Prise en charge de l’obésité Synthèse La souffrance psychologique chez l’enfant et l’adolescent obèses Pascale Isnard • Services de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent Hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris 18 • Service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, Paris 19 • Inserm U 669, PSIGIAM, Maison de Solenn, Paris 14 Correspondance : Service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Bichat-Claude Bernard Policlinique Ney, 124 boulevard Ney, Paris 18 Tél : 01 40 25 89 51 Fax : 01 42 59 75 32 E-mail : Pascale.isnard@ bch.aphp.fr Mots-clés : Obésité, enfant, adolescent, stigmatisation, hyperphagie boulimique, trouble de l’activité et de l’attention 18 Synthese 61 IsnardC.indd 18 C haque enfant ou adolescent souffrant d’obésité est unique : il est avant tout un enfant ou un adolescent caractérisé par son âge, son sexe, ses origines sociale et culturelle, son tempérament, son développement cognitif et affectif, ses connaissances et croyances nutritionnelles, ses valeurs et ses goûts, sa représentation de l’alimentation. Il n’existe pas une mais des obésités. L’obésité dont l’enfant ou l’adolescent souffre est caractérisée par une étiologie multifactorielle qui lui est propre (vulnérabilité génétique, facteurs environnementaux et facteurs psychologiques favorisant la prise de poids), par sa sévérité, sa durée d’évolution, sa phase (constitution, aggravation, stabilisation ou fluctuation pondérale), sa souffrance psychique et relationnelle secondaire, ses comorbidités médicale ou psychopathologique, un éventuel handicap associé. L’environnement familial et social est lui aussi unique : il inclut les modes de vie, les attitudes parentales par rapport à l’alimentation de l’enfant, le style éducatif, le fonctionnement familial, les modalités d’attachement de l’enfant à ses figures parentales, l’existence de facteurs de stress intrafamiliaux ou sociaux éventuels. Ainsi, à différents niveaux, qu’il s’agisse de l’étiopathogénie, des complications mais aussi de l’environnement familial et social, des aspects psychologiques peuvent intervenir. Nous traiterons ici de quelques aspects des liens entre obésité et souffrance psychologique chez l’enfant et l’adolescent en centrant notre propos sur les souffrances psychologique et relationnelle telles que l’estime du corps et de soi, la qualité de vie, mais également la psychopathologie plus spécifiquement associée au problème de surpoids chez l’enfant avec en particulier les troubles des conduites alimentaires, les troubles dépressifs et les troubles du comportement. Nous aborderons l’environnement social et familial avec les problèmes de stigmatisation, la psychopathologie parentale ainsi que les carences, négligences et abus dont les enfants ou les adolescents obèses peuvent être victimes. Enfin nous évoquerons les indications de l’adressage de l’enfant ou de l’adolescent avec obésité au psychologue ou au pédopsychiatre. Nous rapporterons les principales études ou revues de la littérature récentes. Souffrance psychique et relationnelle Estime du corps Le concept d’image corporelle peut être étudié à travers ses deux composantes perceptive et affective. L’estime du corps est la dimension affective de l’image du corps, c’est-à-dire les sentiments liés à l’apparence physique. Elle est mesurée par des échelles ou bien des silhouettes de tailles croissantes présentées à l’enfant, l’enfant choisissant la silhouette qui le représente le mieux et celle à laquelle il souhaiterait ressembler, l’estime du corps étant la différence entre les deux. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 61, Novembre-Décembre 2012 18/12/12 17:18 Une diminution de l’estime du corps à la fois dans les échantillons cliniques ainsi que chez les enfants obèses évalués en population générale, mais à un moindre degré est retrouvée dans une revue de la littérature [1]. L’estime du corps aurait tendance à diminuer avec l’âge chez les filles obèses, mais en revanche à augmenter avec l’âge chez les garçons, à l’adolescence les filles désirant être plus minces et les garçons plus « forts ». Les moqueries concernant le poids sont associées à l’insatisfaction corporelle, réduisant voire éliminant la contribution de l’IMC dans la mauvaise estime du corps. L’estime du corps est inversement corrélée à la psychopathologie en particulier dépressive et anxieuse et a tendance à s’améliorer avec le traitement de l’excès de corpulence. Estime de soi L’estime de soi résulte de la balance entre les réalisations d’un individu et ses aspirations et dépend en partie des interactions avec les autres. Elle est multidimensionnelle et peut-être évaluée de manière globale ou bien au regard de domaines spécifiques comme l’estime du corps. Elle est habituellement mesurée par des échelles. Une diminution significative de l’estime de soi globale des enfants et des adolescents obèses par rapport à des enfants sans problèmes de poids est mise en évidence dans les revues de la littérature [1-3]. Les enfants obèses demandeurs de soins et donc issus d’échantillons cliniques, rapportent une plus mauvaise estime d’eux-mêmes que les enfants obèses évalués en population générale. Pour certains auteurs, l’estime de soi ne serait pas plus faible lorsqu’on contrôle pour l’estime du corps. Les filles sont plus affectées que les garçons et comme pour l’estime du corps, l’estime de soi a tendance à diminuer avec l’âge chez les filles et inversement à augmenter chez les garçons. Sévérité de l’obésité et estime de soi sont inversement corrélées chez les enfants et les adolescents. Une corpulence élevée préexiste le plus souvent à la diminution de l’estime de soi dans les études longitudinales même si des effets dans les deux directions peuvent être observés. Un traitement de réduction pondérale efficace améliore l’estime de soi. Qualité de vie La qualité de vie des enfants et adolescents obèses est significativement diminuée dans les revues systématiques de la littérature : les capacités physiques mais également la vie sociale sont particulièrement affectées [2, 4, 5]. Une relation inverse entre l’IMC et la qualité de vie est notée dans l’une de ces revues, incluant une métaanalyse synthétisant 28 études dont la moitié utilise le Pediatric Quality of Life Inventory [4]. Les enfants présentant une obésité rapportent une moins bonne qualité de vie globale que les enfants atteints d’autres pathologies, et que les enfants indemnes de maladie chronique. Ce résultat est obtenu dans une étude qui s’est attachée à comparer la qualité de vie de 8 affections chroniques chez l’enfant (obésité, affection digestive à éosinophiles, maladie inflammatoire chronique intestinale, épilepsie, diabète de type 1, drépanocytose, transplantation rénale et mucoviscidose) à partir des données de 589 patients issues de 8 études observationnelles [5]. Les dimensions de qualité de vie les plus détériorées dans le groupe des enfants obèses, par rapport aux autres groupes, sont les dimensions physique mais aussi sociale. Les troubles des conduites alimentaires Hyperphagie boulimique (ou Binge-eating des anglo-saxons) Le syndrome d’hyperphagie boulimique n’est pas encore reconnu en tant que diagnostic et reste un diagnostic à l’étude du DSM IV-TR (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. 4è édition texte révisé) et la CIM 10 (Classification International des Maladies et des problèmes de santé connexes-10ème révision). Actuellement le diagnostic retenu est celui de trouble des conduites alimentaires non spécifié. Initialement décrit chez l’adulte, ce trouble existe aussi pendant l’enfance et l’adolescence. Les critères diagnostiques dans ces tranches d’âge sont controversés, certains auteurs insistent sur l’hyperphagie c’est-à-dire la quantité d’aliments consommés, mais ce critère est plus ambigu chez l’enfant [6] (Tableau 1). D’autres auteurs retiennent la perte de contrôle vis-à-vis de l’alimentation ou la consommation de nourriture en l’absence de faim [7] (Tableau 2). Les symptômes doivent persister au moins trois mois avec en moyenne au moins deux épisodes par mois. D’autres symptômes peuvent s’y associer : recherche de nourriture en réponse à des affects négatifs (tristesse, ennui, agitation, etc.), recherche de nourriture comme récompense, nourriture mangée en cachette ou cachée, impression de perte de sensation lors de l’alimentation, manger plus ou avoir la perception de manger plus que les autres, avoir des affects négatifs au décours de l’épisode (culpabilité, honte). Quatre types cliniques ou sub-cliniques ont été décrits en fonction de la présence ou non d’une perte de contrôle de l’alimentation et d’une hyperphagie associée : épisode boulimique objectif ou subjectif en fonction de la perte de contrôle, plus ou moins associé à une hyperphagie objective ou subjective en fonction de la quantité alimentaire ingérée. La perte de contrôle de l’alimentation avec ou sans hyperphagie est significativement plus fréquente chez les enfants avec obésité que chez les enfants normo-pondéraux, mais pas l’hyperphagie sans perte de contrôle. L’hyperphagie boulimique est significativement plus fréquente chez les enfants Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 61, Novembre-Décembre 2012 Synthese 61 IsnardC.indd 19 19 18/12/12 17:18 Synthèse Tableau 1. L’hyperphagie boulimique chez l’enfant de moins de 14 ans selon Marcus et Kalarchian 2003. A. Episodes récurrents d’accès boulimiques. Un épisode est caractérisé par à la fois : 1. une recherche de nourriture en l’absence de faim, 2. une sensation de perte de contrôle de l’alimentation ; B. Les épisodes sont associés à un symptômes ou plus parmi : 1. la recherche de nourriture en réponse à des affects négatifs (tristesse, ennui, agitation ) ; 2. la recherche de nourriture comme récompense ; 3. une nourriture mangée en cachette ou cachée ; C. Les symptômes doivent persister au moins trois mois ; D. Le trouble ne doit pas être associé à l’utilisation régulière de stratégies de contrôle du poids (c’est-à-dire vomissements, jeûnes, exercice physique) et ne survient pas exclusivement durant l’évolution d’une anorexie mentale ou d’une boulimie. Tableau 2. Perte de contrôle de l’alimentation chez l’enfant de moins de 12 ans selon Tanosfky-Kraff et al 2008 A. Episodes récurrents de perte de contrôle de l’alimentation caractérisés par à la fois : 1. la sensation de perte de contrôle de l’alimentation, 2. la recherche de nourriture en l’absence de faim ou après l’alimentation ; B. L’épisode est associé avec 3 ou plus des symptômes suivants : 1. manger en réponse à des affects négatifs, 2. manger en cachette, 3. impression de perte de sensation lors de l’alimentation, 4. manger plus ou avoir la perception de manger plus que les autres, 5. affects négatifs au décours de l’épisode (culpabilité, honte) ; C. Les épisodes surviennent en moyenne au moins 2 fois par mois pendant au moins 3 mois ; D. Le trouble n’est pas associé de manière régulière à des stratégies de contrôle du poids et ne survient pas seulement lors de l’évolution d’une anorexie mentale, d’une boulimie nerveuse ou d’une hyperphagie boulimique. ou les adolescents obèses qui consultent (30 à 40 %) que chez les enfants obèses issus de la population générale (10 à 20 %) mais pour certains auteurs ceci n’est plus retrouvé lorsque la sévérité de l’obésité et le niveau socioéconomique sont pris en considération. L’âge de début de la perte de contrôle de l’alimentation est de 8 à 11 ans pour les uns, mais dès 5-6 ans pour d’autres. La prévalence en fonction du sexe et de l’âge diverge en fonction des auteurs: pour certains elle serait plus fréquente chez les filles et les préadolescents. La sévérité de l’hyperphagie boulimique et l’IMC ne sont pas corrélés mais l’hyperphagie boulimique est plus fréquente dans les obésités sévères. Les enfants ou adolescents obèses avec hyperphagie boulimique rapportent plus souvent 20 Synthese 61 IsnardC.indd 20 des cognitions associées aux troubles des conduites alimentaires (recherche de minceur, préoccupations concernant leur poids et leur apparence physique). La plupart des enfants sont obèses avant d’avoir des épisodes d’hyperphagie puis de perte de contrôle de l’alimentation dans les études rétrospectives en population générale. L’hyperphagie boulimique est un facteur prédictif de gain de poids excessif chez l’enfant et l’adolescent à haut risque d’obésité à l’âge adulte (soit parce qu’il est déjà obèse, soit parce que ses parents sont obèses) dans les études prospectives sur 4 ou 5 ans [8, 9]. Chez les enfants ou adolescents obèses, l’hyperphagie boulimique est associée de manière constante à la souffrance psychique (diminution de l’estime du corps ou de soi) et à d’autres dimensions psychopathologiques telles que la dépression, l’anxiété et le déficit de l’attention avec hyperactivité dans les échantillons cliniques [10-13] mais aussi en population générale [14,15]. Ainsi les enfants et les adolescents obèses ayant une hyperphagie boulimique sont significativement plus déprimés, plus anxieux et plus inattentifs, impulsifs et hyperactifs que ceux qui n’ont pas ce trouble, même en tenant compte de l’IMC. L’anxiété serait associée à l’hyperphagie boulimique par le biais d’une alimentation dans un contexte émotionnel avec une sensibilité accrue aux émotions et aux stimuli externes, la perte de contrôle de l’alimentation représentant donc une manière inadéquate de faire face aux émotions. La présence d’une hyperphagie boulimique ne modifierait pas l’évolution pondérale et diminuerait avec le traitement médical (diététique et physique). Stratégies inappropriées de contrôle du poids Les comportements inappropriés de contrôle du poids incluent les comportements dont le but est de modifier son poids ou sa forme. Ces stratégies vont du régime et l’exercice physique, aux pratiques non saines de saut de repas, d’utilisation de substrats alimentaires, de jeûne, de consommation de tabac et enfin aux comportements dangereux pour la santé tels que l’abus de laxatifs ou de diurétiques, la consommation de pilules d’amaigrissement ou les vomissements déclenchés [16]. Les adolescents obèses utilisent des comportements de contrôle alimentaire non sains (79 %) ou extrêmes (17 %) à un plus haut degré que leurs pairs non obèses. La présence de tels comportements prédit une évolution vers l’obésité et les troubles des conduites alimentaires cinq ans plus tard chez les adolescents non obèses [17]. L’association hyperphagie boulimique ou désinhibition vis-à-vis de l’alimentation et restriction alimentaire entraîne une prise de Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 61, Novembre-Décembre 2012 18/12/12 17:18 poids ultérieure plus importante chez les enfants et les adolescents. A l’opposé de ces stratégies inappropriées, les pertes de poids prescrites et encadrées par des professionnels diminuent le risque d’induire des troubles des conduites alimentaires chez les enfants ou les adolescents en surpoids et améliorent les paramètres psychologiques selon une méta-analyse réalisée à partir de 5 études [18]. Autres troubles psychopathologiques Dépression Les études suggèrent que peu d’enfants obèses sont déprimés mais de nombreux modérateurs ou médiateurs peuvent intervenir : les enfants ayant une obésité sévère, les filles, les adolescents, les populations cliniques sont particulièrement à risque [1]. Ainsi des associations positives entre les symptômes dépressifs et le surpoids chez les filles âgées de 8 à 15 ans sont rapportées dans les études transversales [19] et les adolescents très sévèrement obèses qui souhaitent la mise en place d’un anneau gastrique présentent très fréquemment une symptomatologie dépressive au-delà des seuils habituels (30 % des cas aux échelles d’auto-évaluation et 45 % des cas selon l’évaluation de leur mère) [20]. Les symptômes dépressifs sont corrélés à la diminution de l’estime de soi, à la stigmatisation par les pairs ou les proches, ainsi qu’à l’hyperphagie boulimique ou la perte de contrôle de l’alimentation. Les méta-analyses mentionnent surtout le lien entre dépression initiale et prise de poids ultérieure. Ainsi, les adolescentes souffrant de dépression ont significativement 2,5 fois plus de risque de présenter un surpoids ou une obésité, par rapport aux adolescentes non dépressives dans la méta analyse conduite par Blaine et al [21], combinant les données de 16 études longitudinales et après contrôle des facteurs de confusion. De même, les symptômes dépressifs chez les filles pendant l’enfance ou l’adolescence sont associés à une augmentation de 1,9 à 3,5 fois du risque de surpoids ultérieur évalué après une période de 1 à 15 années dans la méta-analyse de Liem et al [22]. Enfin, une symptomatologie dépressive au début de l’étude augmente le risque de développer une obésité ultérieure (OR=1.58) selon une méta-analyse sur 15 études [20]. A l’inverse, une obésité initiale peut aussi augmenter le risque de débuter des symptômes dépressifs ou un trouble dépressif lors du suivi (OR=1,55) chez les moins de 20 ans [20]. Troubles anxieux Les adolescents obèses issus de la population générale n’ont pas plus de troubles anxieux que les enfants non obèses, contrairement à ceux issus de population clinique. Dans l’étude de Britz et al. [23], des adolescents et de jeunes adultes (15 à 21 ans) sévèrement obèses, demandeurs de soins pour leur poids, sont comparés d’une part à des sujets obèses issus de la population générale appariés pour le sexe, et d’autre part à des sujets contrôles de même âge non obèses. Les sujets sont évalués par des entretiens psychiatriques structurés. Par rapport aux deux autres groupes, les sujets sévèrement obèses présentent des prévalences supérieures sur la vie entière de troubles dépressifs (43 %), anxieux (41 %), somatoformes (36 %) et des conduites alimentaires (51 % des filles et 35 % des garçons ont une hyperphagie boulimique avec perte de contrôle, mais seulement 17 % remplissent les critères diagnostiques d’hyperphagie boulimique). Dans une autre étude réalisée en population clinique, plus de la moitié des enfants et les adolescents obèses ont des troubles psychiatriques, les troubles anxieux étant particulièrement fréquents (plus d’un tiers). Dans cette étude, les enfants et les adolescents obèses ont plus de troubles inter- nalisés (anxiété, dépression) que les enfants diabétiques qui constituent le groupe contrôle [24]. Les troubles du comportement Les enfants et les adolescents obèses ont significativement plus de problèmes de comportement que leurs pairs non obèses, à la maison, à l’école et avec leurs pairs et la différence est encore plus importante dans les populations cliniques. Les enfants et les adolescents obèses sont aussi plus fréquemment victimes de violence que leurs pairs non obèses. Un trouble fréquemment rencontré est le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Ainsi une revue systématique rapporte une association entre l’obésité et le TDAH : ainsi les enfants hospitalisés pour leur poids ont une prévalence supérieure du TDAH par rapport aux enfants non obèses et les enfants avec TDAH sont plus souvent en surpoids que les enfants sans TDAH [25]. Une relation significative entre les symptômes de trouble des conduites à l’adolescence et une augmentation de l’IMC 8 ans plus tard est mentionnée dans une étude longitudinale réalisée chez 644 adolescents [26]. De même, les problèmes de comportement significatifs entre 8 et 11 ans sont associés à une augmentation du surpoids ou à un changement de statut pondéral (enfant sans problème de poids initialement et présentant un surpoids à la fin de l’étude) dans une autre étude longitudinale [27]. L’environnement social et familial Stigmatisation L’obésité est une maladie visible, le plus souvent à l’opposé de l’idéal de minceur qui prévaut actuellement dans notre société (sauf dans certaines croyances socio-culturelles ou le corps gros est valorisé, car synonyme notam- Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 61, Novembre-Décembre 2012 Synthese 61 IsnardC.indd 21 21 18/12/12 17:18 Synthèse ment de bonne santé ou de fertilité). Alors que l’obésité a plus que doublé en 40 ans aux Etats-Unis, la stigmatisation concernant le poids a augmenté significativement entre 1961 et 2001 de 40 % chez les enfants lors de la reproduction de l’expérience de Richardson qui consiste à proposer aux enfants des dessins représentant des enfants sains, mais aussi des enfants avec différents handicaps dont l’obésité [28]. Le harcèlement concernant le poids apparaît après le développement du surpoids chez l’enfant selon une étude longitudinale qui a évalué le sens de l’association entre obésité et stigmatisation [29]. Les filles en surpoids sont plus stigmatisées que les garçons : elles subissent plus de moqueries concernant leur poids, sont plus souvent harcelées verbalement, physiquement et au niveau relationnel et elles sont plus souvent marginalisées au niveau des relations amicales et amoureuses selon une méta-analyse sur 17 études identifiées [30]. Les attitudes négatives envers les obèses augmentent pendant l’enfance puis restent stables voire diminuent à l’âge adulte et dès le jeune âge les enfants attribuent des descriptifs négatifs aux pairs en surpoids qui vont s’élargir avec le cours du développement. Un plus haut niveau d’IMC est associé à plus de victimisation en intensité et en fréquence et la croyance que le poids peut être entièrement contrôlé par le sujet est associée à plus de préjugés par rapport au poids. Les professionnels de l’éducation nationale ou de la santé ainsi que les parents, peuvent aussi avoir des attitudes négatives à l’égard des jeunes obèses et peuvent aussi transmettre des stéréotypes concernant le poids [31]. Les conséquences psychologiques et sociales de la stigmatisation chez l’enfant obèse sont multiples : comparativement aux enfants de poids normal, les enfants en surpoids ou obèses sont moins souvent choisis comme ami, sont moins aimés et sont plus souvent rejetés par leurs pairs, ils ont plus souvent des habiletés cognitives ou académiques inférieures et ils sont plus souvent désa22 Synthese 61 IsnardC.indd 22 vantagés au niveau socio-économique ultérieurement. La stigmatisation et les moqueries par rapport au poids sont associées à une moindre estime du corps et de soi, à une augmentation des idées suicidaires, à une augmentation des troubles des conduites alimentaires, en particulier de l’hyperphagie boulimique, à une augmentation de la vulnérabilité à la dépression, et à une diminution du niveau d’activité physique. Le risque est l’apparition de véritables cercles vicieux secondaires : la stigmatisation secondaire à l’obésité favorise la dévalorisation de soi et l’isolement social, entraînant ou majorant les compensations alimentaires et la sédentarité qui accroissent la surcharge pondérale. Psychopathologie parentale La psychopathologie émotionnelle (anxieuse et dépressive) maternelle et de l’enfant obèse sont constamment associées dans des études qui se sont intéressées à évaluer la symptomatologie psychiatrique des parents [24, 32-34]. Les troubles des conduites alimentaires chez l’enfant ou l’adolescent obèse sont également associés aux troubles des conduites alimentaires chez sa mère [32, 34], mais également à l’anxiété et à la dépression maternelle [32]. Carences, négligences et abus L’obésité peut être le reflet de difficultés relationnelles intrafamiliales, voire de dysfonctionnements familiaux parfois graves. Certains évènements de vie peuvent expliquer la cinétique de la courbe en particulier lors de prise de poids rapide sans facteur étiologique médical retrouvé. Une forte association (OR de 1,3 à 9,8) entre les abus physiques, négligences ou abus sexuels chez l’enfant, et l’obésité pendant l’enfance est rapportée dans la méta-analyse de quatre études prospectives longitudinales, et l’association avec l’obésité persiste également à l’âge adulte, après avoir contrôlé les analyses sur les caractéristiques familiales et les facteurs de risques individuels dont l’obésité de l’enfant [36]. Quand adresser à un psychologue ou un pédopsychiatre ? Une approche médicale, diététique et physique apporte parfois à elle seule une amélioration du fonctionnement psychologique et relationnel de l’enfant ou l’adolescent obèse surtout lorsqu’elle est bénéfique en termes d’indice de masse corporelle. Mais dans un certain nombre de situation, la prise en charge doit être multidimensionnelle et inclure pour les enfants et les adolescents qui le nécessitent une approche psychothérapique voire pédopsychiatrique. Dans les recommandations de bonne pratique sur le surpoids et l’obésité de l’enfant et de l’adolescent, actualisées en octobre 2011 par l’HAS, l’orientation vers un psychologue ou un pédopsychiatre est préconisée par un accord d’experts dans les situations suivantes : souffrance psychique intense ou persistante (notamment diminution de l’estime de soi ou du corps) ou relationnelle (isolement social, stigmatisation), trouble du comportement alimentaire et autre psychopathologie associé, lorsque sont repérés des facteurs de stress familiaux (dysfonctionnement familial, carences, maltraitances, psychopathologie parentale) ou sociaux (stigmatisation), dans les formes sévères d’obésité et lorsqu’une séparation d’avec les parents est envisagée (séjour prolongé en centre de soin pour le poids). Conclusion La mauvaise estime de soi mais surtout l’insatisfaction vis-à-vis du corps et les difficultés relationnelles, pour une part secondaire aux stigmatisations dont ils sont victimes, sont ainsi très présentes chez les enfants Médecine Clinique endocrinologie & diabète • n° 61, Novembre-Décembre 2012 18/12/12 17:18 et les adolescents souffrant d’obésité. L’installation d’un véritable cercle vicieux est toujours à craindre. La psychopathologie associée à l’obésité chez l’enfant ou l’adolescent, rare en population générale est surtout rencontrée dans les populations cliniques et en particulier hospitalières. Elle comprend l’hyperphagie boulimique et les stratégies inappropriées de contrôle du poids, les symptômes dépressifs et anxieux et les troubles du comportement avec notamment le trouble de l’attention et de l’activité, l’hyperphagie boulimique étant associées aux autres troubles et donc à rechercher systématiquement. La dépression ainsi que les carences, les négligences et les abus dans l’enfance sont des facteurs de risque de surpoids ou d’obésité ultérieure. La réduction de l’indice de masse corporelle permet le plus souvent une amélioration de la souffrance psychologique, des troubles des conduites alimentaires et de la psychopathologie associée mais dans certaines situations cliniques, une approche multidimensionnelle incluant une approche psychothérapique mais aussi parfois pédopsychiatrique est nécessaire. Références 1. Wardle J & Cooke L, Best Pract Research Clinical Endoc and Metab 2005 ; 19:421. 2. Griffiths LJ et al, Int J Pediatr Obes 2010 ; 5:282. 3. Cornette, Worldviews Evid Based Nurs 2008 ; 5:136. 4. Tsiros MD et al, Int J Obes (Lond) 2009 ; 33:387. 5. Ingerski LM et al, J Pediatr 2010 ; 156:639. 6. Marcus, MD & Kalarchian MA, Int J Eat Disord 2003 ; 34:S47. 7. Tanofsky-Kraff M et al, Eat Behav 2008 ; 9:360. 8. Tanofsky-Kraff M et al, Pediatrics 2006 ; 117: 1203. 9. 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Médecine Clinique BULLETIN D’ABONNEMENT & endocrinologie diabète Oui, je souhaite m’abonner pour un an à Médecine Clinique Endocrinologie et Diabète LES TARIFS INDIVIDUELS (tous pays) Particuliers : 120 € Étudiants : 60 € (fournir un justificatif) INSTITUTIONS France (+Monaco et Andorre) : 240 € Union européenne + Suisse : 290 € Reste du monde : 290 € VOTRE RÈGLEMENT Ci joint le règlement d’un montant de : ..............€ Chèque bancaire ou postal à l’ordre de MÉDECINE DIFFUSION Espèces Virement bancaire Pour tout règlement par Carte Bancaire, merci de vous rendre sur notre site : www.mced.fr, rubrique « S’abonner » À retourner à Médecine Diffusion, 23 rue du Départ, 75014 Paris. Tél. 01 40 47 99 58 - Fax : 01 40 48 83 40. E-mail : [email protected] - WWW.mced.fr VOS COORDONNÉES Institutions : ................................................................................... Nom : ............................................................................................. 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