Cela ne fait plus de doute. La conjoncture
européenne s’essouffle depuis quelques
mois, comme en atteste l’affaiblissement
continu de la plupart des indicateurs
économiques avancés de la zone (PMI, IFO,
INSEE etc.). Longtemps privilégié, le scénario
d’une reprise graduelle est désormais sujet à
caution. Cette stagnation économique, dont
on ne sait encore pas si elle est transitoire,
durable, ou, pire, si elle constitue le présage
d’un enchaînement plus structurellement
récessif, ne laisse d’inquiéter. Préoccupation
d’autant plus justifiée que ce sont bien, in
fine, les fondamentaux économiques qui
régissent le directionnel de marché. Pourquoi
donc, dans ces conditions, les indices actions
ne corrigent-ils pas davantage, en prévision
de perspectives bénéficiaires des entreprises
forcément plus incertaines ? Parce qu’au
cours de ces dernières années, le scénario
s’est enrichi d’un nouvel acteur majeur (la
BCE), dont le volontarisme inédit est supposé
compenser une gouvernance politique
défaillante à l’échelle de la zone. Jusqu’à
quand ?
Pour résumer, sans cette présence
aujourd’hui incontournable de la Banque
centrale, les marchés d’actions européens se
positionneraient vraisemblablement un cran
plus bas. Les interrogations qui découlent de
ce credo sont nombreuses : par-delà son
impact psychologique immédiat, cette
posture historiquement accommodante de la
BCE peut-elle durablement entretenir une
tendance haussière en bourse au mépris
d’une réalité économique objectivement
préoccupante ? Autrement dit, pendant
combien de temps ces promesses sont-elles
susceptibles de « porter » les marchés ?
Ensuite, dans quelle mesure, une fois
effectivement mises en place, ces actions
suffiront-elles à relancer durablement une
activité économique aujourd’hui atone ?
Enfin, quand bien même la nature de ces
mesures serait réellement appropriée et
potentiellement efficace dans le processus de
transmission de la politique monétaire à
l’économie réelle, combien de temps cela
prendra-t-il et, dans ce cas, les marchés
auront-ils la patience d’attendre ?
La prégnance de ces questions, et le fait que
nul ne soit vraiment encore en mesure d’y
répondre, explique et résume la nervosité et
les atermoiements actuels des marchés
financiers.
La BCE incarne l’espoir tout comme son
action suscite le doute. L’espoir que ses
mesures portent véritablement leurs
fruits sur un horizon raisonnable ; le doute
qu’elles s’avèrent malgré tout insuffisantes.
On sent que les marchés ont envie d’y croire.
Pour preuve : ils saluent généreusement
chaque intervention de Mario Draghi. Mais
que celui-ci déserte quelques temps
l’actualité financière et le doute resurgit en
même temps que des dégagements
s’opèrent.
Au premier semestre, les gérants misaient à
juste titre sur une poursuite de la progression
d’indices boursiers européens gouvernés par
la perspective d’une amélioration (certes
poussive mais réelle et régulière) de la
conjoncture eurolandaise. Quelque chose a
changé depuis cet été. Il n’est pas incongru
de redouter que l’affaissement désormais
régulier de l’activité en zone euro soit de
nature à remettre en cause le scénario initial
de rattrapage des bourses européennes.
Les marchés d’actions américains,
paradoxalement, suscitent également une
méfiance grandissante à mesure que les
sommets sont atteints et dépassés. Pour le
coup, ce ne sont pas les fondamentaux
économiques qui inquiètent outre-
Atlantique. Ceux-ci sont au beau fixe et
justifient pleinement cette ascension quasi
continue des indices. Parler de bulle est de ce
fait hors de propos. Mais les arbres ne
grimpant pas jusqu’au ciel, les intervenants
se mettent à redouter, par anticipation, que
la machine puisse se gripper. Et tout en ayant
salué en bourse, jour après jour, les résultats
particulièrement enviables de l’économie
américaine, ils refusent pour autant d’ignorer
les facteurs potentiels de déstabilisation qui
la guettent. On citera bien évidemment
l’intervention militaire en Irak (par définition
facteur d’incertitude), mais également et
surtout la normalisation annoncée de la
politique monétaire de la Fed.
Tout à fait entre nous, les marchés n’en font-
ils pas un peu trop avec ça ? Ainsi,
consciente qu’elle a tardé à réagir, dans un
souci louable de laisser le temps à la reprise
en cours de s’installer et de se pérenniser, la
Fed, nous dit-on, pourrait être contrainte de
frapper plus fort pour compenser son retard
« behind the curve ». Or, un changement
trop violent serait facteur de déstabilisation,
à l’instar, toute proportion gardée, de 1994.
Plus sérieusement, qui peut croire une
seconde que la Fed puisse emprunter cette
voie aventureuse ? C’est pourquoi, nous
semble-t-il, la normalisation monétaire
américaine ne constitue pas le risque le plus
sérieux pour les marchés. Tout d’abord, parce
qu’étant annoncée de longue date, sa
survenance n’est plus une surprise pour
personne ; ensuite, parce que si cette
normalisation intervient, c’est que
l’économie américaine, qui tourne désormais
à un rythme auto-entretenu, n’en a
objectivement plus besoin. N’est-ce pas là, en
définitive, la meilleure des nouvelles pour les
marchés d’actions américains ?
Non, très clairement, selon nous, ce n’est pas
l’action de la Fed qui doit le plus inquiéter les
marchés d’actions US. Mais la capacité ou pas
des entreprises à continuer à délivrer à l’infini
des résultats en progression spectaculaire
depuis plusieurs années.
En trompe l’œil, la thématique des banques
centrales aura du mal à masquer plus
longtemps les véritables menaces qui sont
respectivement d’ordre macro et
microéconomique en Europe et aux Etats-
Unis.
Joseph Alfonsi
Une thématique en trompe l’œil
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