Garantie de la liberté individuelle et application de la loi du 5 Juillet

Garantie de la liberté individuelle et application de la loi du 5
Juillet 2011 : Le rôle majeur du juge
L’article 66 de la Constitution de 1958 confie à l’autorité judiciaire la mission
de gardienne de la liberté individuelle.
Dans son avis du 26 novembre 2010, rendu sur une question prioritaire de
constitutionnalité posée par une patiente hospitalisée sous contrainte à la
demande d’un tiers, le Conseil Constitutionnel a considéré que le maintien au
delà de quinze jours d'une telle mesure, fondé sur la base d'un simple certificat
médical méconnaissait les termes de l’article 66 de la Constitution et ont
déclaré inconstitutionnel l’article 337 du Code de la Santé Publique.
Ils ont ordonné au législateur d’adopter avant le premier août 2011 les
dispositions nécessaires à la mise en conformité du Droit Positif avec la
Constitution.
C'est pourquoi la loi du 5 juillet 2011 a institué le contrôle systématique par le
juge de toutes les hospitalisations sous contrainte et en a fixé les modalités en
insérant notamment les articles L3211-12-1 à L3211-12-6 au Code de la santé
Publique.
Le principe constitutionnel selon lequel juge est le garant de la liberté
individuelle a constitué le fondement de l’adaptation du Droit positif au sein de
la loi du 5 juillet 2011 (1). Il devra en orienter également, de même que celui
de respect de la dignité des personnes, la mise en application par le juge qui se
voit ainsi attribuer un rôle majeur(II).
I La garantie de la liberté individuelle comme fondement de l’adaptation du
Droit :
Dans son avis du 26 novembre 2010, le Conseil Constitutionnel énonce que
l’hospitalisation sans le consentement d’une personne atteinte de troubles
mentaux doit respecter le principe de l’article 66 de la Constitution et rappelle
que « la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit
nécessaire, qu'il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre d’une part
la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la
prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire la sauvegarde des droits et
principes de valeur constitutionnelle et d’autre part l’exercice des libertés
constitutionnellement garanties ; qu' au nombre de celles-ci figure la liberté
individuelle dont l’article 66 de la Constitution confie la protection à l’autori
judiciaire ; que les atteintes portées à l’exercice de ces libertés doivent être
adaptées, nécessaires et proportionnées » aux objectifs poursuivis.
Cette décision rendue conformément à sa jurisprudence antérieure ( DC 21
février 2008) et recentrant la liberté individuelle comme principe
constitutionnel fondamental est intervenue à un moment où cette dernière ne
semble pas être au coeur des préoccupations sociales et politiques.
A) La décision du Conseil Constitutionnel s’est imposée au législateur :
Une loi était précisément en cours d’élaboration sur les soins psychiatriques
sans consentement. Son contenu visait d’autres objectifs que ceux dictés par
le Conseil Constitutionnel et consistait plutôt en une restriction de la liberté
des malades mentaux, instaurant notamment les soins ambulatoires sous
contrainte et durcissant les règles applicables aux patients hospitalisés suite à
une décision du représentant de l’Etat ou de l'autorité judiciaire.
Le législateur, sommé de mettre la loi en conformité à la Constitution avant
le premier aout 2011 aurait pu élaborer uniquement les dispositions
strictement nécessaires à celle-ci, aucune exigence constitutionnelle
n’imposant le vote d’une loi réorganisant la totalité des soins psychiatriques.
C’est pourtant cette seconde option qu’il a retenue. Une loi « relative aux
droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques
et aux modalités de leur prise en charge » issue de rapides débats et
suscitant de vives contestations a été adoptée par le Parlement le 5 juillet
2011.
B) La décision du Conseil Constitutionnel a replacé le juge au cœur de ses
missions telles que constitutionnellement définies :
La liberté constitue légalement un principe fondamental , en droit Pénal comme
en Droit Civil.
Toute mesure pénale restrictive de celle-ci doit être exceptionnelle et doit
répondre à des objectifs strictement définis ( article 144 du CPP).
L’évolution législative récente tend cependant à une répression plus sévère des
infractions et à une aggravation des sanctions, en particulier par l'instauration
des peines qualifiées de « planchers »..
En Droit Civil, la liberté des personnes atteintes de troubles mentaux doit être
préservée le plus possible. Les mesures « de protection » ne peuvent être
ordonnées par le juge qu'en cas de stricte nécessité. Elles doivent être
proportionnées et individualisées en fonction du degré d'altération des facultés
personnelles de l'intéressé ( article 428 du Code Civil).
Par ailleurs, dès 1838, la loi a toujours désigné le juge comme « protecteur »
des malades mentaux.
Garantie de la liberté et protection des malades mentaux demeurent donc des
exigences constantes reconnues par la loi, même si celle-ci évolue.
Il apparaît que ces deux notions sont aussi bien souvent juridiquement liées.
Le sont-elles tout autant dans l'imaginaire collectif?
La société actuelle ne perçoit-elle pas souvent aujourd’hui les personnes
atteintes de telles troubles comme des êtres susceptibles d’être dangereux, en
particulier au sein de la population française? L'Organisation Mondiale de la
Santé constate notamment que la France est le seul pays où le mot « fou » est
associé à celui de « danger ». Pourtant, 95% des crimes sont commis par des
personnes ne présentant pas de trouble mental et les patients psychiatriques sont
douze fois plus souvent victimes de crimes que la population générale ( cf
Rapport de la Commission « Violence et Santé »).
L’importance médiatique donnée à certains faits divers a conduit aussi à un
traitement plus sévère des personnes qui ont commis des faits répréhensibles
pénalement mais dont les facultés sont totalement ou partiellement abolies. La
main-levée d’une hospitalisation sous contrainte prononcée suite à une
déclaration d’irresponsabilité pénale ne peut en particulier avoir lieu que si deux
experts rendent un avis conforme en ce sens.
Une personne reconnue responsable peut-être par exemple condamnée à une
peine de six mois d’emprisonnement pour des violences. Si elle est déclarée
irresponsable et hospitalisée sous contrainte, elle l’est pour une période
indéterminée qui peut durer de nombreux mois. Existe une certitude de la peine
pour le condamné. N’existe aucune certitude de la contrainte pour celui atteint
de troubles mentaux et qui ne peut être déclaré responsable de ses actes.
A l’encontre de tous ceux considérés comme responsables mais pour lesquels
une pathologie psychiatrique est néanmoins révélée, une intense pression
sociale, une peur exprimée si fort par nos concitoyens, n’inciteraient -elle pas
enfin insidieusement à une plus lourde répression pénale?
La décision du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010 se situe à contre
courant de cette évolution. Elle renvoie aux fondements de notre République.
La liberté est le premier terme du triptyque gravé sur le fronton de nos écoles.
La loi du 5 juillet 2011 prévoit deux moments de contrôle des hospitalisations
complètes prononcées sans le consentement des patients : à l’issue d’un délai de
quinze jours puis, le cas échéant, à l’issue de chaque période de six mois. Elle a
confié expressément ce rôle au juge des libertés et de la détention. En cas de
saisine tardive de ce dernier ou en cas d’absence de décision de sa part dans les
délais légaux, la main-levée de la mesure est acquise.
Cette loi d’adaptation du Droit positif à la Constitution n’a à ce jour été
accompagnée d’aucun moyen supplémentaire pour les juridictions.
Les décisions pouvant être rendues sur son fondement pourraient avoisiner le
chiffre annuel de 70000 sur l’ensemble du territoire.
Pour le TGI de Pontoise, 100 décisions ont été rendues lors du mois d'Août
2011. Cela peut permettre d’évaluer à 1200 environ le nombre de décisions qui
pourront être prononcées par le JLD de cette juridiction en une année.
C) La loi du 5 juillet 2011 instaurant le contrôle automatique du JLD de toute
mesure d’hospitalisation complète et sous contrainte a interpellé les
soignants :
Si garantir la liberté individuelle est une des missions du juge, la mission
principale des psychiatres et des personnels hospitaliers est le soin du patient .
La référence de tout médecin est la santé. La liberté n’est pas pour celui-ci un
point de repère très marqué. Si tout patient doit en principe consentir aux soins,
une exception existe précisément dans la prise en charge des personnes atteintes
de troubles mentaux dont le consentement peut être rendu impossible par ces
derniers. Des soins psychiatriques sous contrainte peuvent alors ordonnés. Une
hospitalisation complète ou un programme de soins sont décidés.
Dans la relation clinique,un « colloque singulier » prend corps entre le médecin
et son patient.
Comment l’intervention du juge est-t-elle perçue ?
Comme une intrusion perturbant ce lien thérapeutique ?
Comme un regard extérieur, censeur ou même persécuteur ?
Ou simplement comme une garantie constitutionnellement et légitimement dûe
à chaque citoyen dont la liberté est restreinte ?
Les avis sont très différents selon les soignants.
Il paraît nécessaire de pouvoir discuter entre praticiens sur l’ensemble des
questions posées par le contrôle automatique du juge de toutes les
hospitalisations sous contrainte.
Après chaque audience, excepté dans un établissement où aucun médecin ne
s’est manifesté depuis l’entrée en vigueur de cette procédure, un échange
parfois rapide, quelquefois vif mais toujours fructueux, a lieu.
D) Le contrôle du juge : Promesse d’une garantie de la liberté et
reconnaissance d'un statut de « sujet de droit » pour chaque du patient?
Il n’est nullement question pour le juge d’intervenir dans la démarche de soins.
Il n’en a aucune compétence. Il n’en a aucun pouvoir.
En revanche, on ne peut nier que l’hospitalisation sous contrainte appelée
autrefois internement n'a peut-être pas toujours été prononcée comme un
« ultime recours » ? A-t-elle toujours été contrôlée strictement dans le temps ?
Comment oublier que pendant des siècles, on enfermait pour faire taire et non
pour soigner ? Comment passer sous silence les internements aux durées
illimitées ? Camille Claudel n’a t-elle pas été enfermée pendant trente neuf ans ?
Des questions similaires peuvent se poser avec la même acuité s’agissant de
l’incarcération, de la détention arbitraire….
La procédure pénale a évolué : les juges ont l’obligation de motiver leurs
décisions, des recours sur celles-ci peuvent être formés, les délais de détention
provisoire sont limités, les peines doivent être strictement prévues par la loi,
elles peuvent être aménagées…
La psychiatrie a elle aussi beaucoup progressé. Les hospitalisations complètes
sont moins nombreuses, de plus courte durée. Les soins en secteur se sont
multipliés. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans les villes ou
départements où ceux-ci sont bien organisés le nombre d’hospitalisations
diminue. Le soin « dans la communauté » est préconisé dans les instances
comme l’Organisation Mondiale de la Santé.
N’empêche, le « cachot » comme « l’asile » occupent une partie de la mémoire
collective des juges et des psychiatres.
Magistrats et médecins ont ainsi un devoir commun de vigilance, un impératif
de respect de la dignité de chacune des personnes qui leur sont présentées dans
l’exercice respectif de leurs missions.
Dans une autre décision, le Conseil Constitutionnel ( DC 18 novembre 2008)
avait rappelé très précisément que « la sauvegarde de la dignité de la personne
contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre des droits
inaliénables et sacrés de tout être humain et constitue un principe à valeur
constitutionnelle . »
Nous pensons que le respect de la dignité de chaque patient peut résider en
partie dans la reconnaissance de son statut de citoyen.
Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on n’est pas citoyen.
C’est au vu de l’ensemble de ces objectifs que l’application de la loi du 5 juillet
doit être à notre avis envisagée par le juge.
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