Par suite, les prouesses technologiques comme le chemin de fer ou le transistor ne
constituent pas la cause de la croissance. Nos vies sont devenues meilleures parce que
quelque chose a poussé des hommes à chercher des moyens qui l’ont rendue meilleure.
Et ce quelque chose, c’est le marché et les incitations spéciales qu’il crée.
Toutes les opportunités existantes dans la nature demeureraient inexploitées si l’on
n’avait trouvé un moyen de motiver et de coordonner les efforts des hommes. Bardeen,
Brattain et Shockley n’ont pas cherché à rendre la vie des hommes plus plaisante. Ce
qu’ils voulaient, c’étaient obtenir pour leur compte, et celui de leur compagnie, un profit.
Ce faisant, eux et des milliers d’autres ont contribué à améliorer notre qualité de vie.
La clef de l’histoire des microprocesseurs ne se trouve donc pas du côté de la loi de
Moore, ni dans les dons uniques de certains inventeurs. La clef, c’est que les hommes ont
créé le système du marché qui, avec des institutions hybrides comme les Universités et
les laboratoires de recherche, a permis de convertir l’intérêt privé en une puissante force
capable d’améliorer la vie de tous. Cette invention humaine est beaucoup plus importante
que le transistor ou la machine à vapeur, car elle nous a donné ces inventions là et toutes
les autres aussi...
Paul Romer, "Incentives and Innovation" - Outlook, Sept 1998 (trad. par moi).
De là découle le rôle principal du bon Gouvernement. Pour maintenir l'économie nationale
sur le sentier de croissance, il revient à l'Etat de créer les conditions favorables à
l'innovation : en particulier, de bonnes universités pour les chercheurs et un bon
environnement économique pour les entrepreneurs.
Corollaire : pour que le progrès technique suive son cours, le bon Gouvernement doit veiller
à ne pas entraver le processus de destruction créatrice.
Le risque et le gain
Nous n’aurions pu au 20ème siècle augmenter autant notre niveau de vie avec les
techniques et les recettes de jadis. L’extension de l’ancien mode de production aurait tôt
ou tard épuisé le stock des ressources utiles, et les dommages collatéraux (ex. la
pollution) seraient peu à peu devenus insupportables. Pour le coup, les Cassandre qui
pointaient du doigt les limites de la croissance auraient eu raison.
Une croissance durable suppose la mise en œuvre de nouvelles façons d’exploiter des
ressources rares. Il fut un temps où l’on ne savait utiliser l’oxyde de fer que comme
pigment dans l’art rupestre (comme dans les grottes de Lascaux). Plus tard, le silicium ne
servait qu’à la fabrication du verre. Aujourd’hui, nous utilisons l’oxyde de fer pour stocker
des données dans les disques durs de nos ordinateurs et le silicium pour fabriquer des
composants électroniques. Et il existe une infinité de découvertes de ce type,
d’opportunités technologiques, à exploiter. Du fait de ce processus incessant de
découverte, la croissance est virtuellement sans limites.
Mais nous ne tirerons avantage de ces innovations que si nous acceptons de changer nos
modes de vie et nos façons de travailler. De tels changements peuvent être perturbants
(disruptive). Certains travailleurs verront leurs compétences dévaluées, d’autres devront
changer d’emplois, voire de carrières. On demande assez peu de peintres rupestres et de
souffleurs de verre de nos jours, mais la demande est forte en ce qui concerne les artistes
graphistes ou les techniciens dans l’industrie des semi-conducteurs.
Certes, nous pourrions conjurer tout risque en écoutant les néo-Luddites. Nous pourrions
fermer nos frontières, arrêter la course à la productivité, aux fins de préserver les emplois
actuels. Mais le prix que nous devrions payer serait considérable : nous devrions en effet
renoncer à la croissance.
Or, la croissance ne permet pas seulement l’augmentation du niveau de vie, elle contribue
aussi à mettre en valeur le meilleur de la nature humaine. Dans un monde sans