II : L`ironie au service de la dénonciation

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Lecture analytique :
Incipit de Candide, du début jusqu'à « de toute la terre »
Introduction
1) L’auteur
Voltaire est un philosophe des lumières (1694 – 1778) qui a consacré sa vie et son
œuvre à dénoncer les maux de la société et notamment la superstition, la religion, le
fanatisme.
2) L’œuvre : Candide
Candide est un comte philosophique orienté contre la philosophie optimiste de
Leibniz. C’est une démonstration par l’exemple que le monde n’est pas le meilleur
des mondes.
3) Le texte – Situation – Problématique
L’incipit du comte a traditionnellement pour fonction de présenter le contexte, les
personnages et de mettre en route l’histoire. Au début de Candide la situation
semble idyllique. Pourtant on peut noter quelques grincements inquiétants.
Que cherche à faire Voltaire ?
Pour ce décalage entre l’apparence et la réalité ?
La perspective philosophique et critique semble bien présente.
4) Lecture
Lire le texte
5) Annonce du plan
A la question posée concernant […], je vais répondre à l’aide d’un plan en 2-3
parties.
I.
Un incipit traditionnel
Le comte philosophique prend appuie, même si c’est pour les détourner, sur les
invariantes du comte. Un récit romanesque, une réalité difficilement identifiable, un
lieu idyllique et des personnages stéréotypés sont des invariants. Le 1er chapitre de
Candide offre l’image d’un microcosme valorisé.
A. Les éléments traditionnels du comte
La formule initiale « il y avait », variante de « il était une fois » rappelle le début d’un
comte. L’usage récurrent des superlatifs est également un élément traditionnel, avec
« un des plus puissant seigneur » (L.12), « les mœurs les plus douces » (L.3).
Tous ces superlatifs (« les plus douces », « l’esprit le plus simple », « le plus grand »,
« la plus grande baronne ») impliquent un univers de perfection, d’ailleurs associé à
la récurrence des caractérisations (Expansion du groupe nominal : Adj. Proposition
Rel. Complément du nom) valorisantes. Les adjectifs mélioratifs (= laudatif) sont
nombreux comme on le voit avec « puissant » (L.12), « grande » (L.20), « fraîche »
(L.23)…
1
Le château, décor par excellence du comte merveilleux, fait parti de cet incipit.
L’époque n’est pas précisée ce qui éloigne le comte de la réalité, mais cette absence
de temporalité est typique du comte.
Le contexte aristocratique est aussi un élément du comte, où on retrouve l’alliance du
pouvoir et des richesses. Voltaire met en scène une famille noble (le baron, la
baronne et leurs enfants) et leur domesticité (« piqueurs » (L.16), « vicaire »
(L.16)…). Le bonheur autre élément du comte semble régner dans ce paradis
terrestre (« ils riaient » (L.18), l’évocation des ° de bonheur (L.49 à 52)).
B. La présentation des personnages
La sémantisation des personnages est une autre caractéristique du compte avec des
rôles stéréotypés. Les personnages sont présentés successivement dans un ordre
par vraiment protocolaire (l’enfant bâtard évoqué avant tout le monde).
1) Candide
Candide est un « jeune garçon » (L.2). C’est un héros passif (« il fut élevé », « il
écoutait » (L.45), « on le nommait » (L.6) « il fut chassé ») C’est un élève modèle,
docile qui avait « un jugement assez droit » (L.4) donc apte à évoluer. Il y a un
adjectif ambigu, l’esprit le plus simple (L.5), Il est naïf et peut être bête. Il mérite
pleinement son nom (« c’est je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide »
(L.5-6)). Il est présenté comme un élève modèle, docile, il est l’objet mais jamais le
sujet. Il a un jugement assez droit. Ce qui induit une aptitude à évoluer.
Candide est définit par un adjectif assez ambiguë qui évoque l’idiotie : »il est simple
d’esprit ».
Dans un rapport d’analogie entre son corps et son âme, Candide est en complète
adéquation entre ce qu’il est et ce qu’il parait. Sa situation sociale le place en
situation d’infériorité, car c’est un bâtard. Il est bâtard dans un contexte
particulièrement soucieux des valeurs de noblesses. Il y a un mystère autour de lui
car il n’y a que des soupçons chez les domestiques. Tout cela le prédispose à la
soumission d’un point de vue idéologique : « Candide écoutait attentivement » (L.45).
Candide est naïf, ingénu, crédule et cela va le prédisposer sur le plan romanesque à
nous faire voir des choses que les autre ne voit pas. Candide regarde par un regard
extérieur parce qu’il est très naïf. Candide s’apparente à un roman d’apprentissage :
on va suivre l’évolution de Candide parti de rien.
2) Le baron
Sa présentation est à partir de la ligne 12, et insiste sur le pouvoir qu’il détient (« un
des plus puissant seigneur ») et sur ses signes extérieurs de richesse. Il est décrit
uniquement sur sa richesse et ses possessions et non pas sur sa personnalité. C’est
de l’ordre de l’apparence, illusion entretenue par les flatteries de son entourage. La
description est partielle. Le jugement porté sur lui n’est pas libre car c’est ses
domestiques qui rient à ses blagues.
3) La baronne
Elle est décrite par son volume (350 livres), sa considération, son honneur, sa
dignité, et qu’elle est respectable. Une insistance suspecte, accrue par le lien entre
cette considération et son poids.
4) Cunégonde
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Elle est décrite en une phrase. Elle est réduite à un physique, caractérisé par trois
adjectifs, « fraîche, grasse, appétissante ». Elle est aussi désirable que le fruit
défendu, elle va être la cause du renvoi de Candide. Elle représente les tentations de
la sensualité. Il n’y a aucune épaisseur psychologique pour aucun des personnages
sauf Candide.
5) Le fils du baron
Il est décrit en une ligne, juste après Cunégonde. Il est dit qu’il est le double de son
père. Il n’a aucun caractère propre. Il endosse les bons et mauvais cotés de son
père, il sera le digne héritier.
Les personnages sont des stéréotypes et Voltaire ne veut pas s’encombrer avec des
personnages réalistes car c’est un conte philosophique.
6) Pangloss
Pangloss a une signification : Pan = Tout et Gloss : Parole. Pangloss signifie donc
« tout en parole ». Il est le précepteur, présenté en dernier de manière faussement
élogieuse. C’est le seul personnage de cet incipit, qui s’exprime au discours direct,
conformément à son rôle. Il est admiré de tous (« il prouvait admirablement » (L.29)).
Il parle tout le temps et cherche à tout justifier par des discours, c’est le philosophe
de la maison. Ces propos son disqualifié d’avance. Cela se voit par la matière qu’il
enseigne : la métaphysico-thélogo-cosmolo-nigologie. C’est une référence directe à
Leibniz, de réunir une science la philosophie et la foi. Mais cette matière finie par
nigologie, jugement de Voltaire qui qualifie tout de cela d’affaire de nigauds, de
bêtise. Pangloss est dont un faux philosophe au service d’une fausse philosophie.
Conclusion au I.
Ainsi, derrière l’apparence du comte de fées, cet incipit inscrit plutôt l’œuvre dans le
genre du comte philosophique, « des petits morceaux de philosophie allégorique »
Voltaire. L’art du détournement et de la parodie vont nous permettre de saisir la
leçon.
II.
L’ironie au service de la dénonciation
Le conte philosophique tel que l’invente Voltaire se caractérise par sa capacité à
tourner en dérision et à parodier des situations et des modes narratifs traditionnels.
Candide est une remise en cause des traditions, du conformisme, des institutions et
surtout de la manière de raisonner.
Tous les événements vont être soumis au crible de l’esprit critique par le biais de
l’ironie.
L’intervention directe du narrateur à la ligne 5 (« je crois ») est le premier signe qui
invite le lecteur à prendre une distance avec ce qui est dit et à dépasser les
apparences pour les remettre en question.
A. Un faux paradis terrestre
1) Le plus beau des châteaux ?
Le narrateur et le lecteur attentif rétablissent la vérité sur le contexte :
-Le château se trouve en Westphalie, une province allemande particulièrement
reculée et particulièrement pauvre.
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-Le nom du baron (de Thunder-ten-tronckh) est un nom ridicule qui renvois à une
Allemagne caricaturale.
-Le narrateur établit une relation de cause à effet entre la puissance du baron et une
caractéristique de son château : « car son château avait une porte et des fenêtres »
(l 14). Cette relation est fausse, c’est une fausse logique qui ramène la puissance du
baron à sa juste proportion.
Le château est donc très modeste.
2) Le plus puissant des barons ?
-Pangloss dit «nous mangeons du porc toute l’année ».
Cela révèle un mode de vie assez peu raffiné car le porc est un met assez commun.
-Tous les attributs qui marquent la noblesse du lieu sont trompeurs.
Dans la grande salle même, il n’y a qu’une seule tapisserie, ce qui n’a rien de
prestigieux. Chez le baron tout est faux et 3 rapprochements sont établis. Il dit que
les chiens de basse cour sont une meute, que les palefreniers sont ses piqueurs et le
vicaire du village est son grand aumônier. Le baron se sert des chiens de basse cour
pour la meute, c'est-à-dire qu’il n’a pas les moyens d’avoir les 2 sortes ou même la
plus prestigieuse des deux. Le baron se sert de son palefrenier (qui s’occupe des
chevaux) comme un piqueur (qui s’occupe de la meute et de la chasse). Enfin, le
vicaire (adjoint du curé) devient le grand aumônier (grand prêtre) pour le baron. Son
apparence est donc illusoire.
3) La plus haute noblesse ?
C’est une société entièrement dominée par des préjugés nobiliaires grotesques. En
reconstituant la généalogie de Candide, Voltaire règle ses comptes avec ces
préjugés de la noblesse. Il associe de manière contradictoire une négation restrictive
et un grand nombre de quartiers de noblesse (71). On apprend au chapitre 15 que
les Thunder-ten-tronckh ont 72 quartiers de noblesse, donc pour un quartier d’écart,
Candide n’a pas de père. Dans cette phrase qui dénonce les préjugés de la
noblesse, il y a 4 propositions subordonnées, ce qui montre la pesanteur et la vanité
de ces préjugés.
B. Un faux philosophe, une fausse philosophie
L’illusion du cadre est étroitement liée à l’illusion de la pensée et du raisonnement.
Voltaire emploie divers procédés pour disqualifier la pensée de Pangloss. Il dit dans
la même phrase « il prouvait admirablement qu’il n’y a pas d’effet sans cause ». Or,
c’est une évidence et il n’y a rien d’admirable. Pangloss ajoute plus loin « il est
démontré que les choses ne peuvent être autrement », alors que démontrer est
d’habitude employé pour des sujets scientifiques, s’accompagnant d’une
démonstration, qui ne vient pas après ces paroles de Pangloss.
Il y a une contradiction entre les termes qu’il emploie et la suite du contenu.
On remarque également un emploi abusif des liens logiques (comme de la ligne 35 à
42 avec « et » et « aussi »). Cela donne une apparence de logique à des propos
délirants.
La philosophie de Pangloss fonctionne en vase clos. Pour démontrer sa théorie, il
n’utilise que des sujets communs, le concret dévalorise le théorique. Pour lui tout
tourne autour de sa vie de courtisan conservateur et il y a une absence totale de
référence extérieure, culturelle. A la fin de l’extrait, Candide récite la hiérarchie des
4
bonheurs (l 47 à 50), une illustration de ce système fermé de Pangloss. Ce système
fermé fait de Pangloss le plus grand philosophe de toute la terre. Le château est le
meilleur pour cette petite communauté car ils ne connaissent rien d’autre. Pangloss
raisonne de manière incohérente. Il n’y a donc aucune raison de considérer comme
acceptable la conclusion à laquelle il parvient (l.43-44).
Conclusion du II.
L’ironie du passage qui attire l’intention du lecteur et souligne que le monde mis en
scène est un monde d’illusion : l’illusion du pouvoir de la richesse, du rang social et
du raisonnement.
L’illusion vient aussi du point de vue adoptée : Candide ne connaît rien et c’est pour
cela que tout est perçu de manière élogieuse et superlative. (Candide hyper naïf,
Voltaire hyper lucide).
Conclusion Générale
Voltaire = lucide
Candide = Naïf
Voltaire met en place dans le premier chapitre de Candide un monde complètement
fermé fonctionnant sur un système de valeur complètement faux. La parodie du
comte merveilleux permet de dénoncer la noblesse et ses prétentions ainsi que la
philosophie optimiste cible privilégiée du comte. L’argumentation commence, il
conviendra maintenant de faire sortir de ce paradis sclérosant pour le confronter à la
réalité. C’est ce qui lui permettra d’échapper à l’idéologie de l’optimiste béat.
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