MODULE
ALCOOLOGIE
Présenté par: Sergio MARTINS
Capacité en Addictologie Clinique (Paris V)
L’alcool est une molécule “subtile” selon son étymologie. Si elle est d’une structure
chimique très simple, ses effets sur l’organisme sont multiples, complexes et ubiquitaires.
Psychotrope utilisé en autothérapie depuis des millénaires, son aptitude à provoquer une
dépendance et son statut de ritable drogue toxicomanogène licite n’ont été vraiment reconnus
que récemment. Dans les pays occidentaux, elle est pourtant incontestablement la cause de l’une
des dépendances les plus courantes avec la dépendance tabagique. Si on se place d’un point de
vue purement physiologique, c’est une substance complexe dans ses effets biologiques sur
l’individu et les termes d’alcoolique et d’alcoolisme couramment employés restent très impcis
quant à leur réelle signification et recouvrent des réalités très diverses. Abus d’alcool, usage
nocif, consommation problématique et alcoolodépendance représentent un groupe rogène de
conduites. Si on peut évaluer en France à plus de 10% de la population, soit 7 millions (dont 70%
d’hommes), le nombre des consommateurs à risque, seulement un tiers environ, soit près de 2
millions, va rencontrer véritablement des problèmes de dépendance.
DÉFINITIONS
Addiction: Du latin “addictus” (être collé à / s’adonner à une pratique / s’attacher à un
comportement). Terme juridique français du moyen âge par lequel les tribunaux statuaient une
“contrainte juridique par le travail physique du fait de l’impossibilité d’honorer une dette
contractée par ailleurs”. Cette dette pouvait être transmise d’une génération à l’autre.
Usage: Les usagers occasionnels (“expérimentateurs”) sont des sujets qui utilisent une substance
psychoactive à des fins récréatives ou festives. Ils maintiennent une vie sociale, et l’usage est
caractérisé par une consommation n’entraînant ni complication ni dommage.
Abus ou usage nocif pour la santé: Mode de consommation inadéquat mis en évidence par des
conséquences indésirables sur le plan physique, psychique et social. Des épisodes d’abus ou
d’utilisation nocive pour la santé peuvent se produire sur des périodes prolongées sans jamais
évoluer vers la dépendance.
Dépendance: Selon l’OMS, il s’agit d’un “état psychique et quelquefois également physique qui
résulte de l’interaction entre un organisme vivant et un produit et qui se caractérise par des
réactions qui comprennent toujours une pulsion à prendre le produit de façon continue ou
périodique pour retrouver les effets psychiques et/ou quelquefois éviter le malaise de la privation.
Cet état peut ou non s’accompagner de tolérance. Un même individu peut être dépendant de
plusieurs produits”.
Tolérance: Processus d’adaptation d’un organisme à une substance, par des mécanismes
moléculaires, cellulaires et comportementaux, qui se traduit par l’affaiblissement progressif des
effets du produit et entraîne la nécessité d’augmenter la dose et/ou la fréquence d’utilisation pour
obtenir les mêmes effets.
Syndrome de sevrage (manque): Syndrome clinique plus ou moins caractéristique selon le
produit, déterminé par l’arrêt ou par la réduction des quantis d’une substance psychoactive prise
de façon continue et prolongée. Plus la substance induit une tolérance, plus le syndrome de
sevrage est prononcé.
NEUROPSYCHOBIOLOGIE DE LA DÉPENDANCE
Une substance neurotoxique à potentialité addictive comme l’alcool, n’est pas
toxicomanogène pour tout le monde. Après une première rencontre avec ce produit, certains
sujets souhaitent plus ou moins compulsivement renouveler l’expérience, d’autres non. Cela
suggère que l’organisme se trouve, pour ces deux catégories de sujets, dans deux états différents.
Il est important de comprendre cet état de prédisposition momentanée ou durable. L’alcool ayant
frayé au sein de l’organisme ses voies d’action pharmacologiques, le cerveau s’étant organisé
en raison de la pression environnementale régulière qu’est la molécule, alors la compréhension
du phénomène s’oriente vers l’étude de cet état cérébral, plus précisément des mécanismes de la
dépendance (et de la tolérance). L’état cérébral s’intègre dans des circuits complexes dans
lesquels les stimulus de l’environnement, les conditionnements et aussi les rétroactions du
comportement sur le cerveau interviennent puissamment. Un alcoolodépendant “sevré” pourra
subir un syndrome de sevrage alors qu’il se trouve dans l’environnement ou en contact avec les
stimulus qui étaient liés aux rituels de la prise de boisson; de même le syndrome est bien plus
sévère chez les animaux qui s’autoadministrent une drogue volontairement, que chez ceux qui la
reçoivent passivement avec des contingences (rythme et dose) rigoureusement identiques.
Si l’on admet que tout comportement est contrôlé par ses conséquences, l’alcool (ses
effets), en renforçant la ponse qui permet de l’obtenir, a des propriétés renforçantes. Pour
résumer, trois systèmes de neurones seraient impliqués: DA (dopamine), GABA (acide gamma-
amino butyrique), opioïdes. Des données impliquant les systèmes dopaminergique et opioïdes, de
façon indirecte par l’intermédiaire des récepteurs GABA (sédatifs) occupés par l’alcool,
rapportent le rôle central à la fois du Noyau Accumbens et de l’Aire Tegmentale Ventrale (ATV)
sont localisés les corps cellulaires des neurones à dopamine mésocorticolimbiques. Tout cela
semble nous orienter, en ce qui concerne les effets renforçants, vers une voie finale commune,
l’ensemble des structures modulées par les neurones dopaminergiques et opioïdes , car ils
occupent une place privilégiée au sein du système nerveux central et sont impliqués dans le
contrôle des conduites affectives et des émotions, dont le plaisir. On le nomme “circuit de
récompense”. La convergence de l’effet des différents produits addictifs sur les neurones
dopaminergiques explique les sensations agréables éprouvées lors de la prise d’alcool (ou
d’autres substances) et permet de comprendre pourquoi la personne dépendante peut passer sans
difficulté d’un produit à l’autre.
Le terme de dépendance physique caractérise l’état pour lequel l’utilisation de l’alcool
est indispensable au maintient de fonctions physiologiques normales. Cette pendance appart à
l’occasion de l’interruption de la prise chronique et se caractérise par un syndrome de sevrage ou
d’abstinence, consistant en des nombreuses perturbations physiopathologiques néralement
qualitativement opposées aux effets de l’alcool. L’exposition prolongée et répétée à l’alcool (qui
induit une diminution de l’occupation des cepteurs NMDA (excitateurs) entraîne un mécanisme
de compensation qui abouti à une augmentation de l’excitabilité de ces neurones. Cette
hyperexcitabilité est en fait révélée lors du sevrage, en raison de l’interruption brutale de l’action
de l’alcool sur les récepteurs. Cette augmentation soudaine de la quantité de NMDA agissant sur
des récepteurs hypersensibilisés explique les manifestations comportementales: instabilité
psychomotrice, excitation, irritabilité et agressivité, oscillations rapides des sentiments et de
l’humeur. Ces sensations extrêmement désagréables (voire douloureuses) constituent un élément
majeur dans le comportement de recherche d’alcool en vue de rétablir un équilibre perdu par
l’arrêt brutal de la consommation du produit.
CLINIQUE DES CONDUITES D’ALCOOLISATION
En soulignant l’étymologie du terme, J. Bergeret avait proposé un emploi particulier du
mot “addiction”: dérivé du latin addictus, il désignait la contrainte par corps. Cet auteur proposait
de l’employer dans le cadre d’un abord psychanalytique, la dépendance corporelle aurait pour
le sujet valeur de tentative inconsciente de régler une dette. La clef de la dépendance serait à
chercher dans la source de ce sentiment de dette, à travers le vécu du sujet: “il s’agit de
considérer à la suite de quelles carences affectives le sujet dépendant est amené à payer par son
corps les engagements non tenus et contractés par ailleurs”.
Selon Pedinielli, ce terme “doit être compris comme une notion descriptive qui signe le
champ des conduites caractérisées par des actes répétés dans lesquels prédomine la dépendance à
une situation ou à un objet matériel, qui est rechercet consommé avec avidité”. Le champ
d’application des addictions s’avère particulièrement large et même ouvert: alcoolisme,
toxicomanie, pendance médicamenteuse, anorexie mentale, boulimie, conduites d’achats
pathologiques, dépendance sexuelle et affective, jeu pathologique, tabagisme, tentative de suicide
à répétition, dépendance au travail, dépendance idéologique, etc.
Théorisation psychanalytique
La brève passion de Freud pour la cocaïne, ses publications sur ce “médicament” qu’il présenta
de façon dithyrambique, son tabagisme chronique ne conduisirent pas le fondateur de la
psychanalyse à mener une étude systématisée sur la psychopathologie des personnes en difficulté
avec l’alcool. Freud a cependant mis en évidence l’intensification constitutionnelle de l’érotisme
oral chez les alcoolodépendants. Selon Rado, une forme particulière de dépression se trouve à
l’origine des oscillations d’humeur en rapport avec la prise d’alcool. Glover, Fenichel et
Rosenfeld élaboreront à leur tour des théories décrivant la polyvalence fonctionnelle de l’objet
alcool. La dimension dépressive se traduit par un sentiment de vide, une absence de pensée, un
manque de défense contre les affects. L’alcool procure souvent, en maintenant magiquement
l’auto-érotisme, une période d’euphorie de courte durée. La dépendance représenterait une
tentative de défense et de régulation contre les déficiences et les failles narcissiques du sujet.
Théorie de Stenton Peele
L’expérience analgésique(comprise comme la suppression des douleurs à la fois physiques et
psychiques) occupe ici une place centrale. L’auteur constate que toute substance qui remplit un
rôle d’analgésique est susceptible d’entraîner une dépendance. C’est le soulagement de la
souffrance qui conduit le sujet à répéter l’expérience, puisque sous l’influence du produit
analgésique, il se désintéresse des sources de son angoisse. L’analgésie peut être obtenue par le
recours à des séquences comportementales, des conduites aux conséquences connues et
prévisibles, et non seulement par le recours à des produits exogènes. L’auteur accorde une
importance essentielle au facteur contexte: il cite les diverses modalités de consommation dans
de diverses civilisations et attire l’attention sur le fait que les individus réagissent différemment
selon l’ambiance. La singulière combinaison qui caractérise l’addiction se compose à la fois
d’éléments relevant de la pendance (satisfaction du besoin, motivation par renforcement
positif) et d’éléments relevant de la compulsion (fuite ou évitement du malaise interne,
motivation par renforcement négatif).
Recherche de sensations
Depuis les années soixante, le psychiatre américain M. Zuckerman a développé la notion de
recherche de sensations et tend à en faire un trait de caractère, lié à des différences biologiques
entre les individus. Adaptée en France par D. Widlocher, l’échelle de recherche de sensations est
un questionnaire qui se décompose en quatre dimensions: recherche de danger et d’aventure;
recherche de nouveauté; désinhibition; susceptibilité à l’ennui. La recherche de sensations serait
liée au besoin de maintenir ou d’atteindre un certain niveau d’activité cérébrale. Les différences
entre individus proviendraient des différences dans le seuil d’activation: pour obtenir une
sensation équivalente, certains doivent recourir à plus de stimulations que d’autres.
Alexithymie
En 1972, Sifneos propose le terme d’alexithymie pour désigner le fonctionnement de nombreux
patients sous forme d’affections organiques chroniques à forte composantes psychosomatiques.
Étymologiquement dérivé du grec, ce concept renvoie à l’absence de mots pour exprimer des
émotions. Sifneos présente ainsi son concept: “une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat
une forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l’action pour éviter les conflits et les
situations stressantes, une restriction marqe dans l’expression des émotions et particulrement
une difficulté à trouver les mots pour décrire ses sentiments”.
Problématique narcissique et difficulté d’intériorisation
En ce qui concerne les cas de personnalités dépendantes, on peut parler d’une perturbation
précoce du narcissisme. Chez ces sujets on ne trouve pas de trace d’identification à une mère
interne protectrice. L’alcool jouera un rôle d’objet interne faussement sécurisant. Cet état de
dépendance narcissique a pu se constituer ainsi dès les tous premiers stades de maturation
psychique, favorisant ensuite une fragilité de la relation d’objet et des possibilités identificatoires.
Le recours à l’addiction a pu constituer par la suite une tentative magique pour pallier le défaut
de représentation d’une instance maternelle adéquate. Ces carences de l’intériorisation se
retrouvent également dans les comportements de type anorexie-boulimie.
Défaut de symbolisation et l’ivresse
Tout objet constituant une effraction traumatique pour le sujet dépendant, ce dernier va être
amené à se construire une carapace narcissique afin de se protéger des aléas de la relation
objectale. Dans cette pathologie de l’objet transitionnel, les mosaïques remplacent l’objet
humain au lieu de le symboliser, l’alcool apparaît comme objet partiel conférant au sujet un
sentiment illusoire de toute puissance. Le sujet va ainsi nier l’importance de l’objet humain et
faire l’économie de l’ambivalence envers l’être aimé. Ces défenses narcissiques pathologiques
entraînent une faille dans l’Idéal du Moi, l’estime de soi et le sentiment de l’identité personnelle.
Le repli auto-érotique que réalise la “solution” alcool vient court-circuiter l’échange humain et
langagier; il constitue une stratégie pour se mettre à l’abri des réactions imprévisibles de l’objet,
en tant qu’il est lui un sujet. À travers l’hétérogénéité des pathologies addictives, certains
repèrent une même souffrance compulsive accompagnant l’activité de pensée. Le corps va
prendre une fonction essentielle, en tant que lieu et possibilité de souffrance. Dans cette relation
passionnelle et aliénante entre le sujet et l’alcool, le plaisir est devenu un besoin. La dépendance,
l’asservissement à un objet extérieur engendrera tôt ou tard un éprouvé de souffrance auquel le
sujet va s’accrocher de toutes ses forces. L’abstinence, avec le retour de la alité et de la douleur,
va entraîner une réapparition des limites corporelles, aiguisant la perception du monde, la
souffrance constituant ainsi une preuve de son existence. Éprouver le manque va donc permettre
au sujet de se sentir vivant. Dans ces pratiques, la non satisfaction du besoin engendré par le
manque, devient alors le moyen le plus efficace pour se maintenir comme être sirant échappant
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