Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II SOMMAIRE INTRODUCTION…………………………………………………………p.2 PREMIÈRE PARTIE : NATURE DES NUISANCES…………………p.3 A) Principales nuisances…………………………………………p.3 B) Autres nuisances………………………………………………p.4 DEUXIÈME PARTIE : LA RÉPRESSION DES NUISANCES………p.5 A) Les différents régimes de répression………………………..p.5 B) Les sanctions et exonérations………………………………..p.6 CONCLUSION…………………………………………………p.8 Sous la Tutelle de M. Ludovic Servant,enseignant à l'université de Lille II 1 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II INTRODUCTION Il y a trente ans, l’exploitation d’un élevage n’était pas considérée comme créant des troubles. Mais les choses ont changé. D’un point de vue démographique, des populations urbaines ont installé, dans les zones rurales, leur résidence principale ou leur résidence secondaire et ont été beaucoup plus sensibles aux effets de l’exploitation des élevages. D’un point de vue de la protection de l’environnement, la législation ICPE est venue aussi encadrer les nuisances causées par les élevages. Nous n’aborderons ici que les nuisances à proprement dit. La notion de nuisances est à différencier de celle de pollution. La notion de nuisances est très subjective contrairement à celle de pollution. Les nuisances caractérisent généralement un fait (une source) perceptible, provoquant une souffrance vécue et subie, mais difficile à mesurer car pour partie subjectivement appréciée par celui qui y est exposé. La notion de pollution est plus concrète, c’est une gêne visible comme la pollution de l’air, de l’eau. Dans le cadre des nuisances créées par les élevages, les juges sanctionnent ces nuisances que si elles troublent anormalement le voisinage. Nous verrons dans une première partie, la nature des nuisances pouvant provoquer des troubles anormaux du voisinage et dans une seconde partie, la répression de ces troubles. 2 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II PREMIÈRE PARTIE : NATURE DES NUISANCES Nous étudierons dans un premier temps les principales nuisances sanctionnées par le juge et dans n deuxième temps les autres nuisances pouvant être générées par les élevages. A) Principales nuisances Les principales nuisances sont les nuisances olfactives et sonores provoquées par les élevages. Les nuisances olfactives peuvent venir de la présence d’élevages hors sol comme un élevage de porc dans l’arrêt de la première Chambre civile de la Cour de Cassation rendu le 13 juillet 2004. (n°02-15.176, AJDA 2005 p.1235, Environnement 2004, comm. 111). Un troupeau de deux cents moutons entraînant des odeurs persistantes alors qu’il aurait pu être placé plus loin peut aussi être constitutif d’un trouble anormal(CA Aix, 24 juin 1985). Tout est question d’appréciation, certaines cours estimant au contraire que la situation n’est pas anormale. Citons par exemple un arrêt de la Cour d’Appel de Montpellier datant de 1985 dans lequel la Cour avait refusé cette qualification car l’élevage de porcs était situé dans une commune rurale.Un arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux du 24 mai 2006 a même déclaré que « le fait que le caractère rural de la commune où sont implantées ces propriétés s’amenuise ne peut avoir pour effet de supprimer toutes les exploitations agricoles en raison des nuisances qu’elles sont susceptibles de générer ».(CA Bordeaux, 23 mai 2006, « Brisseau c/ Dupuy », Droit rural n°346, Octobre 2006, comm.285). Les autres principales nuisances dues aux élevages pouvant être qualifiées de troubles anormaux de voisinage sont les nuisances sonores. Toutes sortes de bruits peuvent être sanctionnés par la jurisprudence. Les cris d’animaux sont tous visés. Nous pouvons citer, par exemple, les aboiements de chiens dans un élevage (CA Aix, 4 septembre 2000) ou le chant de coqs (CA Dijon, 1987) ou enfin le cancanement de cinquante canards (TGI Chartres, 2002). Le Tribunal a retenu le critère du nombre d’animaux pour considérer qu’il y avait un inconvénient excessif de 3 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II voisinage, bien que l’élevage se situe en zone rurale : « si la présence de quelques poules et canards conservant un certain caractère rural ne peut constituer une source de nuisances dès que leur nombre reste réduit, l’on se trouve en présence d’un élevage comptant une cinquantaine de volatiles ». Enfin, évoquons le cas des nuisances sonores causées par les cloches de vaches. Les voisins d’un agriculteur propriétaire d’un important troupeau de vaches munies de cloches avaient saisi le juge de proximité sur le fondement du trouble anormal en raison de la permanence et de la répétitivité des bruits provenant du troupeau. Le juge a estimé que la présence de troupeaux munis de cloches à proximité immédiate de leur habitation constituait pendant la nuit un trouble anormal de voisinage qu’ils étaient en droit de voir cesser. (Juge de proximité d’Aix-les-Bains, « Brault c/ Francoz »). B) Autres nuisances Les autres nuisances engendrées par des élevages peuvent être, tout d’abord, des nuisances dues aux insectes.La présence de mouches provoquée par un troupeau de moutons peut constituer un trouble anormal de voisinage (CA Aix, 1985). Il peut aussi s’agir de nuisances visuelles.Il a été jugé que la construction d’un hangar enlaidissait le paysage et que cet enlaidissement constituait un trouble anormal de voisinage. La démolition du hangar inesthétique et supprimant la vue sur la campagne avoisinante a pu être ordonnée. Après avoir vu la nature des nuisances provoquées par les élevages, étudions les régimes juridiques réprimant ces nuisances. 4 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II DEUXIÈME PARTIE : LA RÉPRESSION DES NUISANCES A) Les différents régimes de répression Nous allons d’abord étudier les régimes spécifiques avant d’étudier le régime propre des troubles anormaux du voisinage. Tout d’abord, les nuisances peuvent être réprimées sur le fondement de l’atteinte à la salubrité publique énoncée par l’article R 111-2 du Code de l’urbanisme : « Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d'autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. » Un permis de construire de bâtiments d’élevages qui provoquaient des nuisances olfactives a pu être annulé sur le fondement de cet article. Ensuite, les nuisances peuvent être sanctionnées par le régime des ICPE.Les installations classées soumises à autorisation doivent satisfaire les prescriptions fixées par arrêté préfectoral en vue de prévenir les dangers ou inconvénients que présente leur fonctionnement pour les intérêts protégés par la loi. Mais le respect de ces prescriptions ne garantit pas l’absence de nuisances. Ainsi l’exploitation parfaitement légitime d’une installation classée peut-elle se révéler dommageable pour les tiers. C’est ce qui justifie la réserve des droits des tiers rappelée par l’article L 514-19 du Code environnement : « Les autorisations sont accordées sous réserve des droits des tiers. ». L’exploitant pourra voir sa responsabilité engagée devant le juge civil alors même qu’il n’a commis aucune faute dès lors qu’il cause à ses voisins un trouble anormal.(Mme Moliner-Dubost, Le juge civil et l’installation classée causant un trouble anormal de voisinage, AJDA 2005, p.1235). Pour appliquer cet article, il faut tenir compte de la séparation des juridictions civiles et administratives. Le juge civil peut imposer des travaux pour supprimer les 5 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II nuisances (CA Montpellier, 12 mars 2002, « Chassaly c/ Lacroix »). Il peut ensuite ordonner la suspension d’une activité s’il constate que les travaux ordonnés n’ont pas été réalisés (Civ 1, 13 juillet 2004, op.cit.). Le juge administratif peut, quant à lui, ordonner la fermeture de l’ICPE. Une remarque doit être faite concernant cette possibilité de fermeture. Le juge administratif doit prendre en compte le caractère spécifique de cette ICPE puisqu’il faut prendre en considération le sort des animaux élevés dans cette ICPE. Le juge administratif pourra aussi retenir la responsabilité de l’État. En effet, l’État peut être déclaré responsable des préjudices causés au voisin d’une porcherie. Il peut ainsi être condamné à la réparation de ces préjudices (TA Grenoble, 8 juin 1984, « Michallon »). Concernant le régime propre des troubles du voisinage, la particularité de ce régime est qu’il peut y avoir trouble alors qu’il n’y a pas de faute. La responsabilité est encourue non pas sur le fondement de l’article 1382 de Code civil mais sur le fondement d'un principe général de droit selon lequel " nul ne peut causer à autrui un trouble de voisinage (Cour de cassation, 9 novembre 1986). Il suffit de démontrer l'existence d'un trouble anormal de voisinage pour que la responsabilité soit retenue. Il peut y avoir anormalité même en l'absence de violation de règlements ou d'autorisations administratives (anormalité du trouble pour les riverains d'une porcherie régulièrement autorisée, CA Rennes 12 avril 2000) L'anormalité est appréciée en fonction du lieu et des circonstances. Le trouble doit être objectif. On ne doit pas tenir compte de la sensibilité particulière du voisin. L'anormalité relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. L'anormalité est déliée de la faute. Les troubles n'ont pas besoin d'être permanents pour être sanctionnés. B) Les sanctions et exonérations Les sanctions peuvent être des sanctions pénales, si le trouble constitue une infraction (bruit par exemple). La plupart du temps, les sanctions ont un caractère civil. Les tribunaux ordonnent la cessation du trouble (interdiction d'un élevage de porcs rendant inhabitable la maison 6 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II voisine, CA Colmar 20 janvier 1982), le paiement de dommages intérêts (30 000 F pour de mauvais odeurs CA Montpellier, 12 mars 2002 ; 150 000 F pour compenser les divers troubles apportés au voisin à la suite de l'agrandissement d'une porcherie CA Rennes 12 avril 2000), l'exécution de travaux de nature à mettre un terme aux troubles ou la démolition si la construction contrevient aux règles d'urbanisme (Cas 28 mars 2001).L'article L 480-13 du Code de l'urbanisme autorise la démolition de la construction à l'origine du trouble anormal de voisinage lorsque le permis de construire a été annulé. En principe, du fait du principe de la séparation des pouvoirs, les juges civils n'ont pas le pouvoir d'ordonner l'arrêt du fonctionnement d'un élevage classé régulièrement autorisé (Cas 23 janvier 1996 D. 1996, 266). Mais cela n'a pas empêché la Cour de Montpellier d'ordonner la suspension de l'activité d'un éleveur de porcs jusqu'à la réalisation de travaux, CA Montpellier 12 mars 2002) Une exonération existe à ces sanctions sous la forme de l’antériorité. L’article L11216 du code de la construction dispose que « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. » Les nuisances dues à des activités agricoles ne peuvent donner lieu à réparation lorsque le plaignant s'est installé près d'une exploitation qui existait avant son arrivée à la condition que l'exploitant respecte les lois et les règlements. La moindre modification de l'exploitation peut cependant faire perdre le bénéfice de la pré-occupation (par exemple une augmentation de la capacité de l'élevage CA Limoges 19 février 2003). Cette règle est cependant assez facilement écartée car les tribunaux peuvent retenir que l'exploitant ne respecte pas la réglementation (CA Rouen 16 avril 2000). Certaines Cour d'appel estiment en outre que l'antériorité ne prive pas le voisin de son doit de jouir normalement de son bien (CA Nîmes 19 février 2002). 7 Lucie Muraire Master 2 DPE Université de Lille II CONCLUSION Comme nous avons pu l’examiner, les élevages peuvent provoquer des nuisances très diverses. Ces nuisances devront créer un trouble anormal du voisinage pour être sanctionnées. C’est au juge qu’appartient en dernier lieu d’apprécier la qualification de trouble anormal du voisinage. Malgré l’existence de nuisances, ces nuisances ne seront pas toutes sanctionnées pour autant. Car vouloir vivre dans des zones rurales signifie aussi accepter les désagréments de cette vie à la campagne. De plus, contrairement à des ICPE classiques qui peuvent être fermées sans trop de souci en cas de désagréments trop prononcés, les élevages ne sont pas des ICPE comme les autres et une fermeture doit être envisagée très attentivement. En effet, que faire des animaux lors de la fermeture de l’élevage ?Des solutions doivent être trouvées pour pallier cette fermeture. Le juge administratif n’a alors pas qu’un rôle de sanctionneur, il doit trouver aussi des solutions pour ces élevages. La protection de l’environnement est donc une lourde tâche pour le juge. Il doit veiller au respect des intérêts de chacun, voire plus lorsque des animaux sont concernés. 8