dividende « faible » lorsque cette amélioration ne compense que partiellement les coûts. Les dépenses induites correspondent aux coûts d’équipements ou les dépenses qui vont être engagées pour réduire les pollutions. Dans la mise en œuvre d’une taxe, les pouvoirs publics ont donc une triple tâche : en fixer le niveau, en organiser la collecte, décider de l’affectation du produit collecté. En France, le projet de « taxe carbone » ou « contribution climat énergie », initié par les concertations de 2007 dites du « Grenelle de l’environnement », répondait à cette logique : associée à l’émission de gaz à effet de serre, cette fiscalité devait concerner les particuliers et les entreprises n’étant pas déjà soumises au marché européen de quotas d’émission, le principe adopté étant celui d’une imposition proportionnelle à la consommation d’énergies fossiles. La loi votée a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel puis abandonnée. Illustrations. En Suède, la création de la taxe carbone s’est inscrite, dès 1991, dans le cadre d’une réforme fiscale globale, comprenant la création d’autres taxes environnementales, une baisse significative des impôts sur le revenu et une extension de l’assiette de la TVA. A partir de 2001, un processus de »Green Tax Shift » a consisté à relever progressivement le niveau de la fiscalité environnementale en contrepartie de la baisse des charges sur le travail. Ce processus a résisté aux alternances politiques puisque la nouvelle majorité de centre droit, élue en 2006, a poursuivi cette réorganisation des prélèvements obligatoires. Un nouvel allègement des cotisations patronales est intervenu en 2008, en contrepartie de l’alourdissement de la fiscalité énergétique. Ainsi, la taxe sur les émissions de CO2 a permis de diminuer leurs émissions (premier dividende) et de baisser les cotisations sociales (second dividende). En Finlande, le gouvernement a dans son plan de relance de 2009 choisi de supprimer les cotisations de sécurité sociale à la charge des employeurs, et de compenser le manque à gagner par un relèvement de la fiscalité sur l’énergie de 25% à partir de 2011. (1) […] II y a distorsion fiscale chaque fois que les agents économiques réagissent à des variations des prix relatifs induites par la fiscalité. Les impôts introduisent des « coins» entre les prix avant et après impôt des biens, services, facteurs de production ou activités, et lorsque le montant de ces coins diffère, les prix relatifs varient. Par suite des modifications des prix relatifs, le comportement des agents économiques se trouve modifié de telle manière que les proportions des biens et services imposé varient, ce qui se traduit par une nouvelle affectation des ressources dans l'économie. Certaines de ces « distorsions » induites par l'impôt peuvent être considérées comme souhaitables - c'est le cas, par exemple, lorsque les activités polluantes sont imposées, afin que les entreprises qui les exercent supportent la totalité des coûts sociaux qu'elles occasionnent. Toutefois, pour la plupart d'entre elles, ce n'est pas le cas ; les différences dans l'imposition des facteurs de production peuvent donner lieu a des méthodes de production inefficaces et à un ni9 veau de production plus faible, tandis que l'application de taux d'imposition différents aux biens et services finals affecte les structures de la consommation et réduit d'une manière générale le bien-être. Un certain nombre de types de distorsions fiscales constituent des sources de coûts en termes de bien-être particulièrement importantes. En premier lieu, l'imposition des revenus du travail décourage l'offre de travail, dont le niveau se trouve ainsi réduit parce que le gain après impôt pour le salarié est inférieur au coût pour l'employeur tel qu'il est mesuré à l'aide de la valeur marginale du produit. Ce « coin fiscal » existe que les salaires soient imposés directement ou indirectement au moyen d'un impôt sur la consommation de biens et services (qui a pour effet d'abaisser le salaire réel après impôt) et il est d'autant plus important que le taux marginal d'imposition global des revenus du travail est élevé. L'impôt général sur le revenu provoque un deuxième type de distorsion en introduisant un « coin fiscal » entre les revenus du capital avant et après impôt. L'épargne se trouve ainsi découragée du fait de la discrimination à l’encontre de la consommation future par rapport à la consommation présente, ce qui conduit à une réduction du bien-être social en suscitant un niveau sous-optimal de transferts de ressources, dans le temps, tandis que cette situation tend à faire baisser l'investissement et, par conséquent, le stock de capital détenu par les résidents, ce qui risque de freiner la croissance de la productivité. Bien qu'à long terme le taux de croissance économique dépende du progrès technologique et de l'accroissement de l'offre de travail, on soutient souvent qu'il serait possible, en réduisant les taux d'imposition du capital, d'obtenir pour un temps une croissance plus forte induite par un accroissement de l'investissement […] La réforme fiscale dans les pays de l'OCDE : motifs, contraintes et mise en œuvre. Robert P. Hagernaan. Brian W. Sones et R. Bruce Montador. (2) A l’origine de la fiscalité moderne, on doit se reporter à la déclaration des droits de l’homme d’août 1789, fondement de la constitution de 1791 et à son article 13 : « Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. » La capacité contributive est la capacité estimée d'un contribuable, qui acquitte ses impôts, de financer une partie des dépenses publiques. La capacité contributive a pour objectif de répartir le plus équitablement possible la charge fiscale entre les différents agents économiques, en tenant compte, du niveau de leurs revenus et, également, de la valeur de leur patrimoine. Les marchés de quotas d’émission. Dans un système de permis (quotas) échangeables, c’est la création d’un marché de droits d’émissions qui fait émerger un prix pour les rejets de gaz à effet de serre (GES). L’origine de ce type d’instrument est attribuée à Ronald Coase (1910- ) qui a publié en 1960 The problem of social cost. Pour cet auteur, la redéfinition des droits de propriété privée, notamment par l’institution de « droits d’émission » et la création d’un marché de ces droits, peut se substituer avantageusement à l’établissement d’écotaxes. Le volume total d’émissions autorisées est alors fixé par les pouvoirs publics, qui distribuent ces « quotas d’émission » aux agents émetteurs, selon des modalités – gratuité ou vente aux enchères – qui n’ont aucune incidence sur les incitations. Ces quotas sont ensuite échangeables sur le marché ainsi créé, qui détermine un prix par simple confrontation de l’offre, dont le volume est fixé par les pouvoirs publics, et de la demande, émanant des émetteurs. L’émission polluante comporte donc ainsi un coût privé additionnel pour le producteur. Les marchés de permis échangeables régulent donc les émissions de GES par les quantités et non par les prix comme dans le cas des taxes. Néanmoins, la possibilité d’échanger les permis fait apparaitre un prix : les agents économiques peuvent soit réduire leurs émissions soit acheter des permis à quelqu’un d’autre qui n’en aurait pas besoin ; ceux dont les coûts marginaux de réduction des émissions sont les plus faibles réduiront donc leurs rejets davantage afin de vendre les permis excédentaires aux acteurs ayant des coûts plus élevés. Le marché européen des quotas d’émission en est, à ce jour, le seul exemple. En 2010, l’Union Européenne représentait 80 % des échanges de quotas dans le monde. Les pays de l’Union ont mis en place ce nouveau marché en 2004. Dans un premier temps, de 2005 à 2007, des quotas d’émission ont été accordés gratuitement aux industriels concernés, qui ont eu ensuite la possibilité de les échanger sur ce « marché du 10 carbone ». A partir de 2008 et d’une nouvelle allocation de quotas plus ambitieuse (réduction de 8 % en 2012 par rapport à 1990), il est devenu possible de transférer (procédure de « banking ») ces quotas d’une période à l’autre. De 2013 à 2020, les quotas seront attribués dans l’objectif d’une baisse de 20 % des émissions de gaz à effet de serre et une partie des quotas sera mise aux enchères, le reste continuant d’être distribué gratuitement. Exemple : Une raffinerie reçoit un permis d’émission de 1 million de tonnes de GES, alors qu’elle en rejette actuellement 1,2 million de tonnes. Elle alors le choix entre financer des investissements pour réduire ses émissions ou continuer à émettre les mêmes quantités, auquel cas il faudra acheter sur le marché des permis pour 0,2 million de tonnes. Sa décision va dépendre du coût marginal privé (le coût des 200 000 tonnes supplémentaires) des deux solutions possibles. Si les autres raffineurs ont beaucoup investi dans la réduction de leurs propres émissions, l’offre de permis sera abondante et la demande faible, donc le prix d’achat également. Inversement, si le niveau d’émission des autres raffineries n’a que peu baissé, beaucoup d’entre elles chercheront à acheter des permis, et le prix du permis augmentera, incitant la raffinerie à investir, parce qu’il s’agira désormais d’une solution moins coûteuse pour elle que l’achat de permis. IV. La mise en œuvre de ces instruments et ses difficultés. La mise en œuvre de ces différents instruments se heurte à des difficultés qui, pour certaines sont inhérentes aux instruments eux-mêmes et, pour d’autres, sont liées au caractère particulier des externalités induisant des dérèglements climatiques. A. Des difficultés inhérentes aux instruments eux-mêmes. La réglementation est utile pour les pollutions jugées particulièrement dangereuses pour la santé ou dans le cas d’irréversibilité des dommages. Mais son caractère uniforme pose problème, puisqu’il ne permet pas de tenir compte de la plus ou moins grande difficulté à réduire les émissions. En outre, il est des cas où la réglementation n’est pas adaptée ou devrait, pour être efficace, être complétée par d’autres instruments. Dans le cas par exemple des règles sur les émissions de carbone des véhicules automobiles, les constructeurs respectent les normes en réduisant la consommation de carburant par kilomètre, ce qui réduit également le coût privé d’usage des véhicules, incitant ainsi paradoxalement à parcourir davantage de kilomètres, ce qui contrarie l’objectif de réduction des émissions. Les taxes et marchés de quotas agissent directement et de manière similaire sur les incitations pécu11 niaires des agents émetteurs et permettent de moduler les efforts de réduction de manière économiquement efficace, c’est-à-dire en fonction des coûts qu’engendre cette réduction. Les taxes procurent parallèlement une recette fiscale supplémentaire, de même que les quotas d’émission lorsqu’ils sont vendus, notamment aux enchères. Toutefois, pour que ces instruments atteignent leurs objectifs, le coût supplémentaire qu’ils représentent pour les pollueurs doit être suffisamment élevé. Or, tant la taxe que le marché des quotas d’émission peuvent aboutir à la fixation d’un prix trop faible pour le carbone, insuffisant pour inciter à une réduction assez forte des émissions. C’est notamment le cas du marché européen du carbone, sur lequel le prix a été, presque toujours depuis son lancement, très bas. La quantité totale de permis d’émissions mis sur le marché joue ici un rôle clé puisque le prix résulte de la confrontation de l’offre et la demande. B. Des difficultés liées au caractère particulier des dérèglements climatiques. Le caractère de ressource commune au niveau international du climat ou de l’air implique un niveau de décision supranational problématique. Chaque pays compte sur les autres pour supporter les contraintes associées à ces mesures. En l’absence de gouvernance mondiale légitime, l’établissement de sanctions éventuelles en cas de non respect des règles pose également le problème de leur application. La mise en œuvre même de ces mesures nécessite une comptabilité de l’environnement et de ses dommages (Quel est le coût de la dépollution ? d’une perte de la biodiversité ? de la désertification ?) qui pose des difficultés particulières. Certains redoutent également un « effet rebond » (cf. également cours) suite à leur instauration : les efforts consentis en matière de consommation d’énergie fossile par exemple pourraient entraîner une baisse de leur prix et ainsi une nouvelle hausse de leur consommation. Au XIXème siècle, l’économiste Jevons avait déjà observé que la quantité de charbon consommée en Angleterre augmentait alors même que les machines utilisant le charbon étaient, du fait du progrès technique, de plus en plus économes en matière première. Le « paradoxe de Jevons » ou effet de rebond est donc simple à expliquer : moins les machines (par exemple les voitures) utilisent d’énergie et donc cher à l’usage, et plus les agents économiques sont incités à les utiliser. Ainsi, il ne suffit pas de diminuer par deux la consommation des voitures ; il faut éviter le triplement du nombre de voitures en circulation dans le monde. En outre, lorsqu’elles sont mises en œuvre dans un seul pays – ou un ensemble tel que l’Union européenne -, ces mesures sont susceptibles d’engendrer des problèmes de « fuites de carbone » : elles incitent en effet les industriels les plus émetteurs à délocaliser leur production. C’est ainsi que, si les statistiques montrent que l’émission de gaz à effet de serre dans la production des pays de l’Union est en régression importante ces dernières années, l’examen des mêmes statistiques montre que l’émission de gaz à effet de serre dans la consommation de ces pays se maintient. Se pose dès lors la question de l’instauration d’un « prélèvement carbone » aux frontières de l’Union. 12 Compléments. La recherche d’indicateurs pour mesurer la soutenabilité de la croissance économique et du développement. A. Les insuffisance du PIB. Le PIB est un agrégat de la comptabilité nationale cumulant les valeurs ajoutées des agents économiques résidents (cf. Thème 1 Economie). C’est une mesure de flux et non de stock ou de patrimoine. En outre, il ne prend pas en compte les externalités positives ou négatives associées à la production parce qu’elles sont des coûts ou des recettes non évalués, sans contrepartie monétaire. De même, les richesses naturelles, qui sont un patrimoine, un stock, ne sont pas incluses et les prélèvements sur les ressources naturelles ou historiques (baisse de ces ressources) sont considérés comme des créations de richesses (productions marchandes d’énergies, de matières premières…), tandis que leur dégradation, du fait de la pollution notamment, n’est pas comptabilisée. De plus, le développement, qui regroupe un ensemble de transformations qualitatives, démographiques, économiques, sociales, est mal ou non mesuré par le PIB. Celui-ci est enfin une mesure globale, ne rendant pas compte de l’attribution potentiellement inégale des richesses mesurées. L’IDH présente lui-même des limites qui ont été abordées dans le thème 1 lors de l’étude des sources de la croissance économique ; il n’a de plus pas été conçu pour évaluer la soutenabilité. Le bien-être, notion qualitative qui comporte une dimension subjective, ne peut être quantifié par le biais du PIB. A fortiori, la soutenabilité du développement, qui suppose une projection dans le temps, nécessite l’élaboration d’autres outils de mesure. C. Comment mesurer le bien-être et la soutenabilité ? A la suite de la Banque mondiale, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi propose d’évaluer la soutenabilité du développement à l’aide d’un indicateur patrimonial du stock total de richesse. Mais cette mesure, construite à partir de l’évaluation des stocks de chaque type de capital, sources de développement et de bienêtre, soulève des difficultés. Si la mesure du capital physique peut être considérée comme étant la plus aisée, celle des autres capitaux pose de nombreux problèmes. Ainsi, la mesure du capital naturel, qui peut apparaître comme plus facilement quantifiable que les autres en ce qu’il apporte des services de production, pose pourtant de nombreuses questions. Peut-on, de façon fiable, estimer les ressources disponibles en poissons, en pétrole, en charbon, en bois, etc ? Quid des autres apports, en termes de bien-être, de ces ressources naturelles : est-il possible de chiffrer l’émerveillement associé à la contemplation de la nature ? Qu’apporte réellement la biodiversité ? Le capital humain présente lui aussi de nombreuses difficultés d’évaluation : si l’on peut estimer le coût d’une formation, initiale ou professionnelle, il semble bien plus délicat d’évaluer des compétences, savoir-être ou savoir-faire. Il en va de même du capital social ou du capital institutionnel. L’évaluation de la soutenabilité suppose en outre la projection dans le temps qui suscite aussi de nombreux débats d’experts. Il s’agit d’abord d’évaluer l’évolution des stocks de ces différents capitaux, leur diminution, leur dégradation, puis d’actualiser ce chiffrage. L’actualisation est la technique qui permet de ramener à une même base, des valeurs à des moments différents du temps. Elle repose, rappelons-le, sur deux principes : la préférence pour le présent et l’aversion pour le risque. Autrement dit, un montant certain et présent est préférable à un montant futur et incertain, ce qui conduit à déprécier le futur par rapport au présent. Mais un tel raisonnement est-il applicable lorsque l’avenir considéré est lointain - celui des futures générations – et les incertitudes considérables ? Parmi ces incertitudes à prendre en compte, les besoins des générations futures seront-ils les mêmes que les nôtres ? Leurs modes de production seront-ils aussi énergivores ou aussi polluants ? Quelles seront leurs techniques de production et leurs sources d’énergie ? C’est à ce niveau qu’intervient également la plus ou moins grande substituabilité des différents types de capital. Il est par conséquent complexe d’établir des indicateurs de bien-être et de soutenabilité. C. La complexité de la construction d’indicateurs. 13 William Nordhaus et James Tobin, deux économistes de l’université de Yale, ont en 1973 dans leur article « Is growth Obsolete ? », mené des travaux afin de tester les liens entre l’évolution du PIB et celle du bien-être. Ils ont construit deux indicateurs permettant: une mesure du bien-être économique puis du bienêtre économique durable. Le premier indicateur, qui cherche à évaluer le bien-être à un moment donné, comprend les dépenses de consommation finale des ménages auxquelles sont enlevés certains éléments et ajoutés d’autres, respectivement réputés nuire ou contribuer au bien-être. Par exemple, ils prennent en compte en négatif certains déplacements contraints ou certains achats de biens durables et ajoutent, en positif, une valeur estimée associée au temps de loisirs, aux services rendus par le travail domestique, aux services publics. Le second indicateur, visant à évaluer la soutenabilité, tient compte, en plus, des variations de certains stocks de richesses économiques, naturelles et humaines. Les travaux de William Nordhaus et James Tobin ont débouché sur la construction de trois types d’indicateurs du développement durable : - L’indicateur d’épargne véritable calculé par la Banque Mondiale introduit dans le calcul de l’épargne une mesure de l’effort de constitution du capital humain via les dépenses de formation et une mesure exercée sur les ressources écologiques. - L’indicateur de bien-être économique de Osberg et Sharpe a été mis au point en 1998 pour le Canada, puis calculé pour six pays de l’OCDE en 2000 ; plus centré sur la dimension sociale, cet indicateur introduit néanmoins une dimension écologique dans le calcul du stock de richesse. - L’indicateur de progrès véritable a été crée en 1995 au sein de l’institut de recherche californien Redefining Progress ; calculé chaque année aux Etats-Unis et au Canada, il tente d’intégrer des dimensions et environnementales dans la mesure de la richesse. Plus récemment, de nombreux autres indicateurs comme le PIB vert, l’indicateur de bien-être économique durable (IBED) ont tenté de mieux intégrer l’aspect environnemental ou cherché à appréhender la soutenabilité. Enfin, d’autres indicateurs mettent en avant l’aspect environnemental. On peut souligner notamment l’empreinte écologique qui mesure la surface qui serait nécessaire pour produire la quantité de ressources consommées par un habitant moyen d’un pays donné et pour absorber les rejets de ce même habitant. Elle s’exprime en hectares par habitant. En France, elle était estimée à 4,6 ha en 2008 alors que, en moyenne, chaque habitant de notre planète dispose de 1,8 ha. Il faudrait donc diviser cette empreinte par 2,5 pour que le mode de vie français soit accessible à l’ensemble des humains. Néanmoins, cet indicateur est critiqué en raison de l’importance des conventions nécessaires pour effectuer les calculs. On peut aussi souligner un autre indicateur concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Après avoir synthétisé les nombreux travaux antérieurs sur « la mesure des performances économiques et du progrès social », le rapport « Stiglitz-Sen-Fitoussi » de 2009 pointe la difficulté de se limiter à un seul indicateur, même synthétique. La commission d’experts appelle de ses vœux une distinction nette entre la mesure du bien-être associé au développement et la mesure de sa soutenabilité : la première est datée, elle évalue une situation à une époque donnée ; la seconde est une projection dans le temps, dans les perspectives d’évolution de ce niveau de bien-être. L’usage de plusieurs indicateurs complémentaires (tableau de bord) est donc recommandé. Annexes. Instruments de mesure : la révolution est en marche novembre 12, 2012 La demande pour de nouveaux instruments de mesure du développement durable, et plus particulièrement du bien-être et du bonheur des gens, s’est fortement accrue ces dernières années, plus encore à la suite de Rio+20. Est-ce que les solutions proposées répondent aux attentes suscitées ? Stiglitz a déclaré: “Si les mesures sont défectueuses, les décisions peuvent être inadaptées”. Nous nous devons donc de mesurer les bonnes choses: le bien-être des personnes et les conditions dans lesquelles nous vivons et espérons vivre pour de (très) nombreuses générations à venir. Cela signifie que nous devons mesurer: - le bien-être humain 14 - le bien-être environnemental - le bien-être économique. Les « bien-être » humain et environnemental sont les objectifs à atteindre. Le bien-être économique n’est pas un objectif en soi ; c’est un instrument, au service des « bien-être » humain et environnemental. Le « Sustainable Society Index », SSI (www.ssfindex.com), a été élaboré afin de mesurer la durabilité, ou encore, le bien-être pérenne, durable. Le SSI comprend les trois dimensions du bien-être et est construit autour de 21 indicateurs. Il s’agit d’un outil facile à utiliser et transparent. Il représente un bon équilibre entre les informations nécessaires à des fins politiques et le besoin de donner un message clair à un public large. Les calculs du SSI couvrent 151 pays, ce qui représente près de 99% de la population mondiale. Le SSI est mis à jour tous les deux ans depuis 2006. La prochaine mise à jour est programmée pour le mois de novembre. Le SSI est bien placé pour évaluer le développement des nations vers la durabilité dans son sens le plus global : humain, environnemental et le bien-être économique. » Le rapport final de cet audit sera bientôt publié. À propos de l’auteur: Mr. Geurt van de Kerk ([email protected]) est le président de la « Sustainable Society Foundation ». Après une carrière en conseil en management, il a fondé une maison d’édition en 1997 et est très engagé depuis 2004 dans le développement durable. Il est membre du « European Sustainable Development Network », ESDN, et du « International Society of Ecological Economists », ISEE. http://www.oecdbetterlifeindex.org/fr 15 Les fondements du développement durable. 16