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a) Principe numéro zéro de la physique
Enfin, un grand pas sera accompli lorsqu’on commencera à apprendre au lycée le “ principe numéro zéro
de la physique ” de John A Wheeler (un des grands physiciens du 20ème siècle) qu’il énonça ainsi: “ ne
jamais faire de calcul avant d’en connaître le résultat ”
L’idée sous-jacente est la suivante:
- En physique, le risque d’erreur est constant précisément à cause du recours à des formalismes
mathématiques sophistiqués et à des calculs longs et délicats.
- Un bon réflexe consiste à se donner des moyens de contrôle, avant même toute entreprise mathématique,
de façon à prévoir au moins en ordre de grandeur le résultat du calcul entrepris et ainsi évaluer la
plausibilité du résultat obtenu. Plus encore qu’un simple contrôle de qualité (qui pourrait se faire après
coup, une fois le résultat trouvé), ce réflexe doit permettre de tester la pertinence même du processus
théorique utilisé (en clair est-ce que ça vaut vraiment la peine de se lancer dans un complexe et fastidieux
calcul si je n’ai pas à l’avance un minimum de garanties que ce calcul me fournira un résultat
raisonnable?).
Cette physique qualitative (ou physique “ avec les mains ” c’est-à-dire sans équations) peut se révéler
sous différents éclairages: ordre de grandeurs, lois d’échelles, analyse dimensionnelle...
b) Les ordres de grandeur
* Des études ont montré que le cerveau humain ne pouvait se représenter concrètement des valeurs
numériques plus grandes que 1 million (106) ou plus petites qu’un millionième (10-6). Il est évident que
cette fourchette [10-6 - 106] caractérise l’échelle humaine. Au delà de cette gamme numérique, les
valeurs ne nous “ parlent ” plus et sont réduites au vulgaire statut de chiffre dépourvu de signification
concrète.
Par exemple, imaginons qu’à la suite d’une promotion extraordinaire, la masse de tous les constituants
élémentaires de la matière (électrons protons, neutrons...), augmente subitement d’un facteur 1000. Ainsi
les électrons verraient leur masse passer de 10-30 kg (valeur actuelle) à une valeur de 10-27 kg ; de même,
celle d’un nucléon passerait de 10-27 kg à 10-24 kg. Enoncées ainsi, ces modifications brutales ne font
cauchemarder personne... Retranscrites à l’échelle humaine, cela revient à imaginer des individus pesant
tous dans les 100 tonnes ! Ce qui nous interpelle davantage.
* Par nature, le système d’unités international (le fameux système “ SI ”) est bien adapté à nos
expériences journalières et utilise des étalons macroscopiques qui nous sensibilisent: le mètre, le
kilogramme, la seconde et l’Ampère caractérisent précisément notre échelle humaine.
Le mètre représente à peu de chose près la taille de l’Homme; le kilogramme, la masse de nourriture
absorbée en une journée (ou celle que l’on peut soulever sans trop de difficulté); la seconde, la durée entre
deux battements de cœur et l’Ampère, une intensité de courant électrique suffisante pour nous donner la
mort...
* Pour aller plus loin, on peut affirmer que la quasi-totalité de nos journées s’inscrit dans la fourchette
[10-6 - 106] centrée sur des valeurs “ raisonnablement humaines ”.
- Le micron (10-6 m) ou millième de millimètre n’est déjà plus détectable par l’œil humain (l’épaisseur
d’un cheveu moyen atteint plusieurs dizaines de microns). De l’autre côté de la gamme, le millier de
kilomètres (106 m) représente grossièrement la dimension d’un pays, c’est encore la distance maximale
que l’on peut parcourir en une journée avec son automobile. Evidemment l’utilisation d’un avion permet
de parcourir plus de 10 000 km en une seule journée, ce qui nous fait sortir de la gamme évoquée, mais le
recours à cette technologie sophistiquée revêt déjà pour la plupart d’entre nous un caractère exceptionnel;
en d’autres termes, on ne prend pas l’avion tous les jours, tandis que sa voiture si !
- Les plus petits objets observables à l’œil nu (grain de sable, poussière...) ont une masse supérieure au
milligramme (soit 10-6 kg), valeur qui représente, pour l’échelle des masses, la borne inférieures que
nous offre notre expérience quotidienne. De façon similaire, la masse d’une automobile vaut à peu près
une tonne, celle d’un semi-remorque 38 tonnes et 100 tonnes pour la baleine bleue, l’animal le plus lourd