d’étudier la répartition des revenus et de retarder le plus possible cet état inéluctable. Ce
faisant, ils conduisent l’économie à ignorer la question de la croissance pendant
pratiquement un siècle. Marx comprend que la dynamique de l’économie est celle de la
croissance (voir par exemple le Manifeste du parti communiste, véritable ode aux
capacités productives du capitalisme) ; mais il conserve dans le même temps
l’appareillage théorique inadapté de Ricardo et s’enfonce dans une impasse. Dans toute
cette période, les économistes suivent le chemin de la « moindre résistance
mathématique » : les rendements décroissants peuvent être modélisés, les rendements
croissants aboutissent à des résultats invraisemblables. Il faut considérer également que
la croissance est lente à cette époque, et échappe pour l’essentiel aux observateurs.
C’est Marshall qui pose la question des rendements croissants, avec toute sa réflexion
autour des externalités positives, au sein de l’entreprise ou au sein de la branche, qui
permet d’expliquer le regroupement des activités dans certaines zones. Avec Keynes, la
question de la croissance reste ignorée : seule compte la stabilisation du cycle, la
question de la croissance ne se pose que dans un long terme dans lequel nous devrons
gérer l’abondance.
La question de la croissance n’est alors vue que comme une question d’investissement
et d’épargne, de population active, et de demande globale. Jusqu’au modèle de Solow qui
montre que pour la croissance à long terme, ces aspects ne sont pas pertinents. Travail
et capital rencontrent à leur tour la loi des rendements décroissants (mettez un tracteur
dans un champ, la productivité explose : mettez-en un second, la productivité augmente,
mais beaucoup moins, etc). La croissance est expliquée pour l’essentiel par un
« résidu » : le progrès technique. Mais d’où vient celui-ci ? Il est « exogène », c'est-à-
dire qu’il fonctionne comme une « manne céleste ». Les savants font des découvertes,
mais comme la connaissance est un bien non rival, elle est disponible pour tout le
monde, et tous les pays doivent converger. Cela tombe bien : c’est exactement ce que
font les pays développés à la même époque. Le modèle de Solow règle la question :
l’avancement des techniques n’est pas l’affaire des économistes, ne dépend pas de
facteurs économiquement explicables, on ne peut qu’en constater les résultats. Le livre
traite alors des débats des années 50 à 80 et des progrès de la science économique
(équilibre général, Keynésianisme, monétarisme, travaux sur la politique économique,
etc.).
La seconde partie du livre commence alors, consacrée à l’effervescence autour de la
croissance qui se déroule dans les années 80. C’est qu’entretemps, une petite révolution
est survenue : les économistes savent enfin modéliser les rendements croissants.
L’auteur montre le rôle fondamental de la théorie du commerce international, et
d’auteurs comme Krugman ou Stiglitz-Dixit, dans ce processus. Mais toute la seconde
partie du livre tourne autour de Paul Romer, qui en 1980 dans sa thèse veut construire
un modèle de croissance nouveau, qui résolve les limites du modèle de Solow. Le livre
montre alors les conférences, les articles, les impasses, les voies de recherche, des
auteurs qui veulent « endogénéiser » la croissance, c'est-à-dire expliquer les rendements
croissants à l’intérieur du modèle. Un chapitre d’anthologie est consacré par exemple à la
Marshall Lecture de Lucas en 1985, qui devant un auditoire médusé établit les bases d’un
programme de recherche expliquant la croissance par les effets d’agglomération et les
externalités de réseau. Mais le livre décrit surtout la façon dont cette époque a marqué
une véritable révolution scientifique pour les économistes : jamais la question de la
croissance ne sera vue de la même façon. La connaissance, ses effets, et la façon dont
elle est produite, sont aujourd’hui à la base de toute interrogation sur la croissance. Dans
le même temps, les Keynésiens (dont Mankiw) ont cherché à « sauver » le modèle de
Solow en y introduisant la question du capital humain. C’est finalement l’article de Romer
en 1990 qui conclut l’aboutissement de cette seconde partie. Ceux qui veulent
comprendre (en anglais) les idées de Romer peuvent se référer à cet entretien.
Tout cela fait de ce livre, comme son sous-titre l’indique, une histoire de découverte
scientifique ; une histoire fondée sur des savants et leur histoire, histoire qui termine un