ASSEMBLEE GENERALE DU SPH Lyon, 2 octobre 2012 Table ronde : « Pour une révision de la loi du 5 juillet 2011 » Dr Yves Hémery, chargé des questions juridiques au bureau SPH Mme Virginie Valton, vice-présidente de l’Union Syndicale des Magistrats M. André Bitton, président de l’association Cercle de Réflexion et de Proposition d'Actions sur la psychiatrie Intervention de Mme Virginie Valton, vice-présidente de l’Union Syndicale des Magistrats (USM) Faut-il dès à présent réviser la loi du 5 juillet 2011 ? Nous avions travaillé avec le SPH à des propositions communes dans le cadre de l’élaboration de la loi. A l’époque, le constant était qu’indubitablement nous manquaient des moyens, et du temps… Du temps pour préparer la loi ; Du temps pour s’imprégner de la loi, qui, à peine votée, entrait en application, alors que les circulaires n’étaient pas encore sorties ; Du temps pour apprendre à se connaître et travailler ensemble, en évitant que le contrôle du juge, normalement positif pour les droits des patients, ne soit finalement plus traumatisant pour eux. 14 mois plus tard, on pourrait dire la même chose : faute de temps et de moyens, finalement la loi n’est qu’une avancée purement formelle puisque le juge, dans bon nombre de cas, n’est pas mis en mesure d’effectuer un véritable contrôle. Le SPH et bien d’autres revendiquent un contrôle plus en amont, voire même une hospitalisation sous contrainte qui serait décidée par le juge à la 72ème heure. Toutefois, à l’Union Syndicale des Magistrats, le principe de réalité ne nous fait pas suivre le même raisonnement. Nous pensons que, s’il ne faut pas s’empêcher d’imaginer un but à atteindre, à terme, il faut surtout faire en sorte que les avancées déjà obtenues par la loi du 5 juillet 2011 ne restent pas un simple affichage mais qu’elles correspondent bien à un contrôle réel du juge. La seule grande modification que nous revendiquons depuis le début et continuons de demander, c’est la judiciarisation des soins ambulatoires sous contrainte, et la possibilité pour le juge de substituer des soins ambulatoires à une hospitalisation sous contrainte plutôt qu’avoir le choix entre le maintien de la mesure et sa mainlevée pure et simple. Que ce soit par parallélisme avec une mesure pénale telle que le contrôle judiciaire ou une mesure civile comme l’assignation à résidence en matière de droit des étrangers, on perçoit combien il est anormal que le juge n’opère aucun contrôle sur des mesures qui, si elles n’impliquent pas l’enfermement, constituent néanmoins une atteinte à la liberté individuelle. Pour le reste, un certain nombre d’améliorations nous semblent devoir être envisagées, d’autres points méritant par ailleurs une réflexion plus approfondie. Réduire le formalisme Tous (médecins et juristes) s’accordent à dire que le nombre de certificats est trop important ; qu’à moyens constant, ce formalisme empiète finalement sur le temps des soins, et que, du coté des juges, peu importe d’avoir une multitude de certificats, l’essentiel étant d’avoir un certificat utile - Réduire le formalisme réduit le risque de nullités Les collègues constatent que la lourdeur du formalisme et le nombre de certificats médicaux devant être établis conduit de plus en plus à des certificats mal rédigés, avec des erreurs de date liées le plus souvent à des copier-coller, sans doute par lassitude et en raison de la charge de travail. Or, aux yeux de la loi, la forme est aussi importante que le fond, surtout en matière de protection des libertés. Si une nullité est constatée, le juge ne peut fermer les yeux même si la levée de l’hospitalisation peut être dangereuse pour le patient, car c’est la liberté qui doit primer. En l’état, le juge judiciaire ne peut statuer que sur la validité de sa saisine. Les actions en nullité des actes administratifs relèvent encore du juge administratif qui n’est finalement que très peu saisi. Toutefois à compter du 1er janvier 2013, le transfert des contentieux va conduire les avocats à soulever de plus en plus de nullités puisqu’il n’y aura plus besoin de saisir le juge administratif et le juge des libertés et de la détention. Et si le juge constate la nullité, il ne pourra rejeter la demande. Alléger le formalisme permettrait donc d’éviter les erreurs purement formelles et donc les annulations de procédure, le médecin disposant par ailleurs de plus de temps pour circonstancier le certificat. - Réduire le formalisme pour recentrer sur les éléments utiles au juge Le certificat médical trop lapidaire ne permettra en effet pas au juge d’apprécier la situation. Il aura alors deux choix : - ordonner la mainlevée au risque que cela soit préjudiciable au patient, s’il relève véritablement de soins en hospitalisation et contraints ; - confirmer les yeux fermés en se disant que le médecin ne garderait pas le patient sans raison. Si le taux de mainlevées est très faible (un peu plus de 4%), beaucoup de collègues indiquent qu’il leur arrive régulièrement de ne pas s’estimer suffisamment renseignés pour se faire leur propre opinion et donc de faire confiance au médecin, ce qui prive l’intervention du juge de tout intérêt. Certes, la quasi-totalité des mesures sont sans doute justifiées mais qui dit contrôle du juge, dit qu’en cas de confirmation celle-ci doit intervenir en connaissance de cause. Il est aussi essentiel qu’en cas d’appel, notamment pour le contrôle à 15 jours, une actualisation de la situation puisse être faite par le médecin. En effet, entre les 10 jours de délai d’appel et les 12 jours dont dispose la cour opur statuer, la situation du patient a pu grandement évoluer. Les médecins ne pensent pas toujours à actualiser la situation et la cour statue alors sur des certificats obsolètes, rendant sa décision parfois incompréhensible aux parties. Ce qui importe au juge, plus que d’avoir de nombreux certificats, c’est d’avoir un certificat utile, reprenant l’historique de la situation et une description des principaux symptômes en langage compréhensible. Or, l’un des problèmes majeurs du juge c’est le temps qui lui est accordé et les moyens d’investigation dont il dispose. Permettre au juge de procéder à des mesures d’investigation quand il ne s’estime pas suffisamment renseigné En effet dans bien des cas où le juge souhaiterait pouvoir obtenir un autre avis, il est dans l’impossibilité de le faire et ce pour plusieurs raisons : - Impossibilité de trouver un expert dans le département qui ne fasse pas partie de l’hôpital concerné - Lorsque c’est le cas, question du temps dont dispose l’expert, qui ne lui permet pas toujours de répondre dans le délai légal. Le juge se trouve donc bien souvent dans l’impossibilité d’ordonner une expertise là où elle lui serait utile, se contentant de l’ordonner là où elle est juridiquement obligatoire mais pas toujours nécessaire…. Depuis la réforme, des expertises sont ordonnées dans un peu moins de 3% des saisines, en ce compris les expertises obligatoires, et les collègues ont le sentiment d’en ordonner moins souvent qu’avant la loi du 5 juillet 2011. Le lieu et la publicité de l’audience Une autre problématique est celle du lieu où se déroule l’audience et de sa publicité, deux questions qui ne peuvent être tranchées sans un débat préalable. - Concernant la publicité, les avis sont partagés D’un sens elle pourrait nuire au patient, d’un autre sens, elle est une garantie, notamment contre le juge lui-même. Si par exemple on peut craindre que la presse étale le nom et la maladie d’un patient, il est sain aussi qu’elle puisse assister à ce type de débats et relayer d’éventuels dysfonctionnements. La cour européenne des droits de l’homme considère que la publicité des débats est une garantie du procès équitable. Il en est de même du contradictoire qui impose au juge de mettre tous les éléments dans le débat. Or les médecins nous font par exemple remonter qu’il n’est pas bon pour le patient de connaître le nom du tiers à l’origine de la mesure ou d’entendre évoquer ses symptômes et sa pathologie. Toute la difficulté réside donc dans la question : le patient est il un justiciable comme un autre ? Si la réponse est positive, il doit bénéficier de tous ces droits et garanties. - Concernant le lieu de l’audience, il y a la loi, ce qui est souhaitable et ce qui est possible La loi pose le principe que l’audience se déroule au tribunal, sauf s’il existe une salle spécialement aménagée dans l’hôpital, conformément à une décision du conseil constitutionnel en matière de contentieux des étrangers, et ce : 1/ pour permettre au justiciable de faire la différence entre l’administration et l’autorité judiciaire ; 2/ pour assurer la publicité des débats. Si tous s’accordent désormais à dire que bon nombre de juridictions ne sont pas adaptées pour l’accueil des patients atteints de troubles mentaux, et qu’il serait donc souhaitable que ces audiences se déroulent dans une salle aménagée à l’hôpital, les pratiques sont le plus souvent exclusives et marquent bien l’absence d’individualisation : - 75 % (soit 89 TGI) des juridictions tiennent les audiences uniquement au tribunal, ne se déplaçant jamais alors que des cas le nécessitent sans doute, où le patient n’est pas transportable mais peut être entendu (Beauvais, Lille, Laval, Grasse….) et ce même lorsqu’il existe une salle aménagée, en raison de l’impossibilité du juge de se déplacer (Paris, Niort…) - 18 % (22 TGI) ne le font qu’à l’hôpital, mais j’ai en mémoire le témoignage d’un collègue très satisfait du traitement ainsi réservé au patient tout en ajoutant « seul bémol, la salle ne permet pas l’accueil du public »… et donc le respect de la loi…. - Certains tribunaux font tout en visio-conférence (alors que le juge judiciaire n’y est en général pas favorable et que le taux de visio-conférence au plan national est très réduit), le transport n’étant possible ni pour les uns ni pour les autres (Tarbes, Meaux…..) - D’autres enfin n’assurent ni transport du juge et du greffier, ni transfert des patients, ni visio-conférence, soit par position de principe, soit tout simplement parce qu’il n’existe toujours pas de communication sécurisée entre l’hôpital et la juridiction (Nevers, Montluçon…) ; parmi ces juridictions, certaines n’examinent donc la mesure qu’en l’absence du patient. Toutes ces situations sont des contournements purs et simples de la loi. L’automatisme n’est pas de mise et l’effectivité du contrôle du juge en pâtit donc. Cela conduit en outre à des inégalités suivant le lieu de l’hospitalisation, entre ceux qui auront accès au juge, là encore de manière très variable, la durée moyenne des audiences pouvant varier de 4 minutes à 2h, et ceux qui ne verront jamais le juge, ni d’ailleurs l’avocat. Ces situations de blocage ont des causes diverses mais au-delà de la seule absence de salle aménagée, c’est véritablement la question des moyens : moyens pour l’hôpital, moyens pour la justice Pour l’hôpital, je ne vais pas vous faire de description de ce que vous connaissez mieux que moi Pour les juridictions, et c’est là qu’on en arrive à ce qui est possible de faire, l’étude d’impact, a minima, suggérait la création, d’environ 80 postes de magistrats et autant de fonctionnaires. 2012 a vu la création officielle de 8 postes supplémentaires de magistrats, bien qu’il ne s’agisse que de simples redéploiements à effectifs constants. Je ne citerai que quelques exemples assez parlants : - Tarbes / Lannemezan : Lors de l’entrée en vigueur de la loi, la juridiction comptait 15 postes de magistrats du siège dont un poste vacant. Elle fait face à une cinquantaine de saisines par mois (50 h de magistrat et 62h30 de greffier suivant l’estimation de l’étude d’impact). Pour permettre l’application du texte, la juridiction a dû supprimer une audience civile par mois et ne fonctionner qu’en visio-conférence, le JLD, également de permanence pénale, ne pouvant s’éloigner de la juridiction. Forte du respect des délais et des bonnes statistiques fournies par la juridiction, la chancellerie a fait choix, en 2012, de supprimer un poste de magistrat…. - Beauvais / Clermont : Lors de l’entrée en vigueur de la loi, le TGI comptait 20 magistrats du siège dont un poste vacant pour une moyenne de 68 saisines par mois (68 h de magistrat et 85 h de greffier). Pour les mêmes raisons de permanences pénales concomitantes, de sous effectifs empêchant de prévoir un JLD dédié, mais également parce que le seul véhicule de service venait d’être déclaré épave sans que le budget de la juridiction permette son remplacement, les audiences se sont donc prises au TGI. Un an plus tard, a été créé un poste supplémentaire à Beauvais, par redistribution des effectifs, la juridiction voisine de Senlis perdant un juge. Toutefois, la charge de ce contentieux nouveau ayant été tant bien que mal absorbée pendant une année par la juridiction, on oublie que ce nouveau poste fait face à une augmentation des charges et lorsqu’une magistrate de Beauvais est partie en congé maternité, il n’a pas été possible d’obtenir l’affectation d’un juge placé (sorte d’intérimaire de la justice) envoyé en priorité dans les autres juridictions du ressort. - Colmar / Rouffach 24 magistrats au siège au 1er aout 2011 pour 48 dossiers par mois. Quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi, on a supprimé un poste de juge, même si on a créé un nouveau poste de fonctionnaire. - Niort : Deux établissements sur le ressort, dont l’un situé à 1 heure de route (Thouars). La collègue a bien conscience que les conditions d’accueil au TGI ne sont pas adaptées aux patients et qu’il est chronophage, voire dangereux, d’assurer le transport des patients sur de telles distances ; elle ne peut toutefois assurer les audiences à l’hopital, ayant tout à la fois en charge la permanence JLD civile et pénale, et ses fonctions de juge d’application des peines qui impliquent également audiences et gestion de nombreuses urgences. Dans ce contexte il est pour nous clairement incompréhensible que les députés Blisko et Lefrand, dans leur bilan d’application de la loi aient pu relever que dans bien des cas l’avocat n’est pas défrayé et qu’en raison de l’absence de permanence dédiée, l’avocat est de permanence au pénal et pour les soins sans consentement et ne peut donc s’absenter du tribunal (page 51 du rapport), sans tirer la même conclusion pour le juge, affirmant même qu’il faut obliger le juge à prendre les audiences à l’établissement. C’est oublier aussi qu’au-delà des inégalités de traitement entre les patients, se sont créées des inégalités de traitement entre les justiciables, puisque, pour absorber ce nouveau contentieux avec des délais contraints, bon nombre de juridictions ont dû supprimer des audiences dans d’autres domaines, notamment au civil et aux affaires familiales, et imposer des délais plus longs de traitement aux autres justiciables. L’USM avait pourtant proposé la départementalisation pour permettre la localisation et l’affectation réelle d’effectifs suffisants pour faire face à cette réforme, et permettre en outre une spécialisation et une meilleure disponibilité des collègues, alors qu’il est forcément difficile de traduire, dans la répartition des effectifs, une augmentation de 0.20 ou 0.30 ETPT. L’intervention de l’avocat Hormis quelques trop rares barreaux, en général les plus gros, qui ont pu mettre en place une permanence dédiée et spécialisée, force est de constater que l’avocat n’a pas la place qui lui convient dans une procédure contradictoire : - Si au plan national, le taux d’intervention de l’avocat est relativement élevé, on s’aperçoit qu’il est moindre dans les DOM TOM, et qu’il atteint 50% des cas comme sur l’ensemble du ressort de la cour de Montpellier ; - Le fonctionnement des permanences et le court délai de convocation ne permet pas toujours à l’avocat de prendre connaissance du dossier de son client avant l’audience, ni de s’entretenir suffisamment avec lui (absence de salle d’entretien, absence de temps notamment lorsque l’avocat est en même temps de permanence pénale) - Surtout, dans bien des cas, que ce soit lorsque l’audience se fait en visio conférence avec l’avocat au palais, ou que l’audience se tient sans le patient, l’avocat n’a pas de contact préalable avec lui ce qui revient à nier son rôle. Il y a d’ailleurs fort à parier que pour justifier leur intervention, dès janvier 2013, bon nombre d’avocats se cantonneront à soulever des nullités de procédure. Conclusion Les questions de moyens ne devraient pas avoir à entrer en ligne de compte, mais l’institution judiciaire est tellement exsangue que ces questions deviennent cruciales. Si en l’état très peu de dysfonctionnements sont relevés, du moins en apparence et dans une logique purement statistique, la loi n’est en fait pas appliquée dans toutes ses dispositions. Le gouvernement précédent a semblé considérer que puisqu’il n’y avait pas eu d’incident majeur, que les délais avaient été respectés, et la réforme absorbée tant bien que mal par les professionnels, il n’était pas nécessaire d’accorder les moyens qui avaient pourtant été estimés indispensables dans le cadre de l’étude d’impact. Avant de faire évoluer la loi vers un contrôle renforcé, il nous apparait donc primordial de faire en sorte que la loi actuelle puisse s’appliquer dans toutes ses dimensions et que le contrôle du juge soit réel. A défaut, tout en ayant pu faire inscrire dans la loi des principes qui ne peuvent que satisfaire sur le plan des idées, nous n’arriverions qu’à une perte de droits pour le patient, soit que le juge entérine toutes les mesures, rendant de fait son intervention inutile, soit qu’il prononce la mainlevée faute de pouvoir exercer son contrôle au détriment parfois du patient. Une avancée dans les textes, se traduirait par une régression certaine dans la pratique.