NEUROPSYCHOBIOLOGIE DE LA DÉPENDANCE
Une substance neurotoxique à potentialité addictive comme l’alcool, n’est pas
toxicomanogène pour tout le monde. Après une première rencontre avec ce produit, certains
sujets souhaitent plus ou moins compulsivement renouveler l’expérience, d’autres non. Cela
suggère que l’organisme se trouve, pour ces deux catégories de sujets, dans deux états différents.
Il est important de comprendre cet état de prédisposition momentanée ou durable. L’alcool ayant
frayé au sein de l’organisme ses voies d’action pharmacologiques, le cerveau s’étant réorganisé
en raison de la pression environnementale régulière qu’est la molécule, alors la compréhension
du phénomène s’oriente vers l’étude de cet état cérébral, plus précisément des mécanismes de la
dépendance (et de la tolérance). L’état cérébral s’intègre dans des circuits complexes dans
lesquels les stimulus de l’environnement, les conditionnements et aussi les rétroactions du
comportement sur le cerveau interviennent puissamment. Un alcoolodépendant “sevré” pourra
subir un syndrome de sevrage alors qu’il se trouve dans l’environnement ou en contact avec les
stimulus qui étaient liés aux rituels de la prise de boisson; de même le syndrome est bien plus
sévère chez les animaux qui s’autoadministrent une drogue volontairement, que chez ceux qui la
reçoivent passivement avec des contingences (rythme et dose) rigoureusement identiques.
Si l’on admet que tout comportement est contrôlé par ses conséquences, l’alcool (ses
effets), en renforçant la réponse qui permet de l’obtenir, a des propriétés renforçantes. Pour
résumer, trois systèmes de neurones seraient impliqués: DA (dopamine), GABA (acide gamma-
amino butyrique), opioïdes. Des données impliquant les systèmes dopaminergique et opioïdes, de
façon indirecte par l’intermédiaire des récepteurs GABA (sédatifs) occupés par l’alcool,
rapportent le rôle central à la fois du Noyau Accumbens et de l’Aire Tegmentale Ventrale (ATV)
où sont localisés les corps cellulaires des neurones à dopamine mésocorticolimbiques. Tout cela
semble nous orienter, en ce qui concerne les effets renforçants, vers une voie finale commune,
l’ensemble des structures modulées par les neurones dopaminergiques et opioïdes , car ils
occupent une place privilégiée au sein du système nerveux central et sont impliqués dans le
contrôle des conduites affectives et des émotions, dont le plaisir. On le nomme “circuit de
récompense”. La convergence de l’effet des différents produits addictifs sur les neurones
dopaminergiques explique les sensations agréables éprouvées lors de la prise d’alcool (ou
d’autres substances) et permet de comprendre pourquoi la personne dépendante peut passer sans
difficulté d’un produit à l’autre.
Le terme de dépendance physique caractérise l’état pour lequel l’utilisation de l’alcool
est indispensable au maintient de fonctions physiologiques normales. Cette dépendance apparaît à
l’occasion de l’interruption de la prise chronique et se caractérise par un syndrome de sevrage ou
d’abstinence, consistant en des nombreuses perturbations physiopathologiques généralement
qualitativement opposées aux effets de l’alcool. L’exposition prolongée et répétée à l’alcool (qui
induit une diminution de l’occupation des récepteurs NMDA (excitateurs) entraîne un mécanisme
de compensation qui abouti à une augmentation de l’excitabilité de ces neurones. Cette
hyperexcitabilité est en fait révélée lors du sevrage, en raison de l’interruption brutale de l’action
de l’alcool sur les récepteurs. Cette augmentation soudaine de la quantité de NMDA agissant sur
des récepteurs hypersensibilisés explique les manifestations comportementales: instabilité
psychomotrice, excitation, irritabilité et agressivité, oscillations rapides des sentiments et de
l’humeur. Ces sensations extrêmement désagréables (voire douloureuses) constituent un élément
majeur dans le comportement de recherche d’alcool en vue de rétablir un équilibre perdu par
l’arrêt brutal de la consommation du produit.